Wiesmann…, un épisode suffit pour arriver à l’épilogue !
Samedi…
J’ai souvent entendu dire de moi que je n’avais pas les deux rames dans l’eau… cette réflexion explique peut-être mes récits… aucun ingrédient d’une description désabusée, quoique narrative dans l’insolence, ne manque généralement dans mes pages.
Je parle des beaufs franchouillards, des allemands en shorts vert “macht“, des chaponais qui mitraillent en photos comme s’ils pilotaient encore leurs “Zéros“…, des américains qui palpent, des vélos à roulettes d’enfants qui hurlent… tout cela va de soi.
Ceusses qui me lisent, même en diagonale, et ce n’est pas celle du fou…, ne sont pas au bout de leurs peines et repartent, après décryptage de mes écrits hallucinés, chez eux touchés par je ne sais quelle grâce… c’est que, vous “causer” d’automobiles aux millésimes merdiques aux hasards de mes quelques mauvaises expériences (alcool Mojitesque dissocié), est comme une conversation négligée… fluettes et minables automobiles se métamorphosent alors, petit à petit, pour terminer comme l’incroyable Hulk, sexy et puissant.
Un épisode suffit pour arriver à l’épilogue… l’histoire de l’humanité s’est construite sur la séparation d’avec la nature et l’animalité pour finir par échouer dans l’inhumanité… l’histoire de l’inhumanité a commencé et reste à écrire… un non-retour en arrière est-il seulement possible ?
En attendant la divine rencontre (et c’est sexuel, piting !), j’erre parmi les automobiles qui ornent cet immense cimetière qu’est la terre, comme si, en moi, la vie s’était réfugiée loin des foules, du bruit et de l’agitation des émissaires de la mort : pas encore assez pour intéresser les gens en général.
Pour l’instant, je n’ai pas rencontré âme humaine sur les sentiers de la perdition : un espoir mort oui, des traces de folie oui, des puits de conneries pleins à craquer oui, et des fantômes… j’y ai aussi rencontré mon double ou mon triple avec lesquels je me suis longuement expliqué sur des sujets qui nous divisent… ainsi je roule obstinément en suivant ma route que je ne quitte parfois, qu’exceptionnellement…. pourquoi tout ce mal ?
La question me taraude… et après des heures de réflexion silencieuse, je n’ai qu’une réponse : “Pour avoir faim le soir”.
Mes chaussures retirées de mes pieds qui exsudent, je n’ai qu’une hâte, me préparer un bon risotto à la tomate… ça me trotte parfois toute une journée dans la tête, juste le temps de m’arrêter fouiner chez un ferrailleur et/ou un brocanteur pour dénicher un éventuel trésor.
Je suis dernièrement tombé sur une pépite : l’un des premiers opus de Roland Jaccard (psychanalyste et philosophe) datant de 1967 “Ecrits irréguliers” où il étale déjà sa profonde misanthropie et sa filiation avec le philosophe Cioran.
J’effectue une petite randonnée dans cet univers lunaire qui m’a étrangement toujours semblé familier… et revenu au monde physique, je me souviens qu’une bouteille de Battida de Coco agonise dans mon frigo, un tire-bouchon planté dans le cœur… je m’en sers un verre pendant que je prépare la cuisine… mais c’est tellement fruité, équilibré et régalant que la bouteille y passe… je termine enfin mon risotto à bout de souffle et me laisse tomber sur le sofa en scrutant le plafond qui tourne comme la voie lactée.
Pourquoi rouler en Plymouth Prowler ou dans une voiture hors-norme comme la Wiesmann bleue qui illustre ce texticule déjanté me soulage-t-il autant, pourquoi m’apaise-t-il comme le baiser d’une amante le soir sur mon sexe turgescent ?
