Lady Jane…
Midi, soleil, pas de vent, moteur, on tourne.
C’est un film, tout est dans l’image.
Bondées, des barques dérivent, moteurs en panne.
Lady Jane range tout ce qui traîne sur le pont, cordages et pares battages puis se tartine de crème à bronzer et donne déjà dans les tremblements de façade qui tentent de dissimuler les désagréments engendrés par le balancement maudit du poète…
Elle est fine, très belle…
Si vous n’avez pas vécu, d’autres après vous s’en chargeront.
Elle est intarissable quant aux somptueuses demeures qui caressent les flancs de cette côte offerte aux plus riches, un vrai petit paradis.
Je suis à la barre, fier et heureux comme un propriétaire d’attelage à l’ancienne.
Les chevaux sont sous pilote automatique, je ressemble ainsi à un enfant debout dans une voiture de pompier sur un manège.
J’ai mis un CD des Rolling Stone.
Après quelques secousses dans la passe, nous voilà décoiffés dans le vent d’ouest, établi au dessus des trente nœuds avant d’abattre progressivement en direction du sud.
Le balancement maudit, cher au poète, nous prend sur le travers arrière et provoque quelques pincements de lèvres, tandis que nous commençons à pâlir très sensiblement.
Le teint rose et frais de Lady Jane s’estompe au profit d’un sobre vert pâle, très prisé chez bon nombre d’aquarellistes marine.
Qu’importe, je reste accroché à la barre.
Le vent force pour s’établir à 35 nœuds avec quelques rafales au delà de 40.
La météo semblant persister dans cette politique de courant d’air, provoque l’instabilité du cours des choses qui nous entraîne sur un plan d’eau passablement énervé.
Passage obligé autour des yachts au mouillage, plus somptueux les uns que les autres.
C’est merveilleux, comme si je tirais sur le pompon d’un manège.
Il y a tout le confort à bord, l’eau chaude, les douches, les toilettes électriques, le générateur, la chaîne hi fi, la télé, le micro ondes, l’Internet, le téléphone satellite, le frigo, le congélateur, l’air pulsé, le four dans une vraie cuisine, le salon, les fauteuils en cuir, les petites lumières sur le sol comme au cinéma pour ne pas se vautrer sur la marche, un bouquin de Zamek Tazrezler “l’homme et l’amer”…, le figaro, l’Hérald Tribune et… des moustiques toute la nuit, l’aventure quoi.
C’est un petit port de Floride : Sarasota.
Comme tous les petits ports, la plaisance a pris le pas, du moins l’anneau sur la pêche ou tout autre activité…, des gamins plongent des quais, comme tous les gamins du monde de tous les petits ports du monde, le dos tout noir cramé de soleil.
On peut voir en son milieu la place d’où partaient les petits vapeurs, quelques restaurants, tout y est pour se croire comme à l’ancien temps.
Ils plongent, remontent, replongent, je les envie, je retrouve le gamin que j’étais.
On ne devrait pas grandir vu ce que la plupart d’entre nous font de ce monde et de leur vie.
A la sortie du port sur la droite, il y a la plage.
C’est une petite plage aménagée avec des touristes un peu popu… et puis des gens du coin, mélangés. C’est çà, on est mélangés dans la même soupe.
L’eau est chauffée par un soleil qui tape dur.
Des nuages d’orage s’amoncèlent.
Au loin, un rideau de pluie s’abat.
Je trempe.
C’est curieux, j’ai la tête en forme de méduse et je rêve d’une multitude de crabes avançant telle une armée de samouraïs.
C’est beau l’océan, c’est d’autant plus beau lorsqu’on est un marin ensablé.
Je suis devant, devant l’écran de mon ordinateur, comme à la plage ou à la grève, comme en pleine mer, je suis devant pour mieux sentir le frémissement, pour entendre le bruit de la mousse qui déborde en faux col, comme d’une bière tirée d’une perce à l’infini, qu’un dieu partageur et grand buveur m’offre au bout de la dernière vague qui se lisse sur le sable crissant au retrait de l’eau.
Et j’ai les pieds dans l’eau, enchâssés pour le reste dans ma mémoire et mon fauteuil.
Quoi de mieux ?
Pourquoi mettre un nom sur l’indicible, sur ce qui disparaît peu à peu.
