Figure légendaire du cinéma américain, Clint Eastwood occupe une place à part dans l’industrie hollywoodienne. Devenu célèbre en jouant dans les westerns-spaghettis de Sergio Leone, Eastwood enchaîne les succès dès la fin des années 60 et marquera le cinéma de son empreinte en interprétant, notamment, l’inspecteur Harry, film à succès qui connaîtra cinq suites. Mais s’il est définitivement entré dans la légende, c’est en devenant réalisateur dès 1971, avec succès et brio, fait assez rare pour être souligné. Ses nombreux films n’ont pas seulement été bien accueillis par le public, mais aussi et surtout par la critique. Ainsi, le grand Clint est devenu un réalisateur à part entière, et dont le talent ne faiblit pas, même à 76 ans passés. La preuve en est le succès de son avant-dernier film : Million Dollar Baby qui a remporté tous les suffrages et lui a valu quatre statuettes aux derniers Oscars.
Clinton Eastwood Jr. naît le 31 mai 1930 à San Francisco, en Californie. Les Eastwood déménageront beaucoup les dix prochaines années et Ruth, la mère de Clint, donne à son fils une petite sœur en 1935. C’est en 1941 que Clint éprouve son premier choc cinématographique lorsque son père l’emmène voir Yankee Doodle Dandy. En 1944, à l’âge de quinze ans, il fait ses débuts de comédiens en jouant dans la pièce de théâtre de son lycée. Sa passion pour le jeu d’acteur ne le quittera plus. Diplômé en 1948, il envisage de poursuivre ses études pour se spécialiser en musique (il joue du piano) lorsqu’il est appelé par l’armée en 1951 pour être enrôlé durant la guerre de Corée. Là, il rencontre plusieurs personnes de l’industrie du cinéma, dont un assistant réalisateur de la Columbia. Tous l’encouragent à se lancer dans le métier d’acteur. Ayant fini son service en 1953, il se marie la même année avec Maggie Johnson. En 1954, il passe un essai filmé et se retrouve engagé par la Columbia qui lui fait signer un contrat de quarante semaines. Il enchaîne alors les petits rôles dans de nombreuses séries B et autres films obscurs tels que Francis in the Navy, Tarantula, Revenge of the Creature… Délivré de son contrat avec Columbia en 1956, Clint apparaît dans de petits films et séries télé, doit parfois se trouver des jobs tels que creuser des piscines pour pouvoir vivre. Ses débuts sont donc difficiles, comme ceux de bon nombre de ses camarades.
“Être un jeune homme rêvant d’être acteur dans les années 50, ça n’était pas si évident“, se souviendra-t-il des années plus tard.
En 1958 enfin, il décroche un rôle à la télévision qui lui permettra de manger à sa faim durant les sept prochaines années : celui de Rowdy Yates dans la série Rawhide qui connaît un succès immédiat et lance la carrière de Clint Eastwood. Le programme durera sept ans et Eastwood finira par devenir la véritable star de la série. C’est à cette époque-là que l’acteur commence à forger son image de cowboy mythique et dur à cuire. Mais Eastwood finit par se lasser du personnage de Rowdy qui ne recèle pas la moindre part d’ombre. Parallèlement à la série, Eastwood enregistre plusieurs disques et singles. C’est en 1964 que sa carrière prend un tour décisif : il accepte de jouer le rôle principal du film Pour une poignée de dollars, réalisé par un cinéaste italien jusqu’alors inconnu : Sergio Leone. Le film raconte l’histoire d’un cowboy dont personne ne connaît le nom qui arrive dans une petite ville du Mexique déchirée par l’affrontement de deux bandes rivales : l’une dirigée par le shérif John Baxter, complice des Indiens, et l’autre par Ramon Rojo. Le héros prend parti pour la bande de Rojo et flingue plus vite que son ombre ses assaillants. Il finira par se retourner contre ses alliés qui ont capturé une jeune femme et quittera la ville après avoir fait un peu de “ménage“. Le film est un succès international et apporte une notoriété immédiate à Clint Eastwood, qui est dès lors surnommé en Europe : El Cigarillo. L’année suivante, il enchaîne avec la suite du film de Leone : Pour quelques dollars de plus, puis, en 1966, il tourne le dernier film de la trilogie de Leone où il incarne le cowboy “Personne” : Le bon, la brute et le truand, qui deviendra un grand classique du western. C’est cette même année que s’achève Rawhide. Devenu une star internationale de cinéma grâce à Leone, Eastwood peut porter sa carrière d’acteur vers les sommets.