Mes escapades solitaires n’intéresseront personne et c’est tant mieux… elles démêlent tout le fatras de nœuds qui, de jour en jour, étrangle un avenir sans issue pour les humains… j’escompte un jour prolonger cette longue méditation qui interroge les âmes, peut-être après deux ou trois nuits sans sexe… des légendes indiennes racontent que c’est une manière de devenir adulte : “L’homme libre est d’abord libre du besoin d’autrui. Cet homme a-t-il déjà vécu ? ” (R. Jaccard)
Dans les coins reculés de mes trips automobilesques mâtinés de débauches sexuelles de tous types…, pas un chat ne traverse… seul le désert avance devant mes yeux qui ont cessé de regarder pour voir.
Je savais, avant de débuter l’essai de la Wiesmann que j’allais hériter gratuitement d’un lot de crampes et de courbatures livrées avec la voiture… le temps de me taper quelques aller/retour vers l’infini des riens…
Contact, passer le première, accélérer, passer les autres vitesses, freiner, rétrograder, accélérer…
Fatiguant !
Au volant ou tout est gris…, mon imagination vagabonde, me demandant ce que je f… là, alors qu’on m’a parlé d’un bon coup… rien que d’y penser, mon téléphone retentit et c’est Patrick qui m’invite “à bouffer”… une aubaine pour moi, qui n’a becté qu’une malheureuse boîte de thon et un bout maigrichon de fromage sur du pain rassi… (Il me lit, donc autant qu’il continue à m’inviter, c’est toujours autant d’économisé…).
La pluie finalement ce soir est restée l’otage des nuages.
Je sors de la Wiesmann en me déhanchant comme un canard sortant d’une boîte gay… je pose mes fesses douloureuses devant un Mojito, en terrasse d’un rad du quartier de prédilection de Patrick… et là, sitôt installé, que vois-je ?
Un SDF s’empare d’une chaise ; une maladresse impardonnable si l’on en croît la réponse expéditive du patron… le pauvre hère, frappé au visage, tombe raide dingue du sol contre lequel il s’éclate la tête… il reste un moment inconscient, laissant s’échapper de sa boîte crânienne une flaque de sang écarlate, la réalité laisse parfois KO, puis il se relève, repart et tout le monde s’en f…
Mon corps trouve la félicité grâce à un second Mojito, je le savoure, mais je crains qu’il ne m’écorche vif… comme d’habitude chez les Zinzins, le repas tient toutes ses promesses, et l’on se repaît d’une délicieuse pièce de cochon aux légumes confits… la bouteille qu’a commandé Patrick est sans doute le meilleur Beaujolais que je pourrai emmener avec moi en enfer, s’en procurer 6 bouteilles dans ce resto pourri n’a pas été une sinécure !
C’est tout juste s’il n’a pas fallu menacer de violer la femme du patron (charmante au possible), pour qu’il accepte de me les offrir en cadeau, à moi qui ait passé le repas à sentir et mater le cul des pas mûres (qui ne l’étaient pas, mûres), je m’en mets ici plein le pif.
C’est ça, j’ai dû dépasser la vitesse Maxi…
Dimanche…
Journée randonnée en rase campagne prévue avec la Wiesmann, j’ai plutôt l’habitude, le jour du Saigneur, de ramper de mon lit à mon canapé… ainsi soit-il.
L’éternité passe décidément à la vitesse de la lumière… dans mes lignes gisent des émotions fragiles de voyages sans doute rêvés, la Wiesmann a déposé des souvenirs dans l’antichambre de ma mémoire… n’y vivent plus que les instants vécus, se retrouvant eux partout ailleurs, en puzzle.
J’ai souvent crainte que le style des voitures hors-normes que j’ai si souvent enlacé, est voué à disparaître, à être englouti comme l’Atlantide, et son peuple avec… la bureaucratie et les lois restreignant de plus en plus les libertés individuelles va le dissoudre avec l’acidité qu’elle bave comme une bête enragée.
La transformation est déjà dangereusement amorcée, la gangrène s’étend… mais pour moi qui a serré tant de volants dans mes mains, sa mort n’aura finalement aucune importance, l’important étant de l’avoir vécu.
