L’affaire Ferrari 250 GTO…
Quatrième partie : L’essai exclusif !
C’est avec une fierté teintée de modestie que je vous présente la fameuse 250 GTO, châssis N°3.671GT, dans un test inédit.
La Ferrari 250 GTO était, dans sa version d’origine, une berlinette de compétition, une voiture qui a marqué son époque, qui a ridiculisé toutes ses concurrentes, une voiture au volant de laquelle un pilote peu talentueux se transformait en voltigeur, une voiture qui aux mains des plus grands était imbattable.
Quelques grands noms qui l’ont rendue célèbre… : Lucien Blanchi, Olivier Gendebien, Paul Frère, Bernard Consten, Jean Guichet, Jo Schiesser, René Trautman et Maurice Trintignant, mais aussi Bandini, Scarfiotti, Graham et Stirling Moss, David Piper, John Surtees, Hill Masten Gregory, Phil Hill, Roger Penske et Richie Ginther… et tant d’autres partout dans le monde.
C’était une voiture éclectique, puisqu’elle gagna aussi bien le Tour de France que les 12 Heures de Reims, les 24 Heures du Mans, les 12 Heures de Sebring, la Targa Florio, le Tourist Trophy et le Grand Prix de Spa-Francorchamps…, bref une histoire que n’aura jamais la 288 GTO !
Trente neuf Ferrari 250 GTO ont été construites entre 1962 et 1964, elles sont toutes répertoriées par leur numéro de châssis et l’on sait exactement où chacune d’entre elles se trouve aujourd’hui grâce à la « bible » de Jess Pourret…
Elle avait été dessinée par PininFarina et réalisée par Scaglietti.
La voiture est BELLE, belle comme c’est pas possible, plus beau que ça… on meurt, ou alors c’est une ancienne Aston-Martin Zagato, une Lamborghini Miura ou une Ac cobra 427 !
Juste au-dessus de la bouche d’air de refroidissement du radiateur, se trouve la caractéristique qui identifie la GTO des autres modèles GT : les trois ouvertures à volet.
Elles servaient à procurer une ventilation supplémentaire selon les circuits et les conditions de température.
Les phares sont carénés en plexi, les deux ouïes d’extraction d’air chaud servent respectivement pour les freins et le compartiment-moteur… et la ligne générale est toute en galbes, gracieuse et sensuelle mais terriblement efficace et aérodynamique.
C’est, par exemple, le premier coupé/compétition à avoir été équipé d’un becquet arrière… et la légende dit qu’il fut imaginé par Richie Ginther, à ce moment-là pilote d’essai chez Ferrari, alors qu’il testait la voiture.
Des problèmes de stabilité à haute vitesse créaient un flottement du train arrière, et, se souvenant de son expérience d’aviateur, il demanda aux mécanos de découper une feuille d’aluminium et de la fixer à l’aide de rivets… et le problème fut solutionné !
Lorsque les premières Ferrari à becquet apparurent sur les circuits, les concurrents qui posaient des questions quand à l’utilité de la chose se voyaient répondre : « Oh, c’est pour empêcher les fumées d’échappement de rentrer dans l’habitacle, ça se produisait parfois dans des freinages serrés ! »…
Toutes les vitres sont en plexi, sauf le pare-brise qui est en Triplex (eh oui, déjà)… et la carrosserie est en aluminium.
Test routier…
Un petit village de montagne, entre Nice et Cannes, un beau matin de janvier, frais mais ensoleillé, il est neuf heures du matin, je suis ponctuel au rendez-vous fixé par “JJ”, un de mes fervents lecteurs, grand amateur de Ferrari devant l’Eternel, et propriétaire de la 250 GTO dont il m’a gentiment proposé l’essai.
Il m’attend devant la porte du garage, pas trop frais d’avoir passé la moitié de la nuit à vérifier les comptes du petit établissement qu’il gère… et me met tout de suite à l’aise par quelques mots gentils.
Le personnage est d’une politesse exquise et d’une grande courtoisie, très « vieille France » dans son langage mais résolument moderne dans ses goûts vestimentaires.
« Viens Patrice, suis-moi, la GTO est tout au fond du garage. Et dit à tes deux potes, le photographe et son glandeur qui porte ses sacs, de nous suivre pour les photos, OK ? Mais qu’ils viennent avec toi pour m’aider à démarrer cette pouffiasse de merde ».
Et nous voilà partis à ses trousses dans la descente qui mène à un grand parking souterrain, plongé dans la pénombre.