A la fin des années 60, il continue de jouer dans des westerns comme Pendez-les haut et court et Un shériff à New York, qui remportent de grands succès aux Etats-Unis. Et, pour couronner le tout, en mai 1968 naît le premier enfant de Clint, Kyle. La même année il crée sa société de production: Malpaso (“mauvais pas“). Les années 70 démarrent fort pour Eastwood, qui joue successivement dans De l’or pour les braves et Sierra Torride. En 1971, il est couronné d’un Golden Globe qui le consacre “première star mondiale“. Et, en dépit de l’échec commercial aux Etats-Unis du film Les proies , dirigé par Don Siegel, sa carrière reste au top. 1971 est également une année importante pour Eastwood qui fait ses débuts de metteur en scène avec le thriller psychologique Un frisson dans la nuit.
C’est le début d’une carrière de cinéaste des plus prolifiques.
Autre événement d’importance cette même année, la sortie du violent et controversé Inspecteur Harry, qui assoit la notoriété de l’acteur et le propulse au panthéon hollywoodien. Dans ce film, où il incarne un flic aux méthodes pour le moins expéditives, Eastwood remplaçait au pied levé Frank Sinatra après que l’acteur ait été blessé. Immense succès, Inspecteur Harry connaîtra cinq suites, de qualité variable. En 1972 naît sa fille Alison et en 1973 il réalise son second long-métrage, un western mystique nommé L’homme des hautes plaines. Dans la foulée, il tourne un troisième film en tant que réalisateur : Breezy, dans lequel, pour la première fois, il ne joue pas. Le reste de la décennie est marquée pour Clint Eastwood de grands succès, à la fois en tant qu’acteur et réalisateur. Il entre dans l’histoire en devenant le seul acteur à figurer dans le top ten du box office une décennie entière. Il se sépare alors de Maggie Johnson.
Les années 80 seront marquées pour Clint Eastwood de succès plus relatifs. Il ne jouera pas dans de vrais grands films comme cela avait été le cas dans les années 70 et même si sa carrière reste brillante, son succès commence à décliner. L’année 1980 commence pourtant bien lorsqu’il reçoit le Life time Achievement Award à la cérémonie des People’s Choice Awards. La même année sort une autre de ses réalisations, dans laquelle il tient le rôle principal : Bronco Billy, une comédie de western, qui sera un échec commercial en dépit de son indéniable qualité. Suivent Firefox, l’arme absolue et Honkytonk Man, deux films qu’il réalise, ainsi que le quatrième film de la série des Inspecteur Harry : Sudden Impact, qu’il réalise lui-même et qui est jugé par certains comme étant le meilleur de cette série de cinq films. En 1985, il effectue un bref retour au western en réalisant et interprétant Pale Rider, un film brillant.
L’année suivante, il devient maire de la petite ville de Carmel, en Californie, dont il était tombé amoureux dans les années 50 en effectuant son service militaire. Il dirigera la ville pour les deux prochaines années. Après un cinquième et ultime volet de L’Inspecteur Harry : La dernière cible, il réalise Bird, sur le génie du jazzmen Charlie Parker, dont il est un grand admirateur depuis le jour où il a assisté à l’un de ses concerts en 1945. Le film est une réussite et obtient un très bon accueil critique. On lui décerne le Golden Globe du meilleur réalisateur.
Enfin, il achève la décennie par un bide : Pink Cadillac.
Les années 90, une décennie qui voit le retour en force du grand Clint, qui assoit sa notoriété de cinéaste en réalisant des films tels que Chasseur blanc coeur noir, Impitoyable (qui lui vaudra de nombreuses récompenses dont l’Oscar du meilleur film et celui du meilleur réalisateur) ou encore l’émouvant Sur la route de Madison, un film sentimental où il forme un couple irrésistible avec Meryl Streep. Clint Eastwood s’impose donc comme un cinéaste majeur de cette décennie et il est enfin reconnu par ses pairs. En revanche, Un monde parfait, avec Kevin Costner dans le rôle principal, reçoit un accueil plus mitigé, bien qu’il s’agisse d’un excellent film humaniste. En 1996 il se remarie avec Diana Ruiz, qui lui donne une petite fille la même année. Il réalise également Les pleins pouvoirs, Minuit dans le jardin du bien et du mal etJugé Coupable.
