Marilyn Monroe, Fragments…
Le 5 août, c’était le 48e anniversaire de la mort, à 36 ans, de Marilyn Monroe, née sous le nom de Norma Jeane Mortenson, baptisée sous le nom de Norma Jean Baker, et plus célèbre sous son seul prénom, Marilyn.
C’est l’apanage des figures mythiques de s’incarner dans leur seul prénom.
Et Marilyn l’est, assurément.
Quarante-huit après son décès qui reste mystérieux, Marilyn reste dans toutes les têtes.
On se rappelle ses prestations dans Certains l’aiment chaud, Niagara, Les hommes préfèrent les blondes, Rivière sans retour, Sept ans de réflexion, Les désaxés.
On se rappelle ses retards sur les plateaux de tournage, ses amours malheureuses, ses mariages ratés.
On se rappelle ses « Diamonds are a girl’s best friend », ses « Poumpoum pidou » et son érotissime « Happy Birthday Mr President ».
Plus qu’une star, plus qu’un sex symbol : un mythe !
D’ailleurs, cette actrice qui était mal dans sa peau mais qui représentait davantage qu’elle-même a inspiré Norman Mailer, Michel Schneider, Joyce Carol Oates, des écrivains qui en ont fait un personnage de roman.
C’est ainsi que le mythe atteint l’immortalité !
De Marilyn nous avons trop souvent une image hollywoodienne de bimbo blonde écervelée, d’une croqueuse d’hommes et de diamants.
Marilyn était, certes, une déesse de beauté, aux fesses et aux seins pleins comme dans la statuaire antique, mais elle était sans aucun doute bien davantage que ça.
Le livre Fragments, que va publier le 7 octobre 2010 le Seuil en français et plusieurs autres maisons d’édition en neuf autres langues (anglais, espagnol, italien, allemand, finlandais…), vont nous révéler une autre facette de Marilyn…, qui nous montrera que la photo d’Eve Arnold montrant Marilyn lisant Ulysse, de James Joyce, n’était pas une simple affectation, un simple moment de pause.
D’ailleurs, elle avait interprété, à 26 ans, le monologue de Molly, issu du livre.
Dans ces écrits intimes, Marilyn parle un peu de ses amants, de John Kennedy, mais beaucoup de ses lectures, de son mari, le dramaturge Arthur Miller.
Bernard Comment dirige la collection Fiction & Cie au Seuil.
C’est lui qui édite ces Fragments, avec l’aide de Stanley Buchthal.
Nous l’avons interrogé.
Comment êtes-vous devenu éditeur de Marilyn Monroe ?
Par hasard. C’est une suite de circonstances. Un soir, lors d’un dîner à Paris, Quelqu’un m’a approché. Il m’a dit qu’il savait qu’il restait quelques papiers de Marilyn au Marilyn Monroe Estate. Ça vous intéresse ? m’a-t-il demandé. De fil en aiguille, je suis entré en relation avec Anna Strasberg, la veuve de Lee Strasberg, le fondateur de l’Actor’s Studio, qui est l’héritière des affaires de Marilyn.
Vous étiez un spécialiste de Marilyn ?
Non. Je connaissais évidemment l’actrice, la femme, j’avais lu des choses. Pas davantage. Mais spécialiste, je le suis devenu, une fois que j’ai eu les documents dans les mains. Du coup, j’ai lu beaucoup. Pas tout, évidemment, il y a des milliers de livres. Mais suffisamment pour pouvoir effectuer des recoupements et dater les documents.
Qu’y avait-il dans ces papiers ?
Des poèmes, des articles de presse, des lettres, des écrits divers. Cela va de 1943, elle a 17 ans, à la veille de sa mort, le 5 août 1962.
Vous avez dû faire des choix ?
Nous avons tout publié.
Tout était intéressant ?
Oui, parce que cela constitue un ensemble. Bien sûr, il y a des choses qui peuvent paraître anecdotiques. Mais les rares personnes qui ont lu le livre le trouvent toutes très intéressant, et leurs préférences varient. Il était évident qu’il fallait tout publier. Tout est très touchant, très émouvant. Ce sont des textes d’elle.
Marilyn écrivait beaucoup ?
