Angélique ressuscitée ?
Faut-il croire que les réalisateurs français n’ont plus d’imagination cinquante années après que Bernard Borderie a réalisé l’adaptation cinématographique du roman populaire d’Anne et Serge Golon : “Angélique, marquise des anges” (150 millions d’exemplaires vendus dans le monde)…, dont le rôle “phare” était incarné par l’inoubliable Michèle Mercier ! Le succès fut tel dans années 60′, que cinq films seront réalisés, la série des “Angélique” deviendra une véritable saga diffusée dans les salles de cinéma, puis rediffusée régulièrement en télévision. Pourtant le cinéma français nous a proposé/imposé il y a une dizaine d’année une “nouvelle” version, dite dépoussiérée…
Ariel Zeitoun, le réalisateur d”Angélique” version 2013, a réalisé un remake du premier film de la célèbre saga, la vision de la bande-annonce laisse pantois, de quoi méditer sur ce que certains font du septième art, au vu du nombre de biopics et de remakes aussi stupides que sans intérêt !
Aujourd’hui, on ne se cache plus, on ne prétend plus que c’est sous le prétexte de l’Art qu’on fait renaître à coup de dizaines voire centaines de millions, divers monuments du 7ième Art sous forme de remake adaptés en “plus moderne”… Par plus moderne, il faut bien entendu lire : “le plus déshabillé possible et le plus violent”…, parce que comment faire pour remplacer et faire oublier l’inoubliable Michèle Mercier (aujourd’hui interprétée par la fade Nora Arnezeder), ainsi que Robert Hossein dans le rôle de Joffrey de Peyrac (revenant via le flapy-papy Gérard Lanvin, décidément trop vieux, beaucoup trop vieux)… Dur dur de s’attaquer au sulfureux alchimiste défiguré comte de Toulouse incarné par Robert Hossein, dont toutes les femmes et jeunes filles tombèrent alors amoureuses… Ariel Zeitoun a eu la mauvaise idée de les différencier en optant pour un acteur plus mûr, beaucoup plus mûr même…
Peut-être et sans doute pour ne pas souffrir de la comparaison, Joffrey n’affiche donc plus 37 ans au compteur, mais 63… et arbore des cicatrices maquillées plus marquées que son prédécesseur, sans doute plus réalistes, mais même si elles semblent plus vraies que vraies, Lanvin porte mal le costume sous les meilleurs effets d’éclairages, (la balafre de Robert Hossein avait tendance à s’estomper au gré des épisodes, normal, l’amour rend beau…)
Il est plus facile également de marquer des rides profondes par des cicatrices que de lisser le personnage, malgré toutes ces bonnes intentions, Gérard Lanvin s’en sort difficilement, Robert Hossein était plus mystérieux, plus charismatique, plus attendrissant et remportait largement le duel contre Papy Lanvin qui essaye du mieux qu’il peut de faire oublier l’authentique comte boiteux, en vain…, on l’a si souvent vu en flic ou en malfrat ces dernières années qu’on peine à croire en son déguisement d’aristo loubard du XVIIIe, trop en avance sur son temps dans le ton et le langage corporel… Tout semble affreusement faux, de la machine à produire de l’or de Peyrac aux costumes d’époque, du Paris crasseux aux perruques qui dissimulent mal de mauvais acteurs récitant des alexandrins de mirlitons…
Le couple est plus qu’incertain, il ne colle pas, on n’y croit pas ! Ariel Zeitoun s’est planté carrément, et pas que sur le choix des acteurs ! Certes, le “Angélique, marquise des anges” de Bernard Borderie était un poil chichiteux, mais les années 60′ n’autorisaient pas beaucoup plus que des plans sur des décolletés très plongeants et des courbes suggérées, “la divine” censure de ces années était bien plus sévère à l’époque, parce que dans la France engoncée de de Gaulle, plus yéyé sur les ondes que sur les écrans, la chute de reins de Michèle Mercier (cinq films de 1964 à 1968) suscita émoi et glose, tandis que Ariel Zeitoun, le réalisateur, lui pouvait se lâcher un peu plus… Et pourtant… Pourtant, impossible de réprimer quelques rires nerveux lorsque son Angélique minaude devant un miroir en “observant son corps fait pour l’amour” ou lorsqu’elle succombe (enfin) au charme de son mari dans une scène d’amour digne d’un film érotico-cheap des seventies… Bref, je reste accro de l’original, je préfère Michèle Mercier !
Et si Nora Machin est décrite comme plus “moderne” avec des rajouts de cheveux en place de postiches et autres artifices encore et toujours plus “modernes”, l’actrice des sixties était bien plus belle, plus femme, plus fougueuse et bien meilleure comédienne que son héritière en poussin avorté.