En début d’année 2000, avec la sortie des films Space Cowboys et Créance de sang, on ne mise plus vraiment sur le cinéaste, qu’on dit vieillissant.
Clint Eastwood fera mentir ses détracteurs en réalisant en 2003 le très sombre mais excellent Mystic River, qui est vu par certains comme un chef d’oeuvre.
En adaptant le roman de Dennis Lehane, Eastwood met dans le mille et signe un de ses films les plus sombres et les plus désenchantés. Cette histoire de vies déchirées et de vengeance connaît un grand succès, aussi bien public que critique, bénéficiant d’un bouche à oreille plus que flatteur. Le film, entre autres récompenses, consacrera Sean Penn et Tim Robbins aux Oscars. Et, alors qu’on croyait que le cinéaste avait atteint son apogée sort Million Dollar Baby, un mélo qui se déroule dans le milieu de la boxe. L’histoire est celle de Frankie Dunn (interprété par Eastwood), entraîneur de boxe bileux qui accepte à contre-coeur d’entraîner une jeune femme novice de trente ans, Maggie, et la propulsera aux sommets. C’est avant tout un film sur les rapports humains, amer et mélancolique mais d’un impact émotionnel impressionnant. Public et critiques ne s’y trompent pas et font une véritable ovation au film, qui remporte quatre des plus prestigieuses récompenses aux Oscars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure actrice pour Hilary Swank (deuxième statuette de sa jeune carrière), meilleur acteur dans un rôle secondaire pour Morgan Freeman. Et déjà, on dit de ce film qu’il est un des meilleurs de la carrière du cinéaste, qui fait également là son retour en tant qu’acteur alors qu’il avait déclaré ne plus jouer dans ses films. Bien lui a pris d’interpréter Frankie Dunn : c’est là un de ses rôles les plus bouleversants, à fleur de peau.
En 2005 et 2006 Clint Eastwood a réalisé : Mémoires de nos Pères (Flags of our Fathers) et Letters from Iwo Jima. Aujourd’hui, en France, Clint Eastwood jouit d’une aura certaine. C’est un mythe. Un héros, un dur, un père, un amant, un fantasme, un artiste, un franc-tireur. Avec lui, une interview, c’est rien ou tout.
Une réponse lâchée dans un souffle alors qu’il pense à autre chose ou une conversation en sourires, à l’aise dans un canapé moelleux.
Bonne pioche, on a tiré la seconde carte. Pour autant, il ne faut pas croire que Clint Eastwood sorte une thèse de troisième cycle chaque fois qu’il ouvre la bouche. En cela, il reste très américain old fashion (à l’ancienne), pareil à ses maîtres, Don Siegel, John Ford ou Raoul Walsh. Pas d’analyse, juste le boulot.
Il aime, il fait, il veut, il agit. Ça passe où ça casse. En ce moment, vu le calibre du gars, ça passe….
-“J‘ai découvert le récit de la bataille et surtout tout ce qui a suivi : Comment ces presque gamins sont brutalement devenus des héros, comment des millions de gens les ont adulés, comment le gouvernement les a utilisés…, et tous n’ont cessé de dire que les vrais héros d’Iwo Jima sont ceux qui n’en sont pas revenus…, j’ai découvert également combien était cruciale la question du financement, chaque jour de guerre coûtait 250 millions de dollars de l’époque, c’était un vrai dilemme pour les gens qui devaient payer pour que leurs enfants aillent se faire tuer.
-Lettres d’Iwo Jima vous est-il né sur le terrain, comme une envie de filmer ?
-“Je préparais le premier dyptique, Mémoires de nos pères, et j’ai été impressionné par la résistance japonaise pendant la bataille, en 1945, et, de fil en pellicule, j’ai décidé, ensuite de tourner l’histoire du conflit côté Japonais…, les deux films dénoncent la guerre et rendent hommage aux anonymes.
