1988 Léa Francis “Ace of Spades”
LEA-FRANCIS, marque aussi rarissime que Bristol ou AC, possède une histoire qui intéresse au plus haut point les amateurs de voitures d’époque.
Les voitures de cette vieille marque anglaise figurent dans le palmarès des voitures ayant marqué le deuxième millénaire.
LEA-FRANCIS était avant tout une des marques favorites d’une race de pilotes de course à jamais éteinte que l’on appelait “gentlemen-drivers“.
Dilettantes fortunés, appartenant souvent à des familles bien nées, ces étranges personnages pouvaient se permettre de dépenser des fortunes pour une voiture “racée“.
Entendons-nous bien, les LEA-FRANCIS ne furent jamais les voitures de monsieur tout-le-monde.
Ces messieurs sportifs et distingués étaient comblés lorsqu’ils pouvaient parler de leur LEA-FRANCIS en fumant un bon cigare et dégustant un porto des meilleures années dans leur Club favori.
Même pendant les pires années de crise des années 1930, il fallait toujours commander sa voiture à l’avance et attendre avec une philosophie toute anglaise que le constructeur daigne bien mettre en chantier votre “Ace of Spade” préférée.
On pouvait bien entendu choisir la couleur de la belle, soit “Wedgewood blue“, “English racing green“, “Beige-Pâle-Yellow” ou un “Two-tone Primrose and marroon” du dernier chic.
Sur ce, une fois au volant de votre “Ace of Spades” il fallait vous précipiter au Tourist Trophy ou au Rallye de l’Ulster afin de bien noyer votre LEA-FRANCIS sous des gerbes de boue.
Ce qui n’a pas empêché la petite firme de Coventry d’aligner une “Ace of Spades” 1500 cc double arbre à cames en tête au 24 Heures du Mans 1928.
Confidentielles, les LEA-FRANCIS l’on toujours été.
Cette voiture, conduite par un privé, K.S. Peacock, a terminé en 8ème position l’épreuve mancelle en couvrant la distance de 1383,63 milles à la vitesse de 57 mph de moyenne (en 1928 !!!).
La vitesse de pointe de ces voitures frisait les 75,6 mph et dans la classe de voitures sport de 1,500 cc, les LEA-FRANCIS étaient quasiment seules à pouvoir tenir tête à la nouvelle Alfa-Romeo 1,500 cc.
Un duel mémorable eut lieu lors du Grand Prix d’Irlande où l’Alfa de Iwanowsky termina l’épreuve en tête, suivi de S.C. Davis sur Lea-Francis à 66 secondes après un duel de 300 milles à la vitesse de 74,65 mph !
Le début des années 1930 vit la poursuite de la lutte entre les Alfa-Romeo et les Lea-Francis dans les grandes courses d’endurance européennes, en particulier dans les Tourist Trophy et les rallyes d’endurance.
Mais l’arrivée de l’Alfa-Romeo 1750 sonna le glas des “Ace of Spades“.
Les Lea-Francis n’étaient désormais plus compétitives.
L’ingénieur Van Eugen de Lea-Francis décida qu’il était temps pour la firme de Lower Ford Street de produire ses propres moteurs, abandonnant ainsi une longue relation avec les moteurs Meadows.
Le nouveau moteur était un 6 cylindres de 1,991 cc simple arbre à cames en tête entraîné par chaîne.
La nouvelle “Ace of Spade” était née et bien née.
Elle se tailla une remarquable renommée parmi la “gentry” anglaise prête à payer le double du prix d’une Talbot “Roesch” ou d’une Riley “Monaco” pour le plaisir de rouler dans une voiture plus exclusive qu’une Rolls ou une Daimler.
Si la 6 cylindres était le nec plus ultra on ne vit que très peu de Lea-Francis dans des rallyes internationaux et encore moins sur les circuits.
La marque faillit disparaître dans la tourmente de la crise de 1929 et s’il n’eut été deux têtes brûlées qui avaient quitté Riley Motors en claquant la porte, l’histoire de LEA-FRANCIS aurait été terminée à l’automne de 1934.
Les LEA-FRANCIS s’étaient embourgeoisées, dépassées par les Riley, Alvis et Talbot “Roesch“.
George Harold Leek et Raymond Hugh Rose avaient tous deux travaillé pour Humber, puis Riley et enfin pour Hillman avec le fameux Louis Coatelen, personnage haut en couleur mais au caractère impossible.
Hugh Rose avait dessiné pour Riley un nouveau moteur à 4 cylindres et double arbres à cames en tête dont les performances étaient nettement au-dessus de la moyenne de l’époque.
