Boom… de Joseph Losey, avec Liz Taylor et Richard Burton.
Sur TCM dans la nuit de samedi 31 mars à dimanche 1er avril 2012 à 2h du matin et des poussières… j’ai regardé un film complètement déjanté, totalement dans le fil de mes textes et dans le style de GatsbyOnline… sauf que cette comédie délirante est un petit chef-d’oeuvre d’humour corrosif qui date de mai 1968…
Ce film fait partie du dyptique tourné par Liz Taylor avec Joseph Losey en 1968 alors que l’actrice, mariée avec Richard Burton, voulait le suivre à Londres où était également exilé Losey. Elle va donc tourner deux films avec Losey la même année : “Boom” et “Cérémonie secrète”. “Boom” n’a pas tout à fait (mais de peu), le niveau du sublime “Cérémonie secrète”, tourné à Londres, qui est, en deux mots, un “The Servant” au féminin. Pourtant, le générique fait rêver : tiré d’une nouvelle de Tennessee Williams (“The Milk Train Doesn’t Stop Here Anymore”), également scénariste du film, le film a un casting explosif : Liz Taylor et Richard Burton, eux-mêmes adeptes des excès ! Tourné en Sardaigne avec un buget énorme, les stars touchèrent un cachet record et une autre partie du budget fut consacré aux décors et aux extravagantes toilettes de Liz Taylor (souvent signées Largefeld), voire aux parures du bijoutier italien Bulgari. L’actrice est vêtue de blanc tout le long du film sauf dans une unique scène, celle où elle accepte le baiser de “l’ange de la mort”, où elle porte du noir.
L’histoire est simple dans le compliqué : Sissy Goforth se morfond sur son île “Isola Goforth” au large de Capri… sur laquelle sont dispersées une douzaine de répliques des statues de l’île de Pâques… (voyez la vidéo)… La première image de Liz Taylor nous la montre de dos, nue sur son lit, se tordant de douleur, réclamant une injection de morphine… Comme souvent chez Losey, l’unité de lieu est de mise : tout le film se passe dans cette somptueuse villa perchée sur un rocher d’une île privée. Pour resserrer l’action, le film raconte les deux derniers jours de Sissy Goforth, milliardaire ayant déjà enterré six maris et dictant ses mémoires à sa secrétaire, Miss Park (Joanna Shimkus, toujours délicieuse), par un système de microphones et de haut-parleurs éparpillés dans toute la maison qui fait que tout le monde entend ce qu’elle lui dicte, ce qui crée une ambiance dramatique et théâtrale si besoin était. Miss Park est la seule personne presque équilibrée du récit, mais elle possède ses zones d’ombre…, elle dit aussi tout ce qu’elle pense d’elle à Sissy Goforth… et c’est bien la seule.
La milliardaire Sissy Goforth tyrannise son personnel indien ou italien et méprise toutes les personnes qui débarquent sur son île gardée par un vigile nain nazifié à la tête d’une meute de chiens sanguinaires (Liz Taylor caricature ainsi jusqu’à l’absurde la vie des Divas milliardaires et leurs cours d’obséquieux profiteurs, d’esclaves et sangsues).
L’Ange de la mort, Chris Flanders, débarque dans ces conditions, précédé de la réputation d’accompagner les derniers jours de riches femmes agonisantes. Accueilli ainsi sur l’île déchiqueté par les chiens, Chris Flanders, poète et gigolo, bien qu’arrivé par effraction chez Sissy Goforth, est considéré par cette dernière avec une certaine bienveillance car il lui rappelle son dernier et sixième mari, visiblement du même bois, un jeune poète alpiniste mort lors d’une chute de montagne.
Le film est vraiment dédié à Liz Taylor qui joue seule les plus belles scènes, comme celle où elle se souvient, sur son lit, mimant une scène d’amour, en chemise de nuit blanche, les cheveux longs lâchés…, de la mort de son premier époux, le milliardaire Goforth, écrasant son corps de jeune fille qu’il ne peut pas honorer… avec la terreur dans son regard de voir arriver la mort ! Jusqu’à présent, son impitoyable instinct de survie a sauvé Sissy Goforth mais la chance a tourné, elle le pressent tout en le niant, elle n’a pas d’invités dans la villa pour la première fois cette année, elle aurait bien besoin d’un homme au lieu de toute cette médecine, comme elle le dit elle-même c’est “urgentissimo comme tout cet été”…
Le vestaire insensé de Liz Taylor pourrait faire l’objet d’un article à lui seul : vêtue de blanc, de robes des mille et une nuit, de djellabahs, de saris, de manteaux de nuit en satin bordées de gigantesques manches en fourrure, d’incroyables coiffures comme le bonnet hérisson blanc piqueté de fleurs et pierres précieuses (ci-dessus), ou encore le voile blanc bordé du violet de la couleur de son regard exceptionnel (ci-dessous), que Losey filme deux fois en gros plan pour le plaisir. Chris Flanders, L’ange de la mort, dont les vêtements ont été déchirés par les chiens, est sommé de porter un costume noir de samourai avec un sabre, Sissy va le chercher dans une penderie regorgeant de costumes (on pense au dressing rempli de robes luxueuses de “Cérémonie secrète” qui décident Leonora/Liz Taylor à rester…) ! Flanders/Burton est hébergé dans une annexe de la villa, un pavillon rose kitschissime où tout est rose, la fresque tarabiscotée du plafond comme son peignoir rose.
