Il se prénommait Antoine, c’était mon père
De Bruyne était son nom. Il était Maître tailleur. Né en France, le 19 novembre 1919, il eut un temps d’avant qui ne fut pas nôtre, sa jeunesse et l’avant guerre… Puis il y eut la guerre, ses souffrances, les siennes car il en gardera un handicap à une jambe, et un grand bonheur qui lui sourit en ces temps de guerre, en haut d’ici Tournai, sa ville, au Mont-St-Aubert, lorsqu’il rencontra sa Marie-Louise…, ma mère.
C’était un temps bon enfant… Grand chagrin… Au fil de ce temps, passant, les orchestres de joies de fin de guerre, laissèrent leur place à Mistinguette, puis à Charles Trenet, puis Bourvil chantant les crayons… Ensuite le temps s’accélère, Roger Pierre et Jean Marc Thibault entonnant “A Joinville-le-Pont“, Fernand Raynaud hésitant à acheter des oeufs cassés ou pas cassés… Toutes choses écoutées religieusement dans le poste TSF à lampes, le soir, dans la pénombre de la famille… C’était une époque telle un p’tit bal perdu dans un pré ou l’on cueillait aussi bien les fleurs des champs, les notes d’André Claveau, Luis Mariano, Patachou, Guétary, Eddie Constantine ou Annie Cordy…, que les fleurs du mâle des Ferré, Aznavour, Bécaud et Brassens…, débutants.On était alors zouave de l’humour, on était zoulou du ciboulot, ça dépendait de l’heure, des amours, des emmerdes, de ce qu’on avait bu ; mais pas d’un parti pris.On ne le gardait pas pour soi, cette bohème, on la partageait entre amis, il suffisait de franchir la porte du Palace aujourd’hui disparu…, pour que la vie en rose…, pour que la vie s’en grise, pour que la vie en vive…, dans un manège à moi qui restait toi… Beaucoup de rires, de rêves, d’illusions, d’aspirations.
Papa, Maman, ont vécu cet univers-là. Qui n’existe plus. Ou alors, une fois tous les cent ans, en un casino de province appelé “jamais plus“, tel un brigadoon d’années d’après-guerre qui enseigne à ne pas se prendre au sérieux. Quand je suis né en 1949, il avait 30 ans. Sa voix ronde montait dans le grave quand la tendresse le chatouillait, une tendresse bourrue. Au fil du temps, entre la “Coccinelle” et le “Teppaz“, il se mettait en cravate pour monter dans son atelier à coudre, car il était Maître-tailleur, un métier aujourd’hui oublié car plus personne ne prend le temps de s’habiller en costume 3 pièces et pardessus…
Avec sa silhouette quotidienne, son air fier, sa manière d’être, de hocher la tête face à la misère du monde, le cœur dur quand il fallait pour ne point se fondre dans le gris des réalités, il cousait ses vestes et pantalons, bien tard, au delà de la nuit. Un costume c’était cent sous pour vivre et grand malheur de fin de semaine quand certains clients ne le payaient pas sur le champ… A l’avoir vu ainsi travailler sans relâche, pour n’en finir que si vieux et triste d’une si pénible destinée, dialysé, brisé, cassé, prostré, devenu vieux au delà du supportable…, je ne me plains pas qu’il est parti de l’autre coté du miroir… Il nous a fait vivre, Maman, Pascal mon frère et moi… et ça c’est magnifique.
Peu avant de passer au travers du miroir, samedi, soir, tard…, trop tard…, il m’a dit qu’au fil du temps qui passe, il me suffirait de regarder le miroir pour le voir de plus en plus nettement… Dans 30 ans… Je suis triste, parce que les vociférations débiles de la rue vont briser le miroir, et ce sera grand chagrin… La vie va continuer, inexorablement…, car le temps passé est la chronique de disparitions mises peu à peu bout à bout. On ne le ressens qu’au fil des souvenirs qui viennent s’ajouter à d’autres qui resurgissent alors qu’on les avait enfouis au creux d’émotions.
Comme une pierre d’amertume que l’on jette et qui fait des ronds dans l’eau du tissu vivant d’amitiés, d’amours, de connaissances qui l’entoure.
On recommence sans cesse des histoires de vie, d’amour aussi parfois, malgré les craintes et incertitudes issues d’expériences parfois mal vécues.
Toutes des histoires qui commencent toujours trop tard et se terminent lorsque d’autres souvenirs brouillés sont en train de s’estomper.
Entre temps, le temps cache un moment son visage de vie pour accomplir une œuvre macabre pour que les bouleversements de renouveau s’accomplissent… Face à cette manière obscène qu’à le vivant de continuer inexorablement, nous éprouvons mille difficultés à renoncer aux liens passés pour nous ouvrir à nouveau à la vie qui attend. Ainsi se construit autant le vide des absences que des nouvelles présences, tous ces vides ou le temps a passé imperceptiblement pour combler tous les creux et nos vides. Il reste alors un dernier regard à donner sur la manière dont la vie fut ainsi modifiée, comment la vie se referme en absorbant les souvenirs, les déformant, les rendant approximatifs, lacunaires… Ne laisser parler que le cœur et l’esprit, mettre en élocution les doutes et les angoisses, chercher les flammes de vie et d’amour qui rejaillissent envers et contre tout.
