Vous ne parlez que de ses erreurs, comme d’une punition de sa splendeur passée…
L’homme est en sueur, il soulève lentement, péniblement une haltère et tente de l’élever au-dessus de ses épaules… Une fois, deux fois, sans succès, ses muscles tremblent, le ventre rebondi distend le tee-shirt. Vaincu, il repose la masse de fonte et, dans le mouvement qu’il fait, découvre son crâne à demi dégarni : la caméra s’approche d’un visage empâté, empourpré par l’effort… Dans un exercice d’autodérision, Brando endosse l’uniforme du commandant Penderton sous la direction de John Huston dans “Reflets dans un oeil d’or“…
Avec Elisabeth Taylor (Reflets dans un oeil d’or 1967).
Officier caserné dans une école militaire, guetté par l’impuissance, trompé et bafoué publiquement par sa femme Léonora, sotte, volage, kleptomane, et finalement tenaillé par une homosexualité qu’il n’ose s’avouer : voilà le prototype de personnage qui fascine alors Brando…
L’extraordinaire acuité de sa prestation tient en un subtil équilibre entre trois approches du rôle : interpréter ce qu’il déteste, humaniser un effrayant catalogue de vices et de médiocrité, nourrir les situations de son expérience et de ses désarrois personnels…
L’homme se met à nu et n’esquive aucune posture humiliante, l’acteur lui, n’oublie jamais qu’il joue, tend son bon profil et libère à la seconde près les larmes de la plus intime confession…, pour ensuite se retourner vers l’expression que lui renvoie le miroir, un sourire forçé …
Marlon Brando, un mythe…
Comme les visages gravés au flanc du mont Rushmore, les géants de Hollywood sont des effigies de granit…
Apolitiques ou engagés, ils incarnent l’Amérique dont ils répercutent les fiertés : Gary Cooper, Gary Grant, Kirk Douglas, Paul Newman, Clint Eastwood…, passent du stade de jeunes premiers à celui de star sans perdre un atome de leur superbe…
Ils se burinent sans vieillir, se densifient sans s’épaissir, blanchissent sans se voûter…
Au seuil du trépas, Fred Astaire esquissait un entre-chat et John Wayne poussait la porte de l’au-delà comme s’il entrait au saloon…
Marlon Brando, lui, reflétait la vie, la mort, la vraie, celle qui ressemble à la nôtre, avec ses doutes, ses chagrins, ses bonheurs, ses malheurs et son lot de questions existentielles…
S’il était l’égal de tous “ces grands”, ce n’est pas sous l’aspect d’une statue figée pour l’éternité, mais avec le visage d’un homme qui a, certes connu la gloire, mais aussi les tragédies, un homme qui a souffert, qui a fait souffrir, aimé et été aimé, mais aussi détesté, qui a crié, ri, pleuré, qui se débattait et se défaisait ….
Brumeux il est là, derrière la fenêtre, dans l’appartement et dans le rapport amoureux. Brando se voile, soudain dans la folie se réveille, tout exulte la vie et la douleur du dedans…
Je ne t’avais pas vu pense-t-il.
Je te désire et ne te connaîtrais pas, ne pas te perdre, t’aimer et ne pas à la fois. Ardent mais silencieux. Fuir encore puis te rattraper. Te dénigrer, t’adorer, t’aimer au milieu de la chambre nue, à nous seuls, réservée, t’oublier ensuite. Te pousser à l’affrontement, me retourner sur moi-même et manger ma douleur, jusqu’à l’explosion. Boire et danser unis encore une fois. Erotiques, saouls. Le tango, le tango, ivre, nous verse ses larmes, tout en retenue, animal ensuite. Brando porte la femme, son amour, qui part…
Alors, Marlon court, s’essouffle, fou, toujours plus, humain, exceptionnel, fougueux et violent. Recracher la souffrance, je crois brûler, en finir…
Maria : Tu es vieux tu sais … et puis tu deviendras gras…
Brando : Gras ! Trop aimable…
Maria : Tu perds tes cheveux et ceux qui restent sont presque blancs.., tu seras bientôt dans un fauteuil roulant…
Brando : Possible …, mais je serai un vieillard joyeux partant vers l’éternité …
Avec Maria Schneider dans Le Dernier Tango à Paris (1972).