C’est, calfeutré dans mon loft, lumière tamisée, sous le regard de mon chat qui ronronne, que je goûte le temps qui passe tout en écrivant mes conneries.
Lundi…
Seule, la dégustation de quelques Mojitos prend des airs religieux, l’esprit monte du verre, comme le génie, et allège le soir qui tombe lourdement… la bouteille de rhum n’est pas réellement habillée pour sortir, mal fringuée… mais sur ma table, ça a de la gueule.
Elle trône au milieu des télécommandes, des factures, des PV, en pointant fièrement comme un téton glacé, le rhum colle au nez comme une goutte… j’y retrouve les senteurs de quelques Cubaines que j’affectionnais tant pour les avoir triturées…
A peine mon verre heurte-t-il mes narines que les choses reprennent leur place, le monde tourne tout à coup rond, quand, d’un geste léger, je déguste le rhum mêlé à la menthe et à la glace pilée.
Les arômes sont nets et précis… calé dans ma bouche, le liquide régale mes papilles par son originalité, sa puissance et sa richesse…. attention, l’animal est robuste, un poil dur, mais le gage d’une très belle “biture” est là… la preuve, le temps d’écrire ces lignes, trois verres ont trépassés.
Ne pas donner cher d’un verre de Mojito est le plus beau compliment qu’on puisse lui adresser.
Il y a les vieilles bagnoles, que tout le monde ou presque, a possédé et que certains ont conservé dans un coin de leur grange, ou de leur tête… mais il y a aussi les autos disparues, les automobiles de légende, ces perles qu’on trouve exceptionnellement dans les huitres, et que seuls quelques mortels ont le privilège de détenir, jusqu’à ce qu’un heureux chanceux veinard les achètent.
Improbables clients, pour d’improbables autos… qui font s’abattre une pluie de jalousie.
Après, tant d’innocents repartent vers d’autres aventures, comme Lucky Luke disparaissant dans le couchant.
Découvrir des automobiles Extraordinaires n’est pas une mission facile, impossible même… les vendeurs sont souvent durs à la détente et corsés dans leurs prix, à moins de ne pas les laisser trop s’enfler et de cantonner l’ogre à la taille du petit poucet.
Le plaisir indécent des discussions stériles à n’en plus finir !
La dépendance immédiate de l’esprit aux boulons d’origine !
L’émotion à son comble lorsque les transactions s’opèrent !
Comme si j’étais en train de coucher avec la plus belle femme du monde.
Mais le temps file, alors qu’il s’était arrêté et me laissait avec des cons tout pleins de morgue, une tapisserie de souvenirs.
Mardi…
C’est demain, mercredi, le jour ou je dois rendre la Wiesmann à ses propriétaires, c’est loin, lointain même, aussi est-il sage de s’en aller déjà maintenant…
Je suis donc parti là-bas, au loin, ayant en tête une rumeur affirmant que la première fois, c’est douloureux… aussi, je m’étais préparé psychologiquement à l’évènement qui se situait dans l’exact prolongement de mon périple Wiesmannien….
Je n’avais pas trop bu la veille pour apprécier ce moment, bien ressentir toutes les émotions à l’intérieur… des amis m’avaient rappelé les précautions d’usage : ne pas se précipiter, aller et venir tranquillement et surtout, ne pas avaler !
A ma grande surprise, cela a duré assez longtemps, les re-jouissances se prolongeant pendant une bonne partie de la nuit, il faisait froid, des vents glaciaux fouettaient mon visage… pourtant, le soleil irradiait le paysage majestueux.
Les montagnes étaient sorties de terre pour respirer le ciel…, ne sachant plus couper l’air conditionné de la Wiesmann, je m’étais emmitouflé dans un costume népalais, en plein été pour conduire cet engin infernal et aller jusqu’à mon rendez-vous…
En quasi fin de journée, harassé, courbaturé, vidé, rendu sourd non pas de trop masturbé mais d’entendre le vacarme du moteur…, je suisse arrivé pas loin, mais coté Français, dans un bled pourrave ou la foule a commencé à se déverser dans les rues, bientôt inondées de corps à peine humains.