D’un coup de pouce énergique, il allume la minuterie… et nous attendons une minute, immobiles, pour voir s’allumer quelques néons blafards.
Nous reprenons notre progression vers le fond du garage… et là, tout au bout, à gauche contre le mur du fond, une forme élancée sous un drap blanc.
« Voilà, c’est elle. Vous me donnez un coup de main pour la pousser hors de là qu’on la mette en marche sous les néons ? »
Et nous voilà tous les trois à pousser l’auto, la gorge nouée par l’impatience, le coeur au bord des lèvres à l’idée du moment grandiose où il va dévoiler la belle.
Un peu essoufflés de cet effort un peu trop matinal, nous nous écartons respectueusement de la voiture, il soulève un coin du drap… et d’un geste Césarien, le soulève soudainement d’un air théâtral.
« La voilà, elle est belle, hein ? ».
A nous de dévisager la bête, de la détailler sous toutes ses coutures, de s’exclamer béatement tous les adjectifs laudatifs dont on use dans ces cas-là.
Et c’est vrai que, même sous la lueur blafarde d’un néon de 40 watts, elle est superbe dans sa robe rouge, le toit vous arrive au coude tellement la voiture est basse, les Borrani sont merveilleuses et les…
Clac, la lumière s’éteint.
Le plus audacieux d’entre nous s’avance au péril de sa vie dans un noir d’encre vers l’interrupteur le plus proche… et deux minutes plus tard les néons se rallument.
On ouvre le capot… et on frise la syncope à la vue du fabuleux moteur TestaRossa, V-12, double-arbres, 3-litres pour 300 chevaux, carter sec et six doubles Weber dont les trompettes vous regardent droit dans les yeux, double-allumeur Marelli et collecteurs spaghetti…, même si on en a vu d’autres, on flippe.
Mais voilà notre hôte qui se glisse au volant…, et notre rythme cardiaque de monter en flèche à l’idée que dans quelques brèves secondes, nous allons ENTENDRE la symphonie du V-12, amplifiée par la résonnance du grand garage…, quelques secondes se passent, puis la clef de contact s’enfonce dans le tableau de bord et le démarreur se met à chuinter…
Contact… et bizzz, les doubles pompes à essence se mettent à fonctionner.
Briieuileuiieuiieu…, et puis…plus rien…!
« C’est rien », dit-il « faut amorcer les pompes ».
Bon, et re-coup de démarreur, et toujours rien.
Puis la lumière s’éteint.
Puis elle se rallume pour s’éteindre à nouveau… et “JJ” sort de la GTO comme un diable hors d’une boite… et s’en va actionner l’interrupteur d’éclairage en s’écriant : « Merde de putain de charrette, c’est chaque fois la même chose avec cette poubelle, j’en ai marre ! »
Atterrés, nous nous demandons avec frayeur s’il va se mettre à lui donner des coups de pied dans les pneus, ou pire encore, s’il va lui remettre son drap blanc la et ranger à sa place… et fini le reportage sur la GTO !
Mais non, “JJ” reprend ses esprits… et dit d’une voix tremblante de colère contenue : « Y n’y a probablement pas assez d’essence dans le réservoir et donc les pompes n’amorcent pas…, mais cela mis à part, toutes ces Ferrari sont des saloperies, toujours en panne, toujours des merdes et des conneries… Je ne comprend pas pourquoi tant d’idiots payent des millions et des millions pour acquérir autant de merde ! »
Qu’à cela ne tienne, il y a un bidon de réserve dans le coffre de ma Rolls Royce Silver Spur… et je m’élance vers la sortie quand…
Clac la lumière s’éteint….
A ce moment-là, je prend la collégiale décision qu’un d’entre nous se postera en permanence à côté de l’interrupteur pour que les entractes soient moins longs et que la mise en marche puisse se dérouler sans plus d’interruptions lumineuses.
Je reviens, essoufflé de ma course, avec le bidon que je vide dans le réservoir de la GTO.
Manque de chance, je n’avais pas emmené le bec-verseur, ce qui fait qu’un bon tiers des cinq litres coule sur la belle carrosserie!
« Et merde Nom de Dieu, c’est pas Dieu possible des conneries pareilles, j’aurais pas dû me lever aujourd’hui !»