Si d’autres stars deviennent des mythes parce qu’ils disparaissent en pleine gloire à un âge où tout est encore possible…, tel James Dean ou Marilyn Monroe qui ont assurés leur gloire en mourant jeunes, Brando a porté la sienne, de son vivant, comme un fardeau, jusqu’au bout, dont le cœur, sollicité à l’excès, a fini par le lâcher, laissant la fibrose pulmonaire qui le rongeait, l’emporter…, avec ses remords, ses succès, ses échecs, ses drames et les malédictions d’un destin hors norme…
Quand on lui demanda au service militaire, sa race, Marlon répondit : Humaine…
On a dit qu’il avait été créé pour le cinéma et pour le cinéma, mais le cinéma n’était pas pour autant primordial pour lui.
Ce peut-être un moyen commode pour recueillir les fonds nécessaires à ses activités humanitaires, voire l’occasion d’économiser quelques coûteuses séances de psychothérapie…, sans doute haïssait-il la société du spectacle, Brando ne thésaurisait pas : expérimentateur perpétuel, il venait et allait pour recueillir de son siècle les avanies, les humeurs mauvaises, ou regarder les vagues à l’âme du Pacifique…
Vénéré comme un demi-dieu à un âge où les dons vacillent encore, il sera foudroyé par Establishment au sommet de son art.
Victime d’une incroyable série d’insuccès publics, massacré par une critique aveugle…, honni par des producteurs qui, à son seul nom, défaillaient, il est revenu au premier plan en cassant sa voix et en bourrant ses joues de coton.
Sous le masque mortuaire du “Parrain” (Don Corleone) et avec “Le Dernier Tango à Paris“, il devient l’acteur de cinéma le plus cher au monde par seconde à l’écran.
Le diable en rit encore, et Brando tout autant…
Congédie-t-on quelqu’un qui a déjà claqué la porte …?
Ainsi s’enchevêtrent les deux films (Le Parrain et Le dernier Tango à Paris) qui vont tirer Marlon Brando de l’oubli.
Mais si des triomphes présents sont aussi excessifs que les ingratitudes passées, lui n’a jamais abdiqué l’idée qu’il se fait du métier d’acteur… Le mot présence est galvaudé, tant pis, avec Brando, il reprend tout son sens tant sa présence est immédiate, totale, irrésistible.
Parodiant la formule célèbre : “Après sa musique, le silence qui suit est encore du Mozart”, on pourrait affirmer que le contrechamp sans Brando le comporte aussi.
Contrairement à tant d’acteurs qui comptabilisent leur temps de présence comme la longueur du texte, Brando s’ingéniait à parler peu, mais de manière essentielle, mettant quelque malice à se faire désirer et, malgré sa légende, jouait toujours “en-deça” de l’effet gratuit…
Mais rien n’est simple dans ce qui apparaît comme évident…
Brando était à l’opposé des acteurs au charisme immédiat. Capable des pires extravagances lorsqu’il se crut trahi, son incessant perfectionnisme visait tout à la fois le naturel de la situation et la sincérité du personnage…
Entend-t-il dire que les grands brûlés paraissent gelés…, il s’allonge sur un lit de glace avant interpréter la mort de “Christian Fletcher” à l’épilogue du “Bounty“.
De même pour enrichir un personnage conventionnel, il crée des temps morts, des hésitations, des doutes …, il fait évoluer l’individu dans un contexte (celui du film d’aventure) où les caractères sont habituellement entiers …, faisant de Fletcher un dandy arrogant puis, dans “Le Bal des Maudits“, il rend vulnérable et sympathique un officier allemand…
Il prend le contre-pied des conventions et ainsi désarçonne le public, pire, bien qu’il recoure peu au maquillage, il s’ingénie à varier sans cesse l’image qu’il donne de lui …
Franklin Roosevelt meurt, à 63 ans, au mois d’avril 1945. Président depuis 1932, il fut le vainqueur de la crise économique de 1929 et des forces de l’Axe.
Avec lui, c’est toute une époque de l’Amérique qui disparait, et son successeur, Harry Truman, trouve dans son dossier les redoutables problèmes d’une socièté choquée par la guerre.
Nouveau traumastisme, le 9 aout 1945, deux bombes détruisent Hiroshima et Nagasaki.
