Qui oserait chanter cela aujourd’hui…?
Les Flamingants, chanson comique !
Messieurs les Flamingants, j’ai deux mots à vous rire
Il y a trop longtemps que vous me faites frire
A vous souffler dans l’cul, pour dev’nir autobus
Vous voilà acrobates mais vraiment rien de plus
Nazis durant les guerres et catholiques, entre elles
Vous oscillez sans cesse du fusil au missel
Vos regards sont lointains, votre humour est exsangue
Bien qu’il y ait des rues à Gand qui pissent dans les deux langues
Tu vois, quand j’pense à vous, j’aime que rien ne se perde
Messieurs les Flamingants, je vous emmerde
Vous salissez la Flandre, mais la Flandre vous juge
Voyez la mer du Nord, elle s’est enfuie de Brugges
Cessez de me gonfler mes vieilles roubignoles
Avec votre art flamand italo-espagnol
Vous êtes tellement, tellement beaucoup trop lourds
Que quand les soirs d’orage, des Chinois cultivés
Me demandent d’où je suis, je réponds fatigué
Et les larmes aux dents : “Ik ben van Luxembourg”
Et si, aux jeunes femmes, on ose un chant flamand
Elles s’envolent en rêvant aux oiseaux roses et blancs
Et je vous interdis d’espérer que jamais
A Londres, sous la pluie, on puisse vous croire anglais
Et je vous interdis, à New York ou Milan
D’éructer, messeigneurs, autrement qu’en flamand
Vous n’aurez pas l’air con, vraiment pas con du tout
Et moi, je m’interdis de dire que je m’en fous
Et je vous interdis d’obliger nos enfants
Qui ne vous ont rien fait, à aboyer flamand
Et si mes frères se taisent et bien tant pis pour elles
Je chante, persiste et signe, je m’appelle : Jacques Brel !
Chanson coup de gueule sans aucun doute contre les flamingants…
Brel, un artiste plus belge que les flamands et wallons réunis, car que dire de sa magnifique chanson : “Le plat pays” qui était le sien…
Avec la mer du Nord pour dernier terrain vague
Et des vagues de dunes pour arrêter les vagues
Et de vagues rochers que les marées dépassent
Et qui ont à jamais le cœur à marée basse
Avec infiniment de brumes à venir
Avec le vent de l’est écoutez-le tenir
Le plat pays qui est le mien…
Avec des cathédrales pour uniques montagnes
Et de noirs clochers comme mâts de cocagne
Où des diables en pierre décrochent les nuages
Avec le fil des jours pour unique voyage
Et des chemins de pluie pour unique bonsoir
Avec le vent d’ouest écoutez-le vouloir
Le plat pays qui est le mien…
Avec un ciel si bas qu’un canal s’est perdu
Avec un ciel si bas qu’il fait l’humilité
Avec un ciel si gris qu’un canal s’est pendu
Avec un ciel si gris qu’il faut lui pardonner
Avec le vent du nord qui vient s’écarteler
Avec le vent du nord écoutez-le craquer
Le plat pays qui est le mien…
Avec de l’Italie qui descendrait l’Escaut
Avec Frida la Blonde quand elle devient Margot
Quand les fils de novembre nous reviennent en mai…
Quand la plaine est fumante et tremble sous juillet
Quand le vent est au rire quand le vent est au blé
Quand le vent est au sud écoutez-le chanter
Le plat pays qui est le mien…
Dès 1952, dans l’album “Les flamandes”, Jacques Brel reproche à ses compatriotes, de “trop s’occuper du pognon et des enfants et pas assez de leur mari”…
Des propos qui ont déplu fortement aux flamands…
Les incompréhensions se multiplièrent, Brel qui n’est plus franchement le bienvenu en Flandre, enfonce le clou, il ne peut supporter qu’en 1968, les francophones soient chassés de l’université de Louvain.
Sur son dernier album, il dédie aux extrémistes de la cause néerlandophone un ultime brûlot, les “F…” : les Flamingants, dans lequel, il leur “interdit d’obliger nos enfants, qui ne vous ont rien fait, à aboyer flamand”…
Si Brel? né dans la commune Bruxelloise de Schaerbeek, parle essentiellement le Français, il se définit toutefois comme “Flamand”.
“Je suis Flamand, je suis de caractère flamand, je débloque comme un “Flamand”, aimait à rappeler Brel, dont le père était orginaire de Menin, une ville flamande proche de la frontière française.
Mais avec le grand Jacques, on pouvait rire aussi…, du “Au suivant “, exaspéré… “Vezoul”…en raleur, “Les bonbons”…, en vers acides, lucide et triste avec l’horloge qui fait tic, tac, de la chanson “Les vieux “ , tendre comme un chamalow avec “Jeff” et dur comme du papier de verre avec “Les bourgois”…, mais pleurer avec “les vieux amants”, avoir la fièvre avec “Amsterdam” et se sentir seul au monde avec “Orly”
Jacques Brel décapait la socièté et tout ce qui le dérangeait en y mélant un humour grave et moqueur…
Il parait que personne n’est irremplacable…, vieux, Jacques Brel ne le deviendra jamais, il nous a quitté à l’âge de 49 ans…
Auteur, compositeur, chanteur exceptionnel et bon acteur, Brel était un homme en soif d’amours, de tendresses, d’aventures et de curiosités, un personnage hors du commun, qui fut un immense artiste !
