1967 Shelby GT500 Super Snake…
Créée en 1965, la Mustang Shelby 350GT doit son existence à une commande de Ford…, le constructeur cherchait en effet à contrer la Corvette dans le championnat américain SCCA (Sports Car Club of America), où la Mustang de série, même la mieux lotie en options mécaniques (et Dieu sait si elle ne manquait pas de chevaux !), n’était pas de taille face à la Chevrolet Corvette.
Elle fut construite à partir du coupé Mustang Fastback de série, contrairement à la Cobra envisagée au départ comme production confidentielle orientée vers la compétition, la transformation des Mustang par Carroll Shelby dépassera largement les prévisions.
Si la voiture est aisément reconnaissable à sa livrée blanche barrée de bandes bleues et à son capot en polyester doté d’une prise d’air, les principales différences qui la distinguent des Mustang de série sont dissimulées au regard.
Le moteur est le V8 de 289 ci (4737 cm3) High Performance affûté, dont la puissance passe à 306 chevaux à 6000 tr/mn, contre 271 chevaux en série…, le couple monstrueux atteint 45,5 mkg à 4200 tr/mn.
Pour parvenir à ce résultat, Carroll Shelby avait procédé à de nombreuses transformations : vilebrequin spécial, taux de compression porté à 11:1, carburateur Holley quadruple corps, admission par pipe spéciale en aluminium, échappements spécifiques et carter d’huile de plus grande capacité.
Deux couvre-culbuteurs ailetés en aluminium frappés du cobra complètent l’ensemble.., Shelby confiant la transmission de la cavalerie à une boîte de vitesses manuelle Borg Warner à quatre rapports de type T10…, le pont étant doté d’un différentiel à glissement limité.
L’essieu arrière, emprunté à la Ford Galaxie, a sa voie réduite, tandis que la suspension est assurée par des jambes de poussée et des amortisseurs Koni réglables…, à l’avant prennent place une barre antiroulis et une barre supplémentaire reliant les amortisseurs, également des Koni.
Le freinage est assuré à l’avant par des disques de marque Kelsey-Hayes, tandis qu’à l’arrière, les tambours ont été agrandis et pourvus de garnitures métalliques (il fallait bien ça !) quant à la direction, elle s’avère heureusement plus directe et elle a perdu son assistance… et, à l’intérieur, la banquette arrière a disparu au profit de la roue de secours (homologation SCCA oblige).
Au volant, le V8 n’apparaît pas comme un funambule du compte-tours, les montées en régime n’étant pas si fulgurantes qu’on imagine…, par contre, il brille par sa souplesse et sa très large plage d’utilisation…, il y a des chevaux partout… et quand la cavalerie se déchaîne, aux alentours de 3500 tr/mn, la voiture “pousse” vraiment fort.
Les données du constructeur (214 km/h, 400 mètres départ arrêté en 14,5 secondes et six secondes pour passer de 0 à 100 km/h) paraissent optimistes…, elles n’ont du reste jamais été confirmées par les essais réalisés à l’époque.
La réalité se trouve plus près des 200 km/h, avec le 0 à 100 km/h en moins de sept secondes…, des performances qui n’ont rien d’exceptionnel, même si elles se révèlent en net progrès par rapport aux Mustang de série.
Si la tenue de route est affectée du dandinement caractéristique de la Mustang, la Shelby s’avère toutefois moins survireuse grâce à un meilleur guidage de l’essieu arrière…, quant à la direction, elle apparaît lourde en manœuvres et assez floue sur la route.
S’analysant comme un gros moteur monté une base rustique, la Shelby GT 350 apparaissait malgré tout comme voiture assez équilibrée, surtout par rapport aux modèles “big block” des années suivantes.
Les coupés Mustang fastback étaient livrés par Ford depuis son usine de San Jose aux ateliers Shelby American à Venice, en Californie, où ils étaient assemblés artisanalement.
Si l’homologation en classe B du championnat SCCA requérait la construction de cent exemplaires, ce sont en réalité 562 voitures qui sortiront en 1965 des ateliers Shelby…, ils seront vendus 4.500 $ contre environ 3.000 $ pour un coupé Mustang Fastback de série dépourvu d’options High Performance.
Outre la version routière “Street version”, 25 exemplaires de la 350 GT Racing, étaient préparés pour la compétition, la puissance allant jusqu’à 350 chevaux, avec un intérieur dégarni, un arceau de sécurité, une suspension affermie et des pneus de course.
Au chapitre des curiosités, il faut citer la réalisation de six cabriolets réservés à l’équipe Shelby… en dehors de cela, la Mustang Shelby 350 GT remplit la mission qui lui était assignée.