Cette première démonstration de l’arme atomique va désormais peser sur la conscience de l’humanité toute entière.
A Yalta, en février 1945, “les trois grands“, en fait deux des trois “grands“…, s’étaient partagé le monde, et l’année suivante, Winston Churchill prononce un retentissant discours à Fulton (Missouri) où il lance l’expression : “rideau de fer“.
Le monde est désormais coupé en deux.
Les blessures anciennes, elles, restent béantes, aussi le problème racial reprend-t-il toute son acuité.
La Cour suprême a beau déclarer, en juin 1946, que la ségrégation dans les autobus est contraire à la Constitution, les coutumes sont plus têtues que le droit.
Le cas des Indiens, bien qu’occulté par le problème noir est préoccupant.
Leur nombre, contrairement aux prévisions, s’accroit, il passe de 237.000 en 1900 à 347.000 après la guerre.
Leur survivance à l’assimilation rappellent à l’Amérique bien-pensante les horreurs passées et constitue une bonne part de sa mauvaise conscience présente.
La liberté leur est donnée de choisir entre leur culture et l’amalgame.
Une énorme majorité choisit la première solution, tel les Navahos qui se situent à l’avant-garde du mouvement… et qui possèdent leur langue et leurs institutions.
Mais ces compromis généreux sont bien théoriques. De même pour les noirs : acclamés au retour de la guerre comme les autres G.I., ils n’ont pas tardé à rejoindre leurs ghettos.
Le problème des minorités est loin d’être réglé au Etats-Unis. Dans les années 60, les Américains vivent une existence des plus monotones entre des rites immuables : trajet de plus en plus interminable vers le lieu de travail pour les hommes, enfants, ménage, courses et club pour les femmes, dîner à dix-huit heures pour tous…, tandis que Marlon Bando est le seul acteur blanc à participer aux meetings et à prendre violemment position pour la cause indienne …
Marlon Brando, tel qu’en lui-même …
Observez-bien son visage lorsque qu’il aperçoit une jeune femme pendant cet interview (en français), alors qu’il parle de choses graves, le journaliste interrompt Brando, par manque de temps… le regard de Brando en dit plus long encore …
Alors qu’il présente son plus récent film Morituri en 1965, Marlon Brando accorde une entrevue diffusée à l’émission Aujourd’hui.
La star hollywoodienne s’exprime clairement en français, à la surprise du journaliste qui lui demande avec quelles autres langues il est familier.
L’acteur dénonce l’hypocrisie avec laquelle les États-Unis traitent les Amérindiens, maintenus dans des conditions de vie déplorables.
Enchaînant sur les droits des Afro-Américains, Brando est alors distrait par une passante qu’il trouve ravissante.
Il aborde la jeune femme et s’entretient avec elle des droits des Noirs.
Comment résister…? http://www.rogersvideo.ca/francais/movie.asp?mid=770#
Un Trammay nommé désir … (1951)
“Every man’s a King, and I’m the King around here, and don’t you forget it“. Une réplique lâchée avec furie par un Marlon Brando tout juste âgé de 27 ans.
Sexy en diable, vêtu d’un débardeur sale, déchiré, laissant apparaître des muscles saillants, luisants de sueur, il se fait l’incarnation d’une nouvelle génération d’ouvriers immigrés d’après guerre.
Hétérosexuel au sourire ravageur et au regard respirant la luxure, le “Stanley Kowalski” qu’il incarne est la pierre de fondation du mythe Brando.
Entre valse de t-shirts miteux ou trempés et cris primitifs adressés à la femme qu’il aime, le jeune acteur fait éclater tout son talent en utilisant les techniques supra-réalistes apprises à l’Actors Studio.
Si, aux oscars 1951, l’institution préférera à sa grâce animale l’élégance naturelle d’un Bogart, sa performance naturaliste, sans aucune retenue, va devenir une des plus grandes influences pour une nouvelle génération d’acteurs écorchés vifs tels James Dean.
Un diamant brut dans un écrin de la plus belle facture.
Le plus beau sale gosse d’Hollywood…
Adapté de sa propre pièce par Tennessee Williams lui-même, sous la direction d’Elia Kazan, servi par un des meilleurs castings de l’histoire du cinéma, “Un Tramway nommé désir“ est un film viscéral, qui ose tout, au risque de se voir amputé par la chaste censure.