“J’aime trop l’amour pour beaucoup aimer les femmes”…
Aux femmes, Brel a toujours préféré la camaraderie virile, les amitiés d’hommes, les copains qui rient, qui bougent, qui se tapent sur l’épaule… et l’a précisé dans de nombreuses interviews.
L’amour, c’était pour lui celui des contes de fées de l’enfance, avec une princesse si belle que rien d’autre n’existe, une passion si grande que l’histoire finit là, que le temps disparaît et le monde avec lui.
Or, dans la vraie vie, la femme n’est pas à la hauteur de ses rêves d’enfant.
“Au lieu de pousser l’homme à grandir, à conquérir le monde, à se dépasser, au lieu de le faire rêver, elle cherche, selon lui, à l’enfermer, à le rapetisser”…
Bref, Brel chante l’amour idéal, mais reste au concret…, peut-être un “peu” misogyne.
Brel est pourtant entouré de femmes.
Il se marie en 1950, (il a vingt-et-un ans) et aura trois filles, puis, bien après, il s’éprendra de Maddly Bamy, sa dernière compagne, rencontrée sur le tournage de “L’Aventure c’est l’aventure” en 1972.
Il lui aurait dit, en partant avec elle vers les îles Marquises : “Tu es la première femme que j’emmène”.
Ainsi, Brel a toujours cherché l’amour, mais celui des légendes, celui qui reste hors d’atteinte.
Parlant dans une émission de radio de Roméo et Juliette et de sa si belle chanson “Ne me quitte pas”, Brel précise que : “Les hommes la chantent, cette chanson, mais très rarement les femmes. Pour deux raisons : d’abord parce que les hommes n’ont plus le temps d’être amoureux à ce point-là. Y a plus moyen d’être Roméo, on est tous bouffés, et, en plus, parce que les femmes valent très rarement le coup d’être considérées comme Juliette”.
Pourtant, Brel assure que l’amour est le plus fort, même s’il perd l’homme…
Ça fait cinq jours, ça fait cinq nuits
Qu’au-delà du fleuve qui bouillonne
Appelle, appelle la lionne.
Ça fait cinq jours, ça fait cinq nuits
Qu’en deçà du fleuve qui bouillonne
Répond le lion à la lionne.
Lorsqu’il est interviewé en 1960 sur Radio Luxembourg à propos de cette chanson, Jacques Brel explique comment grandit chez le lion une passion chaque jour plus violente.
Puis un jour, n’y tenant plus, le lion, car il en est toujours ainsi, le lion se jeta dans le fleuve et s’y noya : “Je me demande”, ajoute Brel : “combien de fois je me suis noyé et combien de fois je vais encore me noyer”.
Brel dit et répète pourtant en chanson que seul l’amour peut sauver.
Sans doute en est-il aussi persuadé : le mythe est si beau qu’il peut bien supporter les contradictions…
Quand on n’a que l’amour
À s’offrir en partage
Au jour du grand voyage
Qu’est notre grand amour
Quand on n’a que l’amour
Mon amour toi et moi
Pour qu’éclatent de joie
Chaque heure et chaque jour…
Peu intéressé par l’école, excepté par les cours de français, il joue des pièces de théâtre en amateur au sein de la Franche Cordée, et son père le fait entrer dans la cartonnerie familiale, travail pour lequel il n’a aucun goût.
Il réfléchit très sérieusement à une reconversion, soit dans l’élevage de poules, soit dans la chanson.
Il choisit cette dernière voie.
Il écrit n’importe où, n’importe quand.
À partir de 1952, il compose ses premières chansons qu’il chante dans le cadre familial ou lors de diverses soirées dans des cabarets bruxellois.
Il fait déjà preuve de cette puissance lyrique (tant dans les textes que dans son interprétation) qui rebute sa famille, qui ne l’encourage pas à continuer.
Il persévère tout de même et, en 1953, sort un 78 tours.
Ensuite, il quitte la capitale belge pour se rendre seul à Paris appelé par Jacques Canetti, découvreur de talents, travaillant chez Philips et propriétaire du cabaret : “Les trois baudets“.
Sa famille lui coupe alors les vivres et il se retrouve sous les toits d’un hôtel à Pigalle.
Pour gagner un peu d’argent, il enseigne la guitare…
Malgré les conditions de travail (il n’avait pas de loge et devait se changer derrière le bar de l’Olympia…), Bruno Coquatrix le remarque et le félicite de sa prestation, l’invitant à lui rendre visite pour discuter d’un prochain passage.