J’aurais pu réaliser Mémoires de nos pères et Lettres d’Iwo Jima n’importe quand, uniquement pour ce qu’ils racontent, mais je sais qu’en ce moment, avec ce qui se passe en Irak, ils prennent une résonance particulière, je n’avais pas envie que les Etats-Unis aillent à Bagdad, j’adore la démocratie, je crois en ses vertus, mais, pour l’avoir, il faut vraiment la vouloir, les Irakiens n’en voulaient pas…”
-Est-ce à partir des 41 lettres écrites par le général Kuribayashi que s’est construit le scénario ?
“Oui, et de ce fait, Lettres d’Iwo Jima est un film plus proche des personnages que ne l’est Mémoires de nos pères. Il traite de cet incroyable dilemme vécu par les Japonais : être fier de défendre son pays et savoir que l’on va forcément mourir. Sur les 21 000 soldats Japonais engagés, 20 000 sont tombés au combat.
Je suis américain jusqu’au bout de mon ceinturon et pourtant j’ai toujours admiré Akira Kurosawa. Mémoires de nos Pères est adapté du best-seller de James Bradley et Ron Powers. Mon film retrace l’histoire de la sanglante bataille d’Iwo Jima pendant laquelle six soldats américains seront immortalisés par une photo signée Joe Rosenthal alors qu’ils plantent le drapeau des Etats-Unis d’Amérique sur le mont Suribachi. Trois d’entre eux mourront quelques jours après, alors que les survivants deviendront des symboles de l’unité américaine, ils seront alors enrôlés pour vendre les bonds devant servir au financement de l’effort de guerre“.
-En tant que cinéaste, qu’est-ce qui vous a particulièrement frappé dans cet épisode de la Seconde Guerre mondiale ?
-“L’histoire de l’invasion d’Iwo Jima n’avait jamais été véritablement racontée au cinéma, c’est la plus grande opération d’invasion conduite par le corps des Marines, et la bataille la plus acharnée de toute leur histoire. Mais ce qui m’a le plus intrigué au départ, c’est le livre lui-même, et le fait que ce n’est pas vraiment un récit de guerre…, je n’avais pas l’intention de faire juste un film de guerre, j’en ai fait quelques-uns en tant qu’acteur…, ce qui m’intéressait, c’était juste d’étudier ces personnages.
J’ai parlé avec beaucoup de vétérans de cette campagne et de bien d’autres campagnes, j’ai pu constater que ceux qui étaient sur la ligne de front, les plus impliqués, sont ceux qui restent les plus discrets et sereins au sujet de ce qu’ils ont fait. Il est sûr que si vous entendez quelqu’un fanfaronner sur son expérience du combat, c’est qu’il était probablement gratte-papier loin du théâtre des opérations…”.
-Ces vétérans ont-ils certaines choses en commun, à l’image de John Bradley ?
-“Lorsqu’ils revenaient de la guerre, il n’y avait pas encore véritablement, à cette époque, de suivi et d’évaluation de leur état psychologique, on leur demandait simplement de rentrer chez eux et de passer à autre chose, s’ils n’avaient pas de femmes ou quelqu’un qui les aiment pour les aider, ils devaient se réadapter seuls et n’y arrivaient pas toujours. J’ai voulu raconter ce type d’expériences, être un jeune homme et être projeté dans la célébrité. J’espère que le film explique bien cet aspect des choses : être traité comme un président, ou comme une célébrité, sans le ressentir vraiment. Leur sentiment reste assez confus par rapport à tout cela, en particulier quand beaucoup de leurs compagnons ont été tués dans cette terrible bataille. Et la célèbre photographie de Joe Rosenthal a été prise après 4 ou 5 jours de combat, alors qu’ils n’avaient même pas effectué un quart du chemin“.
-Il semble que le livre ait été difficile à adapter, comment vous y êtes-vous pris pour écrire le scénario ?
-“Paul Haggis, mon co-scénariste, aime bien plaisanter à ce sujet, après notre première réunion, il a dit qu’il avait à peu près 11 % de chance d’y arriver.