Pilotée par Jerry Titus, la version Racing remporta en 1965 le championnat SCCA face aux Corvette…, un succès confirmé les deux années suivantes par Walt Hane et Fred Van Beuren, avant que la voiture ne soit battue les deux années suivantes par la Chevrolet Camaro.
La Mustang Shelby 350 GT du millésime 1966 révélait peu de changements, améliorant la visibilité de petites vitres sur le panneau de custode remplaçaient les ouïes d’aération du modèle précédent, alors que des prises d’air étaient installées dans les ailes arrière pour un meilleur refroidissement des freins.
Dans l’habitacle, l’espace arrière se trouvait libéré par le retour de la roue de secours dans le coffre.
Quatre nouvelles combinaisons de couleurs étaient proposées (rouge, bleu métal, vert et noir avec bandes blanches), ainsi qu’une transmission automatique à trois rapports…, quelle hérésie !
Mais le succès commercial fut au rendez-vous…, la production 1966 atteint 2.378 unités, dont 936 commandés par le loueur Hertz (les voitures recevaient une boîte automatique et une livrée noire avec parements dorés)…, en option, le V8 pouvait être gavé par un compresseur Paxton, une solution qui apportait un gain de 45% (de l’ordre de 420 chevaux), mais fragilisait la mécanique…, elle connaîtra peu de succès (150 exemplaires).
Les Mustang Shelby des millésimes 1965 et 1966 sont de loin les plus intéressantes de la lignée, car les plus pures…, mais par la suite, les voitures vont s’empâter au fil des ans à l’instar des modèles Mustang dont elles dérivaient…, pour autant, cette évolution négative n’entravera en rien le succès commercial de la gamme Shelby.
En 1967, la proue est allongée et le capot surmonté d’une volumineuse entrée d’air, tandis que la poupe se prolonge par un becquet, l’évolution de la gamme Ford Mustang ne favorise pas les Shelby, qui se trouvent concurrencées par leurs cousines, notamment les Mach 1, Boss 302 et 429.
Nettement moins cher, un coupé Mustang Fastback de série, motorisé par le V8 390 ci de 335 chevaux, offre des performances pratiquement identiques à celles de la 350 GT… et une tenue de route quasiment équivalente grâce à la suspension Heavy-Duty commune aux deux gammes.
En 1967, la 350GT se voit adjoindre une grande sœur, la GT500…, monstrueuse, la voiture est motorisée par l’énorme 428 ci (sept litres de cylindrée) donné pour 355 chevaux (beaucoup plus en réalité).
Qui plus est, une cinquantaine d’exemplaires reçoivent le 427 ci de 400 chevaux, qui entraîne cette Mustang survitaminée au-delà des 260 km/h…, un modèle exceptionnel qui sera vendu à une clientèle sélectionnée par Shelby.
Toutefois, sensiblement alourdie, la 500 GT ne parviendra pas, malgré son succès commercial, à faire oublier la 350 GT, plus agile.
Le millésime 1968 voit le lancement de la GT500 “King of the Road” dotée du 428 Cobra Jet, qui développe plus de 400 chevaux (diffusion de 933 exemplaires)…, organisée initialement de manière artisanale, la production s’industrialise quelque peu avec le succès commercial, la fabrication étant assurée par Ford à partir de 1968.
La même année, un cabriolet, équipé d’un arceau recouvert de vinyle, est proposé en versions 350GT et 500GT, avec pour ce dernier le choix entre le moteur de 360 chevaux et celui de 400 chevaux.
Les cabriolets représenteront un quart de la production Shelby, qui se poursuivra jusqu’à la fin de 1969 (coupés fastback et cabriolets)…, mais la commercialisation interviendra jusqu’en 1970.
A l’échelle américaine, la production des Mustang Shelby s’avère relativement confidentielle avec un total de l’ordre de 15.000 exemplaires construits sur une période de cinq ans…, aujourd’hui, il va sans dire que ces voitures jouissent, en collection, d’une aura bien particulière, qu’illustre leur cote très supérieure à celle des Mustang de série.
Revenons à 1967…, lorsque Goodyear décide d’utiliser une Shelby GT500 pour tester ses nouvelles gommes Thunderbolt, le fabricant de pneumatiques américain n’imagine pas la tournure que vont prendre les évènements…
Carroll Shelby est alors en charge du développement de la GT40 Mk II qui s’illustre aux 24 Heures du Mans, et Don McCain, responsable des ventes pour Shelby, convainc son patron d’équiper la GT500 de la même motorisation V8 de 600 chevaux… et c’est à Fred Goodell, ingénieur/chef mécanicien prêté par Ford, que revient la charge d’effectuer la transformation…, la Shelby Super Snake est ainsi née.
