Docteur Folamour…
Le cinéma peut être une arme de dérision massive…
Le pessimisme de Kubrick sur la nature humaine a trouvé avec ce film son expression la plus directe.
Docteur Folamour est un chef d’oeuvre (oui, c’est vrai) paradoxal : totalement désabusé et diablement drôle, réaliste autant qu’absurde, c’est le théâtre des grands écarts.
Il n’y a pas de justes causes à défendre, pas de force supérieure, à part peut-être, l’ironie du sort.
Le message subversif de ce film demeure estomaquant de justesse : prendre conscience que les fous peuvent diriger l’asile !
Pour apprécier l’oeuvre, il faut la replacer dans son contexte historique.
Au début des années ’60, le monde est alors en pleine guerre froide, on éprouve aux Etats-Unis et en Russie la crainte réciproque d’une guerre nucléaire.
La psychose est en effet réellement présente en Amérique, la crise des missiles à Cuba est dans toutes les mémoires.
Coïncidence : la sortie du film a dû être retardée…, elle était initialement prévue fin novembre 1963.
Mais au moment de l’assassinat du président Kennedy, sortir cette charge antimilitariste à l’humour noir et acide eut été peu opportun.
Bien avant Full Metal Jacket qui aborderait la guerre de façon plus réaliste, mais après Les Sentiers de la gloire (chef d’oeuvre pacifiste longtemps interdit dans les cinémas français), Kubrick s’attaquait au sujet avec ce film absolument hors normes.
L’authenticité exigée par le cinéaste est d’emblée déroutante, tant son propos paraît absurde.
L’irrévérence est manifeste dès le générique : sur une douce mélodie on assiste au ballet gracieux d’un bombardier ravitaillé en vol…, un décalage constant est de mise entre une musique optimiste et dansante et une situation absolument catastrophique.
Le ton du préambule était pourtant sérieux, factuel, une voix grave et documentaire nous apprenant l’existence d’un terrible arsenal nucléaire russe, la machine du jugement dernier.
Cette double dimension de réalisme et d’absurdité est la grande particularité du film.
Je me demande si on reverra de sitôt pareille oeuvre, aussi désenchantée, aussi irrespectueuse, aussi hilarante.
Car au sortir de cette farce, une chose est frappante : son implacable lucidité.
On a la surprise de constater que cette folie est toujours envisageable aujourd’hui…, tout ça pour aller d’un point à l’autre avec son auto et s’abrutir dans l’esclavage du travail et du pétrole !
Autant prendre le parti d’en rire…
“Allo, Dimitri ? Euhhhh, un de nos généraux a fait une boulette…”
Le cinéma est un Art, chacun ou chacune trouvera son compte (ou pas) selon qu’il ce qu’il pense, ce qu’il a vécu, ce qu’il vit, (ce qu’il est ?) et le monde dans lequel il vit…
C’est un comme un tableau, on n’y sera sensible que si le sujet, l’ambiance ou le message vous parle…
“Tous les arts sont comme des miroirs où l’homme connaît et reconnaît quelque chose de lui-même qu’il ignorait”… Dans le cinéma comme dans toutes les expressions artistiques, vous trouverez aussi des des nanars, des fumistes et du n’importe quoi, c’est particulièrement vrai lorsque l’argent (ou le pouvoir), est le seul moteur d’une vie…
Qui aurait pu interprêter les rôles de Peters Sellers dans les films de Stanley Kubrick ?
Certainement pas ce veau de Brad Pitt… (Il existe l’art également, d’empoisoner le cinéma avec de très mauvais réalisateurs et acteurs…)
Le film ne serait rien sans le génie comique tout bonnement ahurissant de Peter Sellers, qui a trouvé là, sûrement, un de ses plus grands rôles, si ce n’est son plus grand…
Méconnaissable selon qu’il joue Mandrake, Muffley ou le docteur Folamour, Peter Sellers fignole chaque personnage avec amour et avec un sens rare de l’accent, il habite littéralement chaque scène et fait taire tous ceux qui lui ont reproché un jour ou l’autre un certain cabotinage..
Peters Sellers, en “scientifique”…
Le bon cinéma n’est pas seulement une distraction, il doit mener à une émotion, une réflexion…
Dr Folamour est un diamant tranchant et sombre, à l’humour désespéré, à l’image de la vision souvent cynique qu’aura eu Stanley Kubrick de l’Humanité au travers de sa filmographie.
Hilarant mais sans pitié, le constat dressé par le réalisateur de “Lolita” évite pourtant tous les écueils du film à thèse grâce à une mise en scène millimétrée et un script d’une rare intelligence !
C’est en 1958 que Peter George, ancien Lieutenant de la Royal Air Force, développe dans son roman “Alerte Rouge” un scénario cauchemardesque de fin du monde suite à une crise nucléaire entre les deux grandes puissances des sixties.
Aidé du scénariste Terry Southern, Kubrick rachète les droits de ce roman sérieux et réaliste, chamboule tout et tire le script vers la comédie noire et déjantée…
Idée de génie : l’épée de Damoclès minutieusement ciselée par Kubrick a d’autant plus d’impact qu’elle joue sur le rire. Un rire jaune, certes, mais un rire éclatant, peu de films regorgent d’autant de répliques cultes “Gentlemen, you can’t fight in here. This is the war room“…, de dialogues étourdissants de drôlerie (la théorie de Dr Folamour, préconisant une vie sous terre avec un ratio de 10 femmes pour un homme et la réaction de Turgidson)… et de situations totalement frappadingues au sein d’un contexte pourtant hautement dramatique…
L’ambiance de plus en plus opressante “du conseil de guerre”…
Alternant sobriété (le président Muffley) et un incroyable sens de l’improvisation (le monologue final du docteur Folamour et son “zieg heil”…, le futur inspecteur Clouseau porte le film sur ses épaules, pour vous faire une idée du potentiel comique de l’acteur !