La vie redevient la vie, violente, tortueuse, cynique, mélancolique, à l’image d’elle même avec des liens qui se cassent, créant tristesses… et d’autres qui naissent, créant sourires, joies et émotions. La vie continuera quand l’amour s’évanouira encore, quand une autre rupture sera à nouveau consommée et qu’il faudra reconstruire, encore, continuer avec ses failles et ses blessures vers de nouveaux ailleurs… Ce sera une autre sorte de mort pour une meilleure survie pour le pire et le meilleur à nouveau. C’est la seule manière de se réconcilier avec soi-même, de donner chair au temps et de continuer vers la vie, malgré les gouffres qui entourent cette route et cette quête du destin…
“On ne doit croire qu’en soi-même !”…
La vie continue, comme au spectacle, j’ai encore quelques pirouettes a effectuer avant d’aller dormir… et vous aussi ! Nous allons donc tous ensemble et chacun de son coté, continuer nos numéros de vie, souvent enrobés d’humour qui, telle l’huile dans les engrenages, aide à ce que tout ronronne…
Je vais bien, ne vous inquiétez pas, j’espère que vous allez bien aussi ! Je suis non-croyant, tendance athée, ayant pourtant été enrobé de la religion catholique durant ma “tendre” enfance (ce qui en a facilité le rejet)… Mais, mon père étant “croyant” et continuant “à croire” malgré qu’aucune prière ne l’a jamais délivré du moindre mal alors qu’il souffrait le martyre…, il a semblé tout naturel de l’enterrer “à l’Église“, ce qui est une expression “consacrée” qui signifie une cérémonie religieuse. Ce fut d’autant plus compliqué que dans sa ville, Tournai, capitale de l’occident Chrétien, avec sa Cathédrale classée et ses multiples Églises…, sur 22 Paroisses, il n’y a plus que 3 prêtres et aucun en attente… C’est une crise de foi après 2000 ans de conneries, comme une crise de foie après trop de chocolat en une fois ! Mais tout comme certains/certaines n’ont pas, voire jamais, de crise de foie, même en “bouffant” oeufs et chocolats matin, midi et soir…, certains/certaines n’ont pas,, voire jamais, de crise de foi, même en avalant toutes les obligations, prêches, sermons qui sont le lot des “croyants” et qui se nourrissent ainsi…
Bref, tout ça pour vous écrire qu’hier, vendredi 26 septembre 2008, c’était le jour de l’enterrement de mon père, Antoine… et qu’il y eut une cérémonie religieuse. Moi qui ne vais plus “croire” dans aucune Église depuis 40 et quelques années, j’ai été très attentif à tout ce qui s’y est dit. J’ai eu le “bonheur” de pouvoir lire mon “hommage” en début de cérémonie, ensuite, j’ai écouté le monologue entrecoupé de chants, du “Chanoine” tout habillé comme un Saint-Nicolas, très “mode” avec ses habits violets mordorés plissés avec surpiqûres rouges.
J’ai dans ses prières, qui ne faisaient de mal à personne, écouté la sempiternelle lettre de Saint-Paul aux Corinthiens, qui disait, je résume, à ces gens, que le Christ était ressuscité et qu’il avaient tort de ne pas y croire parce que ce qu’il leur écrivait était la vérité…
Je me suis dit que s’il suffisait d’affirmer qu’on dit la vérité pour que ce soit vrai, le monde serait un sacré (double sens) bordel…, ce qu’il est ! Le Chanoine a alors lu l’évangile de Jésus…, notamment ce qu’il a dit sur la croix de son supplice et qu’il a retranscrit sans nul doute après sa mort…, a savoir qu’on avait roulé la pierre de son tombeau et qu’il était donc ressuscité parce qu’il n’y était plus ! C’est comme mon père, le jeudi soir 18 heures au funérarium ou il était “exposé” depuis quelques jours (on place le défunt sur une table réfrigérée…, on arrive pour un dernier regard sur son corps avant la mise en bière (expression étrange qui n’a rien à voir avec la boisson à base de houblon à l’origine de tant d’accidents de circulation) et…. il n’était plus là ! Stupeur de l’assistance…
Toujours plein d’humour, je ne peut retenir une feinte à voix haute en disant : “Il est ressuscité, il est monté au ciel“… et j’entends alors, derrière moi, une femme crier… extatique : “Alleluia, alleluia, Antoine est ressuscité“… avant de tomber à genou et se mettre à prier en moulinant des bras ! C’était gênant !
Surtout que ameuté par ce vacarme, l’homme des Pompes Funèbres est arrivé et…, comprenant…, a dit qu’il était occupé à placer le corps de mon père dans le cercueil… J’ai pensé à cela durant la lecture de la lettre de Saint-Paul aux Corinthiens (les évangiles ont été écrits 3 ou 4 siècles APRES l’existence supposée (et jamais prouvée) de Jésus Christ…
C’est comme si on discourait encore de Louis XVI actuellement alors que Bush a fait exploser les finances planétaires et qu’on a vécu deux guerres mondiales, de multiples gué-guerres et été marqué par l’Inquisition Catholique ! C’est dire !
Mais personne n’a le droit de penser autrement, c’est obligé, c’est écrit, c’est presque comme une loi… Bientôt, vous verrez, on sera toutes et tous obligé de croire que les attentats du 11 septembre sont l’œuvre d’Al Qaida, tout comme il est interdit sous peine de prison (et voire même de mort) de remettre en cause certaines “vérités” dont l’Holocauste tel qu’on nous le dit…
Voilà ce que m’a apporté l’enterrement de mon père, qui de plus a été incinéré : On ne doit croire qu’en soi-même !
Pour ma part, ça va, merci, la vie continue et je fais “avec“… Amicalement à toutes et tous…
Patrice/Quelqu’un
Marie-Louise, Maman…, une mort “à l’ancienne”…
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