Fred Goodell sélectionne la GT500 numéro 544 et l’équipe de la mère de tous les 427s de ce moment-là, un Big-Block entièrement reconstruit pour soutenir 6.000 tr/min façon 24H du Mans, c’est d’ailleurs le même moteur que celui de la GT40 Mk II qui a remporté la course d’endurance Française l’année précédente…
Goodell fait également d’autres modifications : un refroidisseur d’huile, des amortisseurs plus rigides pour neutraliser les forces dans les virages à grande vitesse.. etc.etc.
A son arrivée dans le Texas, la dernière semaine de mars, pour les essais Goodyear, la Super Snake était équipé de jantes Shelby en aluminium, montées avec pneus Whitewall Thunderbolt 7,75-15 surgonflés à l’azote pour garder les parois latérales rigides et éviter la surchauffe.
Shelby a pris un certain nombre de journalistes invités, y compris les éditeurs de ces magazines, pour des tours de démonstration autour de la piste… et Carroll Shelby va atteindre une vitesse maximale de 170 MPH, l’essai est un succès complet.
Les tests menés avec les pneumatiques Goodyear Thunderbolt sont concluants, la Shelby a atteint la vitesse de 273 km/h et Fred Goodell a parcouru 500 miles à la vitesse de moyenne de 228 km/h…
Dès lors, une mise en production de la Super Snake est envisagée mais, avec un tarif de 8.000$ plus élevé que celui de la Cobra 427 (deux fois le prix de la GT500 classique), le public n’est pas au rendez-vous.
Don McCain est donc forcé d’admettre que la voiture ne pourra être mise en production, même très limitée, l’idée est abandonnée, la Super Snake restera une pièce unique…, il est décidé de ne pas commercialiser d’autres GT500 Super Snake, la seule construite pour l’essai Goodyear est finalement livrée à Dallas, où elle est achetée en “Pool” par deux pilotes de Braniff International Airways : James Hadden et James Gorman, qui vont ensuite remplacer sa pignonnerie 2,73 originale par une unité 4,10 de dragster.
En 1970, Bobby Pierce de Benbrock, Texas, leur achète la voiture et va la conserver 25 ans avant de la vendre à David Loebenberg demeurant en Floride… et 7 ans plus tard, elle est achetée par Charles Lillard, qui par la suite la vend à Richard Ellis, un collectionneur de Mustang rares dans l’Illinois qui va procéder à la refaire comme à ses débuts : nouveau faisceau électrique, nouvelles durites, “detailling” du compartiment moteur, des nouvelles jantes NOS Shelby et, étonnamment retrouvés neufs, quatre pneus Thunderbolt whitewall.
Ellis m’a expliqué dans un entretien :
– “J’ai voulu être propriétaire de ce morceau d’histoire Shelby pire que quoi que ce soit. Il a été soigné par ses anciens propriétaires, mais j’ai mis beaucoup d’efforts en retournant la voiture à l’état dans lequel elle se trouvait le jour de l’essai des pneumatiques Goodyear. Pourquoi personne n’a entendu parler d’elle depuis 35/40 ans? C’est une survivante miraculée. Je suis certain que Carroll Shelby a démonté les pneus Goodyear Thunderbolts originaux et les a jeté loin quand la voiture est rentrée en Californie. Construite avec le cœur du champion du Mans, il n’y a qu’une seule Super Snake au monde, je l’ai chez moi parce que c’est le résultat d’une confluence des forces qui n’aurait pu arriver dans aucune autre vie”.
Stetson enfoncé sur la tête, Ray-Ban vissées sur le nez et Santiag aux pieds, j’aime me laisser bercer par une bonne vieille musique Country avec le glouglou du V8 d’une Shelby Mustang en fond sonore…
Elle est là, tapie dans le garage…, blanche, bandes bleues, la Shelby GT500 Super Snake est du genre viril… et puis, ce qui saute aux yeux, ce sont les dimensions : elle est taillée pour les cow-boys qui raffolent de poulets gavés aux OGM !
Dedans, pas de doute non plus sur les origines de la bête : l’instrumentation kitch est abondante et l’équipement aussi riche qu’un sandwich King Size…, mais le tout respire la même qualité que la montre en toc pas chère, vendue au marché de la gare…
Bref, c’est du clinquant, mais ce qui est curieux, c’est la position de conduite : si les dimensions extérieures impressionnent, au volant, on se sent assez confiné.., la faute à une garde au toit réduite, qui impose aux grands gabarits comme moi de tomber le Stetson ou… d’en faire un cabriolet !