Chacun/chacune, contre 10 euros, a reçu un verre gravé et un carnet de tickets pour s’abreuver jusqu’à ce que mort s’ensuive… les caveaux ont ouverts leurs portes, comme la voisine ses volets.
La charge était sonnée !
La percée du vin jaune est une institution en Franche-Comté qui attire près de 40.000 personnes, toutes venues se ressourcer aux pies de la terre… de sept à soixante dix-sept ans, les gens s’empalent dans des caveaux pour glaner un verre de trousseau, de ploussard ou de savagnin.
Ah le savagnin ici, presque une religion !
L’organisation était millimétrée… bonne conscience oblige, la prévention routière et la lutte contre le Sida étaient aux premières loges, pour ne pas me faire oublier le mal qu’il y a à se faire du bien.
Des numéros au-dessus des caveaux indiquaient celui du vigneron et un plan guidait dans ce labyrinthe truffé de mines antipersonnelles.
Côté musique, le pire côtoyait le meilleur… de la daube radiophonique passait dans des haut-parleurs, alors que des fanfares se vautraient dans le burlesque.
Bien sûr, le Jura est, comme toutes les régions, touché par l’épidémie de mauvais breuvages ne réussissant qu’à donner des maux d’estomac et de tête ; peu ou pas du tout de raisin et beaucoup de soufre, de levures, d’acidifiants… alors que le peuple se bousculait pour en boire, brandissant ses tickets de boisson comme des doléances pitoyables.
Entré bourré dans le traquenard, j’en suis ressorti lavé, immaculé, prêt à arracher le volant : l’équilibre parfait entre la richesse, la fraîcheur, la complexité, et ce goût de reviens-y, qui m’a fait y retourner, y retourner, y retourner, y retourner…
Un vin sans fin qui se boit sans soif !
C’est ensuite le Jaune qui y est passé… c’est quand même la Percée… et là, j’ai été choqué par la buvabilité du vin… les autres jaunes que j’ai ingérés étaient lourds et indigestes, sentaient l’éther et la noix à plein tube (comprenez la levure à jaune), point de sensation de ce genre dans le Jaune de Gahier 1999, doux comme un agneau, suave, discret et chaleureux, comme son géniteur.
Après ça, la tradition veut que l’on trempe ses lèvres dans le vin de paille… j’ai plus que trempé mes lèvres, j’ai trempé mon tempérament dans ce torrent de douceur.
La « cuvée des amoureuses » est un hymne à cupidon… le coup de foudre est immédiat et rendra folle de vous la moindre femme à qui vous le faite goûter… de quoi vous allonger sur la paille, dans tous les sens du terme (22 euros et une lune de miel).
A l’inverse de mon récit encore trop académique, cette dégustation a été tout sauf linéaire.
L’ordre apparent a laissé place au désordre, aux retours en arrière, bonds en avant et pas de côté.
Vers 20 heures j’ai quitté une ambiance survoltée et des types (des fantômes) que personne ne reverra jamais (surtout pas leurs femmes).
Mercredi…
J’ai attendu le lendemain, mercredi pour festoyer chez Wiesmann, je ne vous raconte pas ce qu’il m’a fallu affronter : jeunes amateurs, vieilles croûtes bien faites, hommes qui tombent à pic, broyeurs de noirs, gendarmes immobiles, femmes fatalisées, enfants abandonnés, buveurs en série…
La première percée laisse des traces, la Wiesmann aussi…
J’ai finalement abandonné tout le monde, suis rentré en train…
C’était moins bien qu’en Wiesmann, même si j’ai éclusé, durant ce trajet, les 6 bouteilles de vin reçues quelques jours auparavant…
A pluche, chers tous…