Précipitez-vous sur la 86′ minute du film (+ 50 secondes) et notez comment Peter Bull (l’ambassadeur Russe Alexi de Sadesky) essaie vainement de retenir son fou rire face à la prestation de l’immense Peter Sellers.
Une merveille !
Ce serait toutefois faire injure au reste de la distribution que d’oublier de rendre hommage au bouillonant George C.Scott, “Patton”…
Et de Sterling Hayden, qui jouera plus tard dans le rôle du flic pourri dans “Le Parrain I”…, ou Slim Pickens…, tous grandioses et qui trouvent chacun ici l’occasion de plusieurs scènes mythiques…
Kubrick avait réalisé ici un de ses chefs-d’œuvre, un film où l’on retrouve son sens du cadrage (les scènes de la War Room lui permettent de dessiner toutes sortes d’arabesques, proprement renversantes de beauté), une photographie éblouissante de Gilbert Taylor, toute en noirs et blancs superbement contrastés, ou encore une utilisation passionnante de la musique mais aussi des effets spéciaux qui passent plutôt bien les années…
Le tout emballé avec un sens du suspense que l’on avait déjà pu apprécier dans “L’Ultime Razzia”, une maestria comique entrevue dans “Lolita”… et une maîtrise des scènes d’action et de guerre qui anticipe la carrière à venir de Kubrick…
Si vous croyiez avoir la quintessence Kubrickienne avec ses autres films, il vous manque aussi et surtout ce Dr Strangelove, un de ses films les plus cyniques, les plus caustiques, mais aussi les plus brillants !
Un must !
Voyez dans cet extrait vidéo,une pancarte dans le film : “Peace is our profession”… Génial !
Lorsque je regarde un film de Stanley Kubrick, ses images me parlent, les choix de sa musique m’emportent, sa violence me fait peur, sa poésie m’ennivre et ravive mon envie de découvrir son aventure intérieure, sa vision du monde !
Dans la logique des choses, lorsque cela me plait autant, je vais voir ou revoir ses autres films et voir plus loin, c’est ce qui se passe également lorsque je découvre un écrivain, je lis, je relis puis je vais à des biographies ou autobiographies qui me renvoient à d’autres écrivains, musiciens ou autres.
C’est ainsi que l’on se fait sa bibliothèque de vie…
Stanley Kubrick était un génie !
Stanley Kuvrick et “Le président” Merkin Muffley (Peter Sellers )
Docteur Folamour…
Il faut sauver nos fluides corporels…
“Mandrake” (Peter Sellers ) et le généal “Jack Ripper” (Sterling Hayden)…
Le programme : Pris d’un coup de folie, le général de l’Air Force, “Jack Ripper” envoie une flotte de ses avions bombarder Moscou à la mode atomique…
Le Président Muffley et les membres de son état major tentent d’empêcher ce “désagrément”…
Mandat : Stanley Kubrick aurait-il pu riduculiser ainsi la figure du Président du monde libre s’il avait tourné son film aux Etats-Unis ?
Exilé en Angleterre depuis son film “Lolita”, loin de la surveillance des studios, il se permit sans vergogne cette terrible farce d’anticipation, dans laquelle le présumé homme plus puissant du monde occidental se trouve incapable d’empêcher un de ses généraux de déclencher une probable troisième guerre mondiale..
Le major “Kong”, un pur texan jusqu’au bout…
Dépassé par la situation, Muffley, on appréciera le nom…, passe son temps à faire preuve d’une effarante incompétence, interdisant que l’on se batte dans la salle de guerre, ou assénant avec le plus grand sérieux : “Vous parlez de meurtre en masse, général, pas de guerre” !…
Camouflet ultime, Kubrick fit incarner l’icône étatique par le comique Peter Sellers qui endossait parallèlement la défroque d’un dangereux savant aux tendances fascistes (le docteur Folamour), d’où un rapprochement inévitable entre les deux rôles…
Le pire…, c’est qu’on ne peut s’empêcher de rire !
Coup d’éclat : “Dimitri, vous vous rappelez que nous avons toujours évoqué la possibilité de quelque “accident” au sujet de la bombe…, la bombe Dimitri, la bombe à hydrogène…eh bien, ce qui s’est passé, c’est que”…
(Source TCM et dvdclassik)
Docteur Folamour est-il une simple farce ou bien une véritable prophétie ?
Même si selon la formule consacrée “toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait totalement fortuite“, on ne peut s’empêcher de se poser quelques questions après avoir vu ce film !
Le générique de début nous montre l’accouplement d’un B52 avec son avion ravitailleur en vol, musique suave, gros plans explicites : cette scène est véritablement torride.
“Comment j’ai appris à ne plus me faire de soucis et à aimer la bombe“. Le générique de fin nous montre un festival de champignons atomiques filmés au-dessus des nuages…
En fond sonore Vera Lane chante We’ll Meet Again, son grand succès de la seconde guerre mondiale :
Nous nous rencontrerons encore,
Je ne sais pas comment,
Je ne sais pas quand,
Et surtout, si on les laisse faire,
Je ne sais pas dans quel état…
C’était ma rubrique cinéma, à moi !
Lorenza