Vraiment fâché, “JJ”, qui s’engouffre énergiquement dans l’auto et actionne à nouveau le démarreur…
Brieuieuieuieuieuieuieuieu euh… euh… euh… glup…
« Merde de merde, saloperie de chignole, putain de bagnole, quel piège à con… ! »
Rien, ça n’amorce pas… et en plus la batterie est morte !
Là, il bondit hors de la voiture, se fait mal au genou en accrochant le volant, hurle, jure et blasphème comme seuls les méridionaux de grand teint savent le faire… et il donne un grand coup de pied dans un pneu !
La lumière s’éteint, puis se rallume… et nous décidons de ponter la batterie sur celle d’une autre voiture garée un peu plus loin.
Et re-poussette qui nous essouffle les poumons.
Entre-temps, mon photographe est allé remplir le bidon à la station-service au bout de la rue.
La batterie est pontée, “JJ” est au volant… et le démarreur à retrouvé sa vitalité.
Puis soudain, il ressort de la voiture, ouvre le capot-moteur, s’empare, d’un geste excédé, du bidon, se met à verser un filet d’essence dans chaque trompette de carbu, puis le jette violemment au fond du garage en hurlant :
« Merde à Enzo et ses cochonneries ! »
De retour derrière le volant, coup de démarreur, et….
Brieuieuieu…
Paf… brieurieuieuieu…
Pof, paf…
Vraoum…, ça démarre !!!
Miracle, soulagement, sourires et exclamations.
« C’est pas trop tôt ma salope, faut te chatouiller et te faire des papouilles, hein poubelle ! »
Puis tout se passe très vite, incroyablement vite, comme si “JJ” avait peur que le moteur se coupe ou se noie.
Il hurle « monte », mon photographe et son assistant se dispersent, ou s’encourent, je ne sais pas, en tous cas dans les dix secondes qui suivent je suis assis dans le baquet du passager, il a enclenché la première… et on roule !
Il attaque la pente du garage très lentement et, arrivés au-dessus…
Craaaccccccccccc…, on accroche l’échappement… !
“JJ” jure : « Cochonnerie, saloperie »…, ne s’arrête même pas, il a sans doute l’habitude, il est surtout très énervé !
Et voilà que nous nous retrouvons en plein centre-ville.
Les échappements (des tromblons de compétition) ne sont pas très discrets, je vois les piétons se retourner (quand je dis que je les vois…, je vois des chaussures, des jambes et parfois le bas d’une jupe, j’ai l’impression que les bordures sont l’horizon tellement on est bas).
On tourne à gauche, à droite, les rues s’enfilent sans que je n’ai pas encore bien réalisé que je suis sorti de ce foutu garage et que j’ai le derrière, dans un banquet de GTO qui roule vers je ne sais où…, je pense à mes amis… me retrouveront-ils ?
Il est 11h30 quand nous sortons de la ville.
Ma voiture suit avec les appareils-photo, et nous nous rangeons tous sur un bas-côté de la route pour un briefing.
“JJ” sort de la GTO en laissant tourner le moteur et dit : « On va se monter le col d’Eze… et tout en haut sur la corniche vous pourrez prendre des photos, OK ? Patrice monte avec moi. »
C’est vraiment un cockpit de voiture de course, tout est nu, pas même de garnissage de pavillon ou un bout de tapis, rien que de l’alu noir mat et un million de rivets.
Et me voilà de nouveau coincé dans ce baquet bleu, les jambes allongées à l’horizontale, les pieds bien en appui sur le plancher en alu… et je profite de ces quelques instants avant le départ pour détailler l’intérieur…, tout est noir mat, il n’y a pas de tableau de bord, rien qu’un assemblage de tubes qui rappelle que ce châssis est un assemblage de tubes…, les instruments sont regroupés dans une nacelle juste devant l’énorme volant en bois, au-dessus du tunnel, une rangée d’interrupteurs et au-dessus de mes genoux divers boîtiers de relais et fusibles.
On a l’impression que l’auto tient ensemble par des rivets… et que si le rivet Pop n’avait pas été inventé il n’y aurait jamais eu de Ferrari 250 GTO !
« Y en a qui donnent maintenant plus de dix millions de dollars pour une vraie qui est encore plus cochonnée que celle-ci ! Et il y a 5 ans, ça valait que dalle ces merdes, personne n’en voulait ! Putain de chiotte, toujours en rideau, et ça chauffe l’enfer…» hurle “JJ” devenu hystérique…
Le levier de vitesses, avec sa grille chromée typique, est incroyablement haut, il vient jusqu’à hauteur de volant qui lui-même est pratiquement vertical.