Fidèle à l’œuvre de base, il explore les chemins tourmentés qu’empruntent les désirs (viol, nymphomanie, machisme, violence conjugale) et dévoile, à travers ses camaïeux de gris soigneusement travaillés, l’état des lieux de la reconstruction d’un Sud des Etats Unis jadis flamboyant.
Le Corrupteur (1971)
Cette fois encore, Brando fait preuve de son extraordinaire faculté à rendre émouvant l’être le plus ignoble. “Quint”, (Brando) le domestique, est vulgaire, brutal, négligé, pervers.
Il utilise son magnétisme pour soumettre la gouvernante à ses caprices sexuels…
Une scène étonnante pour l’époque le montrait attachant la jeune femme sur son lit et l’initiant aux rapports sadomasochistes (la séquence fut en partie coupée pour l’exploitation)…, pire, Quint (Brando) pervertissait peu à peu les enfants qui copiaient innocemment ses dépravations.
Mais là où chacun aurait “chargé” le personnage, Brando va, au contraire, en faire ressortir le charme ; bref, signifier l’innocence sous les apparences du crime.
S’il excelle dans ce jeu de l’ange et de la bête, les producteurs et le public… aiment les genres tranchés, du style : “Reflets dans un oeil d’or” et “Queimada” !
Le corrupteur sort dès-lors dans l’indifférence.
En cette année 1971, la star des années 50 est tombée au plus bas.
Jamais dans l’histoire du cinéma, un acteur n’a accumulé autant d’insuccès, suscité autant de haine et de mépris, alors qu’il venait d’offrir, en trois films, les plus éclatantes preuves de son génie d’acteur …
Un mélodrame sur fond social où se mêlent corruption et meurtres.
Sur les Quais (1954)
Avec sa démarche chaloupée d’ancien boxeur, ses hésitations, ses phrases inachevées, sa maladresse vis-à-vis de la jeune femme qu’il aime, ses élans avortés et ses gestes gauches, il exprime toute la timidité, toute la tendresse refoulée et toute la détresse du monde : “De tous les acteurs que j’ai rencontrés, Marlon est celui qui approche le plus près du génie” (Elia Kazan)
La fameuse scène improvisé par Brando, avec Rod Steiger…
L’histoire des mutins du Bounty… En 1789, le Bounty faisait route vers la Polynésie sous le commandement du lieutenant William Bligh, officier brutal et despostique. Exaspérés par les mauvais traitements, les matelots se révoltent le 29 avril et abandonnèrent Bligh et dix-huit hommes de ses fidèles dans une chaloupe en pleine mer.
Excellent marin, il réussit à parcourir 3000 miles avant d’aborder l’île de Timor le 12 juin, puis de regagner l’Angleterre.
Pendant ce temps, les mutins se séparent, seize demeurant à Tahiti et vingt-sept suivant le lieutenant Crhistian Fletcher sur une île désolée : Pitcairn.
Ils s’y entretuent et seul survécut un nommé Alexander Smith.
Cette célèbre affaire fut plusieurs fois adaptée (et déformée) au cinéma.
Dans la version de 1935, Charles Laughton incarne Bligh qui est devenu (capitaine).
A ses côté, Clark Gable est Fletcher.
Selon les canons hollywoodiens de l’époque, les caractères sont tranchés et la réalité romancée pour une fin relativement heureuse : les mutins recommencent une nouvelle vie après avoir détruit le bateau.
La seconde version est plus fidèle à l’histoire d’origine et Fletcher périt tragiquement dans l’incendie du navire.
En 1983, une ultime version (le Bounty de Rogers Donaltson) tenta sans grand succès de remettre l’histoire au goût du jour, mal relevée par un Mad Max des mers…, Mel Gibson y incarnant un lieutenant Fletcher fade et sans panache…
Les révoltés du Bounty (1962) Histoire d’un coup de foudre et d’un naufrage financier, version BRANDO…
Contacté pour reprendre le rôle du plus grand séducteur de l’écran (celui de Clark Gable à l’époque), Marlon Brando accepte à la condition d’avoir un droit de regard sur le scénario, ce qui lui est accordé avec un cachet de 500.000 dollars, 10% sur les recettes et… retenez-bien ce détail : 5.000 dollars par jour de dépassement… Dès l’origine, les problèmes se multiplient…
Brando refuse les premières moutures de l’histoire, exigeant que l’on inclue la fin tragique des mutins s’entre-tuant sur le lugubre îlot de Pitcairn.
