Ferrari 365 GTB/4 Daytona Berlinetta Scaglietti 1973
En 1968, la révolution étudiante Française et la Ferrari 365 GTB/4 Daytona, ont marqué les esprits, mais pas les mêmes esprits et pas les mêmes gens ! J’avais 19 ans et je suis un des seuls qui a été marqué par les trois, tellement fort que j’ai cédé aux démons automobiles. J’ai acheté une Dauphine-Ondine d’occazze ! Qu’est-ce qu’un étudiant en architecture de province qui jusque-là pétaradait sa motocyclette, en avait à faire d’un Ferrari affichée hors de prix comme étant la voiture de route la plus rapide au monde et pré-considérée par les Tiffosi comme la plus belle Ferrari de tous les temps. Moins de 10 ans plus tard, devenu éditeur-architecte du magazine Home avec de meilleurs moyens financiers pour acquérir une superbe occazzz, j’ai été confronté à un choix cornélien : une Mustang Boss 302 jaune (ex-Eddy Merckx), où une Ferrari 365GTB/4 Daytona Coupé (ex Monsieur X), les deux affichées au même prix chacune de 50.000 FF de 1978… En dix ans, ces joyaux ne valaient que ça en occazzz ! Une misère ! J’ai opté pour la Mustang Boss 302…
En 2022, j’ai 73 ans, et je me retrouve devant une Ferrari 365GTB/4, quasi la même sauf le prix de réserve de 625.000 €uros pour une vente aux enchères Sotheby’s “privée”. Enfin, je me tiens à nouveau devant la Ferrari synonyme de drame, de passion et de désir, tout ce qui constitue l’essence (hors de prix) d’une Ferrari. Comme en Formule 1, les concepteurs de Ferrari sont restés longtemps fidèles au schéma classique de traction avant et roues arrières motrices dans leurs voitures de série à douze cylindres. Bien que Lamborghini ait montré une configuration moderne avec un moteur V12 central sur la Miura. Pour Enzo Ferrari, Signor Lamborghini n’est qu’un de ses nombreux adversaires. Enzo Ferrari ne s’intéresse pas particulièrement aux voitures de sa propre production qui financent “ses” courses, du moment que leur vente lui donne suffisamment d’argent. Pépé Enzo Anselmo Ferrari, El Commendatore, est passionné par son propre mythe qui est plus important que sa moralité. Après la fin de la guerre, Ferrari a conservé le titre que Mussolini lui a conféré.
Ses pilotes doivent être prêts à payer de leur vie le privilège de pouvoir conduire ses voitures de course. Il ne les considère même pas dignes des noix de sa table, ce qui ne l’empêche pas de crier à Niki Lauda en 1977 qu’il serait vendu à Brabham “pour quelques morceaux de salami”. Enzo est un despote assez vulgaire, cependant, quoi que l’on pense d’Enzo Ferrari, sa passion et son désir inextinguible d’être meilleur que tout le monde palpite. Ruiné, exsangue, le rusé Commendatore, après avoir fait monter les enchères en homme d’affaires avisé, a su jouer la fibre passionnelle et patriotique pour ouvrir finalement son capital à Fiat plutôt qu’à Ford. Un choix plutôt cohérent, mais qui rendra fou de rage Henry Ford II qui comprend qu’il s’est fait “enculer” bien profond. Puisqu’il ne pouvait plus espérer remporter le Mans avec Ferrari, c’est sous son ovale bleu qu’il ira chercher réparation. Et de quelle manière, tant la saga des Ford GT 40 sera exceptionnelle.
En février 1967, après une humiliante défaite face à Ford aux 24 Heures du Mans en juin 1966, le Commendatore mènera son équipe à un triplé victorieux aux 24 Heures de Daytona. Ouf ! Le blason était honoré. Il n’en faudra pas plus pour que ce duel épique rejaillisse indirectement sur les GT de série avec la nouvelle 365 GTB/4 que le public surnommera “Daytona” en mémoire à ce triplé gagnant. Une appellation qui ne sera jamais officielle, le Commendatore s’y refusant. C’est au salon de Paris 1968 que la “Daytona” fait sa première apparition officielle. Pour l’anecdote, sur le stand Ford est exposée la Ford GT 40 qui a de nouveau remporté les 24 Heures du Mans quelques jours plus tôt (les 24 Heures du Mans 68 avaient été décalés à septembre en raison des évènements de mai 68 qui secoua tout le pays) et dont la carrosserie arbore encore sa “crasse de course” !
