1965 Serenissima Jet Berlinetta…
Cette voiture peut être considérée comme une reprise du coupé de sport ATS dessiné par Carlo Chiti sous le parrainage du comte Volpi di Misurata.
Le moteur V8 avait deux arbres à canes en-tête, alors que l’ATS n’en avait qu’un, mais le montage central du moteur, le châssis entrecroisé, les freins à disques, étaient hérités de l’ATS.
Elle a été fabriquée en version 300 cv, 3,0 l., et en version 340 cv 3,5 l.
L’une d’entre-elles courut avec succès au Mans en 1966.
Les moteurs Serenissima furent aussi essayés sur les McLaren de formule 1 de 1966, mais abandonnés à la saison 1967.
Le comte Giovanni Volpi di Misurata était l’un des corsaires les plus en vue de l’Italie dans les années 1960, grâce à sa Scuderia Serenissima Republica di Venezia (Scuderia SSS), il était surtout connu pour posséder et piloter les plus belles Ferrari.
Quand un certain nombre des meilleurs ingénieurs Ferrari se sont disputés avec Enzo Ferrari dans ce qui a été appelé “la révolution de palais” et ont quitté le fabricant de Maranello en 1961, le jeune comte a immédiatement fait partie d’un certain nombre de bailleurs de fonds de leur nouvelle société : Automobili Turismo e Sport (ATS).
Naturellement cela n’a pas rendu Enzo Ferrari particulièrement heureux… et toutes les commandes d’achat de Ferrari du comte ont été annulées, celui-ci se retrouvant sans voitures de course pour la saison suivante.
Les conflits internes chez ATS ont empêché cette prometteuse société de vraiment faire de l’ombre à Ferrari et de passer à la postérité mythique avérée d’une marque de prestigieuses voitures de course et de route.
Le comte Volpi a quitté la firme ATS en emportant la voiture s/n 004 ainsi que les 4 châssis roulants de la production totale des 12 fabriqués dont 8 avaient été utilisés pour fabriquer les ATS de route…, puis il a fait son bilan psychologique et financier…
Il était à court de voitures de course pour la saison 1962, l’ATS était une routière pas vraiment préparée pour les circuits…, il disposait par contre de 4 châssis et de 4 moteurs ATS neufs, ainsi que du potentiel humain (les ingénieurs et ouvriers) de chez ATS qui avait fermé ses portes…, que faire ?
Dans un premier temps, comme un bouche-trou, il a engagé l’ancien ingénieur de chez Ferrari et ATS : Giotto Bizzarrini, pour modifier deux Ferrari assez âgées afin de les rendre compétitives dans les courses auxquelles il s’était inscrit, mais cela ne s’est pas avéré une très grande réussite.
Il se dit que le nom de Serenissima était connu des spécialistes comme emblème de l’équipe de course créée par lui et que ses supporteurs fortunés, lui achèteraient sûrement une voiture de route extrapolée d’une voiture de course portant le nom de Serenissima…
Le comte Volpi refit son bilan, incluant celui de sa santé qui risquait de vacciller…
N’était-il pas la meilleure pièce de ce puzzle puisqu’après avoir aligné en course des Ferrari, Maserati et Abarth, il avait brillament participé à l’aventure ATS mais s’en était désengagé très vite sans que cela ne fasse de vagues déferlantes destructrices d’une réputation… et il avait récupéré une voiture terminée et 4 châssis roulants ainsi que quelques moteurs…, le tout dans un shaker… d’où en est sorti un délicieux cocktail… et cela lui a donné l’idée de lançer l’étude d’une voiture de sport inédite qui porterait le nom de Serenissima, basée sur l’ATS dont il avait les plans !
Etudiée dès 1963 cette machine abordait une architecture moderne, prétendant officiellement (la presse s’est toujours laissée manipuler pour mieux jouir de ses perversités), être l’œuvre entière d’une petite firme de Modène : la Sasamotors Spa, où on retrouvait le célèbre ingénieur Alberto Massimino et son associé Girolmamo Amorrotti, directeur de la société.
En réalité, il s’agissait d’une réadaptation sur base des châssis ATS.
La Sérenissima se présentait sous la forme d’une berlinette profilée à moteur central, baptisée 308 V Jet, dont la carrosserie avait été exécutée par la société Grandsport de Modène, sur un dessin de Francesco Salomone, ex-styliste de Fiat puis Pininfarina, inspiré par l’ATS.
