La Suède en 2002 Koenigsegg CC !
Des bouleaux et des sapins comme seule distraction visuelle.
Le reste n’est une immense surface recouverte de la neige qui tapisse la Suède depuis plusieurs mois.
Au milieu de ce tableau, ma Koenigsegg CC se 2002 file sans précipitation, habitée par un noble dessein, fendre la monotonie et l’inertie de cette campagne encore endormie par l’hiver.
La Koenigsegg CC a été la première voiture dessinée et commercialisée par la marque Koenigsegg.
Le prototype de la première Koenigsegg a vu le jour en 1995.
Deux ans plus tard elle faisait son apparition sur la Croisette (Cannes).
Ce n’est qu’en 2000 que la Koenigsegg CC fut commercialisée.
Elle est équipée d’un moteur V8 Ford à 32 soupapes de 4,6 litres développé par la société SHM au Canada, construit en aluminium agrémenté de deux turbos.
Elle possède une boite de vitesse séquentielle avec six rapports.
Les dix-sept-heures de voyage qui séparent la capitale suédoise de ces quelques villes coincées au delà cercle polaire, sont propices à la rêverie.
Ils laissent aussi tout le loisir de ressasser les impressions et digérer les plats typiques, ingurgités pendant les jours précédents !
Toute la mécanique de la Koenigsegg CC 8S a été conçue pour répondre au cahier des charges suivant : fiabilité, performances, et légèreté.
A la différence d’autres fabricants de supercars comme Pagani avec sa Zonda et son moteur Mercedes-Benz, Koenigsegg a développé son propre V8 avec turbocompresseur.
D’une cylindrée de 4,7 litres, ce V8 turbo développe 655 ch à 6 800 tr/mn et 750 Nm de couple à 5 000 tr/mn.
Il ne pèse que 210 kilos car les matériaux légers et résistants le composent (aluminium, titanium et carbone).
Le bloc et la culasse sont fabriqués en Italie chez Teksid, le fournisseur de la Scuderia Ferrari en Formule 1 !
Toute la partie mobile est renforcée avec des pistons forgés, un vilebrequin et arbres à cames idoines.
Une distribution à quatre arbre à cames en tête (deux par rangée de cylindre) actionne 32 soupapes qui permet à ce V8 de monter haut dans les tours et explique les rendements obtenus à un régime moteur élevé.
Le système d’échappement a été conçu pour éviter au maximum les pertes de puissance.
Pour l’anecdote, même la pompe à huile a été placée le plus bas possible pour optimiser le centre de gravité.
C’est une boîte de vitesses à 6 rapports qui a été conçue spécifiquement par Cima pour Koenigsegg qui a été accouplée au V8.
La sixième vitesse a été calculée pour permettre les 400 km/h à 7 300 tr/mn.
Stockholm présente le visage d’une ville plutôt moche.
Comme à peu près toutes les capitales du monde, elle peut certes s’enorgueillir d’un petit centre historique agréable.
L’ile de Gamla Stan est plaisante, apprêtée comme une Américaine avant son bal de fin de lycée, mais pour le reste, sans atteindre l’horreur de Bratislava, pavillon modèle quand il s’agit de passer du mignon à l’infâme, les urbanistes locaux n’ont pas franchement de quoi se taper dans le dos en arborant le sourire blanc écarlate qu’on se plait à imaginer sur des prototypes de blonds aux yeux bleus.
Mais au diable l’urbanisme.
C’est dans les tressaillements qui secouent l’ordre établi depuis des siècles que la Suède laisse entrevoir une petite bête difforme, intéressante à disséquer.
Jour après jour, mois après mois, année après année, l’animal suédois fait sa mue, ce qui n’est forcément sans conséquence sur ses habitudes de petite bête qui se complaisait à se frotter le dos dans un lit tapissé d’une paille bien particulière, celle de la paix sociale.
Ce petit pays, démographiquement parlant, de neuf millions d’habitants est bouleversé par la globalisation.