Je lui ai répondu que tout allait bien se passer, presque chaque jour au téléphone, nous parlions de philosophie… et de la manière dont il fallait commencer, il avait un problème pour rentrer vraiment dedans, alors nous avons convenu de concevoir plusieurs actes. La principale difficulté était de montrer l’impact que cela a eu sur les trois soldats et sur leurs souvenirs. C’est un processus de travail difficile, car vous devez passer du présent qui est censé être en 1994 dans ce cas, puis revenir à une autre époque, puis encore une autre, avant de revenir au présent. La seule fois où je me suis prêté à ce type d’exercice, c’était pour le film Bird, il y a quelques années.
J’ai eu du mal avec les flash-back, qui contenaient eux-mêmes parfois des flash-back, car il est nécessaire que le déroulement de l’histoire ne soit pas trop confus pour les spectateurs. Nous avons finalement décidé qu’il fallait le faire à la manière d’un journaliste, parce que James Bradley a écrit ce livre comme un roman policier, en enquêtant et en interrogeant les personnes qui s’en étaient sorties, cela semblait être la manière de procéder la plus logique“.
-Qu’est-ce qui vous a conduit à tourner en Islande ?
“J’ai apprécié de filmer en Islande, j’ai tout d’abord été sceptique à l’idée de tourner là-bas, mais il y a en fait beaucoup de similitudes entre l’Islande l’été et Iwo Jima l’hiver. Iwo Jima possède une forte activité géothermique et volcanique, avec beaucoup de sulfure qui sort de fissures dans la montagne. L’Islande n’est pas exactement pareille, mais elle possède d’immenses plages de sable noir qui seraient très difficiles à reproduire, nous avons cherché des plages de sable noir partout dans le monde.
Nous ne pouvions pas tourner à Iwo Jima, ne serait-ce que certaines scènes, l’île est considérée comme un sanctuaire et le sujet trop sensible, sans compter qu’il n’existe pas d’infrastructures pour installer une équipe de tournage, personne ne peut aller là-bas sans l’accord du gouvernement japonais. Ce dernier considère l’endroit comme sacré, car il y reste encore 12.000 de ses soldats portés disparus. Nous ne pouvions pas reproduire sur place l’invasion américaine avec ce que cela implique, au niveau pyrotechnique notamment, explosions, etc… Nous avons donc été en Islande, qui a très bien coopéré, puis nous sommes revenus aux Etats-Unis pour les autres scènes du film“.
-Pouvez-vous nous parler des différences que vous avez pu constater, au cours de vos recherches pour la préparation du film, entre la Seconde Guerre mondiale et la situation actuelle ?
“Je pense que chaque guerre pose des problèmes différents, jusqu’alors, nous nous battions en Europe. Nous étions engagés dans cette guerre, mais lorsqu’elle est venue à nous, à Pearl Harbor, c’est devenu une réalité. Si nous n’avions pas été attentifs, si nous n’y avions pas mis fin, nous parlerions peut-être une autre langue aujourd’hui…, la situation avait quelque chose de simple, un grand nombre de femmes qui sont allées travailler dans les usines, et la plupart des hommes qui donnaient leur vie chaque jour, étaient presque des enfants, affaiblis et sortant de la Grande Dépression, la crise de 1929. La moyenne d’âge était de 19 ans, on peut imaginer qu’ils étaient tous nés en 1927 ou 1928, entre la fin des années 20 et le début des années 30, cela se passait loin d’ici, mais ils y sont allés d’un même élan. C’est pour ces raisons qu’il était important pour nous de raconter cette histoire, elle parle d’un moment de notre histoire où il y avait beaucoup d’élan et de fougue. L’image du drapeau en train d’être dressé est un cliché simple, juste censé rendre compte d’un fait au moment où il se déroule, il n’avait aucune signification à ce moment-là, car c’était en fait le second drapeau que les soldats dressaient à cet endroit, c’est juste une photo exceptionnelle, c’est une oeuvre d’art, car les personnages sur la photo ne regardent pas l’objectif en souriant à leur famille. Cette photo montre l’unité d’un groupe de personnes travaillant pour une cause commune, les mains tendues, et même celles que l’on distingue à peine, décrivent cet instant ou des personnes sentent qu’ils doivent sortir victorieux de cette guerre. Quant à comparer cette guerre avec l’actuelle, la guerre c’est la guerre, quand vous y êtes et que vous êtes sur le front, il y a toujours divers problèmes que vous devez gérer et qu’il est difficile de comprendre pour nous qui ne sommes pas dans cette situation…, et comme le film le montre, il y a beaucoup de similitudes parmi les hommes politiques qui courent en général après un certain nombre de choses. Les personnages du film sont manifestement presque plus affectés par leur