La production commet l’erreur de faire construire un véritable bateau au lieu des habituels “habillages” des navires existants. Lorsque le Bounty (qui à lui seul, vaut 750.000 dollars) arrive à Tahiti avec deux mois de retard, deux incendies se sont déclarés à bord, qui l’ont gravement endommagé…
Et Brando continue, pied à pied, à défendre sa conception du personnage de Crhistian Fletcher. Donnons-lui raison, là où Clark Gable incarnait un héros pur et dur s’opposant à l’abominable capitaine Bligh (Charles Laugthon), Brando imagine un dandy méprisant, un bellâtre arrogant peu à peu gagné à la cause des matelots opprimés.
En le rendant quasi insupportable au départ, il veut mettre en évidence une conversion politique.
Ainsi se montre-t-il à la fois perspicace et fidèle à ses opinions.
La suite, révélera aussi son entêtement et ses lubies… Mais pour l’instant, Marlon est heureux…
Il vient de découvrir, à Tahiti, un petit paradis pour l’épicurien qu’il n’a cessé d’être.
Avec l’imposante équipe de technicien qui ont envahi (on pourrait dire accaparé) cette île de rêve, il s’installe dans un décor de carte postale et une atmosphère de fête, les paysages sont admirables, et surtout les filles d’une extravagante disponibilité…
Son ex-femme, Anna Kashfi, dans “Brando au petit déjeuner” (editions Buchet/Chastel), prétend que des lots entiers de pénicilline sont acheminés pour protéger l’équipe de tournage et ajoute, perfide que : “la seule manière de trouver une fille non-contaminée est d’attendre à la sortie de l’école celle qui porte de grosses lunettes et un paquet de livres”…
Mais il est difficile d’ajouter foi aux affirmations d’une ex-épouse en procès, d’autant plus jalouse que le beau Marlon est tombé fort amoureux de la ravissante indigène qui lui donne la réplique.
La jeune Tarita abandonne son compagnon, un chef cuisinier, pour la star américaine, laquelle lui prodigue des conseils de grand professionnel, tandis qu’elle lui voue une admiration amoureuse qui durera bien au-delà d’un tournage mouvementé …
Les éléments, en effet, se liguent contre le respect du planning et des pluies torrentielles condamnent une armada d’artistes et de techniciens à de longs jours d’inactivité… A l’intérieur du groupe, le climat se détériore également et Marlon Brando transforme insidieusement des remarques au départ judicieuses en épuisantes escarmouches avec son metteur en scène. Chaque bribe de dialogue, parfois chaque mot, donne lieu à d’interminables débats auxquels assistent goguenards, les autres comédiens désœuvrés.
Ainsi, Richard Harris se heurte-t-il violemment à Brando dans les scènes qui les réunissent et Trévor Howard (Bligth) y perdra son flegme légendaire…
Il est vrai que Carol Reed, le premier réalisateur pressenti, a très vite quitté le tournage.
Lorsqu’il est remplacé par Lewis Milestone qui a pourtant la réputation d’un vieux dur à cuire, il ne faudra pas huit jours à Brando pour exaspérer le vieux lion et finalement le confiner à un rôle de simple témoin muet et sarcastique…. Tandis que la troupe toute entière est peu à peu contaminée par l’indolence des mœurs locales…, Marlon Brando multiplie les caprices et les facéties les plus étranges.
Qu’il passe ses nuits à jouer du tam-tam ne gêne que ses voisins, mais qu’il abuse de la cuisine locale au point de grossir de vingt kilos nécessite pour les raccords des prodiges de maquillages et d’éclairages…
Plus tard Lewis Milestone déclara même que l’acteur se présentait sur le plateau avec des boules quiès dans les oreilles afin de n’entendre ni ses partenaires ni son metteur en scène… Bref, le Bounty prend l’eau de toutes parts bien avant que l’on tourne les scènes de naufrages et, comme le temps passe, Brando commence à toucher ses fameuses indemnités de retard !
