Woodstock, 15/16/17 août 1969…
A Woodstock, nous étions un demi-million, et partout il y avait des chansons et des fêtes. Et j’ai rêvé que les bombardiers qui chevauchaient le ciel se transformaient en papillons. Nous sommes de la poussière d’étoile, du carbone vieux d’un milliard d’années, nous sommes de l’or pris dans un marché de dupes. Et nous devons retourner au jardin…
Tout Woodstock est là, dans cette chanson de Joni Mitchell interprétée par Crosby, Stills, Nash & Young sur l’album Déjà vu…, dans ces rêves de papillons, ces fêtes et ces musiques, dans ce désir de retrouver le jardin d’Eden, de renouer avec la nature, les fleurs et les arbres…, dans cette naïveté des rapports simples, de la nudité naturelle et du sexe librement consenti…, dans cette opposition à la guerre du Vietnam, aux bombardements, aux morts dans les deux camps…, dans cette lutte pour les droits civiques, pour l’égalité de tous…, dans cette ambiguïté de la drogue, qui ouvre les portes de la perception, comme disaient Aldous Huxley et William Blake avant lui, mais qui fait l’objet d’un trafic odieux.
Woodstock, c’est la concrétisation d’un rêve de liberté à grande échelle.
Une vraie ville s’est construite pour trois jours dans la plaine de White Lake, louée par le fermier Max Yasgur, à Bethel, pas trop loin de Woodstock où le festival devait se tenir, si la municipalité, poussée par les habitants angoissés, ne l’avait pas interdit.
Une ville qui connut trois décès (une overdose, une appendicite mal soignée et un accident de tracteur) et deux naissances.
Une ville de 500.000 habitants dont l’arrivée déclencha un des plus gigantesques embouteillages de l’histoire de l’Etat de New York.
Une ville battue par la pluie et complètement inondée par la boue le deuxième jour.
Une ville à nourrir, à laver, à loger : Bonjour, que diriez-vous d’un petit-déjeuner au lit pour 400.000 personnes, lança Wavy Gravy, le chef de cuisine, le dimanche à 8 h du matin, après le concert de Jefferson Airplane.
Une ville (le film de Michael Wadleigh, avec un certain Scorsese comme assistant, le montre à souhait) où on écoutait de la musique, où on mangeait, où on apprenait le yoga, où on se baignait dans le lac, où on flirtait, où on fumait ensemble, où on écoutait l’un ou l’autre activiste débiter ses évangiles…
Et tout s’est passé le mieux du monde.
Les Trois jours de paix et de musique, comme disaient les affiches, le furent réellement.
Max Yasgur le lança au micro, sur la scène : Vous avez prouvé au monde, kids, que 500.000 personnes sont capables de vivre ensemble dans la paix, l’amour pour la musique et le fun. Et rien que pour ça !
Woodstock, c’est l’acmé du flower power, le sommet de l’idéal communautaire hippie, la fête ultime de la contre-culture.
Depuis quelques années, la vague contestataire s’était répandue aux Etats-Unis et en Europe.
En 67, l’été de l’amour envahissait l’Amérique.
En 68, les étudiants arrachaient les pavés de Paris.
Les mouvements de protestation contre la guerre du Vietnam, les marches pour les droits civiques, les manifestations écologiques se succédaient.
La sexualité se libérait, se faisait joyeuse.
Les drogues charriaient ses effets parmi les jeunes.
La musique faisait partie intégrante de la vie.
Sex, drugs and rock ’n’ roll.
Tout ce qui peut entacher le rêve américain, évidemment : C’est plus moral et plus agréable d’avoir sa main dans la braguette que le doigt sur la gâchette, osait Lawrence Lipton, un des poètes beatniks.
Mais comme dit l’écrivain américain Bruce Benderson : Le succès de toute contre-culture conduit inévitablement à son auto-destruction.
Derrière l’amour libre se cache un certain machisme, derrière la convivialité du joint se terre le trafic de drogue…, derrière le trip de l’acide se planque la destruction de l’individu…, derrière les communautés hippies se dissimulent des sectes meurtrières…, derrière la beauté de la musique se révèlent les sommes folles du showbiz.
Sharon Tate est tuée par la bande à Charles Manson le 9 août, quelques jours avant Woodstock.
A Altamont, en novembre 69, un type est tué pendant la prestation des Rolling Stones.
