Amelia Earhart, la “Lady Lindy“…
Malgré son air de garçon manqué et son allure dégingandée, on ne peut pas dire que celle qui resterait une des étoiles de l’aviation au féminin manquait de magnétisme. Comment résister au charme d’Amelia Earhart ? Et pourtant, cette enfant du Kansas n’avait pas manifesté un engouement précoce pour l’aviation. En 1907, de retour d’une fête où elle avait pu, pour la première fois, voir voler un avion, la jeune Amelia, alors âgée de dix ans, racontait : “C’était une chose faite de bois et de fil de fer rouillé et vraiment sans intérêt”… Les choses changeraient bientôt.
Son intérêt pour les avions s’éveilla et le lendemain, nantie d’un casque en cuir et de lunettes, elle monta à bord d’un biplan pour un vol de dix minutes au-dessus de Los Angeles. Quelques mois après leur arrivée en Californie, en 1920, son père et elle allèrent assister à l’un de ces meetings aériens dont les américains étaient déjà friands, à Long Beach. Ce fut un envoûtement. Elle déclara plus tard, se remémorant cet épisode : “Dès que nous quittâmes le sol, je sus que je deviendrais pilote !”.
Ayant pris des leçons de pilotage auprès d’Anita “Neta” Snook, elle fit l’acquisition d’un appareil, un Kinner Airstar qu’elle nomma “Canary” avec lequel elle eut de nombreux accidents. Il est vrai que les appareils de l’époque n’étaient pas d’une fiabilité exemplaire. Dès octobre 1922, elle battait le record féminin d’altitude, à 14 000 pieds (4270 m), record qui ne tint que quelques semaines. Un tel voyage, à l’époque, relevait sinon de l’exploit, du moins de l’ordre du peu banal. Toujours fantasque, sans doute un héritage de l’instabilité familiale dans laquelle elle avait vécu, elle vendit son avion en 1924 pour s’offrir une voiture de marque Kissel, qu’elle nomma “le péril jaune“, et avec laquelle elle traversa le continent américain depuis la Californie jusqu’à Boston, en compagnie de sa mère.
Amelia Earhart, qui avait suivi des cours d’infirmière et exercé dans un hôpital militaire durant la Grande Guerre, prit un emploi d’assistante sociale, ce qui ne l’empêcha pas de s’inscrire à la section de Boston de la National Aeronautic Association, de se racheter un appareil et de continuer à voler, toujours à la recherche de nouveaux exploits à imputer à la gent féminine. Ses actions pour promouvoir le vol au féminin lui valut d’être évoquée de plus en plus fréquemment dans les colonnes des journaux, le “Boston Globe” affirmant qu’elle était l’une des meilleures femmes pilotes des U.S.A.
C’est un simple appel téléphonique, le 27 avril 1926, qui fit basculer son existence vers la célébrité. À l’autre bout du fil, son interlocuteur, le capitaine H.H. Railey lui posait cette simple question: “Cela vous dirait-il d’être la première femme à traverser l’Atlantique en avion ? “. Cette idée émanait d’un éditeur new-yorkais, George Palmer Putman, qui jouera ultérieurement un rôle important dans la vie d’Amelia, la propulsant sur le devant de la scène. La traversée se fit quasiment sans histoire.
Bien qu’on lui ait pompeusement attribué le titre ronflant de «”Commandant de bord”, elle ne fut sur ce vol qu’une simple passagère. Elle fut un peu désappointée de se voir ainsi traitée en héroïne, recevant même les félicitations du Président Coolidge, alors qu’elle n’avait pris aucune part active à l’aventure : elle prendra sa revanche peu après ! Les années qui suivirent la virent effectuer des tournées de promotion de son livre, des courses aériennes, un vol transcontinental en sol de l’Atlantique au Pacifique et des campagnes de promotion pour la Transcontinental Air Transport (future TWA).
Amelia et George se mirent à réfléchir sérieusement à un nouveau vol transatlantique, mais qu’Amelia effectuerait cette fois en solo. Les relations de plus en plus proches de l’aviatrice de charme avec son Pygmalion devenant aussi publiques que ses exploits aériens, l’épouse de ce dernier le quitta en 1929 et l’éditeur put épouser Amelia en février 1931. George savait que d’autres aviatrices préparaient ce projet et que c’était ce meilleur moyen d’entretenir la popularité d’Amelia. Depuis le vol de Lindbergh en 1927, personne n’avait effectué la traversée en solitaire.
Le 20 mai 1932, exactement cinq ans après le vol du “Spirit of Saint-Louis”, celle que Railey avait surnommée “Lady Lindy”, en raison d’un ressemblance qu’il lui avait trouvée avec Charles Lindbergh, décollait de Terre-Neuve à bord d’un Lockheed Vega modifié pour la circonstance. Le voyage ne se fit pas sans problème. Son seul viatique: une bouteille isotherme de potage et une boîte de jus de tomate. Pour commencer, son altimètre tomba en panne alors qu’elle évoluait à 4000 m. Puis, en pleine nuit, elle dut essuyer une terrible tempête. Ce fut ensuite le givre qui commença à alourdir dangereusement son appareil.