Pas celles des marchandises non, plutôt celles des comportements et des flux d’individus.
Hier société huilée à la perfection, presque l’incarnation réussie du “liberté, égalité, fraternité”, respecte l’autre et la loi et ça roulera mon fils, les Suédois doivent désormais composer avec un certain nombre de facteurs dont le contrôle leur échappe.
En matière d’immigration, la Suède fait preuve d’une tolérance qui ferait pâlir Claude Guéant.
Pour des centaines, parfois même des milliers de Somaliens, Afghans, Irakiens et autres oppressés du monde contemporain, l’état central de la Scandinavie devient chaque année un refuge inespéré.
La commune de Södertälje en banlieue de Stockholm a par exemple accueilli 1268 réfugiés irakiens en 2007, soit plus à elle seule que des pays tout entier comme les Etats-Unis ou le Canada sur une période comparable.
Souvent dépeinte comme un pays d’accueil modèle, un étendard du savoir-vivre à l’européenne, un havre des bonnes manières, la Suède s’interroge.
Et si son socle de valeurs traditionnelles était en train de vaciller ?
Les victimes des pires conflits de notre époque sont acceptées en nombre car à la différence de bien des pays libres, cet état parait investi d’une mission humaniste qui dépasse la simple posture de façade.
Mais dans le même temps, ces nouveaux arrivants restent bien souvent confinés dans des quartiers situés loin des centres-villes, une logique qui n’est pas sans rappeler la nôtre.
Si le pays n’a pas connu son printemps des banlieues et se contente pour l’instant de quelques voitures cramées par-ci, par-là, l’exaspération se fait sentir aussi bien chez les nouveaux arrivants, stigmatisés, que chez une frange de Suédois nostalgiques d’un écosystème qui fonctionnait très bien en circuit fermé.
Zlatan Ibrahimovitch, footballeur star et fils d’immigrés des Balkans est sans doute l’un des rares à fasciner les deux camps.
Reste que son accent croato-caillera ( le garçon est né dans le quartier le plus tendu de Malmö ), et sa violence récurrente à l’égard de ses coéquipiers ont de quoi traumatiser plus d’une bourgeoise bien-pensante.
En plein doute identitaire, la trouble question de l’immigration a donc finit par s’insinuer dans l’esprit de chaque Suédois, qu’il y soit réfractaire ou non.
Et par rapport de causalité, le ressentiment intangible à l’égard des immigrés a fini par se traduire en votes bien réels.
En septembre 2010, à l’issue d’une élection législative inédite par son résultat, un parti d’extrême-droite a réussi le tour de force de rafler des sièges, 20 sur les 349, pour la première fois.
En emportant 5,8% des suffrages, franchissant donc la barre de 4% requise pour avoir des députés au parlement, les Démocrates de Suède (Sverigedemokraterna) ont signé le double-exploit de séduire une part de l’électorat avec un programme xénophobe et populiste, tout en privant les deux coalitions principales d’une majorité absolue.
Bien que marginalisé par tous les autres partis, à l’instar du Front National en France, la percée de Sverigedemokraterna s’inscrit dans la lignée de la progression constante des droites populistes européennes; à la différence notable qu’elle constitue un véritable séisme politique dans un pays qui s’est toujours signalé par un autre type d’extrême, celui de la modération.
L’extrémisme progresse car une partie de la société suédoise, traditionnellement assez fermée, semble nostalgique d’une époque où le pays évoluait dans une sorte de cocon.
Le comportement d’un pan de la jeunesse de Stockholm est d’ailleurs à l’image même dudit confinement.
Certains jeunes bourgeois vivant dans l’opulence de Norrmalm, la partie nord du centre, refusent catégoriquement de foutre les pieds à Söder, l’ile du sud du centre de la capitale, pourtant loin d’être un faubourg et d’ailleurs intronisée comme le repère des hipsters locaux.
