Aucune invraisemblable automobile du même genre n’a jamais peut-être autant excité l’attention publique que la Caparo…
Toutefois, la question du modus operandi n’est pas encore résolue.
Partout où elle s’est fait voir, elle a été, pour toutes les personnes qui pensent, l’objet d’une intense curiosité.
Rien n’a été écrit sur ce sujet qui puisse être considéré comme décisif.
En effet, nous rencontrons partout des hommes doués du génie de la mécanique, doués d’une perspicacité générale fort grande et d’un rare discernement, qui n’hésitent pas à déclarer que cette automobile, toute aussi extraordinaire puisse-t-elle être… n’est qu’une machine qui est conséquemment sans aucune comparaison autre possible, la plus étonnante de toutes les automobiles bizarres.
Et cette conclusion, disons-le, serait irréfutable, si la supposition qui la précède était juste et plausible.
Si j’adoptais leur hypothèse, il serait vraiment absurde de comparer à la Caparo à tout autre engin analogue, soit des temps passés, soit des temps actuels.
Cependant, il a existé bien des automobiles extraordinnaires et des plus surprenantes.
Il y a des secrets concernant la Caparo qui ne veulent pas être dits…
Des hommes qui en ont rêvé, sont morts, dit-on, la nuit dans leurs lits, tordant les mains des spectres qui les confessaient et les regardant pitoyablement dans les yeux avec le désespoir dans le cœur et des convulsions dans le gosier à cause de l’horreur de ses mystères qui ne peuvent pas être révélés.
Quelquefois, hélas ! la conscience humaine supporte un fardeau d’une si lourde horreur, qu’elle ne peut s’en décharger que dans le tombeau.
Ainsi l’essence du crime reste inexpliquée.
Il n’y a pas longtemps, quelque-part au loin, je visitais un show automobile et, au détour d’une allée, je me suis retrouvé face-à face avec l’indescriptible Caparo… fatigué de tant de “courreries” inutiles, avisant les larges et confortables fauteuils dans un coin du stand qui était inexplicablement vide, j’ai escaladé la barrière qui symbolisait la frontière dévolue au vulgum-pécus… et je me suis assis devant cette fameuse Caparo…, maudissant de perdre plus que mon temps, ma vie… dans des shows, soit comme exposant, soit comme visiteur… tel qu’ici.
Je me trouvais dans une de mes heureuses dispositions qui sont précisément le contraire de l’ennui, dispositions où mon appétence d’immoralité est merveilleusement aiguisée… et ou mon esprit électrisé dépasse aussi prodigieusement sa puissance journalière que la raison ardente et naïve de Leibniz l’emporte sur la folle et molle rhétorique de Gorgias.
Chaque chose m’inspirait un intérêt calme, mais plein de curiosité.
Je m’amusais à observer les gens, regardant leurs réactions.
Je ne m’étais jamais senti dans une situation semblable à celle où je me trouvais… et ce tumultueux océan de têtes humaines me remplissait d’une délicieuse émotion. À la longue, je m’absorbais dans la contemplation.
Mes observations prirent d’abord un tour abstrait et généralisateur.
Je regardais les gens par masses… et ma pensée ne les considérait que dans leurs rapports collectifs.
Bientôt, cependant, je descendis jusqu’au détail… et j’examinai avec un intérêt minutieux les innombrables variétés de figures, d’airs, de démarches, de visages et d’expressions physionomiques.
Le plus grand nombre de ceux qui passaient ne semblaient occupés qu’à se frayer un chemin à travers la foule.
Ils fronçaient toutefois les sourcils à la vue de la Caparo et roulaient les yeux vivement.
Quand ils étaient bousculés par quelques passants voisins, ils ne montraient aucun symptôme d’impatience, mais rajustaient leurs vêtements et se dépêchaient vers d’improbables ailleurs.
D’autres, une classe fort nombreuse encore, étaient inquiets dans leurs mouvements, avaient le sang à la figure, se parlaient à eux-mêmes et gesticulaient, comme s’ils se sentaient agressés.
Quand ils étaient arrêtés dans leur marche, ces gens-là cessaient tout à coup de marmonner, mais redoublaient leurs gesticulations… et attendaient, avec un sourire distrait et exagéré, le passage des personnes qui leur faisaient obstacle.