Seule solution pour s’en débarrasser: descendre pour trouver des températures plus clémentes. Mais sans altimètre, de nuit, la manœuvre est pour le moins hasardeuse… Enfin, au petit jour, “Lady Lindy” dut essuyer une nouvelle tempête, et faute de carburant, elle ne put poursuivre son vol jusqu’à Paris.
Lorsqu’elle se posa dans un champ prés de Londonderry, dans le nord de l’Irlande, elle demanda où elle se trouvait à un homme qui s’approchait.
“Dans le pré de Gallegher”, répondit celui-ci. “Vous venez de loin ?”… La réponse d’Amelia s’imposait : “d’Amérique !”. Elle devenait la première femme à traverser l’Atlantique en solitaire en avion. La gloire que lui valut cet exploit ne parvint pas à étancher sa soif d’aventure aérienne. À l’automne 1934, elle annonçait à son mari qu’elle préparait un vol de Hawaii à la Californie, puis jusqu’à la côte est.
Elle effectua ce vol le 11 janvier 1935 sur un appareil qui était le premier avion civil doté d’un équipement radio. L’entreprise était périlleuse une dizaine de pilotes avaient déjà laissé leur vie dans cette tentative au-dessus du Pacifique. Un fois encore, son succès fut immense et c’est une foule innombrable qui l’accueillit à l’aéroport d’Oakland (Californie). Son exploit lui valut à nouveaux des félicitations présidentielles, de Roosevelt cette fois, qui mit l’accent sur la capacité des femmes à pratiquer l’aviation avec bonheur, ce qui dut sans doute plaire à “Lady Lindy”. En effet, sans être une réelle militante de la cause féministe, Amelia s’engageait volontiers dans des démarches visant à ouvrir toutes les carrières aux femmes.
Les mois qui suivirent la virent reprendre ses tournées à travers le continent nord-américain… en attendant de nouveaux exploits. Le projet suivant d’Amelia ne manquait pas d’ambition: rien moins qu’un tour du monde ! Le challenge était de taille, même si en quelques années la technologie de l’aéronautique avait grandement évolué. Non seulement Amelia Earhart deviendrait la première femme à effectuer un vol autour du monde mais contrairement à ceux qui avaient déjà accompli cet exploit, elle ne se limiterait pas à l’hémisphère nord, ce qui raccourcissait grandement le parcours, mais suivrait autant que possible la ligne de l’équateur. Plus de 46 000 kilomètres ! Quant au navigateur, il ne s’agissait pas vraiment d’un novice: l’irlandais Frederick J. Noonan était un ancien navigateur de la Pan American Pacific Clipper doté d’une solide expérience de l’Océan Pacifique qui était la principale difficulté du vol.
Pour une telle entreprise, Amelia se tourna vers un Lockheed Electra que finança l’université de Purdue (Indiana). Ce qu’on peut appeler un “faux départ” eut lieu le 17 mars 1937. L’Electra décolla de Oakland (Californie) pour se rendre à Honolulu, dans les îles Hawaii, attaquant le tour du monde par l’ouest. Ce fut au décollage pour l’étape suivante qu’un incident majeur se produisit, vraisemblablement dû à une erreur, amenant l’Electra à glisser sur le ventre, sévèrement endommagé. L’appareil fut rapatrié en Californie pour réparations. Le raid circumterrestre se voyant repoussé dans l’année, les conditions météo se trouveraient changées. Il fut donc décidé de repartir cette fois par l’est. Oakland, Tucson, New Orleans, Miami, le continent nord-américain était bouclé.
Le 1er juin 1937, Amelia et Fred décollaient à nouveau de Californie, cette fois en sens inverse. Ce fut ensuite le vol jusqu’à la pointe est du continent sud-américain, via les Caraïbes, pour rejoindre Natal et la “Ligne” défrichée quelques années plus tôt par Mermoz et ses compagnons de l’Aéropostale. Sans doute, en route vers l’Afrique, Saint-Louis du Sénégal et Dakar, Amelia Earhart et Fred Noonan ont ils eu une pensée pour l’équipage de la “Croix du Sud” disparus l’année précédente dans les eaux qu’ils survolaient. Puis ce fut la traversée du continent africain dans sa plus grande largeur, de Dakar à la Somalie, le sud de la péninsule arabique, l’Inde, avant que le parcours ne s’oriente vers le sud-est asiatique et l’Indonésie qui servirait de passerelle en pointillés avant de rejoindre le sous-continent australien.
À Bandoeng, sur l’île de Java (Indonésie), une pause plus longue fut nécessaire. La mousson contrariait le plan de vol. De plus, Amelia souffrait de plus en plus de troubles proches de la dysenterie et les appareils de navigation avaient besoin d’une sévère révision. Ce ne fut que le 27 juin que le périple put reprendre son cours en direction de l’Australie. À Darwin (Territoire du Nord), les deux aventuriers laissèrent leurs parachutes qui ne leur seraient d’aucune utilité au-dessus de l’Océan Pacifique. Le Pacifique c’est 170 millions de kilomètres carrés. Un tiers de la surface de la planète. Là se trouvait le “gros morceau” de l’expédition, celui par lequel Amelia et Fred Noonan avaient originellement pensé commencer.