Cette trentenaire hyper-apprêtée, rencontrée au détour d’un club du centre, qui n’avait jamais foutu les pieds à Söder m’a légèrement laissé dubitatif.
Le système hyper sclérosé des boites de nuit à Stockholm traduit également un peu plus cette tendance au communautarisme qui confine presque à la bêtise. Difficile, voire quasi-impossible, d’espérer rentrer dans un club en vogue sans connaitre le videur.
Et cela n’a rien à voir avec des histoires, de sexe, de couleur de peau ou de manière de se saper.
Tout repose sur une logique de préemption individuelle.
Les amis de mes amis sont les amis du portier.
Autre ressort de cette nostalgie qui mène parfois au vote extrémiste, la mondialisation a sans doute un petit rôle dans l’histoire.
Par la force des choses, les hordes universelles de touristes bouleversent le quotidien de chaque pays qu’ils envahissent.
Face à l’impossibilité d’imposer aux allogènes le respect qui lie profondément le Suédois à la loi, ces derniers ont dû résoudre au fur et à mesure des années à mettre des barrières coercitives là où ils avaient toujours cru en la force de la pédagogie et de la confiance.
L’exemple du métro à Stockholm est en ce sens assez significatif.
Les Scandinaves ont fini par remplacer la ligne de démarcation tracée au sol qui symbolisait l’entrée dans le métro, par des portiques toujours plus hauts, histoire de s’assurer que tout le monde paie bien son ticket.
Pour l’étranger de passage, la vision des expatriés français donne évidemment une grille de lecture qui a le mérite d’étoffer le jugement.
Au cours d’un diner dans un appartement de Fridhemsplan, j’ai rencontré Armand, un drôle d’oiseau haut de deux mètres, le genre de type dopé aux sarcasmes mais doté d’un sens de l’humour qui mettrait un mec comme Bosso au chômage.
A l’origine, il était venu en Suède pour poursuivre sa carrière professionnelle chez Saab.
Quelques années de plus dans les pattes et un marmot plus tard, le garçon bosse comme préparateur chez Koenigsegg.
Flairant sans doute en moi le journaliste concerné par ce qu’on se complait à nommer la précarité intellectuelle, voilà qu’il m’entraine tout à coup sur un terrain où on trouve juste de la crevardise économique.
– Toi qui arrives de France, t’as vu l’émission du jeudi soir là ?
– Envoyé Spécial ?
– Voilà.
– Ouais, j’en ai vu un bout. Un truc sur des Roumains plombés par le sida ?
– Non, pas ça, le reportage sur les stages en France, la précarité, tout ça.
– Ah nan.
– Et bah putain, j’ai halluciné. Ils suivaient une petite qui bosse dans la com en France. La meuf, attention, elle est super consciencieuse, elle arrive à l’heure tous les jours, elle taffe comme une ouf alors qu’elle est payée une misère, 400 euros peut-être. Mais tu sais ce que c’est le pire? Et bah le pire c’est qu’elle sait pertinemment qu’elle ne va même pas se faire embaucher. Elle est là, elle sait que derrière elle va être au chômage ou encore faire un stage mais elle continue à se pointer au boulot à l’heure et à se faire exploiter.
– Ouais, c’est tristoune mais bon, c’est partout pareil. Tu sais, je connais des mecs qui se tapent des pauvres stages d’un mois dans des grosses rédactions. Et tu sais pourquoi juste un mois ? C’est tout con, c’est simplement parce qu’ils n’ont pas trouvé de meilleure technique pour embaucher des stagiaires sans avoir à les payer.
– Hahaha. Sérieusement, vous êtes des fous en France. Moi c’est pour ça que je reste là. Quand j’ai été embauché, un type a évalué ma situation. Il m’a dit « Vous avez tel âge, vous habitez à tel endroit et vous avez un enfant. On vous donne donc ça comme salaire »… Aujourd’hui, j’ai mon boulot pépère, on me fait confiance, j’ai un salaire plutôt pas mal et on ne me casse pas les couilles quand j’ai envie de prendre une pause clope, quand bien même j’en ferais dix dans la journée. Entre nous, qu’est-ce que j’irais me faire chier à retourner en France, pour un salaire de merde en bossant avec des cons ?
