GatsbyOnline au Festival de Cannes 2013 !
Dans le cinéma, il y a des erreurs de casting en pré-tournage, mais il y en a aussi en pré-présentation…
C’est ainsi que la haute direction du célébrissime Festival de Cannes a invité toute l’équipe de Gatsby à venir visionner la première…
Recevant cette extraordinaire invitation, j’ai battu à mort le rappel des troupes constituant le noyau dur et central de GatsbyOnline, invitant chacun/chacune à y aller pour grimper les marches, accessoirement visionner le film éponyme en compagnie de Léonardo DiCaprio et ensuite faire la java, le sodomiser ainsi que ceux et celles ayant eu un rôle dans ce film qui a fait monter notre taux d’audience au delà de l’inimaginable…
Pour moi, pas de soucis, je suis descendu en Pierce Arrow, mais pour mes sbires, qui œuvrent gracieusement, par pur plaisir de perdre leur temps à écrire n’importe quoi pour un public malheureusement peu à même d’en saliver la substantielle moelle, il n’en était pas de même…
En effet, tout journaliste (et pour les journaleux, c’est pire) se dirigeant vers Cannes pour le Festival se retrouve taraudé par trois sujets à faire passer la crise économique pour une problématique tout à fait mineure : le logement (cagibi partagé à cinq pigistes et huit stagiaires ou suite royale au Martinez ?)…, la couleur de son accréditation (jaune = caste des intouchables, blanc = maharadjah)… et les sésames pour la première soirée.
Si les dieux de la Croisette ont été cléments pour mes sbires sur les deux premiers points, ils ont en revanche joué avec leurs nerfs pour le reste.
Ça a commencé mercredi matin par une panne de la ligne 14 (allez tenter de convaincre un métro sans conducteur que le tapis rouge cannois n’attend que les ectoplasmes journalistiques de GatsbyOnline), ça a continué par un train raté, puis un charter bondé, et ça s’est terminé le soir par un écroulement prématuré à 20 heures, horaire d’endormissement certes tout à fait honorable en maison de retraite, mais qui à Cannes peut valoir un bannissement à vie.
À deux pas du Palais des festivals, rêvant à un monde meilleur dans lequel les métros fonctionneraient, mes sbires n’ont ainsi vu ni la cérémonie d’ouverture, ni le film Gatsby Le Magnifique, ni la fête d’après projection dédiée aux Années folles.
Mais, désireux de ne pas décevoir les internautes qui imaginaient toute l’équipe de leur site favori, déjà en train d’arroser de champagne des Aphrodites provenant de chez Elite, ils (et elles) ont dû mettre au point le scénario d’une soirée gatsbyesque totalement inventée…, dansant toute la nuit en compagnie de cette flapper de Daisy / Carey Mulligan, tout en fraternisant avec Léonardo DiCaprio qui leur donnait généreusement du old sport….
L’énigmatique Jay Gatsby s’est réincarné si souvent, et sous de si nombreuses caméras, et sur tant de scènes, qu’on ne sait plus, au final, s’il est une fiction, un mythe, un filon ou un vieux camarade avec lequel on a appris à grandir et à rater sa vie.
Muet (en 1926) dans le film de Herbert Brenon, trop bavard (en 1949) dans celui d’Elliott Nugent (Le prix du silence, avec Alan Ladd), chanteur (en 1999) dans l’opéra de Harbison, glamourissime sous les traits de Robert Redford et très bruiyant en 2013, il n’en finit pas de hanter un imaginaire contemporain en mal de héros déçus.
On a annoncé de la 3D…, une reconstitution du manoir de Gatsby façon parc d’attractions des années 20…, un conte de fées gothique, fastueux et paranoïaque…, une bande originale dirigée par le roi du hip-hop Jay-Z…, du charleston joué à l’orgue par le descendant dégénéré de Beethoven…, la plus longue scène de fête de l’histoire du cinéma : Gatsby, 10 mètres au-dessus d’elle, faisant pleuvoir des centaines de chemises sur Carey Mulligan pour lui montrer une infime partie de ce qu’il possède.
On y dépeint, en réalité, une high society dansant au bord du gouffre dans une apocalypse à la fois joyeuse et tragique, des bouteilles de champagne grosses comme le Ritz, mais surtout un DiCaprio fiévreux et froid, qui n’a jamais été, même dans Titanic, aussi fou amoureux…, à la fois le plus corrompu des hommes et celui qui poursuit le rêve le plus incorruptible !
Gatsby le Magnifique, c’est quoi en cinéma ? Les fiestas hallucinantes de l’âge du jazz ? L’érotisme mélancolique made in Long Island ? Les flappers désoeuvrées et un peu garces ? Les diplômés de Yale trop alcoolisés ? L’Amérique snob et WASP intoxiquée par le fric ? L’ennui ? Les préjugés ?
