L’actrice néerlandaise Sylvia Kristel, connue dans le monde entier pour avoir incarné l’héroïne du film érotique “Emmanuelle”, est décédée à 60 ans dans la nuit du mercredi 17 octobre 2012, des suites d’un cancer.
“Elle est morte pendant la nuit, pendant son sommeil”, a déclaré Marieke Verharen, de l’agence Features Creative Management, qui représentait l’actrice, ajoutant qu’elle était décédée “des suites d’un cancer”.
L’actrice avait été victime d’une attaque cérébrale (un AVC) début juillet 2012 et avait été hospitalisée.
Elle était soignée pour un cancer de la gorge et avait subi un traitement contre des métastases au foie.
“Emmanuelle”, sorti en 1974, tourné par le réalisateur Just Jaeckin, était une adaptation du roman du même titre d’Emmanuelle Arsan.
Le film, qui a connu un succès international, du Japon aux Etats-Unis, raconte les aventures sexuelles d’une jeune femme en Asie.
Il était resté treize ans à l’affiche sur les Champs-Elysées à Paris !
Sylvia Kristel avait tourné ensuite, avec un succès moindre, “Emmanuelle 2” en 1975, “Goodbye Emmanuelle” en 1977 puis “Emmanuelle 4” en 1984.
Qui projettera de nouvelles fictions sur Sylvia Kristel ?
Blouson de cuir, jambes de longue plante souple tannée, le rire en bandoulière sur un visage qui a pris de l’expression, je me souviens de Sylvia Kristel déboulant dans le bar de l’hôtel Métropole il y a vingt ans…
La vie lui avait donné des coups mais ses yeux répondaient à l’attaque par la douceur et une sagesse de fille tendre. Revenue des États-Unis, elle vivait alors à Bruxelles.
Elle avait changé, depuis qu’elle avait libéré sur les écrans, l’Emmanuelle qu’il y avait en elle.
Emmanuelle qui, quoi qu’on dise, a accompagné notre temps passé et un peu changé notre regard sur la sexualité.
Le corps et les expressions de Kristel appellaient la caméra et le théâtre…, mais, voilà, les metteurs en scène n’ont pas tout compris et n’ont pas dépassé leurs préjugés.
J’ai eu une conversation avec cette femme franche qui avait conservé une naïveté au parfum d’enfant…
A cette époque, j’avais voulu l’engager pour une séance de photos devant la faleuse Oldsmobile’48 “Black Magic”, égérie mécanique de mes magazines Chromes&Flammes…
Le contrat fut presque signé, mais tout a capoté à la dernière minute pour une simple question de timing…
Elle était prise ailleurs…
Pas de chance…
Emprisonnée par son image, Sylvia Kristel aimait le métier d’actrice et souffrait de ce que le public et les pros ignoraient cette passion :
“J’adore ce boulot. Après 5 ans de silence, une deuxième vie commence pour moi avec mes 40 ans. Je veux avancer dans mon métier, travailler beaucoup. La première offre pour mon retour à l’écran a été, pourtant, assez convenue avec Emmanuelle au septième ciel. Je l’ai acceptée parce qu’Emmanuelle fait partie de ma famille et qu’il serait bête de renier ce personnage”.
La foi qu’avait Sylvia Kristel en sa profession était touchante car sa célébrité avait souvent fait sourire méchamment :
“Le métier d’actrice permet de donner beaucoup. Les efforts y sont créatifs et agréables. Mais le grand plaisir, oui, est dans le don. On a aussi cette sensation quand on peint, ma deuxième passion, moins forte cependant”.
Si elle avait l’impression de donner, Sylvia Kristel a surtout été beaucoup prise…
“On s’est servie de moi pour faire de l’argent en ignorant mes sentiments, on a volé mon image et c’est dangereux. car Emmanuelle m’a emprisonnée et les spectateurs n’ont pas vu mes autres films qui étaient d’une autre veine et dirigés par de grands réalisateurs : Un Linceul n’a pas de poche, de Mocky, Le Jeu avec le feu, de Robbe-Grillet, La Marge, de Borowczyk, Alice ou la dernière fugue, de Chabrol, René la canne, de Francis Girod, Les Monstresses, de Luigi Zampa… Tant pis ! Ce métier m’a permis de voyager dans des cultures variées et de m’intégrer dans des équipes cinématographiques qui, chaque fois, devenaient ma famille. La fin d’un tournage est trop dure : on se retrouve seule, on est dans un trou noir, les proches manquent. Jouer à l’écran c’est donc, sans jeu de mots, jouer avec sa peau. Interpréter nue n’est pas plus difficile, bien sûr, que de dire un monologue de 50 pages. Mais c’est si intime ! Heureusement ma myopie m’aidait beaucoup à me dénuder. Ne voyant pas à plus d’un mètre cinquante, je n’apercevais pas les techniciens et pouvais me concentrer. Ma peau jouait avec la caméra plus qu’avec le spectateur. Au théâtre, je ne l’aurais pas osé car je suis un être assez timide”…
Un film traduit bien ce qui est arrivé à Kristel : Alice ou la petite fugue.