Sur le stand Pininfarina et le stand Ferrari la 365 GTB/4 ne va pas être bien reçue parles journalistes présents en raison d’un conservatisme trop marqué. C’est Leonardo Fioravanti, deuxième directeur de Pininfarina, qui a créé la Berlinetta en 1966 “dans un moment d’inspiration vraie et profonde”. Il est donc certain, en auto-suffisance, d’avoir créé l’une des plus belles voitures de sport de tous les temps. Son V12 est un descendant direct du moteur construit en 1947 par Gioachino Colombo pour la 125 Sport. Au fil des ans, l’unité a acquis deux arbres à cames sur chaque rangée de cylindres et une unité plus longue en raison de l’augmentation de la cylindrée jusqu’à 4,4 litres. Désormais, elle développe 348 chevaux et accélère jusqu’à 274,8 km/h ce qui en fait la voiture de série la plus rapide au monde.
C’est sans doute celle qui a pourtant le plus déprécié après ses 10 premières années… Je reconnais avoir fait un mauvais choix en préférant acquérir la Mustang Boss 302, mais j’étais déjà dans mes rêves d’américanités, utopiques ! Le réveil fut brutal… Pour cette Ferrari, la conduire n’est qu’une formalité en double casquette, en faire un article et me montrer intéressé de l’acheter. Je m’installe au fin fond du siège en cuir fin, le dossier s’incline comme une chaise longue et n’est pas réglable. Je dois ouvrir les jambes, me vouter, mettre la tête en biais et tendre les bras pour attraper le volant puis le levier de vitesses… Bof ! Je commence à me souvenir d’il y a 44 ans d’ici (en 1978), pourquoi j’avais préféré la Mustang Boss 302… Je tourne la clé qui actionne le démarreur tandis que mon pied gauche appuie sur la pédale d’embrayage pour soulager. La pédale ne bouge pas. Le moteur ne démarre pas…
“Faites attention avec le démarreur”, me dit le chef des ventes, “s’il tourne pendant longtemps, il s’épuisera. Cela coûte 1.200 euros”. Je lui souris en force jusqu’à ce que le démarreur (fragile) s’active à faire tourner le V12. Après plusieurs Vavavoum et grosses gorgées d’essence à indice d’octane élevé, le moteur brinquebale, pête un bon coup, devient nerveux, accompagné du cliquetis des soupapes au ralenti. Avant de partir, l’irresponsable qui m’a abandonné la conduite passe à nouveau la tête par la fenêtre et m’accompagne d’une phrase qui pendra au-dessus de ma tête comme une bulle toute la journée, comme si j’étais un personnage de bande dessinée : “Il n’y a pas d’assurance Casco pour la voiture, vous êtes responsable des dégâts”...
Une Ferrari 365 GTB/4 qui ne valait que l’équivalent de 50.000 €uros en 1978 après 10 ans de mauvais sévices (sic !), miraculeusement affiche 25 ans plus tard une valeur d’usurier d’au moins autant qu’une petite maison avec une cour. Lorsque le modèle a fait ses débuts, son prix était l’équivalent de 70.000 €uros, aujourd’hui il est d’environ des trois-quart d’un million d’euros. Quelque part au milieu de cette période, pendant le boom de la demande de Ferrari à la fin des années ’90, cela coûtait deux maisons avec cour ! Peut-être que bientôt la voiture sortira à nouveau aux mêmes prix délirants. (Pour le moment, en 2022, une Ferrari 4 GTB/4 en bon état peut être achetée pour 700.000 euros.
“Tirez doucement le levier de vitesses le long des canaux de guidage ouverts et abaissez-le vers la gauche en première vitesse”... Le V12 commence à bouillonner, ce sont des bruits semblables à des intestins torturés en attente d’une diarrhée qui se font entendre, l’embrayage s’engage, la Daytona avance… Il est difficile de faire le tour de la ville en voiture. Trop d’efforts extrêmes à accomplir sur le volant et les pédales, des dimensions difficiles à évaluer et, en plus, un rayon de braquage si grand que dans un parking de supermarché, il y a à peine de quoi tourner… Vous me rétorquerez que lorsqu’on a une Daytona on ne va plus dans un supermarché… Cela démontre que vous n’avez pas de Ferrari Daytona !
Chaque ondulation de la route me frappe dans le dos sans être filtrée par la suspension (rigide). Dans le même temps, je dois me concentrer sur la tâche “Kolossale” de changer de vitesse avec un clic net et d’éviter que les petites voitures qui se cachent aux intersections ne gênent pas du tout Madame Daytona. Il n’y a pas assez d’espace vide dans ma tête à cause des craintes à l’idée de la valeur inimaginable de cet engin diabolique que j’ai décidé d’utiliser malgré les embouteillages des heures de pointe. Le liquide de refroidissement et les 16 litres d’huile du système de lubrification à carter sec se réchauffent lentement, dans la plage de température optimale, mais le moteur à quatre arbres à cames tire facilement et sans efforts. Non seulement il aime un petit trot à bas régime, mais il a besoin que j’appuie plus fort sur la pédale d’accélérateur de temps en temps.
