Château du Crestet, Provençe, France…
Il y a des artistes qui vous écrasent le palpitant, vous défoncent la tronche lorsque vous vous retrouvez devant leurs œuvres…, avant de disparaître dans les limbes de votre encéphale…, Roger Anger m’avait impressionné avec son chateau ésotérique qui laissait supposer que la piscine devait être remplie de drogue liquide…, mais j’en suis venu à complètement oublier ce génie, vraiment…, jusqu’à me balader dans le web et tomber nez à nez avec une annonce immobilière proposant son château à vendre pour 4.700.000 €uros plus frais…
J’ai flippé grâââââve et…, ni une ni deux, sans hésiter, malgré les lamentations de mon porte monnaie, j’ai sauté dans la première auto-vieillerie qui me passait sous les mains… et j’ai roulé à tombeau-ouvert, d’une traite, jusque Crestet… et si j’espérais que tout allait se dérouler de manière “normale”, je ne m’attendais pas à une telle affaire…
Après avoir garé ma belle devant le pont-levis, j’ai tout naturellement sonné…, il me tardait de me replonger dans les délices de ce château dément qui sombrait visuellement (à mes yeux verts écarquillés et ébahis), encore plus profondément dans la folie furieuse…
Tout en mélangeant dans ma tête ce que je me rappelais du mélo architectural qui animait Roger Anger… avec une étude sociologique sur la vie dans la campagne (qui est ma lecture favorite les soirs de déprime)…, tout ça compressé en heures très denses de bruit, de fureur, de gore et de blablabla passés sur les routes pour arriver jusqu’au château (oui, il fallait bien qu’il y ait un défaut, mais c’est très largement rattrapé par la suite), lorsque le responsable de l’agence immobilière a ouvert la porte, je suis resté à la fois abasourdi, déstabilisé et charmé, comme souvent sous l’effet d’un choc culturel de grande envergure !
La première barrière à franchir fut pour moi celle de la langue : les Provençaux sont en effet un peuple fier et farouche, qui garde jalousement ses trésors culturels et ne sous-titrent pas leur säbïr quasi-chanté…, c’était humainement insupportable, d’autant que ma démarche n’était pas compliquée et que j’avais eu la chance inestimable de trouver sur le net, tout ce qu’il fallait pour connaître Crestet, ses environs, ses ruines et son château, ainsi que toute l’histoire à en savoir, les tenants et les aboutissants d’une intrigue à personnages multiples et retournements de situations divers…, je résume :
Dominé par les ruines vertigineuses d’un des plus vieux châteaux du Comtat (IXème siècle), Crestet, un village médiéval, s’étale sur une crête d’où il tire son nom…, on y jouit d’un point de vue panoramique à couper le souffle sur la plaine de l’Ouvèze, les Dentelles de Montmirail, le Mont Ventoux et jusqu’aux Baronnies, avec une table d’orientation..
Le petit village médiéval renferme de nombreux trésors : passages sous voûtes, arches de pierres, belles demeures Renaissance (admirablement restaurées), tandis que “la belle fontaine” (1843), le lavoir et le vieux puits témoignent encore de la vie quotidienne d’autrefois…
Le château médiéval du XIIème siècle est l’ancienne résidence des évêques de Vaison-la-Romaine, jadis, en période de conflit avec les Comtes de Toulouse, les évêques de Vaison venaient se réfugier dans ce château lorsqu’ils étaient en danger…, le château a appartenu ensuite aux comtes de Toulouse…, autour de cette forteresse qui assurait la protection du lieu s’est établi le village devenu peu à peu une petite ville fortifiée qui a subi maints sièges au cours des siècles…
La vie économique du Crestet (et environs), est essentiellement agricole et s’organise autour de la vaste plaine plantée de vignobles (donnant des raisins de table et des vins AOC Côte du Ventoux), d’arbres fruitiers (abricotiers, cerisiers, pruniers…) et d’oliviers.
De nombreux vestiges d’époque romaine ont été mis à jour et démontrent que ce lieu a été habité depuis une époque lointaine : l’église paroissiale Saint Sauveur et Saint Sixte avec ses maisons regroupées sagement autour de l’édifice comme pour se protéger (elle a été bâtie au XIème siècle puis modifiée au XVIIIème siècle)…, d’origine romane, reprise à plusieurs époques, elle offre des aspects à la fois gothique et renaissance…, elle possède une nef à chevet plat…, la voûte présente des croisillons à nervures et une partie de sa muraille est constituée par le rocher contre lequel elle s’appuie…, le porche d’entrée se poursuit par un clocher-tour haut de 18 m.