Janis Joplin et Jimi Hendrix meurent l’année suivante.
Au festival de l’île de Wight en 1970, Joan Baez exige de loger dans un grand yacht amarré au large.
La violence reprend le dessus.
L’argent rattrape le dégoût de l’argent.
L’absence de projet commun plombe les tenants de la solidarité.
Le rêve hippie, en fin de compte, ne s’est jamais réalisé qu’à Woodstock, pendant ces trois jours d’état de grâce.
Puis les papillons redevinrent des bombardiers.
Et le jardin d’Eden est redevenu inaccessible.
“Bienvenue à Woodstock“, proclame une pancarte sur les lieux du festival légendaire où amour, drogue, sexe et rock triomphaient en 1969.
Oh, et… “environnement sans tabac“, ajoute le message.
Il y a 40 ans, du 15 au 18 août, plus d’un demi-million de jeunes avaient campé à Bethel, un village proche de New York, pour se repaître de Jimi Hendrix et Janis Joplin, de marijuana, de nudité, de signes de paix et d’amour, de boue et de musique à tue-tête. Le festival tire son nom du village où il aurait initialement dû avoir lieu.
Mais face à l’affluence imprévue, les organisateurs avaient déplacé au dernier moment le concert vers le village voisin de Bethel, dont le nom n’est pas passé à la postérité.
Quarante ans plus tard, si la fameuse colline en forme d’amphithéâtre n’a pas bougé, les messages des panneaux ont radicalement changé, à l’image des hippies de jadis : Tabac, alcool et drogue interdits. Tentes, parasols, camping interdits. Et, c’est bien le comble : Musique forte interdite.
En fait, il y a eu quand même de la musique ce 15 août 2009, mais avec une poignée de groupes survivants de Woodstock et une foule modeste rigoureusement contrôlée.
La célébration du 40e anniversaire du plus grand concert de rock de tous les temps comprend aussi la projection d’un film d’Ang Lee, Taking Woodstock, qui sort ce mois-ci aux Etats-Unis, et une floraison de livres et de disques.
L’idée de faire un Woodstock bis s’est invitée pendant des années dans la tête des organisateurs du festival.
Mais l’esprit de 1969 n’est plus là.
Ils n’ont pas non plus réussi à établir de bonnes relations de travail avec les propriétaires actuels du site et du musée.
Et quand l’un des principaux organisateurs, Michael Lang, a évoqué plusieurs projets pour célébrer les 40 ans du festival, dont un concert à New York, personne n’a suivi.
Il faut dire que son dernier exploit, un concert pour le 30e anniversaire en 1999, s’était achevé en émeute.
Aujourd’hui, les visiteurs se garent dans un immense parking surveillé, traversent une pelouse manucurée avant de payer 13 dollars pour entrer dans le musée où fleurissent les écrans interactifs.
Les expositions y racontent l’histoire du concert et des turbulences de l’époque avec l’assassinat de Martin Luther King, la guerre du Vietnam et la conquête de la Lune, un mois à peine avant le festival.
Les spectateurs peuvent aussi se promener à bord d’un minibus psychédélique.
Tout cela a un parfum de parc à thème.
Mais le directeur du musée, Wade Lawrence, 54 ans, l’assume : Les visiteurs attendent un certain niveau de distraction et de confort, dit-il, les jeunes sont obsédés par les gadgets et si nous ne leur proposons pas tout le côté interactif, nous les perdons , explique-t-il, si les vétérans hippies ne mettent pas les pieds au musée, tout le monde peut au moins leur emprunter leurs attributs, à condition d’avoir une carte de crédit.
La visite se termine évidemment par une boutique de souvenirs où s’empilent T-shirts avec le logo d’origine (guitare et colombe) à 24,95 dollars, affiches du concert à 129,95 dollars et tasses psychédéliques à 12,95 dollars.
Il y a même une sculpture baptisée Les doigts de la paix, une main grandeur nature faisant le signe pacifiste “V”, à 40 dollars, plus taxes.
Craig Wiseman, 49 ans, qui visite le musée avec deux amis soupire : C’est devenu quelque chose qui n’aurait jamais dû être ainsi. J’avais neuf ans en 1969 et j’ai raté Woodstock, déplore-t-il, si seulement j’avais eu dix ans de plus !