Elle écrivait presque tous les jours: des textes intimes consignés dans des carnets épars dont une petite partie seulement sera dévoilée. La plupart de ces écrits ont été raflés par le FBI après sa mort et on en a perdu la trace. Il s’agissait de faire disparaître tout ce qui pouvait témoigner de sa liaison avec les frères Kennedy. Marilyn adressait aussi d’innombrables petits mots et des poèmes à ses amis. Il n’était pas rare qu’après avoir passé la nuit à bavarder avec l’un d’entre eux, elle lui fasse parvenir un poème au matin. Ce sont des textes assez froids, sans pathos, qui ont une vraie qualité littéraire. Marilyn avait une plume de poète et un certain talent de scénariste. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à lire la lettre qu’elle adresse à l’un de ses psychanalystes, Ralph Greenson, de l’hôpital psychiatrique new-yorkais où elle est hospitalisée. Tout y est: les couloirs, les cris des malades, les maltraitances. Elle savait faire voir les choses en les racontant mais jamais elle ne s’est autorisée à assumer cela pleinement. Peut-être parce qu’elle était complexée intellectuellement et socialement. Elle n’avait pas suffisamment de souffle pour écrire de longs récits mais peu importe: c’est comme ça qu’elle respirait.
Ces « Fragments » donnent de Marilyn une image nouvelle, différente ?
On a énormément écrit sur elle. Des bios, des témoignages, des romans, des témoignages romancés. Avec beaucoup de mensonges, de déformations, de transformations. Et là, tout à coup, c’est elle qui parle, c’est elle qui regarde et qui ressent. Comme si la caméra jusqu’ici extérieure se retrouvait soudain dans sa tête. C’est un renversement total de perspective.
Et un renversement d’image ?
Oui. Parce que l’image habituelle n’est qu’un cliché de la blonde écervelée. Et on se rend compte qu’elle est tout le contraire : c’est une femme déterminée qui a des exigences intellectuelles, une grande sensibilité, une volonté de bien faire son métier d’actrice. Ces textes sont une magnifique surprise.
Elle parle de Joyce, de Whitman ?
Oui. Et dans sa bibliothèque, il y avait Dostoïevski, Strindberg, Hemingway, Samuel Beckett. Elle avait une large palette d’intérêts. Un rapport intense avec la littérature. Chez elle, il y avait plein de bouquins. Elle en commençait un et, avant de l’avoir terminé, se jetait sur un autre avec l’appétit de ceux qui n’ont pas eu accès aux livres dans leur enfance. Dans la longue lettre envoyée à son psychanalyste, elle raconte qu’elle garde toujours auprès d’elle un portrait de Freud et que L’Interprétation des rêves a été pour elle une révélation. A New York, elle côtoyait plus volontiers des écrivains (Truman Capote, Carson McCullers) que des gens de cinéma. Ces amitiés étaient connues. Une célèbre photo volée la montre lisant Ulysse, de Joyce.
Quel est le principal mérite de ces écrits inédits?
Cette publication permettra enfin au public d’entendre la véritable voix de Marilyn Monroe. J’ai découvert que cette femme sublime était aussi touchante et intelligente. Il m’a fallu lire entre les lignes des multiples biographies qui lui ont été consacrées, il m’a fallu traquer patiemment les indices dans les témoignages des célébrités qui l’ont côtoyée pour apercevoir l’envers du décor: Marilyn goûtait la saveur des mots et cherchait sa vérité parmi les livres. La légende du sex-symbol lisse s’est superposée à la vraie Marilyn.
Mais la star était complice de son mythe…
Elle semblait dire: “Prenez mon corps, c’est tout ce que vous aurez. Le reste, l’âme, la réflexion, ça m’appartient.” Il y avait chez elle le besoin de se protéger par une image convenue de ce qui était sa grande douleur : avoir à parler, à penser. L’immense actrice bégayait devant la caméra, elle avait du mal à retenir ses répliques, elle avait un réel problème d’expression. C’est un phénomène fréquent chez les écrivains. Pour eux, le langage ne va pas de soi; ce qui les oblige à réfléchir au sens des mots, à leur son, à leur couleur, à leur enchaînement. Femme de mots autant que d’image, Marilyn a passé la moitié de sa vie d’adulte en psychanalyse. La cure par la parole ne l’a pas soignée, mais c’est une voie qu’elle a voulu explorer, tout comme celles de la lecture et de l’écriture.