M’avisant aux cotés de la Caparo, diverses classes sociales et souvent asociales tournaient autour de moi pour s’enquérir du prix de la chose… des diamantaires juifs avec des yeux de faucons étincelants dans des physionomies dont le reste n’était qu’abjecte humilité… ; de hardis mendiants de profession bousculant des pauvres d’un meilleur titre que le désespoir seul avait jeté dans la foule pour implorer la charité… ; des faux invalides du portefeuille tout faibles et pareils à des spectres sur qui la mort fiscale avait placé une main sûre et qui clopinaient et vacillaient à travers les gens, regardant la Caparo avec des yeux pleins de prières, comme en quête de quelque consolation fortuite, de quelque espérance perdue… ; des prostituées de toute sorte et de tout âge à la recherche d’un mâle fortuné, incontestables beautés dans la primeur de leur féminité…; une quasi-lépreuse en haillons, ancienne vendeuse de Chez Sonia Ryckel, dégoûtante et absolument déchue, ridée, peinte, plâtrée, surchargée de bijouterie, faisant un dernier effort vers la jeunesse… ; une certainement commerçante, à la forme plus mûre, mais déjà façonnée par d’épouvantables coquetteries de son commerce et brûlant de l’ambition dévorante d’être rangée au niveau de ses aînées dans le vice… ; des ivrognes innombrables et indescriptibles, chancelants, désarticulés, avec le visage meurtri d’avoir enculés la terre entière et salivant à l’idée de m’y inclure… ; quelques crâneurs légèrement vacillants, aux faces rubicondes et sincères, avec de grosses lèvres sensuelles comme goûtant les montagnes d’euros qu’ils pensaient pouvoir gagner en “m’achetant” la Caparo pour pas grand-chose pour la revendre pour tout l’or du monde … ; et puis des pâtissiers, des bouchers, des épiciers, des commissionnaires, des porteurs de serviettes, des ramoneurs, des marchands de chansons, des artisans et des travailleurs de toute sorte épuisés à la peine… et tous pleins d’une activité bruyante et désordonnée qui affligeait par ses discordances et apportait à mes yeux une sensation douloureuse.
À mesure que le temps passait, l’intérêt de la scène s’approfondissait aussi pour moi, il me semblait que, grâce à ma singulière disposition morale, je pouvais lire leur histoire.
J’étais ainsi occupé à examiner la foule, quand soudainement apparut une physionomie (celle d’un vieux homme décrépit de soixante-dix ans), une physionomie qui tout d’abord arrêta et absorba toute mon attention, en raison de l’absolue idiosyncrasie de son expression.
Jusqu’alors je n’avais jamais rien vu qui ressemblât à cette expression, même à un degré très-éloigné.
Comme je tâchais, durant le court instant de mon premier coup d’œil, de former une analyse quelconque du sentiment général qui m’était communiqué, je sentis s’élever confusément et paradoxalement dans mon esprit les idées de vaste intelligence, de circonspection, de lésinerie, de cupidité, de sang-froid, de méchanceté, de soif sanguinaire, de triomphe, d’allégresse, d’excessive terreur, d’intense et suprême désespoir.
Je me sentis singulièrement éveillé, fasciné !
Il s’approcha de moi et me dit : Vous devriez arrêter les shows automobiles, il n’y a, là, que des ploucs qui cherchent à vous l’enfoncer profond…
Et il a disparu…
Je n’ai pas eu le courage de lui expliquer que c’était par fatigue, d’avoir voulu m’asseoir quelques instants pour me remettre de mes émotions…
Quelques secondes plus tard, un jeune homme, affable, vint me saluer; me remerciant de l’avoir attendu pour m’enquérir des subtils détails de la Caparo qu’il exposait…
Je l’ai donc laissé m’expliquer :
– Monsieur, savez-vous que sous ses faux airs de Ferrari Enzo, la Caparo Freestream T1 est plutôt de la trempe de la Ariel Atom 2 et de la Tramontana qui se targuent de 500 ch pour 950 kg… ?
– Ah ! non ! Ca je ne savais pas, là, c’est intéressant…, continuez…
– La Caparo T1 fait largement mieux avec 480 ch pour un poids moitié moindre de seulement 465 kg, soit 1000 ch par tonne, mieux qu’une Bugatti Veyron !
– Fichtre, là, ça me scie de le savoir, si, si…
– Avec un rapport poids/puissance de presque 1 cheval par kilo, vous avez sous les yeux une sportive extrême qui procurera à ses possesseurs des sensations de tout premier ordre.
– Oui, j’en suis tout esbaudi…
– Ce poids a été rendu possible grâce à l’emploi massif de carbone et d’autres matériaux nobles.
Le V8 2.4, comme sur les dernières F1, en collera plus d’un au fond des sièges baquets, tandis que vos concurrents occasionnels aux feux rouges n’oseront même pas risquer la blancheur éclatante de leur slip…, puisque la belle revendique le 0 à 100 km/h en 2.5 s, le 0 à 160 km/h en 5 s, des accélérations latérales allant jusqu’à 3G et une vitesse maxi de 322 km/h !!!
– Reste le prix…
– 220.000 € environ, c’est le prix pour ridiculiser des Ferrari Enzo, Porsche Carrera GT, Mercedes SLR et autres sportives du moment, on ne compte pas…, toutes proportions gardées bien sûr…
– Vous l’avez en 4 places et en break ?