Fébrilement, je dois bien l’avouer, je tourne la clé de contact…, l’antique V8 se réveille dans un grondement contenu, un peu saccadé.
Face à ce V8, les moteurs sportifs européens semblent développés à la Nasa.., rien de sophistiqué dans ce gros cube donc, qui provient en droite ligne du paléolithique automobile…
Un seul arbre à cames, deux soupapes par cylindre et des valeurs spécifiques dignes d’une Toyota Aygo…, heureusement, la cylindrée copieuse rattrape tout (faites vous-même le calcul, 6 moteurs d’Aygo = 1 Shelby GT500, pas de quoi tomber en pamoison)…
J’essaye de trouver une position de conduite “à la pilote de rallye”, avec un dossier fortement relevé, assis au plus bas et avec un volant droit pas trop éloigné…, mission impossible !
Plutôt que de me caler dans le siège, je comprends qu’ici, il va falloir me laisser tomber dans le fauteuil…, pas de soutien latéral, un faux-cuir bien lisse et un dossier presque vertical, non réglable, calculé pour que le conducteur percute le pavillon à la moindre bosse…, bref, la mise en bouche n’est pas terrible…, dieu que c’est dur !
Mes mollets doivent certainement manquer de protéines…, car les premiers mètres sont plutôt laborieux, avec une pédale d’embrayage dure comme une selle de Mustang et un levier de vitesses aussi lourd qu’un steak T-Bone !
Combinez à cela, une visibilité étriquée… et vous comprendrez rapidement pourquoi la Shelby GT500 Super Snake n’est pas l’engin idéal pour une séance d’emplettes en centre urbain…
Petite route sinueuse, visibilité dégagée, c’est parti…, mais à vouloir exploiter la bête comme une sportive européenne, je me rend vite compte que ce n’est pas sa vocation première !
La direction pourrait être plus directe, la masse importante crée une inertie assez handicapante et les dimensions ne lui confèrent pas une prodigieuse agilité…, quoique le comportement reste homogène et stable !
Quant au moteur, là, je suis déçu : les rapports sont aussi longs qu’une traversée pédestre du Grand Canyon, ce qui asphyxie le V8…, pourtant, avec les 600 chevaux tirés de ce 427ci extrapolé des fameuses GT-40, je m’attendais à une poussée de missile, mais non, rien d’explosif à signaler…
De la réserve, il en a, mais ce fichu levier aussi rétif qu’un cheval sauvage lors qu’une séance de rodéo castre son exploitation…, pourtant, je le sent prêt à taquiner la zone rouge, si seulement le rapport de pont était plus court !
Quant à la bande son, elle est forcément typée, très présente.., je me dis alors que c’est peut-être dans l’utilisation que quelque chose cloche…, je me repasse une bo vieux film américain (Bullit) dans la tête et… c’est le déclic !
Sans plus attendre, je ne laisse plus barboter le V8 à bas régime, j’attends que ça chauffe et là, Blammm, pied au plancher…, c’est le bonheur !
La suspension n’ondule rien, la caisse escalade les bosses, décolle de la route, retombe de travers… et alors que je savoure la vue sur l’immense capot, les innombrables petites aiguilles s’agitent…
En dépit de dimensions dignes d’un Ranch texan, la Shelby GT500 n’est pas la familiale idéale, loin de là…, mais l’accès n’y est pas aussi franchement acrobatique qu’une GT40…, quant au coffre, il est aussi accessible que la réserve d’or de Fort Knox !
Côté consommation, je vous rassure, c’est moins pire que prévu…, la Shelby GT500 Super Snake est un gouffre spectaculaire, en y allant relax, j’ai calculé 46 l/100 km, ce qui est copieux, mais pour ma part, je n’allais pas me contenter d’une utilisation courante sur route et autoroute…
Pied au plancher, poussée maximum, ce n’est pas un litre de moins qui aurait changé grand chose, l’engin hurle sa rage, tout vibre, l’aiguille de la jauge d’essence diminue à vue d’œil (je calculerai plus tard que la consommation dépasse 60 l/100 km, il y a de quoi effrayer les écolos !
Yeeeepeeeee !
Si le politiquement correct vous agace, si le soir, vous regardez “Bullit” en boucle avec un seau de pop corn…, si pour vous l’automobile passe forcément par un gros V8, même si vous préférez conduire coude à la portière, avec de la musique Folk en fond sonore…, c’est l’engin idéal !