Essai routier 1966 Mustang GT Cabriolet…
Tous les chemins mènent-ils au paradis de l’enfer ?
L’exil que je m’impose de temps à autre en partant en balade m’euphorise de manière mortellement ennuyeuse.
La raison n’est pas un secret, c’est qu’à Rome (par exemple) on ne rencontre que le peuple italien…, c’est qu’à Berlin (autre exemple) on ne rencontre que le peuple allemand…, c’est qu’à Washington (dernier exemple avant d’aller dormir) on ne rencontre que le peuple américain…, c’est-à-dire, pour moi, des figurants jouant une théâtralité de la gesticulation, s’exprimant avec une volubilité ornementale dans une langue semi-parodique !
Je ne croise dans les rues qu’une troupe d’opéra bouffe qui garde le pli de la répétition !
En fait, en tant qu’extraverti littéraire (voire littéral), mais également introverti exemplaire (mélangeant allègrement sadisme épicurien et masochisme contemplatif), ma réserve et ma timidité aidant, je ne parviens plus à rencontrer personne, c’est à dire que par inversion je côtoie de nombreuses personnes dans une négativité positive…
C’est la démonstration de deux axiomes que mon coté physiologiste des villes et campagnes m’a fait découvrir !
Le premier axiome, c’est qu’il ne suffit pas de se déplacer pour voyager.
Le second, c’est que la mauvaise humeur et la bougonnerie sont souvent pénétrantes…, la bonne humeur et la sympathie aussi.
La différence, c’est que la mauvaise humeur rend attentif au mal, et la bonne humeur sensible au bien.
Finalement, les villes d’ailleurs, campagnes comprises (quoique je ne comprends pas tout surtout dans une autre langue que le Français)…, ne sont que de pesantes bourgades de péquenots gesticulants…
Pour un touriste, une des formes modernes de l’illusion d’être anémique (mais perspicace dans la grognerie), c’est de constater que le bas art antique n’est qu’un bazar monotone de légions de statues, devant lesquelles on passe avec la même curiosité qu’un chef d’état en visite sur le front des bidasses !
Ce qui prouve que même dans l’injustice pénétrante du tourisme et des voyages qui forment la jeunesse des vieux…, un écrivain reste un écrivain chargé de donner à sa propre malveillance l’inoubliable empreinte du style (sic !), même si les aspects ruraux des bourgades et campagnes traversées (mais non pénétrées sexuellement concernant les populations femelles indigènes)…, se regardent sous forme d’autopsies…
Je suis atteint d’une passion bizarre, je voyage au gré du temps passé dans des automobiles qui n’ont d’extraordinaires que le mot !
J’ai ainsi fait le tour d’Europe en Mustang, traversé toute l’Amérique en Hot-Rods (rarement confortables), examinant cartes ésotériques et guides exotiques et constatant qu’à part deux où trois (cent) ruptures brèves on peut aller de Bruxelles via Paris à Boston puis au sud de l’Argentine, en Patagonie, juste avant la Terre de Feu, sans jamais changer son imperméabilité aux bêtises humaines.
Aussitôt vécu, aussitôt parti vers le néant, où il n’y a, au reste, rien d’intéressant !
Mais la route qui y conduit l’est.
Même si parfois et même souvent, très souvent, quelques milliers de kilomètres de misère des peuples et de stupidité des États traversés accablent le voyageur.
Avec la compréhension, la dépression est assurée, mais c’est une approche de la vérité.
De villages misérables en bidonvilles cruels, de capitales terrifiantes en campagnes sinistres, avec comme seules oasis, les stations services…, les voyages vont souvent jusqu’au bout du malheur.
Entre les étapes en plaines monotones où je suis en proie au mal des montagnes et celles-ci où je suis asphyxié, la seule vérité est que le voyageur est plus important que le voyage même… mais surtout que le voyage à plus d’importance que la destination de celui-ci.
Mais tout de même, un conseil, si vous partez n’importe ou, voire même quelque-part…, prenez un passage pour le rivage des Syrtes, un balcon en forêt d’Ardenne, le château d’Argol ou les grèves bretonnes, plutôt qu’un billet pour l’au-delà.
Mais si vous êtes contraint de visiter l’enfer, ou ces formes modernes de l’enfer que sont les banlieues d’une mégalopole, gardez l’œil vif, le cœur ouvert, l’oreille au guet et la main sur votre porte-feuilles…
En rêves cauchemardés, lors de mes étapes…, je suisse tour à tour chef de guerre à Tambacounda, employé des postes à Ziguinchor et coordinateur humanitaire à Gaza…
Toute ma vie a été, en un mot, un baroud sur les routes, dans le pays profond de la connerie humaine.
