L’automobile en attente d’un miracle…
L’automobile a une incidence sur nos comportements : elle définit les hommes que nous sommes ou que nous rêvons d’être.
Elle en dit bien plus qu’une psychothérapie sur notre tréfonds intérieur.
Chaque décennie, les voitures nous ont dévoilés, nous ont mis à nu.
Nous croyons nous cacher derrière notre volant alors que nous avançons démasqués.
Nous n’avons jamais leurré personne, notre naïveté en est même désarmante.
Dans les années ’50, nos voitures avaient des rondeurs exagérées, des protubérances maternelles, le charnu l’emportait toujours sur l’épure.
Nous pourrions faire un parallèle scabreux sur les icônes féminines de l’époque qui affichaient une plastique gourmande, une blondeur juvénile, des joues bien rembourrées et un fessier rebondi.
Les sylphides pouvaient passer leur chemin, on ne leur accordait pas un seul regard.
La mode était aux largeurs extrêmes et aux confortables épaules.
Tous les véhicules de la décennie, de la populaire 4CV à la Cadillac Eldoraro avaient opté pour des carrosseries langoureuses.
Cette douceur exacerbée correspondait à la nature des hommes qui sortaient d’une guerre terrible et qui étaient las des restrictions.
Ils voulaient tirer un trait sur les tickets de rationnement, les couvre-feux et les nuits sans sommeil.
Ils aspiraient simplement à une vie meilleure, une famille heureuse, un travail solide et des loisirs joyeux.
Ce désir de profiter enfin de la vie se ressentait dans leur choix automobile.
Ils voulaient accéder tout de suite au progrès quitte à s’endetter.
C’était le temps où la France se motorisait et où posséder sa propre voiture était le signe d’un immense espoir dans l’avenir.
Nous étions passés de la charrette à bras à la 4CV en quelques années, Spoutnik était dans l’espace et on avait fait de la petite chienne Laïka, notre première spationaute.
Alors oui, les hommes roulaient dans des voitures qui devaient susciter l’envie et le désir.
Quel bonheur de dévaler la nationale 7 dans une pimpante Dauphine et de se dire que les soucis sont derrière nous !
Les années ’60 marquèrent une première rupture dans cette euphorie automobile.
On jugea d’un mauvais œil les rondeurs trop prononcées, elles n’étaient pas encore complètement bannies mais les régimes firent leur apparition.
Et puis, les voitures d’après-guerre étaient trop traditionnelles, trop plan-plan, elles manquaient de caractère.
Ces courbes qu’on avait jadis tant aimées, finissaient par lasser.
L’écœurement nous guettait de même que les espoirs d’un monde sans guerre s’évanouissaient.
Chaque jour, de nouveaux conflits faisaient irruption dans l’actualité, les deux blocs s’affrontaient dans un stressant jeu du chat et de la souris, les pays du tiers-monde relevaient la tête et les hommes perdaient peu à peu leurs illusions.
Les lignes se firent plus froides, plus aiguisées sous l’influence de l’architecture moderne et d’une jeunesse en révolte.
Les enfants de la Libération étaient en pleine crise d’adolescence, grâce au feu croisé d’Elvis Presley et des Stones, il fallait désormais compter sur eux, ne plus les considérer comme des bébés.
Les voitures de cette décennie-là hésitaient pourtant à franchir le cap, elles cabotaient entre deux mondes.
De l’ancien, elles avaient conservé l’appétit des grands espaces, les empattements longs, le luxe un peu trop voyant et du nouveau, elles avaient pris goût à l’aventure, aux mœurs plus libres et à l’audace stylistique.
La décennie ’70 vint stopper net cette valse à deux temps.
Le monde retrouvait ses habits de malheur.
La crise du pétrole nous obligeait à faire des économies d’énergie et à nous serrer la ceinture.
La fête avait duré à peine vingt ans.
Cure d’amaigrissement pour tout le monde.
Fini la balade en amoureux, fini la cacophonie des départs en vacances, fini les cabriolets américains dispendieux, fini le sport automobile où l’on brûle sans considération des hectolitres d’essence, place à la rigueur !
Les voitures des années ’70 étaient à notre image, terne, nos rêves devinrent plus modestes, c’était le temps des petites voitures européennes (Renault 5 et Ford Fiesta), le temps de la chasse au gaspi, des banlieues sordides, des vacances en club et de la musique disco.
Pourtant, tout n’était pas si noir dans ce tableau car des poches de résistance commençaient à se former, certains révolutionnaires de la cause automobile n’avaient pas l’intention d’abdiquer devant l’apathie générale.
Dans cette décennie, il y eut des voitures qui réussirent même à nous redonner la foi dans les dieux de l’automobile : Matra Bagheera, Porsche 914, Jaguar XJS, Rolls-Royce Camargue, Alfa Roméo Montréal, elles n’étaient pas toutes parfaites loin de là, mais elles avaient le mérite de faire bouger les lignes et de continuer le combat.
Elles préparèrent ainsi le terrain aux voitures des années ’80 qui elles, tentèrent un dernier baroud d’honneur.
Elles étaient encore moins gracieuses que leurs aînées mais leur hargne faisait tellement plaisir à voir.
Leur excentricité technique, leur fiabilité aléatoire et leurs manières de divas nous agaçaient et nous charmaient.
Ces punkettes nous en mettaient plein la vue.
Elles avaient un don pour la provocation.
Elles s’embarquèrent dans une course à la puissance perdue d’avance juste pour exister.
Petites GTI ou super cars, elles insufflèrent un peu de mordant à notre quotidien.
Puis les années ’90 vinrent balayer ce vent de fraîcheur et sonner la fin des amusements.
L’automobile serait sérieuse ou pas.
Les enfantillages devaient cesser immédiatement.
Seuls nos souvenirs nous aideraient désormais à accepter notre triste sort.
De 2000 à 2010, l’automobile telle que vécue durant plus d’un siècle a amorcé un virage dangereux, en dérapage incontrolé… et nous en sommes toujours à pirouetter sans cesse, sans fin imaginable, en attente d’un miracle !
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