Son jeu d’étudiante en théâtre est si poussif que l’on redoute à chaque instant de voir débarquer Huster dans les plans, même si Nora a le mérite de nous faire rire…, hélas, “Angélique”, n’est pas une comédie…
Tout le souffle romanesque inhérent à l’esprit libre d’Angélique, jeune femme peu farouche, éprise de Joffrey de Peyrac et de vengeance, me laisse autant indifférente que devant un pot de fleurs en plastique jaunâtres…, chic et toc…,
Mylène Farmer est passée par là, les ritournelles en plus…, sans rire, la scène de défloration ressemble à un plagiat laborieux de celle de “Libertine”, l’un des clips kitsch de Laurent Boutonnat, terre ocre, lumière orange à outrance sous les visages faussement éclairés par des bougies où la cire coule le long des vieux chandeliers, une torture…
Que ce film est raté est indéniable ! Il est même d’ailleurs difficile de comprendre comment certaines choses ont pu passer, notamment un insert de plan de château qui est comme sorti d’une banque d’images des années 60′, cela déconcerte et choque en seulement quelques secondes ! Entre grands monuments historiques filmés chichement (plein de châteaux, plus ou moins d’époque) et reconstitutions en cartons-pâtes (la Cour des Miracles), c’est du faux chic en toc, mais pas de cette matière dont on fabriquait les rêves en Technicolor… C’est quoi, ces gros pixels sur le plan large du château de Condé ? Et cette post-synchronisation sauvage pour doubler les acteurs étrangers ? On dirait une parodie des “Inconnus” ! Même dans les années soixante, époque épique de ce qu’on n’appelait pas encore les europuddings, les mixeurs-sons faisaient mieux avec moins. Il fallait sans doute aller vite afin qu’il sorte absolument en salle avant la Noël !
Autre problème fatal, le recours à des effets spéciaux numériques cheap au possible. Dès l’ouverture, nous voyons une Angélique fuir en se cachant sous l’eau, l’image impose une artificialité publicitaire extrêmement rebutante !
Cet aspect synthétique dénature complètement l’esthétique originelle d’une saga trouvant une grande part de son intérêt dans ses décors verdoyants et la qualité de sa reconstitution. Mise en scène insipide, tout comme les zooms accélérés sur des visages d’acteurs ou son utilisation de la musique…, chaque scène est si platement filmée, chaque rebondissement si laborieusement amené, que l’on a souvent l’impression de regarder une mauvaise comédie musicale ! Et que dire de LA scène de duel à l’épée qui, totalement foutraque, ne s’attarde sur aucun geste, n’a aucun rythme et ne fait en rien monter le suspense. Résultat, aucun souffle romanesque et un Bernard Borderie regretté…
Dans la “vraie” saga, Joffrey de Peyrac n’a qu’un vrai rival dans “Angélique”, le beau Nicolas, ami d’enfance de l’héroïne, amoureux d’elle depuis toujours et paria rebaptisé Calembredaine à la cour des miracles où il accueillera Angélique après la présumée pendaison de son mari et le bûcher… ce qui lui enlèvera tout espoir mais pas son désir de vivre, même dans la vengeance… Dans la version de 1964, Nicolas était incarné par le très beau Giuliano Gemma, grand, ténébreux, sexy, fougueux !(Décédé récement en octobre de cette année 2013 dans un accident de voiture à Rome à l’âge de 75 ans). En 2013, c’est Mathieu Kassovitz qui s’y colle, on ne peut pas dire le réalisateur-acteur y soit irrésistible, beauté, jeunesse, fougue et sourire ravageur manquent, celui-ci semble totalement perdu et n’est malheureusement pas aidé par un costume et une perruque bas de gamme qui d’emblée le rendent grotesque…
Résultat, tout le charme du rebelle s’est envolé avec Mathieu Kassovitz paumé à la cour des miracles… -Il n’y aura pas d’Amérique…
Un mal dont souffre également le marquis de Plessis Bellière, (dés)incarné par un Largo Winch/Tomer Sisley nullissime dans ce rôle… et un roi aux allures de bambin grotesque achèvent de nanardiser encore un peu plus la nouvelle Angélique… Avec “la nouvelle Angélique” (version 2013), on ne rêve plus une seconde (en tant que femme) d’être dans les bras du prince des voleurs, de passer des nuits tendres avec l’impitoyable “Rescator”, de se mettre à l’horizontale avec le doux poète crotteux (incarné par Trintignant), de subir un viol consentant avec un prince hongrois ou d’être prise avec fougue par un marquis tout droit sorti de la cour du château de Versailles… Plus de 15 millions d’euros pour rien et pour un film qui sera aussitôt oublié, vite ravalé au rang d’accessoire de brocante par la mise en scène vieillotte et statique du film…, vu le peu d’entrées du film…
Fiasco ? Pas vraiment, quoique tout annonçait un massacre, entre mauvais dialogues et plans d’une laideur improbable…
Ralentis saccadés, montage improbable et direction d’acteurs irrégulière ! Une telle fumisterie laisse entrevoir avec quel cynisme est considéré, aujourd’hui, le grand public, le pire est que cette absence de qualité semble être devenue la norme… Mais comme dit quelqu’un d’autre :” l’essentiel c’est que tout le monde soit payé, fût-ce par le contribuable”… et si le public ne suit pas, comme dit Lanvin, il sera impossible au réalisateur d’en faire une nouvelle saga : OUF !
A moins que le ministère de la culture trouve indispensable de jeter l’argent par les fenêtres aux marchands du temple en mal d’inspiration en acceptant la médiocrité, ne donnant aucune chance à de nouveaux artistes qui ont de vrais talents et une authentique créativité, le cauchemar hélas continuera… On n’est pas aux anges et les producteurs ont intérêt à fondre beaucoup de métaux en or s’ils souhaitent lustrer la suite audacieusement annoncée…
Décidément jamais personne ne fera oublier le merveilleux visage d’Angélique et interprétation éblouissante de la plus belle marquise au cinéma : Michele Mercier !