Entre le confort douillet et mitonné de mon fauteuil de bureau et l’inconfort psychédélique de certaines voitures, j’ai opté de me spécialiser dans le développement transcendantal, afin de faire des incursions au cœur des profondeurs, afin de me mettre en accord avec moi-même et ma fibre aventurière.
Les reportages dans le monde réel de l’automobile, avec ses réalités et ses mythes, ses anecdotes, ses légendes et ses symbolismes… demandent d’immenses sacrifices au niveau de la mobilité…, d’autant que les conditions spartiates dans lesquels ces reportages sont réalisés finissent par miner le moral et la morale…, car l’imagerie populaire admet difficilement qu’un journaliste travaille sans enregistreur Nagra et gribouille des notes sur un calepin…
Par pistes et vaux, ornières et vallées, marigots forêts et fleuves, mes tribulations m’ont propulsé à la rencontre de tout ce qui roule, en toute circonstance et tout lieu.
Ce qui m’aura le plus marqué, c’est le bon sens paysan de “ceusses” qui ont été témoin des innombrables pannes et incidents qui surviennent aux voitures anciennes…, un bon sens qui est plus affûté qu’il n’y parait.
Qui n’a jamais pris son pied en mangeant un plat simple, abondant, prévisible, voire rustique, comme un T-Bone saignant ?
Il y a dans ces moments-là quelque chose de brut, de naturel, une sensation puissante dont on a ensuite du mal à se passer.
Eh bien, la Mustang Cabriolet 1966, c’est un peu ça.
Du simple (propulsion, essieu arrière rigide), du brut (un bon gros V8 289ci) et même du piquant (boîte manuelle 4 rapports).
Et quel plaisir !
Déjà, sa gueule impressionne !
Mais la pression de l’envie de cravacher cette Mustang est la plus forte.
A l’intérieur, rien de transcendant : accessoires légers et instrumentation limitée par rapport à ce à quoi nous sommes habitués en Europe, les valeurs sont ici inversées.
La Mustang fait l’impasse sur la présentation mais délivre des sensations fantastiques !
L’efficacité ?
Elle s’en moque, les liaisons au sol sont rustiques… et le freinage s’avère franchement décevant : aucun mordant, pédale molle et puissance en berne.
La direction ne se montre pas d’une précision chirurgicale tandis que le train avant ne mord pas franchement le virage.
Alors, d’où vient le plaisir ?
Du moteur, un V8 qui gronde, tremble et vous colle au siège tandis qu’il se rue vers la zone rouge en hennissant de joie, il exulte, se libère, se déchaîne, à tel point que même en troisième le train arrière ne peut contenir la puissance qui lui arrive en un flot généreux et inépuisable.
Un dragster !
Vite, le rapport supérieur…, une légère dérive de l’arrière au ré-embrayage et la poussée reprend.
En fait, il suffit juste de doser son accélération au début, le temps que les roues trouvent du grip… et là, gaaaaz !
Et en virage ?
Une pression bien dosée sur la pédale et la Mustang se met à dériver comme on s’y attend, ni plus, ni moins.
Le modèle de production de la Mustang est apparu pour la première fois en public le 17 avril 1964. L’événement s’est produit lors de la New York World’s Fair, qui se tenait à Flushing Meadows.
La réaction du public fut immédiate.
La Mustang va s’avérer un fantastique succès qui va rapporter des milliards à son constructeur…
La ligne de la Mustang fit une grande part de son succès.
Considérée aujourd’hui comme une des icônes de l’automobile américaine, elle fut à contrario perçue lors de son lancement comme très Européenne par les clients.
Son prix fut aussi un argument massue, Ford ayant largement réussi son objectif de proposer son nouveau modèle sous la barre des 2.500$.
La gamme débutait en fait à 2.368$, avec une liste d’options particulièrement longue, qui permettait à chaque client de se concocter SA Mustang, de la petite sportive économique, à une vraie Muscle Car en passant par l’élégant coupé plutôt luxueux…
Ford prévoyait d’écouler 100.000 Mustang la première année.
En fait, 22.000 ventes ont été conclues dès le premier jour… et ce sont 417.000 véhicules qui ont été vendus la première année…et plus d’un million en deux ans…
Les concessions furent submergées, et l’on raconte par exemple que dans une concession du Texas, 15 clients ont surenchéri pour le même véhicule, le vainqueur de cette enchère improvisée allant jusqu’à dormir dans la voiture, dans la concession, pour s’assurer qu’elle ne serait pas vendue à quelqu’un d’autre avant l’encaissement de son chèque le lendemain matin…
Pour faire suite à ce succès, Ford ne cessera de faire évoluer la Mustang, via des nouvelles versions, par l’ajout de la version Fastback ou encore par des retouches stylistiques apportées chaque année en divers points du véhicule.