Les pédales sont perforées de grands trous ronds, très pratiques pour se racler des semelles boueuses, et allégeant la voiture d’au moins 20 grammes.
Notre ami se cale dans son baquet, donne quelques coups d’accélérateur rageurs en regardant le gros compte-tours qui est face à lui (gradué jusqu’à 10.000 tours), pose sa main droite sur le gros pommeau métallique du levier de vitesse, embraye passe la première, ferme sa portière, ET ON DEMARRE…, accélérateur à la planche jusqu’à 5000 tours avant de passer la seconde… et j’ai déjà envie de hurler de trouille.
L’accélération est tellement brutale qu’on est vraiment collé au dossier.
Le bruit de ce V-12 qui monte en régime comme s’il était au banc est assourdissant, tout vibre au rythme des bielles comme si vous étiez assis à califourchon sur la cloche d’embrayage.
Seconde à 5500, je vois avec horreur approcher une épingle à droite à 300 mètres, et ma gorge se noue, l’accélérateur doit être bloqué !
Il fonce comme un malade, le virage s’approche à toute allure et je ferme les yeux.
Puis VLAN, il tape sur les freins, ma tête est projetée en avant, il fait un double débrayage, enclenche la première… et d’un coup de volant balance la voiture à droite.
J’ouvre les yeux… et il accélère déjà plein pot en ligne droite, l’auto n’a pas dérapé d’un pouce elle a viré à plat avec une adhérence incroyable… et je suis malade de peur.
J’ai envie de descendre, mes genoux tremblent mais je me dis qu’à juger cette première épingle, “JJ” à l’air de connaître son affaire et que je vais vivre de grands moments avant d’atteindre le sommet !
La route est fort étroite, deux voitures peuvent à peine se croiser, heureusement qu’il n’y a pas de trafic et que les lacets sont bien visibles, on peut voir si une voiture descend en face bien avant d’attaquer une épingle.
Il attaque comme une bête, le moteur ronfle toute sa puissance et j’imagine qu’on doit nous entendre dans toute la vallée.
Première-seconde à fond jusqu’à 6000, de temps en temps il soulage quelques secondes avant de ré-accélérer, je le regarde à la dérobée et il a le visage curieusement transformé, une sorte de rictus effrayant qui est en fait un sourire crispé !
“JJ” se défonce et prend son pied, c’est certain !
Ses mains volent sur le grand volant, les épingles s’enchaînent à une allure vertigineuse, il connaît par coeur chaque pouce de cette route et il maîtrise parfaitement la voiture, elle fait exactement ce qu’il veut, il place ses roues avant au millimètre, du fin pilotage…, ouf…, il a coupé le moteur cette fois… et c’est le grand silence, ce silence qu’on ne peut entendre qu’en altitude, plein et profond.
Nous sommes à peu près à mi-parcours, il s’arrête sur une petite corniche et on sort de l’auto.
J’ai les oreilles qui bourdonnent, une légère crampe à la mâchoire tellement j’ai serré les dents pendant cette montée.
Lui s’assied calmement sur le parapet et croise les doigts : « On va attendre ton photographe et son assistant, et décompresser un moment. Alors, qu’est-ce que tu penses de cette vieille pute ? »
Je lui dis que si j’avais su qu’il allait attaquer comme ça, je ne serais pas monté avec lui.
Je déteste déjà de me faire conduire dans une voiture normale sur un parcours que je connais, mais alors là, le col d’Eze en GTO avec un malade au volant, je m’en souviendrai toute ma vie !
« Quand j’étais plus jeune, j’ai fait pas mal de rallye, un peu de circuit aussi, j’ai même eu une Lancia Stratos à un moment. Tiens, pour te dire, la nuit du dernier réveillon de nouvel-an, je m’emmerdait tellement à la maison que j’ai filé un coup de bigophone à un pote qui a une Stratos là plus loin (et il tend le bras en m’indiquant la mer, je sais pas si le type habite Cannes ou Nice, ou s’il est Corse)… et on s’est retrouvé tous les deux en bas du col ici, lui avec sa Stratos et moi avec cette cochonnerie de GTO. On s’est fait ce col au moins vingt fois dans la nuit, juste pour le plaisir. Ces réveillons, ça me fait chier, pas toi ? »
Euh, oui, oui.
Nous échangeons encore quelques mots, et voilà ma voiture qui nous rejoint.