Pourquoi l’a-t-on enfermée dans son statut de ravissante blonde idiote ?
Sa beauté l’a rendue otage du regard des cinéastes et du public. C’était sans doute compliqué pour les hommes de son époque, fascinés par la bombe sexuelle, comme pour les femmes, qui s’identifiaient à son innocence bafouée, d’admettre que la plus belle actrice du monde était également une personne sensible et réfléchie. Et ce n’est pas forcément plus simple aujourd’hui d’être reconnue pour son intelligence quand on est très jolie. Cette distorsion entre ce qu’on croyait savoir de Marilyn et ce qu’elle était m’a fasciné. C’est le plus douloureux dans la vie: être pris pour ce que l’on n’est pas.
Qui peut se vanter de réellement connaître la mythique Norma Jean Baker ?
Indépendamment de trouver un élixir de résurrection, Marilyn Monroe a sombré en emportant ses secrets qui, par conséquent, ne seront jamais révélés. Un sinistre sort sur lesquels des millions de fans s’apitoient chaque jour. Qui était-elle ? Jouait-elle ou était-elle sincère ? Quelles sont les causes de sa mort ? Autant de questions qui ne trouveront jamais de réponses.
Il y a une certaine mélancolie dans le ton du livre, et ce qui est très beau dans certaines notes est la façon avec lesquelles s’associent les idées, même si elles sont disséminées sur la page.
Loin d’être une blonde niaise et superficielle, Marilyn Monroe était une fervente adepte de littérature. Elle admirait également Samuel Beckett, aux succès naissants, alors qu’elle fréquentait l’Actor’s Studio, à son arrivée à New York. Plus surprenante encore, sa fascination pour le barde Walt Whitman, le fondateur de la poésie américaine moderne.
Votre livre risque d’être un tsunami éditorial !
Sans forfanterie aucune, je crois que oui. Des bouquins sur Marilyn, il y en a eu des centaines, mais jamais des textes écrits par elle n’ont été publiés. Personne ou presque n’en soupçonnait l’existence. Elle irradiait, il y avait chez elle cette part de mystère qui crée les mythes. A mes yeux, au rang des immortelles, il y a la Joconde et il y a Marilyn.
Jusqu’à la parution, le contenu restera-t-il entouré du plus grand secret ?
C’est un éclairage totalement nouveau sur le mythe. Les premiers textes datent de 1943, alors qu’elle avait 17 ans, les derniers de 1962, l’année de sa mort. En la lisant, on comprend à quel point Marilyn a toujours voulu échapper au rôle dans lequel Hollywood l’enfermait. C’était une femme, sensible, profonde, exigeante. A l’intérieur de ce corps vivait l’âme d’une intellectuelle dont personne n’avait le soupçon. Ses passions amoureuses, d’Arthur Miller à John Kennedy, y sont évidemment évoquées. J’ai traduit moi-même les textes de l’actrice. 20% étaient tapés à la machine mais tout le reste était manuscrit. J’ai été plus qu’ému, troublé, bouleversé quand j’ai eu ces textes en main. Marilyn avait une très belle écriture. A part moi, seul Denis Jeambar, le patron, était au courant. Fort de 272 pages, illustré par quelque 100 photos, dont certaines inédites, Fragments sera vendu 29 euros.
Vous êtes l’auteur de 14 livres, romans et essais et vivez à Paris depuis une vingtaine d’années. Avant cela, vous avez passé quatre ans en Toscane avec votre compagne en enseignant notamment le français à Pise. Malgré vos voyages, vous êtes toujours resté attaché au Jura de votre enfance !
J’ai vécu à Porrentruy jusqu’à l’âge de 19 ans. J’ai consacré à ma terre natale un livre intitulé «Entre-Deux, une enfance en Ajoie» où j’évoque notamment ma passion du foot. L’enfance est comme une petite valise qu’on garde toute sa vie avec soi. Outre que ma mère vit toujours dans le Jura, je gère l’héritage de mon père, l’artiste peintre Jean-François Comment. Simple regret: faute de temps, je ne peux pas y retourner aussi souvent que je le souhaiterais.