Le moteur Serenissima V8 de 3 litres était le V8 ATS amélioré, chaque rangée de cylindrées étant coiffée d’une culasse hémisphérique à double allumage et à double arbre à cames en tête.
La puissance annoncée était de 300 cv à 4000 tr/mn.
De ce fait chaque rangée de cylindres possèdait des sorties d’échappements aussi nettes et simples que sur un 4 cylindres.
Le vilebrequin tournait sur 5 paliers et ses manetons étaient alignés sur un seul plan, si bien que le moteur pouvait être considéré comme deux quatre-cylindres en ligne accouplés dans un V ouvert à 90°.
La boite de vitesses était une Colotti modifiée par Serenissima, comprenant 5 rapports dont les 4 premiers synchronisés par un verrouillage Porsche.
Un différentiel autobloquant ZF se chargeait ensuite de la transmission finale qui était réalisée par deux demi arbres cannelés et à double joints de cardans.
Les quatre disques étaient placés sur les moyeux des roues à rayons de 15 pouces et commandés par un double circuit.
Le châssis multitubulaire était réalisé dans des éléments de très fortes sections (50 et 70 mm de diamètre). La suspension à 4 roues indépendantes était de facture classique .
Avec le plein la voiture était estimée peser 850 kg.
Le châssis nu de la Serenissima 308 V Berlinetta fut présenté sur la piste de Modène en novembre 1964, piloté par le pilote essayeur Luigi Bertocco… et la voiture fut présentée complète et terminée, en ordre de marche, un mois plus tard ( le 20 décembre ) au même endroit.
D’apparence comme de conception, l’ensemble faisait tout de suite penser à un mélange d’ATS et de Ferrari 250 LM, ou plus encore à une Iso Competizione, toutes ayant été conçu par les mêmes personnes !
Mais la belle va jouer longtemps les arlésiennes.
Théoriquement la Serenissima 308 V Berlinetta avait effectivement tout (y compris la cylindrée et la puissance) pour rivaliser avec ses célèbres compatriotes Maserati et Ferrari.
Engagée aux 500 km de Spa, elle déclare forfait, tout comme aux 24 heures du Mans où deux engagements avaient été acceptés pour l’écurie anglaise Walker.
En juillet 1965 la berlinette originelle est sensiblement modifiée, elle bénéficie des améliorations apportées sur le spider Torpédo sorti quelques semaines plus tôt.
Elle reçoit un moteur de 3,5 litres et son empattement est réduit de 12 cm.
La carrosserie, toujours en provenance de Grandsport, est d’apparence plus trapue, avec un avant redessiné.
A partir de ces modifications le châssis 001 est re-numéroté 003.
Après avoir présenté la Serenissima 308 V Jet Berlinetta en décembre 1964, le compte Volpi dévoile sa première barquette baptisée Torpédo au mois de juin suivant, qui est en fait une évolution de la première voiture, elle en diffère en effet par de nombreux détails.
D’abord par sa forme, puisqu’il s’agit maintenant d’un spider, construit par le carrossier Fantuzzi, là encore très inspiré des Ferrari contemporaines…, ensuite par son châssis dont l’empattement est raccourci de 12 cm, tandis que les tubes qui le constituent sont de plus petits diamètres que le coupé, soit respectivement 65 et 45 mm au lieu de 70 et 50, dans un souci d’allègement de l’ensemble.
Le moteur est toujours le V8 maison, sur-alésé pour arriver à une cylindrée de 3,5 litres.
Alimenté par de plus gros carburateurs le bloc revendique maintenant une puissance de 340 cv.
Les échappements sont à double sortie.
La voiture fait l’objet d’essais privés intensifs tout au long de l’année 1965…, en public, on la voit seulement à la course de côte de Chamrousse, aux mains de Willy Mairesse.
L’avant est redessiné dans la forme de la Torpédo : deux prises d’air apparaissent sur les côtés du pavillon, séparés par une écope qui porte un écusson dessiné par Gianni Bulgari qui va devenir fabricant de bijoux et montres.
En octobre 1965 la voiture évolue encore et prend sa forme définitive.