“Comme l’Alice de Lewis Carroll, je suis est passée, soudainement et internationalement, de l’autre côté du miroir et, de jeune fille de mon époque, je suis devenue un symbole de la sensualité des années ’70 que je n’ai pas vraiment géré. Et, maintenant, je veux à nouveau franchir le miroir mais pour aller dans une autre direction. Passer de l’autre côté me permettra de posséder dix, cent vies. L’immédiat retentissement du premier Emmanuelle vint si rapidement que je compris, en une seconde, que, commençant au sommet, il n’y avait qu’une suite possible : la chute ! J’étais très, très jeune et, tant pis, j’ai pris le bonheur qui venait. Puis, j’ai eu ma période à Los Angeles avec les drogues, les alcools : je faisais des choix de vie qui à l’époque semblaient très naturels et très normaux mais que je rejette aujourd’hui avec le recul. Ayant vécu cet enfer, je peux utilement prévenir les jeunes qu’il vaut mieux ne pas commencer cette route amère : elle mène vers la descente. Si je suis franche à propos de ces dépendances c’est que, ayant vécu en Amérique, j’y ai appris à dire les choses carrément et à ne pas hésiter à confier publiquement mes erreurs : Robin Williams, par exemple, l’a fait. Dire la vérité est une bonne psychanalyse ! En 1974, Emmanuelle choqua. Le film n’était pourtant pas bien dangereux en cette période d’avant-sida. Et s’il avait, simplement, donné un petit bonheur aux spectateurs qui voyaient qu’ils n’étaient pas seuls dans leurs fantasmes, bien normaux finalement ? Emmanuelle, raconté avec gentillesse, était assez sain. Vingt ans plus tard, le film a l’air d’un conte de Perrault ! En ’73, le mot amour n’était pas lié au mot mort. Heureuse époque. La drogue est par contre venue à cause de la pression médiatique subie alors. Emmanuelle commençait à effacer Sylvia. Heureusement, rapidement, mais on l’a oublié, sont venus des réalisateurs de talent comme Mocky, Chabrol, Robbe-Grillet. Et le public a commencé à connaître mon vrai nom tout en me parlant toujours de Emmanuelle et de son fameux fauteuil en osier que tout le monde, à l’époque, achetait. Après le 3e Emmanuelle, j’en ai eu marre d’autant que le spectateur me prêtait les mêmes moeurs que mon personnage, ce qui n’est pas nécessairement vrai dans ma vie privée ! Avant ce film, j’avais eu de petits rôles dans des films hollandais. Quand on m’a proposé Emmanuelle, j’ai d’abord hésité. Mais mon compagnon d’alors, l’écrivain belge Hugo Claus, m’a dit : Wouah !, c’est l’occasion d’aller ensemble en Thaïlande et de sortir du cinéma hollandais. Sylvia, ne t’inquiète pas, ce film ne sera jamais montré en salle car il est trop osé ! Un an et demi plus tard, Emmanuelle provoquait la folie publique. Et j’ai commencé à avoir un peu peur… Surtout de ce que ma mère allait dire. Elle a refusé de voir le film jusqu’à sa programmation à la télé hollandaise et, là, elle a été très fière de moi ! Aujourd’hui, je cherche à fuir le personnage de la femme nue sur le fauteuil en osier ! Je veux de bons rôles (pas le principal obligatoirement) pour dire adieu à l’érotisme. OK pour quelques scènes nues si c’est important mais que ce soit un vrai scénario, western, drame psychologique, comédie de préférence, je m’en fiche. J’ai encore des contacts avec le producteur Menahem Golan qui travaille en Amérique et pourrait me relancer. Je suis là. Je suis une actrice. Une vraie actrice. Le cinéma, je l’adore. On y crée des rêves, des fantasmes… Même si Emmanuelle est loin d’être un chef-d’oeuvre, il restera le film-fantasme d’une certaine période et mon image sur le siège d’osier restera, sûrement mais bizarrement, dans l’histoire du 7e art, à côté de celle de Marilyn sur une bouche de métro : Curieux, hein, voilà que je serai emblématique dans le futur. En ai-je du mérite ? Non. Le film est arrivé au bon moment. En ce temps-là, les gens avaient absolument besoin de libération sexuelle confirmée par une fiction visuelle qu’on pouvait aller voir sans honte”….
Retour vers l’enfance.
“Un des premiers films vu avec ma mère était Un Monde fou, fou, fou, une comédie débridée de Stanley Kramer. Le choc ! Quand j’étais au pensionnat chez les religieuses, on nous montrait La Mélodie du bonheur et des choses sucrées. Jamais, je n’imaginais que je ferais du ciné ! Je me voyais danseuse… Le cinéma est entré dans ma vie par Jacques Charrier, le comédien-producteur qui fut l’époux de Bardot. J’étais jeunette et fiancée à un journaliste hollandais qui m’a entraînée à un concours de beauté. Charrier m’y a abordée et m’a suggéré de devenir actrice. Moi, je pensais Cause toujours ! Mon fiancé m’a mise en garde en me disant que Charrier était un grand séducteur. Pour lui tenir tête, je lui ai répondu que non et que Charrier nous invitait tous deux à Paris pour le rencontrer… Au dernier moment, mon fiancé n’a pu m’accompagner à Paris, j’y suis allée seule. Il avait raison ! J’ai eu une romance de 3 semaines avec Charrier qui, finalement, m’a découragée de faire du ciné à cause de mon accent. J’étais furieuse, je m’étais fait avoir ! Alors, pour le narguer, j’ai téléphoné à un réalisateur hollandais qui a beaucoup ri du piège dans lequel Charrier m’avait prise. Il m’a fait engager dans une agence de mannequins et c’est là que la femme de Hugo Claus m’a choisie pour jouer, en ’72, dans Because of the cats, de Fons Rademaekers. Ensuite, je suis devenue Miss Europe, la vie était belle ! C’est à ce moment-là, alors que je vivais avec Hugo Claus – mon fiancé-journaliste voulait une femme hollandaise traditionnelle et nous avions rompu -, que Just Jaeckin m’a appelée pour jouer Emmanuelle. Et le destin se noua. m’étrangla. A moins que son noeud, aujourd’hui, soit celui d’un cadeau”…