Ainsi, en 1967 l’avant fut modifié avec un capot allongé et une calandre en excroissance par rapport aux phares, qui lui donnait encore plus d’agressivité… et de nouveaux feux arrière rectangulaires.
En 1970, les phares intégrèrent la calandre et furent légèrement recentrés, laissant la place de part et d’autre pour une entrée d’air, avant d’adopter une ligne plus anguleuse en 1971.
Pour compléter son image de sportive, la Mustang fit aussi ses armes dans le monde de la compétition, en démarrant sa carrière en tant que pace-car des 500 miles d’Indianapolis dès 1964.
Elle a par la suite participé à de nombreuses courses, construisant là aussi sa légende.
Ceci sans compter l’accompagnement médiatique avec des opérations de communication exceptionnelles. Comme cette Mustang qui fut montée pièce par pièce sur la terrasse panoramique au 86ème étage de l’Empire State Building où elle fut remontée pour être exposée en mars 1966.
Mais dans ces années 60, la communication c’était déjà le “product placement” dans le cinéma.
Et la Mustang aura une belle carrière cinématographique, avec par exemple dès 1964 une apparition remarquée dans “Goldfinger”, puis dans “Opération Tonnerre” en 1965… et bien entendu le mémorable Bullitt en 1968 et le non moins mythique “Gone in 60 seconds” en 1974…
Elle fit aussi son petit chemin dans les films Français, en 1964 dans “Le Gendarme de Saint-Tropez” , dans l’un des épisodes suivants “Le Gendarme se marie” en 1968, et surtout dans “Un homme et une femme” en 1966.
Une liste bien entendu loin d’être exhaustive.
On trouve bien sûr des Mustang de première génération dans des films plus récents : “60 secondes chrono” en 2000, remake de “Gone in 60 seconds”, “Entretien avec un vampire” en 1994, “L’affaire Thomas Crown” en 1999, “U-Turn” en 1998, “Les nerfs à vifs” en 1991…
Au fil des ans et de ses évolutions, la Pony Car va devenir Muscle Car et la Mustang va prendre une part active dans la construction du mythe des Muscle Cars américaines.
Ford fut pour cela bien aidé par Caroll Shelby, puisque la première Mustang Shelby, la GT350, arriva dès 1965, suivie par la suite par les GT500, GT500 King of the Road, Super Snake…
Ford va y aller aussi de ses petits préparatifs, High Performance 289, Boss 302, Boss 429, Mach 1, CobraJet, etc…
Chacun de ces modèles vaudrait sans doute à lui seul un petit récapitulatif…
Cette fête durera jusqu’à la fin de vie de cette première génération, mais la crise pétrolière aura raison des Muscle Car, et la Mustang va redevenir un pony-car…
L’histoire a souvent raison de ceux qui prennent l’irrédentisme pour une simple jacquerie.
A cause des bégaiements…
“Au milieu du chemin de notre vie, je me retrouvai par une forêt obscure, car la voie droite était perdue”…
C’est au printemps de l’an 1300, date du premier grand jubilé catholique, que Dante Alighieri, poète florentin, s’éveillant d’une mystérieuse torpeur, se trouve perdu dans les ténèbres.
Il entreprend alors un voyage qui le conduira, en milliers de vers, des abysses infernaux à l’illumination divine du Paradis.
Dante a pour guide le grand poète de l’Empire romain Virgile, qu’a requis Béatrice, amour de jeunesse de Dante, âme lumineuse du paradis, pour lui venir en aide dans les épreuves de son parcours.
Le récit qu’en composera Dante s’intitule la Comédie, qui plus tard seulement sera baptisée “divine”.
C’est pas à pas, dans l’endurance de mes expérimentations automobiles, que je gagne mon paradis illusoire, habitant de ces temps infernaux qui sont les nôtres et nous éloignent à chaque horreur nouvelle du monde de Dante.
Il ne s’agit donc pas de le répéter mais de nous demander si nous pouvons encore entendre ce témoignage radical devenu ouvert ?
En quoi irrigue-t-il, de façon directe ou indirecte, toute l’aventure occidentale jusqu’à nous ?
En quoi, même, Dante nous précède-t-il ?
Mes réflexions inutiles donnent corps à ce questionnement de la pensée, de la porte de l’Enfer qu’est chaque automobile extraordinaire, aux saphirs luminescents des paradis illusoires qu’on entrevoit lors des rêves…