La Serenissima 308 V Jet Berlinetta ne fit que deux apparitions officielles en courses.
La première à l’occasion des essais préliminaires des 24 heures du Mans en avril 1966, où, à cette occasion la carrosserie avait encore été modifiée : les pare chocs étant retirés et un nouveau capot arrière intégrant des découpes plus importantes pour les freins et le refroidissement du moteur.
Le journaliste Jean Claude Sauer et le pilote italien Corbeto se relaient à son volant.
Ils sont retardés par une défaillance d’entrée du 3,0 litres, puis par des ennuis de graissage du 3 litres de remplacement.
L’Italien réalise leur meilleure performance en 4’18, à 187,392 km/h de moyenne.
Un mois plus tard la berlinette est engagée à la course de côte de Castione Neviano, où elle se classe deuxième, aux mains de Luigi Bertocco.
Par contre pour les 24 heures du Mans elle cède sa place à la barquette Torpédo 358 apparue dans sa première forme en juin 1965.
En juin le moteur n°101F1 est retiré du châssis de la Jet pour être utilisé dans la Formule1 M2C de Bruce Mclaren, selon des accords passés entre la jeune équipe néo-zélandaise et la firme italienne.
Le pilote constructeur termine 6ème du Grand Prix d’Angleterre disputé à Silverstone le 16 juillet 1966, glanant ainsi le premier point au Championnat du Monde de Mclaren.
Mais Bruce décide bien vite de choisir une autre motorisation plus compétitive pour ses futures monoplaces.
Quand au même moteur il va être réutilisé pour équiper une nouvelle berlinette Serenissima conçue sur les bases d’un châssis…Mclaren.
En janvier 1966 Serenissima présente une nouvelle version de son modèle Torpédo au salon de la voiture de course de Turin…, sur une ligne générale proche du modèle original on note de nombreuses modifications extérieures, comme la calandre agrandie, des prises d’air aménagées sur l’arceau de sécurité et au dessus des roues arrières… et un pare brise entourant tout l’habitacle.
La barquette qui est au départ de la course de juin porte une robe grise métallisée et est confiée aux pilotes français Jean De Mortemart et Jean Claude Sauer.
Ses roues sont maintenant plus larges et en magnésium au lieu des roues fils de la version ’65.
Les pares chocs sont supprimés et des prises d’air supplémentaires placées sur l’arceau.
Annoncée à 985 kg au pesage, la Serenissima 308 se qualifie en 42ème position avec un temps de 4’24″8.
En course elle connaît très tôt des ennuis de boite qui la font naviguer au classement entre une CD et la Mini Marcos.
Pratiquement privé, depuis le début, des 2 premiers rapports, malgré une longue tentative de réparation, l’équipage se retire sans gloire à la 21ème heure le long des Hunaudières.
En fin de saison une nouvelle société, Serenissima Automobili SpA, basée à Formigène, remplace l’ancienne entité de Modène.
Alf François qui a reçu l’ATS personnelle du comte Volpi (châssis s/n 004) en paiement de ses prestations chez ATS, est nommé directeur technique… et de nouveaux projets vont remplacer les Torpédo, Jet et Jungla.
Après les expériences malheureuses des sports prototypes Jet et Torpédo de 1965/1966, on revoit deux ans plus tard la marque du Comte Giovanni Volpi sur des grilles de départ…, ayant abandonné toute coopération avec la société Sasamotors, le comte Volpi a fait fabriquer une nouvelle berlinette, construite sous la direction d’Alf François, qui monte le moteur V8 d‘Alberto Massimino, quelque peu évolué, sur un châssis Mclaren.
Cette ex biplace est modifiée pour répondre à la réglementation sport prototype et donc bien entendu sensiblement alourdie.
Le moteur, encore avec carburateurs, doit être équipé rapidement de l’injection…, la puissance est cependant insuffisante avec seulement 275 cv.
Le V8 est accouplé à une boite GSC, Alf François étant associé avec Colotti au sein de cette firme.
Le poids à vide est annoncé pour 670 kg, ce qui semble déjà bien optimiste.
La gestion sportive est sous la responsabilité de Nello Ugolini, ex-directeur de courses de Ferrari, Maserati et déjà Serenissima.