Un peu de tout cela, of course…, mais le mythe Gatsby, c’est d’abord, et au choix : une injection de romantisme dans du capitalisme triomphant…, une façon de dire “j’arrive de nulle part, mon passé est plus trouble qu’un marécage, et pourtant je vous fascine”…, une recette de best-seller (puisqu’un best-seller raconte toujours l’histoire d’une princesse, ou d’un prince, qui pleure)…
À travers Jay Gatsby, c’est la bonne vieille morale puritaine de la côte Ouest qui reprend des couleurs : 1. L’argent ne fait pas le bonheur, mais il vaut mieux en avoir… 2. L’argent sans la naissance ressemble à une Rolls avec un pneu crevé… 3. Les romantiques n’auront jamais la meilleure place dans les arènes de la réputation…
Tel était, du reste, le credo du pauvre et génial Francis Scott Fitzgerald, le vrai papa de Jay.
En 1925, son roman fut un échec commercial… et, pour Scott, cet échec en inaugura beaucoup d’autres.
Il lui restait encore quinze ans de vie et d’ivrognerie.
C’était bien parti pour mal finir.
Tout cela existe encore actuellement, c’est la jeunesse dorée dont les maîtres à penser se nomment Kim Kardashian et Paris Hilton.
Fitzgerald, décidément grande star de cette édition cannoise, avait raison : les riches sont différents, ne serait-ce que parce qu’ils font d’excellents sujets de films.
Jeudi soir, l’équipe de GatsbyOnline s’apprêtait à se rendre à une projection nocturne, histoire de démontrer aux internautes que Cannes, c’est avant tout de la sueur, du dévouement et de l’abnégation.
C’était compter sans le zèle de notre ami Pierre, surnommé Orang-outan, noctambule émérite qui s’invite dans les clubs huppés avec plus de facilité et de dextérité qu’Arsène Lupin dans les coffres forts.
Épouvanté par l’endormissement précoce de la veille, cette âme généreuse s’était fixé pour mission d’initier chacun/chacune aux soirées locales, et débuta l’éducation générale emmenant tout le monde au Silencio.
Le guet-apens fut d’autant plus vicieux qu’il mit un point d’honneur à ce que le baptême soit le plus confortable possible en arrosant l’équipe de champagne et de cocktails tous plus adductifs les uns que les autres.
À l’insu du plein gré général, toute l’équipe s’est retrouvé, à une heure indécente, au milieu de l’équipe survoltée du film Suzanne de Katell Quillévéré, braillant et dansant le “mia”.
Mais dans une ville nommée Cannes, les retours de bâton sont plus violents qu’ailleurs.
Le lendemain, la mémoire brumeuse, ils durent ainsi affronter les réalités !
Le plus fascinant au Festival de Cannes, ce n’est ni le tapis rouge, ni l’incroyable densité de films, ni même le nombre impressionnant de sosies de Bernadette Chirac que l’on peut croiser sur la Croisette…, non, le plus fascinant, à Cannes, c’est la vitesse vertigineuse à laquelle on s’habitue à cette bulle en dehors du monde.
Au bout de trois jours, il est ainsi absolument normal de consommer un film au petit déjeuner, de considérer qu’un pétard mouillé sur un plateau de télévision est un événement bien plus important que les dernières révélations sur l’affaire Karachi, puis tard dans la nuit, sur la terrasse du Silencio, de tomber sur un vieil ami en smoking, alors qu’il y a dix ans à peine, on partageait avec lui des pâtes d’étudiants et des soirées en jogging au Macumba du coin.
Vendredi soir, c’était la fête Canal+ à Mougins.
Pour s’y rendre, toute l’équipe de GatsbyOnline a dû d’abord ruser en passant par la fenêtre de l’hôtel afin d’éviter le couvre-feu à distance que j’avais imposé imposé, très mécontent du rendement merdiatique diurne et de leurs escapades nocturnes.
Puis l’équipe (mes sbires) a emprunteé un bus-navette, ce qui a donné à leur soirée des airs de colonie de vacances, avec un nombre troublant de gens beaux, du risotto à la place des petits-beurre, Daft Punk plutôt que Pierre Perret, et Rodolphe Belmer en GO.
Samedi matin, leurs maux de tête, qui devaient a priori plus à Bacchus qu’à Oedipe, les ont empéché d’œuvrer à la sauvegarde cinématographique…
Je les ai donc renvoyé dans leurs pénates, bien décidé à terminer seul, le Festival de Cannes 2013…
J’espère que Pierre, alias Orang-outan n’aura trouvé aucun réconfort psychologique dans cette longue et bavarde séance freudienne, cet ennemi juré des festivaliers clubbeurs, ne mérite en conséquence, guère plus que la psychothérapie d’un Indien des plaines !
Tout ça pour comprendre quoi au juste ?…, m’a soufflé Philippe, dit Philou…, toujours pertinent !
Rien…