La scène la plus surréaliste est celle ou un troisième personnage vient faire une visite amicale… On le surnomme “le Sorcier de Capri”, c’est un aristocrate dévoyé qu’on présente comme un adepte des cures de jeunesse, des transfusions et injections de cellules fraîches. Des transfusions que subit Sissy Goforth la nuit en gémissant qu’elle est “délivrée jusqu’à demain”… La suite est presque inracontable !
Liz Taylor avait déjà joué des adaptations de Tennessee Williams dans “Une Chatte sur un toit brûlant” de Richard Brooks (1956) et “Soudain l’été dernier” de Joseph Mankiewicz (1959). Les tirades de Liz Taylor et l’ambiance accablée de soleil du lieu, voir la musique obsédante, font parfois penser en plus soft aux scènes de “Soudain l’été dernier” quand Caterine/Liz Taylor se souvient des voyages avec son cousin poète (lui aussi) et de sa mort tragique dans une île méditerranéenne…
Un autre film adapté de Tennessee Williams a une parenté très nette avec l’agonie de Sissy Goforth : “Le Visage du plaisir” (titre français croquignolet du “Printemps romain de Mrs Stone”) avec Vivien Leigh où Mrs Stone, ancienne star de Broadway, plaquée par son amant gigolo, finira par provoquer/accepter sa mort (encore un homme qui est l’image de la mort, rodant en bas de chez elle), en lui jetant les clés par la fenêtre de son appartement.
Quand Sissy accepte d’être embrassée par l’ange de la mort, elle porte la seule tenue noire du film, une robe de veuve. Un ange de la mort qui la tuera plus sûrement que tous en lui refusant de partager son lit pour sa dernière nuit (la pire injure qu’un homme peut faire à une femme est de refuser de lui faire l’amour, alors qu’elle le demande et s’offre “toute entière”). Quand la mort vient chercher Liz Taylor dans son île, elle a les yeux de Richard Burton, mais la façon de parler de Tennessee Williams : pompeuse et artificielle.
Losey tenait cette oeuvre pour un ratage, je serais moins sévère : l’élégance savante de sa mise en scène fait passer la futilité pour de la profondeur…
Cette figure de l’ange de la mort, plus discrète dans “Le Visage du plaisir”, est très présente dans les romans de Tennessee Williams formant souvent un couple avec la femme vieillissante, ancienne beauté pathétique. On ne compte plus les auto-portraits de Tennesse Williams dans cette galerie de femmes mûres ne supportant pas de vieillir, la plus connue étant Blanche Dubois/Vivien Leigh dans “Un tramway nommé désir”…, mais encore Katarine Hepburn dans “Soudain l’été dernier”…, et Vivien Leigh dans “Le Visage du plaisir”. Richard Burton, pour sa part, avait tâté de Tennessee Williams dans “La Nuit de l’iguane” de John Huston (1964) mais il n’a ici qu’un rôle de partenaire de Liz Taylor, issu du theâtre, le récit l’étant aussi, le film est dans l’ensemble théâtral avec de longues tirades des vis à vis Taylor/Burton.
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Sa relation houleuse et passionnée avec la star aux yeux violets a été rythmée par des cadeaux hors de prix. Seize pièces uniques et inestimables, toutes ayant leur propre histoire, comme la broche en diamants avec émeraude centrale de plus de 18 carats que Liz Taylor porte dans le film (l’acteur la lui avait offerte pour leurs fiançailles en 1962). Elizabeth Taylor ne voulut porter aucun autre bijou le jour de leur premier mariage, le 15 mars 1964. Plus tard, Richard en fit le joyau central d’une parure d’émeraudes et diamants :“J’ai fait découvrir la bière à Liz. Elle m’a fait découvrir Bulgari”,aimait à conclure l’acteur britannique.
La réunion et de Tennessee Williams et de Joseph Losey et de ce couple légendaire incandescent Taylor/Burton (ils se marièrent deux fois), tellement en phase avec cette ambiance fin des années ’60 de tous les excès, est fascinante. Je n’avais jamais vu ce film, je l’attendais comme certains films dont on peut attendre des années qu’on le diffuse sur une chaîne TV, voire qu’on le sorte en DVD, il n’est pas dans le récent coffret Losey pas plus que “Cérémonie secrète” d’ailleurs…, il est donc rare et mérite que vous l’enregistriez…