Ce sont les années de galère.
En 1955, il fait venir sa femme et ses enfants.
Ils s’installent à Montreuil.
Ce sera l’année de son premier 33 tours.
Comme il chante pour des organisations chrétiennes, Georges Brassens le surnomme gentiment “l’abbé Brel “…
Petit à petit, Brel trouve son public, et rencontre le succès lors de ses spectacles.
En 1957, c’est le second 33 tours, qui reçoit le Grand prix de l’Académie Charles-Cros, et fin 1958, c’est le succès à l’Olympia, en première partie…, il sera tête d’affiche à Bobino, l’année suivante, fin 1959 !
À partir de là, les tournées s’enchaînent à un rythme infernal, Brel faisant parfois plus de concerts qu’il n’y a de jours par année.
En 1966, il décide d’abandonner la chanson.
Le 16 mai 1967, il donne son dernier récital à Roubaix.
Mais il ne reste pas inactif pour autant, durant l’été 1967, il tourne dans son premier long métrage, “Les Risques du métier” du réalisateur André Cayatte.
Ce sera un succès.
Puis il commence à voyager en voilier…
En 1968, à Bruxelles, il crée la version francophone de “L’Homme de la Mancha”, interprétant le rôle-titre de don Quichotte aux côtés de Dario Moreno dans le rôle de Sancho Pancha.
Suite au décès de ce dernier, Robert Manuel reprend le rôle lorsque le spectacle est présenté en décembre à Paris.
Au début de l’été 1969, il interprète, dans le film d’Édouard Molinaro, dont il fait également la musique avec François Rauber, le rôle de “Mon oncle Benjamin” aux côtes de Claude Jade, film Hilarant !
“Mon oncle Benjamin” avec Claude Jade.
Il sort des longues et fatigantes représentations de “L’Homme de la Mancha” qui a été un beau succès et il a gardé pour le film les cheveux longs de don Quichotte.
Jacques est passionné d’aviation, à l’aérodrome de Toussus-le-Noble, le dernier jour, il était heureux à l’idée de s’envoler vers le Midi et a parlé de cette passion, des ciels, des paysages, des voyages…
Il va tourner ensuite dans un certain nombre de films, et en réalisera un lui-même en 1971, “Franz” (Barbara écrivant une partie de la musique), puis un deuxième qui sort en 1973, “Far West”, qui sera un échec…
Son dernier rôle reste mythique : il campe le dépressif Francois Pignon le personnage récurrent de Francis Veber, face au tueur à gages : Monsieur Milan, alias Lino Ventura, ( grand ami dans la vie) dans “L’Emmerdeur”, à nouveau réalisé par Édouard Molinaro.
“L’homme est comme ça l’homme mais la femme elle l’est comme ça”…
Jacques Brel et Lino Ventura, un autre grand acteur !
Il rencontre également le succès en Amérique et en Angleterre.
Des traductions en anglais de ses chansons rencontrent le succès et sont enregistrées par David Bowie (Amsterdam), Scott Walker (Amsterdam, Mathilde), Marc Almond, le groupe Goodbye Mr. Mackenzie (Amsterdam), Terry Jacks et Alex Harvey.
“Jacques Brel is alive and well and living in Paris“, est une comédie musicale américaine qui est jouée autour du monde pendant plusieurs années.
Elle comprend des traductions rimantes définitives, assemblées par un ami de Jacques Brel, Mort Shuman, en 1968.
En 1974, il abandonne tout et part en voilier (l’Askoy) avec sa compagne Madly Bamy qu’il a rencontrée lors du tournage du film, “L’Aventure c’est l’aventure” de Claude Lelouch.
Un film délirant et toujours agréable à voir !
Avec Madly, dans “L’aventure c’est l’aventure”
Mais il se sait déjà malade et décide de se retirer aux Marquises..
Pilote privé depuis le 28 juin 1965 (brevet TT 16060) et utilisateur d’un bimoteur Beechcraft Twin-Bonanza immatriculé F-ODBU acheté par Madly le 30 novembre 1976, il y fait l’avion-taxi pour rendre service aux habitants en les transportant entre Hiva-Oa (Marquises) et Tahiti sur un trajet maritime de 1430 km demandant de 4h20 à 5 heures de vol.
En 1977, malgré la maladie qui gagne du terrain, il revient à Paris pour enregistrer son dernier album.
La chanson, “Les Marquises”
Jacques Brel n’est pas seulement dans l’archipel des îles Marquises, il est encore et toujours avec nous…
Grand, Jacques Brel l’était et le restera encore longtemps !
Moi, la Breltitude, je ne m’en lasse pas…
Le seul fait de rêver est déjà très important.
Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques uns.
Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer et d’oublier ce qu’il faut oublier.
Je vous souhaite des silences…
Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil… et des rires d’enfants.
Je vous souhaite de résister à l’enlisement, à l’indifférence, aux vertus négatives de notre époque.
Je vous souhaite surtout d’être vous.
Jacques Brel.