Aujourd’hui, le château, racheté et restauré par Roger Anger (24 mars 1923 – 15 janvier 2008), un architecte de renom, est une propriété privée.., il était l’architecte du projet Auroville, imaginé par Mirra Alfassa et sponsorisé par l’Unesco…, il a également participé à de nombreux projets avec Pierre Puccinelli, notamment la résidence de l’Île Verte à Grenoble…, au moment où il se retira d’Auroville, il prit aussi du recul par rapport à sa vie à Paris et décida en 1980 de restaurer cet ancien château en ruine dans le Sud de la France.
Il avait déjà reconstruit un château pour lui-même à Théméricourt, mais en comparaison Le Crestet était une véritable ruine…, il s’engagea dans un travail de reconstruction qui allait durer des années… et en 1981, Jacqueline Lacoste, qui l’avait fidèlement assisté depuis 1970 dans ses différents bureaux de Pondichéry et d’Auroville, le rejoignit au Crestet où elle continua à l’aider dans le travail de reconstruction du château, puis plus tard dans son travail pour Auroville.
Dans son ermitage, son château sur la colline, il produisit des plans et des maquettes dans une atmosphère de concentration et de réclusion, il passait de nombreux après-midi à peindre et à sculpter dans son atelier où il poursuivait ses recherches abstraites et se consacrait à l’expression créative…
Ses proches avaient l’impression que ses mains exploraient avec joie et sans relâche des formes nouvelles et des matériaux inédits…, il était constamment occupé, jamais stressé, menait une vie équilibrée et disciplinée et manquait rarement sa partie d’échecs quotidienne en fin d’après-midi : “C’est un jeu où rien n’arrive par hasard, vous créez tout”.
Roger Anger, plein d’humour et dénué de cynisme, continua sans relâche à “pousser le futur en avant”, comme il avait coutume de le dire…, il disparut le 15 janvier 2008, à l’âge de 84 ans…, c’est Jacqueline Lacoste (sa compagne) et Charles Gianferrari qui ont finalisé la restauration du château du Crestet, dépecé depuis la révolution et qui était en grand péril malgré son classement en 1947
S’intercalent dans cette classique histoire, une idylle vaudevillesque entre le contremaître des travaux et la marchande de lait du village courtisée simultanément par le boucher également amoureux d’une ancienne prostituée qu’il n’ose pas courtiser et qui engage un jeune benêt pour lui compter fleurette à sa place…, un drame familial traditionnel qui possède son univers propre, où on n’entre pas.
Par contre, j’avais pu entrer dans le château, donnant au vendeur de l’agence immobilière toute l’illusion nécessaire pour qu’il sente que j’étais le client idéal prêt à débourser un peu moins de 5 millions d’euros…, c’était presque de l’art conceptuel…
En cette suite, il m’a fait visiter à grand renfort d’explications…, une vraie expérience limite à réserver aux vrais audacieux friands d’exotisme (si vous êtes pressé, n’hésitez pas à zapper le texte de blabla et profitez au maximum des hallucinantes photos : vous ne devriez pas le regretter.
Dans chacune des pièces, aux quatre points cardinaux, le regard est happé par la vue magique qui se déploie, on y pénètre par une lourde porte en fer après avoir franchi un petit pont-levis.
Le hall d’entrée vaste et lumineux ouvre d’une part sur une terrasse vitrée qui offre déjà une vue panoramique fabuleuse et d’autre part sur un jardin de rocaille et de rochers, avec l’atelier d’artiste en verrière.
Le salon de 100 m² environ dispose d’une cheminée suspendue, monumentale et prestigieuse imaginée et créée par Charles Gianferrari…, la salle à manger et la cuisine se trouvent en enfilade et s’ouvrent sur le jardin en rocaille et la piscine qui est comme blottie dans ce nid d’aigle, découpée en partie dans la roche et flanquée des tours du château.
La chambre des Maîtres (sic !) est “enrochée”, sa superficie est de 80 m², le sol est en béton blanc, résolument contemporain…, la salle de bains s’offre un hublot dans le fond de la piscine et un bain rond en mosaïque…, sous la chambre des Maîtres se trouve une petite salle de gymnastique…, un escalier descend vers la bibliothèque et deux chambres, chacune avec une salle de bains et possèdent leur jardin.
600 m² de surface habitable…, 3000 m² de terrain…, 10 pièces…, 6 chambres…, à vendre pour : 4.700.000 €uros, prix net, hors frais notariés, d’enregistrement et de publicité foncière.
Cette visite fut comme un véritable chemin initiatique, un voyage qui m’a emmené du doux confort de la normalité jusqu’à un des pics les plus élevés de la folie furieuse architecturale.. et si en plus vous l’appréciez, c’est forcément encore meilleur !