Riley a du reste construit ce moteur jusqu’en 1954 où il disparut dans la fusion catastrophique de Riley avec le nouveau groupe BMC.
Ce moteur d’Hugh Rose, retouché par George Harold, permit à LEA-FRANCIS non seulement de survivre jusqu’au début du deuxième conflit mondial avec deux modèles extrêmement populaires (selon les critères de Lea-Francis!) et environ 280 voitures, (4cyl. et 6cyl confondues) sortirent des usines de Lower Ford Street à Coventry entre 1935 et 1939, dont environ une douzaine de très beaux roadsters carrossés par Corsica.
Dès la fin de la guerre, Lea-Francis reprit ses activités automobiles, les premières Saloon furent mises en vente dès le début de 1945.
La guerre et les contrats d’approvisionnement pour le Gouvernement Anglais permirent à Lea-Francis de se remplumer substantiellement.
Ces “12/40” de 1,5 litres étaient nettement sous motorisées mais la pénurie de voitures neuves était telle que les clients ne rechignaient pas.
Un très beau coupé deux portes carrossé par Westland Motor Co. était offert à la fin de 1946 et dès 1947 Hugh Rose lança une 2,5 litres qui enfin permettait aux acheteurs d’atteindre des performances honorables.
En 1947, la production de Lea-Francis atteignit 553 voitures (14/40) et 80 châssis destinés aux carrossiers.
Un nouveau prototype de roadster fut montré au salon de Londres en juillet 1947…, il s’agissait d’un très joli cabriolet deux places confortable, mais cher.
Lea-Francis en vendit 89 en 1948 dont 11 aux Etats-Unis.
Le mois de mai 1948 vit le lancement commercial de la 2,5 litres sous la forme d’une nouvelle berline de luxe ressemblant à la fameuse Armstrong Siddeley Sapphire, tandis que le roadster était équipé du moteur 2,5 litres qui lui permit de se mesurer aux Healey et Allard du temps sur le pavé de Silverstone.
La production commença a décliner à partir de 1951 avec l’arrivée des nouvelles MK VII de Jaguar, plus puissantes et meilleur marché que les Lea-Francis (Une Jaguar MK VII était vendue 1,616 livres sterling et la petite Lea-Francis (Light Six) 1,930 livres !).
La production de 1950 fut de 683 voitures, la plus grande production jamais atteinte par la vieille dame de Coventry qui fêtait cette année-là ses 55 ans d’existence, soit 570 14/40, 67 “Estate“cars (Station-wagons) et 17 Light Six (nouvelles carrosseries) ainsi que 54 roadsters (Les chiffres ne jouent pas, car il est bien connu que les anglais ne savent pas additionner).
La fin était proche, avec 164 voitures vendues en 1952, et, malgré l’introduction d’une nouvelle 2,5 litres, seulement 32 voitures furent finalement construites entre 1953 et 54.
Un dernier effort de la vieille firme fut le lancement de la “Lynx” un roadster plutôt laid et cher qui fut définitivement détrôné par le lancement de la Triumph TR3.
Quelques prototypes suivirent, comme la “Crusader” sorte de monstre à châssis tube inspiré de la Rover mais dont la production ne vit jamais le jour.
Barrie Price re-débuta l’activité de l’usine en effectuant des réparations et des restaurations de Léa Francis, quels qu’en soit les modèles et leurs années de fabrication.
Etonnement, Lea-Francis survécut à toutes ces péripéties et en 1962, Barrie Price racheta toutes les parts de la société “Léa Francis“, y inclus les droits exclusifs du nom et le badge.
Il re-lança la fabrication d’un nouveau modèle en 1976, la “14hp Sports” qui n’eut pas de succès.
Quelques temps plus tard, avec son ami et associé Graham Charles Engelbach jr. il décida de créer la première réelle “nouvelle” Léa Francis d’après guerre, un modèle sportif 2 places tout en aluminium, carrosserie artisanale entièrement façonnée “à-la-main“, montée sur un châssis maison “Ladder-Type box section“, motorisée par une mécanique 6 cylindres en ligne Jaguar 3L4 équipé d’une boîte manuelle à 4 rapports.
En 1988, dans les nouveaux locaux de Léa Francis à Studley, Warwicshire, England, Barrie Price présenta la nouvelle “Ace of Spades“, un Coupé en édition limitée, proposée à la vente au tarif astronomique de 300.000 £ Sterling, un prix largement supérieur à celui d’une Rolls-Royce et d’une Bristol Bleinheim…
Seulement 3 Coupés “Ace of Spades” furent construits…, dont un seul (celui illustré sur les photographies de cet article) en version LHD !