Enfin je suis sur l’autoroute. J’accélère hardiment et je constate qu’autour de 120 km/h en troisième vitesse, je pourrais accélérer à presque 180 Km/h. Cependant, j’ai déjà atteint 5000 tr/min et il m’est difficile de décrire à quel point la Daytona est effrayante. En fait, je ne devrais pas tout prendre au sérieux, c’est juste comme un chien qui bâille, qui montre ses dents alors que de la salive dégouline du coin de sa gueule puis qui essaie de courir dans tous les sens… Elle zigzague, ses freins sont faibles, elle fait peur. Et cela réussit à ce que la peur m’envahisse. Parce qu’elle grogne terriblement… Elle ne fait que grogner ! D’un mouvement sec, je secoue le levier de vitesses et pousse à fond. Je ne sais pas si je tremble ou si c’est le rétroviseur. En tout cas, je peux voir une Audi A4 TDI avec ses feux de jour qui veut me dépasser. Un voyageur commercial est clairement sur le point de m’humilier. Je déteste cette honte.
Embrayage. Retour en troisième. Plein gaz. Les deux pompes à essence pompent (sic !) du carburant dans les six carburateurs double corps, la Ferrari a d’abord tremblé puis s’est précipitée vers l’avant. Quelques secondes et la vitesse de Daytona est de 180… Ma fréquence cardiaque aussi. Mais d’un autre côté, l’Audi A4 a abandonné, son conducteur ayant du être épouvanté par l’onde sonore du V12. Tout cela ne semble pas avoir beaucoup de sens, c’est enfantin ! Mais j’ai un accord de pouvoir piloter la Daytona “à mes risques et péril” en échange de quoi j’ai l’occasion de faire quelques tours en essayant d’avoir l’expression sur le visage, d’une Rock-Star.
La Daytona montre de bonnes manières, mais malgré elles, ce n’est toujours qu’une connerie qui en 1968 était annoncée à vendre au triple du maximum moyen des voitures les plus chères d’alors. A cette époque, rouler à 250 km/h exigeait encore une réelle compétence et un vrai respect de la voiture. Aujourd’hui, vous appuyez sur la pédale d’accélérateur d’une Mercos SLR AMG, et, avant que la chaîne stéréo ne joue votre morceau préféré, vous naviguez déjà le long de l’autoroute à 200, sans même vous en rendre compte, car les ventilateurs (silencieux) de l’appui-tête soufflent agréablement à l’arrière de votre tête ! Sur les routes étroites, la GTB/4 fait face à des défis en raison de sa taille. C’est tout le contraire d’une conduite relaxante ! Pour être jeté dans un virage, le volant doit être tourné avec une force incroyable, et? en adhérence extrême, la Daytona commence à sous-virer comme un autobus dévalant une montagne. Tôt ou tard, une section droite réapparaît. la Daytona s’y jette en dérapage. Alors qu’elle se dépêche de rentrer chez elle le long de l’autoroute déserte, ses phares qui se lèvent projettent d’étroits cônes de lumière sur l’asphalte. La Daytona rugit à nouveau, mais cette fois pour me donner du courage.
Lorsqu’un Italien s’appelle Leonardo et qu’il est engagé dans les arts visuels, cela suscite naturellement certaines attentes. Leonardo Fioravanti (1938) a travaillé chez Pininfarina de 1964 à 1987, d’abord comme aérodynamicien puis comme designer. En tant que deuxième directeur du studio de design Pininfarina, il a conçu la Daytona en 1966. Aujourd’hui, Fioravanti parle de la création de la 365 GTB / 4 :
-“J’ai construit la voiture en une semaine. Pas de compromis. Sans l’influence des spécialistes du marketing. Tout seul. Avec la Daytona, j’ai réalisé mon rêve personnel de voiture de sport dans un moment d’inspiration réelle et profonde. Quand j’ai montré mes croquis à Signor Pininfarina, il a tout de suite voulu les montrer à Enzo Ferrari. Le commendatore a immédiatement approuvé les projets. Ils m’ont ensuite appelé Monsignore Daytona. Cela illustre probablement le mieux l’importance de 365 GTB/4 dans ma vie. De toutes les voitures que j’ai conçues, la Daytona est ma préférée”…
HISTORIQUE DU MODÈLE
1966: Premiers croquis du successeur de la Ferrari 275 GTB / 4.