tournée pour lever des fonds, car des tournées étaient organisées dans le pays pour soutenir l’effort de guerre…, que quand ils étaient au combat. Mais la tournée qu’on leur demande de faire est quelque chose de très difficile pour ces jeunes hommes qui sont ainsi exposés un peu partout et traités comme des rois car, ensuite, c’est un peu comme si on leur retirait subitement le tapis qu’ils ont sous les pieds avant de retourner dans la vie civile, ils n’ont nulle part où aller, à part Bradley qui a une profession en vue, ils sont à la dérive. C’était une période de gros efforts dans tout le pays. Je me souviens des sept tournées de levée de fonds, je n’en savais pas beaucoup sur le sujet, puisque j’avais seulement 15 ans, mais je lisais les journaux et je pouvais voir toute l’activité que cela générait. Tout tournait autour de ces fameux bonds (obligations que les Américains pouvaient acheter pour soutenir l’effort de guerre) et tout le monde voulait vous en donner, vos parents voulaient vous en acheter pour votre anniversaire, les enfants étaient tristes de ne pas recevoir de jouets, mais ils voulaient surtout détenir une obligation qui vaudrait beaucoup plus tard. C’était un grand moment de l’histoire et de l’unité américaine, le pays semblait bien plus unifié, avec le recul, je suis sûr qu’il ne l’était pas, qu’il ne l’est aujourd’hui, parce que la guerre que nous connaissons aujourd’hui, excepté en Irak, est une guerre d’un type différent, idéologique et religieux. Beaucoup de facteurs viennent se mélanger à tout cela et l’on peut craindre que la prochaine soit encore plus difficile, mais celle-ci était beaucoup plus ordinaire“.
-A cet instant de votre carrière, après avoir vu et fait tant de choses, est-ce difficile pour vous de trouver des projets intéressants et qui vous motivent ?
-“Cela marche par vagues, parfois je me dis que je vais prendre un peu de vacances. Après Mystic River, je voulais m’arrêter quelque temps et Million Dollar Baby est arrivé et je me suis dis qu’il fallait que je le fasse… et je l’ai fait. Avec Mémoires de nos pères, j’avais déjà essayé une fois d’acheter les droits du livre, mais c’est Dreamworks qui les avait eus, j’ai donc été voir Steven Spielberg, le co-fondateur de Dreamworks et il m’a demandé de réaliser le film… J’avais aimé le livre, alors nous nous sommes serré la main, il n’avait pas de scénario dont il était vraiment satisfait alors il a fallu reprendre depuis le début, j’ai fait venir Paul sur le projet et le résultat est là. En faisant des recherches au sujet du livre et sur la manière dont je pourrais le porter à l’écran, je me suis intéressé au général Kuribayashi et à la façon dont il a défendu cette île de manière très féroce, mais aussi très intelligemment, en creusant un réseau de tunnels sous l’île, pour tout stocker en sous-sol et pour y cacher la population, il a procédé vraiment différemment de ce qui se faisait chez les Japonais à l’époque en matière de défense. Ses homologues mettaient en général en place des défenses qui pouvaient être attaquées classiquement depuis la mer à grand renfort d’artillerie ; mais, à cause de sa technique d’enfouissement, ce n’était pas possible pour cette bataille en particulier. Il y a également eu des problèmes au niveau du renseignement militaire, comme ceux que nous avons pu voir plus récemment sur d’autres théâtres d’opération, le nombre de soldats japonais présents sur l’île avait été sous-estimé, et la Navy pensait pouvoir prendre l’île beaucoup plus facilement, ils pensaient que cela pouvait être fait en quatre ou cinq jours, mais cela ne s’est pas passé comme ça. Beaucoup des Japonais qui ont vu le film semblaient intéressés et contents de le voir, mais il faut dire qu’après la guerre ce pays a un peu mis son histoire de côté, il n’y a pas beaucoup de discussions au sujet de cette guerre, ce n’est même pas enseigné à l’école, aucun de mes acteurs japonais dans Lettres d’Iwo Jima, mon autre film sur l’invasion, mais vue du côté des soldats japonais, n’avait connaissance de la bataille d’Iwo Jima, mais ils étaient très curieux, car la génération actuelle ne sait pas grand-chose à ce sujet. Je pense qu’il était nécessaire de raconter cette histoire, et pas seulement pour le Japon car son peuple y a beaucoup perdu en faisant souvent d’énormes sacrifices, je pense que c’est important pour tous les pays car cela démontre, qu’au mieux, c’est un exercice inutile. Des gens essaient d’en tuer d’autres qui, dans d’autres circonstances, pourraient être leurs amis, mais le fait est qu’il y a toujours des guerres et que cela dure depuis le début de l’humanité, je n’ai pas la réponse à ce problème, je fais juste avec mes quelques connaissances“.
