La fin programmée du mâle…
Trouver et séduire un ou une partenaire est une des plus puissantes forces de l’évolution. Mais les mâles ont beaucoup moins d’importance que les femelles. Et même, certaines espèces peuvent se passer d’eux. Dans son « Manuel universel d’éducation sexuelle à l’usage de toutes les espèces », la chercheuse britannique Olivia Judson répond, scientifiquement et plaisamment, sous le pseudonyme de Dr Tatiana, à des animaux préoccupés par leur reproduction. Comme le courrier du cœur ou du sexe d’un magazine féminin.
Parmi les correspondants, un invertébré aquatique d’un demi-millimètre de long qui affirme que, depuis 85 millions d’années, ses ancêtres ont exterminé les mâles. Cette demoiselle rotifère se reproduit tout simplement par clonage. Une pratique utilisée par des milliards d’organismes, comme les éponges, les anémones de mer ou encore diverses sortes de vers.
Pour la biologiste de l’Imperial College de Londres, l’occasion est belle de signaler que le cas du rotifère est exceptionnel : la majorité des espèces asexuées s’éteignent en effet assez rapidement. Et dire que si nous en comprenions la raison, d’importantes implications pourraient en être tirées.
Actuellement, une vingtaine de théories prétendent expliquer le rôle de la sexualité. Selon l’hypothèse du biochimiste suisse Hermann Müller, Prix Nobel de médecine, la disparition des organismes asexués serait causée par l’accumulation de mutations néfastes. Les espèces sexuées échapperaient à ce destin parce que le brassage des gènes, de génération en génération, ferait qu’il y aurait toujours des individus peu sujets aux mutations.
Aujourd’hui, on n’est pas en mesure d’évaluer les taux de mutation chez les espèces asexuées. S’ils s’avéraient relativement bas, il faudrait explorer d’autres pistes, juge Olivia Judson. Mais, s’il se confirmait que ces taux sont généralement élevés, l’étonnante persistance des rotifères tiendrait à un procédé évolutif qui réduirait leur taux de mutation. Un moyen de survivre que n’auraient pas trouvé les autres organismes asexués. Le sujet est à la mode. Deux livres récents nous annoncent que l’avenir des mâles est compté. Mais que les femmes ne se réjouissent pas trop vite ! Le moins qu’on puisse dire, c’est que Bryan Sykes, généticien britannique de grand talent, n’est pas tendre avec les mâles. Dans son dernier livre, le généticien qualifie les porteurs d’un chromosome Y, tantôt de nabots solitaires, tantôt de ruines génétiques, quand ce n’est pas de cimetières de gènes en putréfaction. Dès lors, il était tentant de voir dans « La malédiction d’Adam » un ouvrage qui ne fait rien d’autre que d’annoncer la fin programmée des mâles.
Ce n’est certes pas tout à fait faux, mais diablement réducteur. Car, avant tout, cet ouvrage est une formidable leçon de génétique, ou du moins de génétique des populations. Cette science permet simplement en regardant nos chromosomes de rechercher nos ancêtres communs. Et, plus globalement, de réécrire toute l’histoire de l’humanité, en utilisant comme témoins du passé non plus des fragments d’os, des écrits, des monuments, mais des gènes qui ne sont en fait que le résultat de cet immense brassage auquel nos parents, leurs parents, etc. ont participé et auquel nous n’avons de cesse de participer nous-mêmes.
Telle est donc la vocation de Bryan Sykes, et il a choisi de raconter cette histoire de l’humanité comme un récit de bataille. Ici, une bataille entre les sexes puisque, dès lors qu’il y a, dans la plupart des espèces, des individus de deux sexes, ceux-ci ont chacun des gènes qui ont des intérêts divergents. Ce qui, en termes d’histoire humaine, se résume à un conflit entre un gène avorton et un modèle d’efficacité allégée, l’ADN mitochondrial, un petit bout de matériau génétique localisé dans une sorte d’organe que possèdent toutes nos cellules (la mitochondrie) et que seules les mères transmettent à leurs seules filles.
Répétons-le : aucun grand groupe d’êtres vivants ne semble avoir renoncé au sexe. Il y a bien la plupart des pucerons de pissenlits qui sont des clones, et un lézard dont on n’a jamais trouvé de mâle. Mais, à part ces exemples anecdotiques, il semble que la nature aime se compliquer la vie et ne soit pas prête à renoncer au sexe. Pourquoi donc ?
Sans doute pour plusieurs raisons, mais surtout pour préserver la survie des espèces, en leur permettant une grande diversité, qui permet de minimiser le risque de voir toute l’espèce décimée par exemple par un virus qui aurait trouvé un point faible précis. Si l’humanité était faite de clones, tout le monde aurait ce point faible et tout le monde succomberait au virus exploitant cette faille.
Le monde est donc bien fait… sauf que, dans notre espèce, il a placé le gène du sexe (SRY) sur un chromosome qui semble tomber en complète déliquescence. Citons le généticien : Dès lors qu’il s’est vu priver de l’occasion de se recombiner (puisqu’il est unique, contrairement à tous les autres chromosomes qui sont doubles et dont nous héritons un peu de chacun de nos deux parents), il commence à se décomposer parce qu’il ne saurait réparer les dégâts infligés par la mutation.
De plus, la nature est ainsi faite que la femme ne produit, sur toute sa vie, que quelques dizaines d’ovules, alors que le mâle fabrique des milliards de spermatozoïdes. Bryan Sykes a pris sa calculette et a estimé que l’ADN (pour rappel : le programme génétique) d’un homme de 60 ans a déjà été copié un millier de fois avant d’être dans un spermatozoïde prêt à l’action alors que, quel que soit l’âge de la femme, les cellules de ses ovules ne connaissent que vingt-quatre divisions avant d’être libérées pour la fécondation. En d’autres termes, les cellules mâles sont terriblement chahutées… et, pour Bryan Sykes, cela ne pourra durer éternellement. Le mâle devrait disparaître dans 125.000 ans. Mais évidemment les femmes ne devraient pas y survivre, car elles seraient à la fois vainqueurs et victimes de cette guerre des sexes. Le calcul est un peu bizarre, mais l’auteur l’affuble d’une précaution oratoire : « Si rien ne change d’ici là »…
Il ouvre quelques portes, comme celle de la parthénogenèse, la reproduction sans sexe, en soulignant cependant sa « difficulté technique »… Mais l’encre de son livre était à peine sèche que des chercheurs coréens annonçaient avoir réussi à produire des souriceaux sans père ! Bryan Sykes, « La malédiction d’Adam, Un futur sans hommes », Albin Michel, 406 pages, 24,10 euros.