Figurant sur la liste des engagés des 1000 km du Nürburgring par l’intermédiaire de la Scuderia Filippinetti, elle n’est achevée qu’en juin et on ne la verra qu’à Enna Pergusa le 15 août 1968.
Elle est pilotée par Jonathan Williams surnommé “l’anglais de Rome”, longtemps vu au volant des De Sanctis F3 puis chez Ferrari pour le programme formule 2.
La voiture, encore équipée de carburateurs, se révèle lourde et peu maniable…, Williams termine cependant à une encourageante deuxième place pour une première sortie, derrière Jo Siffert et sa Porsche 910.
Pour Le Mans, la voiture doit disposer d’un nouveau moteur étudiée en Angleterre, disposant de 3 soupapes par cylindres et d’une alimentation par injection permettant d’approcher les 400 cv.
Mais malgré le report des 24 heures en septembre, la voiture y déclare forfait.
L’évolution M67 est la dernière barquette de course présentée par la Scuderia Serenissima, toujours réalisée sous la direction d’Alf François…, la voiture dispose d’un nouveau moteur baptisé M167, réalisé par un groupe d’ingénieurs anglais et fabriqué à Formigène.
Il se distingue surtout du groupe créé par Massimino par sa culasse à trois soupapes par cylindres. L’alimentation s’effectue par une batterie de carburateurs, mais les systèmes d’injection Lucas, Bosch et Tecalmit sont essayés.
Le V8 est accouplé à une boite Colotti, la puissance est annoncée à 380 cv
La carrosserie d’aspect plus anguleux que celle de la voiture de 1968, est réalisée en avional par la société Sports Cars de Modène, dirigée par Piero Drogo.
Sous cette forme plus moderne se cache cependant le même châssis d’origine Mclaren M1, avec des modifications portant essentiellement sur la géométrie des suspensions.
Après des débuts encourageants aux 200 miles de Nuremberg disputés sur le circuit du Norisring, l’équipe est vue à Enna le 15 août 1969.
Jonathan, Williams y est en lutte pour la première place avec l’Alfa Roméo 33 de Vaccarella lorsqu’il est contraint à l’abandon.
Le pilote anglais se classe ensuite 3ème à Salzburg en octobre.
Engagée aux 1000 km de Buenos Aires début janvier 1970, la Serenissima est toujours munie des carburateurs Weber, suite à des retards de livraisons du système d’injection.
Pour l’occasion Jonathan Williams est secondé par Maurizio Montagnari, pilote de formule 3 sur Brabham puis Tecno.
La Serenissima rencontre des problèmes de pompe à huile dans la première séance d’essais, puis casse son deuxième moteur le lendemain, l’équipe doit donc déclarer forfait.
Le week end suivant lors des 200 miles disputés sur le même circuit, la voiture abandonne sans gloire, dès le 8ème tour…, ce sera sa dernière apparition en course.
La dernière voiture portant le nom de Serenissima aura été un coupé GT de route baptisé Agena, présenté en 1969 et visible au Salon de Turin…, le projet n’eut pas de suites.
Les locaux de Formigène furent alors cédés à la Scuderia Filipinetti qui put y préparer sa Ferrari 512 F.
Le comte Volpi et dans une moindre mesure Enzo Ferrari ont tous deux reconnu en 1966 que les jours des petits constructeurs automobiles étaient comptés en cause du faible volume de leurs productions.
Bien qu’il était l’héritier d’une des plus grandes fortunes d’Italie, le comte Volpi ne se sentait plus capable de rivaliser et de batailler contre Ford et Porsche, qui affichaient d’importants moyens financiers et disposaient en abondance d’ingénieurs de talent de faible masse salariale.
Depuis son retrait du sport automobile, le comte Volpi avait conservé la plupart des voitures construites à l’exception de la Competizione Jet 003.
Cette voiture, sans moteur, a été vendue à un citoyen Suisse au début des années 1970 tandis que son moteur a passé beaucoup de temps dans l’une des Lola Mk6s qui était détenue par l’ancien gestionnaire technique de Serenissima : Alf François.
En 1978 le châssis-carrosserie et le moteur ont été regroupés, toujours dans leur état d’origine.
La Serenissima enfin reconstituée, a fait sa première apparition publique en 2006 lors du Concorso d’Eleganza Villa d’Este… où ont été réalisées les photos qui illustent cet article.