Les 5 Léa Francis “Ace of Spades” version après guerre (de 1988 à 1992) sont les plus rarissimes automobiles “de production” de toute l’histoire automobile.
Au British Motor Show de Birmingham en 1992, Barrie Price présenta une version cabriolet 2 places et une version Coupé 4 places, toutes deux extrapolées du Coupé 2 places “Ace of Spades” qui n’avait été construit jusqu’à cette date qu’à 3 exemplaires !
Ce qui étonne le plus dans l’histoire de Lea-Francis, c’est que depuis le démarrage de la firme en 1895 et des nombreux soubresauts financiers qui l’ont conduite à l’an 2000, c’est qu’il y a toujours eu sur le chemin de Lea-Francis des hommes hors du commun qui ont imposé des solutions techniques très à l’avant garde de leur temps.
Prenons l’exemple de la première Lea-Francis jamais construite : en 1903 elle possédait un moteur trois cylindres à plat sous le plancher à simple arbre à cames en tête !.
En 1917, Lea-Francis brevetait une transmission automatique pneumatique à trois vitesses et une marche arrière.
En 1922, Lea-Francis adoptait comme principe de base une boîte à 4 vitesses et embrayage hydraulique boulonnée directement au moteur.
L’adoption des moteurs Meadows en 1923 comme équipement standard permit à Lea-Francis d’offrir des voitures dont les caractéristiques étaient l’extrême longévité du moteur Meadows.
En 1924, toutes les Lea-Francis, petites et grandes, étaient munies de freins sur les quatre roues.
En 1926, l’adoption de roues Rudge à écrou central fut une innovation considérable ainsi que l’adoption d’un servofrein DeWandre.
Et c’est au cours de la même année que l’adoption d’un moteur double arbres de 1,500 cc en montage standard allait permettre à Lea-Francis de s’illustrer en compétition.
Ce moteur avait aussi comme particularité d’avoir des chambres de combustion hémisphériques… et le jeu des tiges de soupapes sur les cames était déjà ajusté par un jeu de pastilles comme sur les Jaguar XK 120 de 1953 !
Les plus téméraires montaient des compresseurs Rootes ou Cozette sur leurs voitures, dont le fameux Sutton qui battit le record de l’heure à Brooklands totalisant 110,63 milles, soit environ 176 km/h !
Les Lea-Francis sont très confidentielles, mais elles ont toujours été des monstres sacrés ! Le modèle qui est ici présenté est le N° 2 sur 5 voitures construites. Son numéro de châssis est le # 5502. Moteur 3L4, 6 cylindres en ligne Jaguar, boîte manuelle 4 rapports. C’est la seule et unique Léa Francis en configuration LHD (volant du coté gauche, pour circulation “continentale“, à droite de la route). Elle n’a eu que deux propriétaires, Barrie Price en personne (qui la réservait pour ses voyages sur le Continent Européen) et moi qui lui vouait une totale dévotion amoureuse. Mais, elle a été volée… et ce, dans des circonstances plus qu’étranges… L’organisateur d’un show de voitures anciennes en Belgique, Mr Hans Stevens, voulait l’exposer pour attirer un maximum de visiteurs… Il en était le responsable, il était le gardien civilement et pénalement responsable pour un montant conventionnel de 200.000 € établi en 1989… Il a promis tout et n’importe quoi pour en disposer, et… le dernier jour du show, il a ouvert les portes une demi-heure avant la fin officielle pour la laisser partir… sans s’inquiéter… Puis, de manière surréaliste, comme un voleur de bijoux qui se retournerait contre la bijouterie qu’il a dévalisé parce que les pièces de son larcin vaudraient moins qu’affiché, il a déposé plainte pour escroquerie sur base d’un faux contrat d’assurance réalisé 2 ans APRES le vol… et daté 2 jours APRES celui-ci… Une grande aventure qui dure depuis 1989 grace aux faux qu’il a fait fabriquer et utilisé sans interruption depuis 1991…
Il n’existe que 5 LéaFrancis “Ace of Spades” au monde… Celle-ci, châssis # 5502, est la seule LHD… Si vous la croisez ou en entendez dire quoique ce soit, prévenez-moi : de_bruyne_patrice@hotmail.com
1988/1992 Léa Francis “Ace of Spades” from Patrice De Bruyne on Vimeo.