Il en coûtera à la production 750.000 dollars qui s’ajouteront au devis initial…
Le comble… c’Est qu’au vu du premier montage, la fin lui est toujours insatisfaisante…
Lewis Milestone finit par partir, définitivement écœuré.
Georges Seaton qui, à sa demande, ne sera pas réédité au générique, accepte de tourner les deux semaines supplémentaires nécessaires avec un Brando soudain redevenu coopératif au point de travailler gratuitement pour obtenir une conclusion qui lui convienne et pour couper court aux mauvaises langues qui, dans la presse, commencent à lui “faire porter le chapeau“… Mais ce sera peine perdue et le comédien endossera, en grande partie, injustement, la responsabilité d’un lourd échec commercial…
Hollywood a donc trouvé son bouc émissaire et Brando entamera sa traversée du désert et en même temps une idylle sur une île de rêve avec Tarita.
Détail savoureux : Pour tourner ce film, il avait refusé le rôle de Lawrence d’Arabie !
Le Parrain … 1972
En 1972, il fallait être fou pour miser le moindre dollar sur le film d’un jeune réalisateur américain d’origine italienne, qui réunissait à l’affiche un illustre inconnu, Al Pacino..; et une star déchue d’Hollywood : Marlon Brando.
Fou, Francis Ford Coppola l’était assurément pour donner à l’ancien sex-symbol, le rôle d’un vieux chef mafieux déclinant : Don Vito Corleone.
Las et accusant déjà le poids des années en raison d’une vie tumultueuse hors des plateaux, Marlon Brando n’avait plus tourné depuis trois ans mais accepta vite la proposition du jeune chien enragé, pas encore maître du monde.
Le reste appartient à la légende.
Chef-d’oeuvre incontestable, tragédie shakespearienne contemporaine adaptée du roman de Mario Puzo, Le Parrain est entré à jamais dans l’histoire du cinéma mondial.
En jouant avec des boules de papier dans la bouche, méconnaissable les cheveux gominés et le ventre repu, Marlon Brando signait là une performance époustouflante, transformé en bouledogue bouffi d’orgueil et de puissance.
Lors de la cérémonie des Oscars qui allait couronner le film, il invita une Indienne à prendre la parole à sa place et, par ce bras d’honneur symbolique, se retira volontairement du strass et des paillettes.
Il sera de nouveau dirigé par Francis Ford Coppola pour “Le Parrain II” et “Apocalypse Now“, deux nouveaux sommets artistiques que les deux hommes n’atteindront plus ensuite…
Les millions du Parrain…
Les producteurs furent si réticents à l’égard de Brando qu’ils ne lui accordèrent qu’un maigre cachet… et 1,5 % de recettes auxquelles il ne croyaient guère.
Fatale méprise : l’acteur empocha 1.500.000 dollars lorsque le film battit tous les records de recettes en rapportant 95 millions de dollars pour le seul territoire des Etats-unis !
Après, Brando s’amusera à jouer la star-minute dans le rôle du père de “Superman”, le plus gros cachet de l’histoire du cinéma pour un rôle aussi court !
L’acteur savourera sa revanche sur Hollywood, et sous une perruque argentée du plus bel effet, à peine à retenir son hilarité…, tandis que l’ingénieur du son bougonnait “Pour ce prix-là, il pourrait au moins articuler”…
Bienvenue en enfer…
Son dernier rôle, avant sa semi-retraite, Brando le réservera à Coppola lorqu’il interprètera dans cette entreprise folle et démesurée que fut “Apocalyse Now“, l’immortel colonel Kurtz.
Il est, bien entendu, impossible de ne pas remarquer les profondes correspondances entre le comédien et le personnage.
Tout au long de cette remontée du fleuve qui est celle aussi d’une vie…, celui qui doit tuer Kurtz consulte son dossier, égrène ses souvenirs et jette à l’eau des photos de Brando vieilles de vingt ans ou trente ans…
Lorsque, enfin, sortent de l’ombre des épaules massives, un cou de taureau…, un crâne entièrement rasé, c’est l’image même de la souveraineté qui apparaît dans sa folie, son égocentrisme, son absolu suicidaire…
Et l’apocalypse se déchaîne lorque est tué le dieu vivant, sur cette parabole, Brando se retire…
http://www.allocine.fr/webtv/acvision.asp?nopub=1&cvid=18653827&player=ASF&debit=HD&emission=
Tout en gueule, tout-homme, et tout-provocation…, chose rare à Hollywood.