Nous voilà à échanger nos impressions, eux en tant que suiveurs, moi en passager.
« De derrière, c’est fabuleux. Cette auto tourne dans des rails, elle ne couche pas, elle enfile les lacets comme un kart sauf qu’elle ne dérape pas, et alors quel bruit ! Quel bruit, mes enfants. Maintenant nous comprenons les andouilles qui se répandent en louanges sur la symphonie du V-12. C’est vraiment fabuleux comme grognement, c’est à la fois rauque et grave, et puis la paroi des rochers vous le renvoie comme un ampli avec chambre d’écho, dommage qu’on n’a pas d’enregistreur ! »
Bien… Ben bon, ces crétins n’ont pas vécu le bruit de l’intérieur…, on va se remettre en route, il reste une dizaine de bornes avant d’atteindre le sommet, et il est déjà 12h30.
« Tu veux la prendre ? », me lance-t-il.
Je pense qu’il se paye ma tête, ou alors qu’il se dit que j’ai tellement eu les chocottes que je dirai sûrement pas : Ah !, c’est très gentil, oui je veux bien !
Ououps, ça m’a échappé, je l’ai dit avant de réfléchir vraiment.
Et le voilà déjà assis dans le baquet du passager à m’attendre.
Je me glisse derrière l’énorme volant… et je prend mon temps.
Les instruments sont bien lisibles, surtout le gros compte-tours, à travers les branches du nardi, le pédalier est parfait pour le talon-pointe, le pommeau du levier, encore brûlant, est tellement haut que je dois vraiment lever mon coude (ok, ok, la chorale, je sais que je suis coutumier du fait), pour le prendre bien en main.
La position de conduite me convient sur mesure, les jambes tendues, bras légèrement pliés… et les reins bien calés.
Un tour de clef, les pompes s’enclenchent, j’enfonce la clef dans le tableau en pompant l’accélérateur… et VRAOUM, ça rugit !
Ah là là, c’est quand même impressionnant de commander un V-12 du bout de l’orteil.
La pédale est très directe, fort souple, avec une course assez longue.
J’essaie l’embrayage, il faut du mollet mais c’est supportable.
Les freins, eux, ont l’air bloqués, il n’y a pratiquement pas de course à la pédale.
Bon, ben je crois qu’on peut y aller.
J’embraye, j’enclenche la première, je débraye gentiment et CLOMPS, je cale !
Pas grave, c’est pas une Toyota, ça arriverait à tout le monde…, je re-démarre, je prends 3000 tours… et là, pas de problèmes, on est en route.
J’y vais doucement, pour voir comment l’auto réagit aux commandes.
Très vite, je me sens à l’aise, en seconde à 2000 tours, très relax, je passe même la troisième, chose que “JJ” n’avait pas fait une seule fois pendant sa montée.
La première épingle approche.
Double débrayage pour prendre la deuxième, que je ne trouve pas dans cette fichue grille, re-coup de pompe en freinant et finalement elle passe.
Mais je dois m’arrêter en catastrophe car j’arrive trop vite pour négocier l’épingle.
A l’arrêt, je passe la première, je braque et on repart.
Alors là, question direction, je comprends maintenant pourquoi toutes les photos d’époque vous montrent toujours des pilotes en bras de chemises, les manches retroussées au-dessus du coude.
Faut du biceps…, genre camionneur 1955, dure comme c’est pas possible la direction !
Il serait impossible de manœuvrer le volant dans la position bras tendus qu’on adopté tous les pilotes actuels.
En plus de cela, elle est fort démultipliée, ce qui fait qu’il faut mouliner pas mal.
Je décide de rester en seconde-première, comme l’avait fait “JJ”, en montant les régimes à 4.500, je n’ose pas aller plus vite.
La voiture accroche vraiment le bitume comme une sangsue, je sais que je pourrais passer deux fois plus vite partout, mais je n’ose pas.
Je me concentre plutôt à jouir pleinement du plaisir de piloter une GTO.
Dans une épingle à gauche assez large dont j’avais bien vu la sortie, j’entre lentement en première et j’écrase en mi-courbe pour essayer de sortir en travers contre-braqué.
Rien à faire, même en 1ère à 5000 tours, elle ne veut pas déraper !
Je me souviens qu’on a un pont rigide à l’arrière… et ça me sidère.
Il est vrai que la voiture est montée en Koni modernes.