Il suffit de jeter un œil distrait sur une mappemonde pour évaluer l’immensité de cet espace liquide chichement parsemé d’îles aux dimensions réduites.
Un “saut de puce” les mena de Darwin à Lae, en Nouvelle-Guinée. À ce point de leur périple, ils avaient couvert plus de 35 000 km. Il en restait encore plus de 11 000 à parcourir au-dessus de l’océan avant qu’ils ne reposent le pied en Californie. Le reste du parcours était d’une rare simplicité: joindre Howland, minuscule îlot situé quasiment à l’intersection de l’équateur et de la ligne de changement de date, puis Hawaii enfin la Californie.
L’U.S. Coast Guard avait dépêché à proximité de l’île de Howland l’un de ses bâtiments, l’Itasca, afin qu’il puisse établir un contact radio avec Amelia Earhart.
L’avion quitta la Nouvelle-Guinée le 2 juillet 1937 à zéro heure GMT, avec 3800 litres de carburant, de quoi tenir l’air de 20 à 21 heures. Fait à noter, qui alimentera plus tard bien des discussions, il n’y a aucun témoignage quant à la route suivie par l’Electra : personne ne vit ni n’entendit passer l’avion. À 7h20 GMT, Amelia indiqua une position qui la situait à environ 32 km au sud-est des îles Nukumanu.
L’Itasca reçut ensuite différents messages radio, d’une puissance variable, mais sans pouvoir en repérer l’origine par goniomètre, en raison de leur brièveté. Par ailleurs, l’Itasca était submergé par un important trafic radio que l’événement avait généré auprès de compagnies commerciales. À 19h30 GMT, l’Itasca recevait fort et clair le message suivant: “KHAQQ calling Itasca. We must be on you but cannot see you… Gas is running low »(« KHAQQ à Itasca. Nous devrions être au-dessus de vous, mais nous ne vous voyons pas… Le carburant commence à baisser.” À 20h14 GMT, l’Itasca recevait un dernier message radio d’Amelia Earhart qui indiquait sa position.
L’Itasca continua à émettre sur toutes les fréquences jusqu’à 21h30 GMT, heure à laquelle il parut évident que l’Electra s’était abîmé dans les flots et qu’il s’avérait nécessaire de commencer les procédures de recherche en mer. En vain. Certains experts avaient avancé que les réservoirs vides maintiendraient l’appareil à flot pour une période suffisamment longue et le Président Roosevelt envoya 9 bâtiments et 66 avions à la recherche des infortunés aviateurs.
Le 18 juillet, les recherches cessèrent. Seul George Putman s’entêta jusqu’au mois d’octobre. La U.S.Navy avança une version officielle: l’appareil se serait abîmé dans les flots à environ 120 miles au nord-ouest de l’île Howland, vers 23h00. Amelia Earhart et Fred Noonan avaient disparu sans laisser aucune trace dans l’immensité de l’Océan Pacifique.
Chaque fois qu’une figure emblématique disparaît sans laisser de trace, cette disparition semble tellement incongrue au public qu’une foule d’hypothèses se font jour. Certains continuent encore des recherches dans d’autres directions. Aux Etats-Unis, encore à ce jour, nombreux sont ceux qui ne peuvent admettre qu’Amelia Earhart s’est simplement perdue et abîmée en mer. Parmi les hypothèses avancées, certaines frisant le farfelu, citons :
– “Lady Lindy” et Fred Noonan auraient été chargés de photographier les installations auxquelles procédaient secrètement les japonais sur certaines îles du Pacifique. Ils auraient été abattus par la D.C.A. nippone.
– Amelia aurait été capturée par les japonais et obligée à diffuser des émissions radio visant à démoraliser les G.I. pendant la Seconde Guerre Mondiale sous le pseudonyme de “Tokyo Rose“. Des GI auraient pu attester de sa présence à Saipan avant l’arrivée des troupes américaines.
– Elle aurait sciemment jeté son appareil dans les flots. (Notons que l’on prête ce comportement suicidaire à Saint-Exupéry).
– Elle aurait vécu quelques années dans le Pacifique sud avec un pêcheur autochtone sur l’île de Nikumaroro où elle aurait fait un atterrissage de fortune.
– On a retrouvé en 1961à Saipan des ossements que l’on identifia comme ceux d’Earhart et de Noonan. En fait, les restes de natifs de l’île.
N’oublions pas que si le Lockheed Electra était un appareil d’exception, les instruments de navigation n’avaient pas atteint un niveau de précision et de fiabilité très élevés et qu’ils avaient posé de nombreux problèmes tout au long du périple. S’il y a un authentique fait troublant, c’est que l’Itasca a effectivement reçu un message radio fort et clair, indiquant que l’appareil était vraiment très proche. Cela dit, Howland, dans l’immensité de l’Océan Pacifique, c’est une tête d’épingle. Et si Amelia Earhart et Fred Noonan s’étaient simplement perdus, frôlant sans la voir l’île Howland, continuant leur route, et qu’à court de carburant, ils se soient abîmés dans les flots ?