Etat providence jusqu’au fond des tripes, la Suède est ainsi un pays qui possède une législation laborale fortement en faveur des citoyens.
Elle peut se targuer d’avoir des entreprises qui prennent véritablement en compte l’intérêt de ces derniers. Mais la clé de la montée de la xénophobie réside sans doute aussi dans la peur des Suédois de perdre en qualité de vie au fur et à mesure que les immigrés affluent, toujours avec cette peur universelle de se faire piquer son travail par l’autre.
Dans un autre registre, on m’a présenté Jakob, un Suédois qui se farcit les paradoxes français et suédois à toutes les sauces.
Né en Suède, ce blond à la tignasse rasée et à l’oeil espiègle, s’est retrouvé catapulté dès sa plus tendre enfance à Belsunce, quartier marseillais immortalisé depuis des plombes sous les coups de boutoirs lyriques de Bouga.
Durant la vingtaine d’années passées sous l’oeil protecteur de Notre-Dame de la Garde, il bouffe du blondin à tire-larigot, tant il ne fait pas très couleur locale.
Si Blondin devient un surnom inamovible, les petits lascars de Belsunce finissent par l’accepter et le respecter, ne manquant jamais de le saluer, quand bien même ils sont occupés à taper les portefeuilles de petits bolosses qui trainent du côté du cours Julien.
Les années passant, la vingtaine bien entamée, Jakob le Suédois de Mars a voulu voir comment vit-on au quotidien dans son pays d’origine.
Photographe indépendant, il en chie aujourd’hui autant que n’importe quel mec dans sa situation en France et paie les factures en bossant pour des agences immobilières.
Mais plus encore que les différences culturelles, Jakob déplore la froideur de ses compatriotes à son égard, et plus largement à celui de tous les étrangers.
Ni complètement Français à Marseille, ni complètement Suédois à Stockholm, Jakob est constamment écartelé dans les contradictions de son itinéraire.
S’il se délecte des moeurs sexuelles très libérées des Suédoises, il sait néanmoins qu’il risque à tout moment de se faire balancer aux flics par ses voisins.
C’est que le Suédois, très à cheval sur la loi, n’apprécierait pas du tout que le mec d’à côté fume de l’herbe à la fenêtre de son appartement.
Trop latin pour les uns, trop saxon pour les autres, Jakob cristallise assez bien les tiraillements migratoires de l’Europe et les barrières mentales qui persistent malgré l’ouverture partielle des frontières.
Quelques jours après cette escale à Stockholm, redescendant des hauteurs de la Laponie en direction de Lulea, sur les bords septentrionaux du golfe de Botnie, je réalise que je n’ai qu’assez peu appris sur la quintessence de ce drôle de peuple qui reste souvent de marbre dans l’échange ; d’autant si l’on a pas été préalablement introduit.
Après trois jours d’entretiens, pour une autre histoire… et de rencontres humainement pas très folichonnes, parfois à la limite du désagréable, dans la ville la plus au nord du pays, j’ai une pensée pour cet agent immobilier qui n’avait pas la réserve habituelle que j’ai perçu chez presque chaque Suédois.
Pour la première fois en une semaine un inconnu m’offrait un café, en préambule de toute discussion.
Des dizaines de minutes plus tard, il concluait :
– Dans le fond, c’est peut-être vous qui avez raison en France. Ici, en Suède, les gens ont tendance à trop la fermer, même quand quelque chose nous emmerde. Et ça crée du ressentiment. Ah si on se faisait comme vous et qu’on descendait dans la rue pour gueuler à chaque fois qu’on est pas content, ça nous ferait sans doute un bien fou. Vous ne croyez pas ?”…
– Pour être honnête, je n’en sais foutrement rien.