Les meilleures parties du parcours, à mon goût, sont les sorties d’épingles où je sais qu’il y a un bon bout de ligne droite ensuite, là j’entre relativement lentement en 1ère (je dis relativement, parce que ça doit quand-même faire autour des 50/60 km/h) et je ré accélère en milieu de courbe pour sortir à 5000 tours avant de passer la 2ème et de mettre le pied à la planche pendant toute la montée en ligne droite.
Je peux à ce moment-là oublier la trajectoire et pleinement jouir de la montée en régime super-rapide du fantastique V-12.
Avec presque 300 chevaux sous le pied, je m’interroge sur les sensations d’un pilote de F-1 actuel, qui maîtrise 650 ou 800 chevaux !
La voiture est vieille, on le sent, vieille dans sa conception technique au niveau du train roulant… et cependant je sens que je me trouve au volant de la meilleure berlinette de compétition de l’époque, je me dis que les autres devaient drôlement ramer pour soutenir la cadence d’une GTO.
Le niveau sonore que je ressens comme insupportable en tant que passager inactif devient maintenant un élément de plaisir indispensable, puisque c’est moi, au volant qui l’engendre.
Ça siffle de partout, il y a des trous dans le plancher, des jours d’un doigt dans les tranches de portières, les vitres latérales en plexi vibrent comme si elles allaient me casser dans la figure… et je suis là dans le baquet, suant, nerveux mais heureux.
De tous les cadrans en face de vous, il n’y a que le compte-tours qui soit important.
Je m’escrime avec ce foutu levier de vitesses qui me parait lent et j’accroche la grille à tous les coups…, question d’habitude.
Le sommet est proche maintenant, je vois la cime, encore quelques lacets et je vais devoir m’arrêter…
Dommage que ça ne puisse continuer jusqu’à ce que j’en aie assez, que je sois rassasié, que j’ai ma dose, c’est trop bref, j’ai à peine pris le volant que c’est déjà fini.
« Arrêtes-toi ici, ça ira très bien pour les photos. on va attendre tes potes qui montent aussi vite qu’ils peuvent mais on en a bien pour cinq minutes…Tu te débrouille pas mal pour un premier contact avec une GTO, bravo ! »
Je me range à gauche, sur un petit parking, coupe le contact et nous descendons de voiture.
Quelle merveilleuse expérience, quel souvenir inoubliable je viens de vivre là, ce col d’Eze est gravé dans ma mémoire déficiente, en lettres de feu, je pourrais le refaire les yeux fermés en pleine nuit…, en marche arrière…
Et soudain, dans ce grand silence, des chuintements de pneus caractéristiques d’une grosse berline qui aborde les lacets trop vite, qui couche à chaque épingle, les clenches de portes au ras du bitume… et qui soudain débouche à nos yeux dans un gros freinage en catastrophe, les quatre roues bloquées.
Ils ne savaient pas, bien sûr, qu’on les attendait à ce tournant-là.
Retrouvailles, re-papote, échange de balivernes… et séance de photos qui s’avéreront tellement mauvaises qu’on décidera plus tard de photographier l’engin dans un studio !
Nous sommes redescendus comme des pères tranquilles, en roue libre, notre homme désirant économiser le peu d’essence qui nous restait dans le réservoir !
En admirant le paysage que je n’avais pas eu le temps de détailler dans la montée échevelée, en ouvrant les vitres pour sentir l’air pur de la montagne, je me suis dit qu’il y en avait qui avaient de la chance d’habiter une région aussi magnifique.
Le retour au garage s’est fait sans problèmes, à part que “JJ” a de nouveau accroché les échappements dans la pente du garage à l’éclairage intermittent !
Nous avons remis son drap blanc à la belle, et l’avons repoussée dans son coin de parking sombre.
Cette berlinette exceptionnelle, qui a défrayé le monde de l’automobile, et qui est à la base de l’action d’Enzo Ferrari contre les faussaires de tout poils, reste encore aujourd’hui un mythe inaccessible au commun des mortels…, sauf aux lecteurs de ce site.
La 250 GTO Favre/Garnier m’a laissé des souvenirs indélébiles, des impressions inénarrables parce qu’il est impossible de décrire des odeurs et des bruits à l’aide de mots.
Valait-elle tant de bruits ?
Valait-elle tant de procès?
Vous jugerez, c’est une copie parfaite, un chef-d’œuvre en la matière, à un point tel que sans les clameurs qu’elle a suscitées, personne ne se serait rendu compte qu’il s’agissait d’une réplique.
Affaire classée !
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