La pellicule s’est changée ; avec élan, la charge cinématographique déboule.
Marlon la brutalise.
Domptée elle revient, soumise à nos regards…
Le jeune premier, le patriarche, l’amant fou, le guerrier fantomatique, l’homme à femmes, en habit made in Italy ou en en cuir de bruit et de verve…, un coup de poing dans l’iris…
Le séducteur…
Bien après, il reviendra dans des films médiocres, en disant : “Je n’ai pas la force morale de refuser des montagnes d’argent”...
Si sa beauté séduit irrésistiblement, l’homme à femmes va vite choquer, d’autant que ses goûts sont volontiers exotiques sans que personne puisse (officiellement du moins), trouver à redire aux unions interraciales, le malentendu s’en trouvera accentué !
Bien sûr… et depuis l’adolescence, il y eu dans sa vie des filles, beaucoup de filles…, de préférence brunes et menues, qui passèrent trop vite pour que se créent de véritables attaches…
Rita Moreno,superbe Portoricaine et au tempérament volcanique eu une liaison tumultueuse avec Brando, elle tentera de mettre fin à ses jours après leur rupture…
Pina Pellecer trop fragile, ne se ratera pas…, sa partenaire aussi dans “la vengeance aux deux visages”…
Anna Kashfi, la mère de Christian Brando. (1956)
Costume et sari …
Née en 1934 à Calcutta, Anna Kashfi est, en 1955, modèle à Londres lorsque la Paramont cherche une Indienne pour un film “The Montain”.
Marlon Brando est immédiatement séduit par cette beauté à la fois délicate et grave.
Lorsqu’elle rentre à hôpital de Duarte pour y soigner un début de tuberculose, il lui rend de fréquentes visites.
A l’automne, Anna est enceinte, ils décident de se marier et la cérémonie se déroule dans la plus stricte intimité le 11 octobre 1957.
L’homme au blouson est en costume bleu très sobre, les cheveux encore blancs du “Bal des maudits” qui sortira en 1958.
Le rebelle se range, le “séditieux” épouse.
Hélas pour Establishment, Brando va encore une fois heurter l’Amérique, n’ayant consenti à cette union que pour légitimer son enfant.
Il ne faudra pas plus d’un an pour qu’il amorce une longue et épuisante procédure de divorce.
Appel et contre-appel, débats sordides, coups et injures… et si en 1959, elle obtient satisfaction sur le plan financier, ce n’est que le début d’une interminable bataille juridique autour du droit de visite du fiston, l’affaire durera 15 ans…, entre-temps, il aura appris qu’Anna Kashfi avait menti lorsqu’un nommé Patrick O’callaghan eut rétabli la vérité.
Celui-ci est le père de Joan, (véritable nom d’Anna ) qui, si elle vécut en effet à Calcutta jusqu’à l’âge de 13 ans, rejoignit ensuite Cardiff pour y exercer la profession de serveuse et de caissière…
Ainsi en ira-t-il d’une vie sentimentale dont le parcours suit les déplacements géographiques imposés par ses films …
Un homme est un homme …
Lui aussi…, pas juste un acteur nommé désir…, pas un monstre sacré.
Magnifiquement et monstrueusement homme, Brando vibre et étincelle, intuitif.
Pas de cohérence inutile, un jeu entier d’acteur, l’objectif résiste.
Mais Brando, à vive allure, retient son cinéma, le tatoue, le traque.
Géant, voyou, monument dira-t-on.
On l’attendait, il n’est pas parti.
Des collisions, des débris et des vies à sa mesure…, car fugitif, le grand magnifique sensuel et félin, le froid dans le regard, la main, le sourire, tantôt contenance, tantôt explosion, se balade dans la filmographie.
Toujours l’intense et le déséquilibre.
De la déclaration à la dédicace, restons muets face à une grammaire furieuse et à l’instabilité parfaite qui se décline encore au présent…
Sayonara Marlon…
Autobiographie ; “Les chansons que m’apprenait ma mère” (Marlon Brando)
Biographie : “Marlon Brando” (Patrick Brion )
Lorenza