-Pourquoi n’avez-vous pas utilisé beaucoup d’acteurs connus dans le film ?
-“Il y a peu d’acteurs connus dans ce film, car la moyenne d’âge des soldats qui ont été envoyés à Iwo Jima ne dépassait pas 19 ans, à l’exception de quelques officiers.
Avant-hier, j’ai parlé à un officier qui y a participé, il est parti à la retraite avec le grade de général, mais il était à l’époque un capitaine âgé de 24 ans. Mike Strank, le plus âgé des soldats que l’on voit sur la photo dressant le drapeau, avait 36 ans, et les autres Marines le surnommaient le vieil homme. Ce n’est pas évident d’être surnommé de la sorte à 36 ans, mais il était vu de cette manière, même si l’on peut supposer que c’était lié à ses capacités de commandement. La moyenne d’âge n’était pas très élevée, nous n’avons donc pas utilisé d’acteurs plus âgés et donc a priori plus connus…, et puis, quand vous avez de grands noms du cinéma qui apparaissent dans un film, dans certaines situations, cela peut prendre du temps pour que le spectateur fasse le tri et trouvent le personnage crédible, c’est à l’acteur de vous amener à croire qu’il est bien le personnage“.
-Qu’avez-vous essayé d’obtenir de vos acteurs dans ce film et comment vous y êtes-vous pris ?
-“J’ai juste voulu qu’ils cherchent à connaître ces personnages et ce qui les avait conduit à faire cela afin d’essayer de donner au public une idée de la manière dont cela se passait à cette époque pour ces gens qui ont dédié ou donné leur vie. Je voulais exprimer ce sentiment de fausse célébrité, qui est quelque chose que l’on voit couramment aujourd’hui, nous vivons une époque vraiment différente, nous avons une armée de volontaires, le pays est plus à l’aise aujourd’hui grâce à l’expansion économique, nous revenons d’une époque plus difficile sur le plan économique, en fait, nous sommes actuellement plus privilégiés que nous l’étions alors.
J’ai voulu faire passer l’idée que la guerre est plus qu’un inconvénient aujourd’hui, alors qu’elle était à cette époque une absolue nécessité“.
-Pouvez-vous nous parler de vos choix esthétiques pour le tournage du film et du travail sur les couleurs ?
-“Dans la plupart des films que je fais, j’aime utiliser des couleurs intenses en fonction de l’ambiance que je veux mettre en place, dans ce film en particulier, si on le compare à Mystic River où j’ai tout filmé dans le même esprit, j’ai voulu que chaque période ait son propre aspect : le présent, la tournée, les scènes de guerre…
La guerre n’est pas un événement très beau et nous avons vu, au fil du temps, beaucoup de scènes de guerre qui étaient tournées en couleur, mais cela ne rend jamais aussi bien à l’écran que lorsqu’elles sont ternes. Je ne souhaitais pas rendre ces scènes plus belles avec cette sorte d’effet Technicolor comme dans le Magicien d’Oz… Je voulais que ce soit différent de ce que l’on voit habituellement, je suis certain que lorsque ces gens regardent en arrière, ils ne voient probablement pas leur passé dans des couleurs intenses“.
-Quel est votre numéro de portable ?
-“Sincèrement, je n’en sais rien. Personne ne l’a…, mon téléphone ne me sert qu’à appeler, ensuite, je l’éteins, ce qui est très économique pour la batterie…“.
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