Anthony Hopkins…
A l’image des grands comédiens britanniques, Sir Anthony Hopkins est d’abord un acteur de théâtre.
Il débuta au début des années ’60 aux côtés de Laurence Olivier et devint rapidement l’un des grands noms de la scène théâtrale outre-manche.
Bien qu’il soit apparu très régulièrement au cinéma au fil des années (notamment dans le Spartacus de Stanley Kubrick), le grand écran n’a saisi que très tard le potentiel exceptionnel de cet acteur (pourtant déjà présent dans un chef d’oeuvre comme Elephant man de David Lynch en 1981).
C’est donc à une époque plus tardive de sa carrière, dans les années ’90, que la consécration arrive avec sa fascinante composition du docteur Hannibal Lecter, entré depuis dans la légende.
Il campe de nouveau dans La Faille un personnage à l’esprit criminel et manipulateur, encore proche d’Hannibal dans la ruse.
Pourtant, même si ce grand rôle a assurément marqué sa carrière, il serait dommage d’occulter ses prestations de tout premier ordre, notamment chez Oliver Stone (dans Nixon et Alexandre), capable également de sauver par sa seule présence des films qui, sans lui, seraient improbables, bancals ou très académiques (Bobby, La couleur du mensonge, Légendes d’automne, Rencontre avec Joe Black). Il peut incarner aussi les excentriques ou les désaxés (le récent Burt Monroe, Instinct).
Anthony Hopkins est une très grand acteur, des comme on en connaît peu, capable d’embrasser n’importe quel rôle avec sérieux et minutie, avec cette manière d’être toujours égal à lui-même, de ne pas abuser des grands effets appuyés pour justifier son personnage, ne cédant que rarement au cabotinage (excepté dans Dragon Rouge, où le docteur Lecter qu’il compose confine à l’autoparodie).
Il excelle dans la retenue, la complexité et la sobriété (il touche au sublime dans le rôle très minimaliste des Vestiges du jour de James Ivory).
Il incarne avec une élégance égale, presque en esthète, des rôles extrêmement variés.
Il est le comédien du raffinement, de ce petit plus charismatique qui vous impose définitivement un personnage (y compris dans une fantaisie comme le Masque de Zorro).
Cela lui permet d’être envisagé pour incarner les plus grandes figures (de Léon Tolstoï à Hemingway).
On songe bien sûr d’abord à Hannibal Lecter lorsqu’on évoque Hopkins.
A tout seigneur tout honneur : qu’a t-il fait pour le rendre tellement marquant ?
On ne peut guère dire que le britannique se soit fait une spécialité d’incarner les grands criminels.
A l’écran, ce n’est finalement que le second personnage qu’il incarne dans ce registre avec la Faille.
La raison la plus évidente réside peut-être justement là : Lecter n’a rien du méchant typique au cinéma (si l’on excepte Dragon Rouge sur lequel on peut émettre quelques réserves sur l’outrance de son interprétation et une mise en scène assez médiocre).
Lecter n’est pas le fou sanguinaire déchaîné que l’on pouvait attendre, il est un esthète, éduqué, raffiné, courtois, aux habitudes gastronomiques très élaborées mais peu orthodoxes…, il faut bien le dire.
Ce trait est particulièrement évident à la fin de l’excellent Hannibal de Ridley Scott, consacré tout entier à cet aspect raffiné, voire aristocratique et dandy du personnage.
Il exècre avant tout la vulgarité et la trivialité, s’enivre des paysages de Florence et de grande culture.
Mais il est aussi un psychopathe d’une rare barbarie.
C’est sur cette dualité profonde et belle comme un oxymore, qu’Anthony Hopkins va fonder ce personnage mythique : à la fois d’une sauvagerie extrême et d’un incroyable raffinement, presque précieux, avec la gestuelle, la grâce, l’élégance hautaine et la cruauté d’un chat.
La quête de Lecter devient autant une quête sanguinaire et horrible qu’une quête de beauté.
Le jeu de Hopkins parvient à une telle finesse que cela n’est plus contradictoire.
Il a le regard fixe et effrayant, comme celui d’un vampire, et les manières d’un parfait gentleman.
Ce qui ne fait qu’accroître le malaise mêlé de fascination qu’il inspire.
On le craint autant qu’on admire la vivacité extraordinaire de son intelligence.
L’étrange histoire d’amour qui finit par le lier littéralement à l’agent Clarice Starling, cet ascendant qu’il parvient à avoir sur elle comme sur ses victimes, le rendent plus inquiétant encore.
Elle est la seule victime qu’il épargnera.
Reprenant ainsi un vieux motif de la littérature d’épouvante, le monstre peut connaître l’amour, mais cela n’annule en rien sa monstruosité.
Lecter est un esthète détraqué, capable de tuer un violoniste pour corriger la justesse d’un grand orchestre, de pendre un homme à l’image d’une gravure ancienne en référence à l’histoire d’une trahison faite aux Médicis.
Hannibal est à ce titre très intéressant et à mon sens le plus réussi des films tournant autour du personnage créé par l’écrivain Thomas Harris.
Car dans le Silence des agneaux ou Dragon rouge, le docteur Lecter n’est là qu’à titre consultatif, comme quelqu’un capable de décrypter les affres d’un esprit criminel (étant doublement qualifié en tant que psychologue et en tant que psychopathe).