1967: Fabrication du premier prototype.
1968: La Ferrari 365 GTB/4 est dévoilée au Mondial de l’Automobile de Paris en octobre.
1969: La production en série de la Berlinetta chez Scaglietti commence en janvier. Quelques semaines plus tard au Mondial de l’Automobile de Paris, Pininfarina dévoilé la version 365 GTB/4 avec toit rigide et lunette arrière amovible.
1971: Les phares escamotables/rétractables ont été introduits conformément à la législation américaine.
1973: Fin de la production de la Berlinetta
Fabriquée par Scaglietti, la Daytona est construite sur un châssis tubulaire fait de tubes ovales – une technique classique chez Ferrari. Son empattement de 2,40 mètres est identique à celui de la 250 GT et de la 275 GTB. Elle emprunte également à cette dernière l’architecture à moteur avant avec l’ensemble boîte de vitesses-pont implanté à l’arrière. Gavé par six carburateurs Weber double corps, le V12 ne développe pas moins de 352 ch à 7500 tr/mn, soit vingt chevaux de plus que la mécanique de même cylindrée montée sur les 365 GT 2 + 2 et 365 GTC (qui ne dispose que d’un seul arbre à cames en tête par rangée de cylindres). La vitesse frôle les 280 km/h et le kilomètre départ arrêté est abattu en 24,3 secondes.
Parmi les Daytona hors-série (il y en aura peu) il y a le spider à arceau réalisé par Giovanni Michelotti et exposé au salon de Genève de 1975. Commandée par Luigi Chinetti, la voiture évoque le design de la Corvette. Engagée aux 24 Heures du Mans sous les couleurs du NART, elle parviendra à se qualifier aux mains de Jean-Pierre Malcher (mais elle ne courra pas). D’une esthétique nettement plus discutable, un “shooting break” sera dessiné par l’architecte américain Bob Gittleman. Réalisé à l’initiative de Coco Chinetti, le fils de Luigi, et de Gene Garfinkle, il sera construit par la maison britannique Panther Westwinds. A la fin de 1973, la Daytona s’efface au profit de la Boxer 365 GT4 BB et son 12 cylindres à plat implanté au centre de la voiture. Au terme d’une carrière de près de cinq ans, c’est un total d’environ 1350 exemplaires (dont 15 versions compétition) qui auront été produits.
Achevé par l’usine en mars 1973, cet exemplaire a été construit pour le marché européen et a été livré neuf à l’importateur officiel Ferrari pour la Suisse, la Société Anonyme pour la Vente des Automobiles Ferrari (SAVAF), et livré à son premier propriétaire, M. Bellevue de Genève, peu de temps après. En 1975, la 365 GTB/4 a été acquise par son deuxième propriétaire au Portugal et un an plus tard, elle a déménagé en Suède sous la propriété de plusieurs détenteurs jusqu’en 1983, date à laquelle la voiture a été exportée aux États-Unis et immatriculée en Virginie.
En 1986, le collectionneur Stanley Cohen, de Windsor, Connecticut, a acheté la voiture et l’intérieur a été retapissé avec la sellerie en cuir beige et les inserts deq sièges noirs que l’on peut voir aujourd’hui. La voiture est ensuite passée au célèbre collectionneur Herb Chambers de Somerville, Massachusetts et plus tard à un propriétaire à Providence, Rhode Island. En 2004, la 365 GTB/4 a été acquise par son plus récent propriétaire qui conservera la Ferrari pour les 16 années suivantes. Dans cette période de propriété, la voiture a obtenu la certification Ferrari “Classiche” en mars 2006 et le “Livre rouge” qui l’accompagne indique que les numéros de série indiqués pour la carrosserie, le châssis et le moteur ont été reconnus pour correspondre aux dossiers d’usine, tandis que la boîte de vitesses est du bon type. En plus de la Ferrari “Classiche” et du “Red Book”, la voiture est présentée à la vente avec de nombreux accessoires d’accompagnement que l’on pourrait espérer dans une Daytona, y compris un manuel du propriétaire 365 GTB/4 et des livres assortis, un dossier historique bien documenté et une trousse d’outils en cuir. Le compteur kilométrique n’indique que 24.321 km.
2 commentaires
Mon cher Gatsby,
Avez-vous été rétrocommissionné par Sotheby’s après cet essai ? Votre présence dans ce véhicule en augmente nettement la valeur !
Peanuts ! Des noix ! Rien ! De toutes façons je suis impayable !
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