C’est curieux ces méduses, en formes et couleurs d’art nouveau, c’est beau et cela me fait du bien, tant et si bien qu’un moment j’ai envie de revoir Le crabe tambour de Schoendoerffer, avec Jacques Perrin entre autres comme acteur…
Curieux mélange entre mes vies ou se mêlent l’esprit de l’auteur qui rejoint celui du vagabond en colère à l’image d’un capitaine troquant son bonnet rouge de commandant Cousteau, contre un drapeau pirate. Pauvres requin aux ailerons coupés qui descendent agonisant vers le fond…, les hommes et la cruauté qui accompagne leur cupidité !
En ces temps de retour nauséabonds de questions quémandant leur lots de mauvaises réponses et d’interrogations dictées par les calculs douteux autant que par l’hypocrisie, voici que je me trouve assailli par des sentiments contradictoires autant que rasséréné par la théorie des paradoxes en ce qui concerne le sentiment d’appartenance qui me taraude tant il est contraire à la liberté qui nourrit mes projets hasardeux.
Je suis devant… et tout se mélange, les queues des baleines, les vagues, les drisses des grands voiliers et les heures passées dans l’eau au dessus des coraux, ainsi qu’un curieux port, enserré entre deux cuisses de montagne…, j’ai le cœur à marée basse !
Né sur une petite planète perdue au milieu d’un coin d’une immensité sans mesure j’ai toujours considéré comme nulle et non avenue cette manie de se prétendre fier du hasard qui m’engendra après la rencontre et une partie de câlins que j’espère torrides un en lieu que je n’ai pas choisi.
En bref je suis né et un point c’est tout je n’y suis pour rien.
C’est curieux cette sensation qui s’insinue peu à peu après la lecture de textes glanés au gré des pulsions et des sauts de pages et des renvois comme autant d’invitations à s’enfoncer toujours plus en avant comme s’il y avait d’avant ou bien d’arrière d’ailleurs dans l’infini des proses et des images jetées pêle-mêle dans le web à l’intention des internautes affamés qui voudraient bien s’essayer à se repaitre dans l’indigeste repas offert comme autant de programmes qu’il y a de clics et de névroses de révoltes et d’angoisses, de réactions et d’incompréhensions, d’approximatif et de dramaturgie, comme à leurs contraires de thèses à l’appui et de procès en règles et d’indignations bien senties comme d’invectives de foutriquets et de philosophes à la petite semaine draguant la psychologue de supérette effrayée par tout ce menu fretin côtoyant sans vergogne les plus allumés et les sages discourant en articles scientifiques et dûment estampillés…
Autrement dit une vague inquiétude emplit ma demie neurone par tout ce qui est produit dans cette confusion générale résultant du contigu à l’à peu près du n’importe quoi superfétatoire, séparé d’un seul clic gauche d’un quart de poil plus étayé qui ne saurait omettre nonobstant l’affliction de votre serviteur et webnaute, hirsute, en quête d’une ultime touche poétique…
Tout cela me rappelle le début d’un film, l’image s’éloignant de la surface de la terre jusqu’à sortir de l’atmosphère et s’en écarter de plus en plus dans l’espace à mesure que la bande son témoigne dans cet éloignement du brouhaha des conversations terre à terre puis des émissions de radio et de télé puis des voix sorties des grand meetings de l’histoire et remontant dans le temps telle une bande son de tout notre passé brouillant ainsi toute espèce de message intelligible d’une humanité toute aussi perdue que péremptoire et combien vaine dans son intention d’animer le quartier interstellaire à toutes fins pacifiques ou bien le contraire.
Et j’en reviens toujours aux mêmes questions :
Que devient le temps passé et ceux qui l’ont habité, jusqu’aux parfums évanouis, aux rires en échos du bonheur, aux pleurs versés en solitaire ?
Où sont passés ceux qui sont morts, que sont-ils devenus et à quoi donc sert toute cette comédie ?
A quoi joue celui ou celle qui se prend pour un artiste, un personnage politique, un curé, un prêtre, un imam, un journaliste, un moine, un catcheur, un moins que rien, un opprimé, un sous préfet, un ouvrier, un ministre qui ferme sa gueule ou bien profère des âneries, un chanteur engagé dans une maison de disques, un pauvre dans un bidonville, quelqu’un d’important qui se joue des méandres de l’histoire (puisque personne ne sait ce que devient l’histoire), quelqu’un qui décide pour qui domine, conseille, vole, exploite, conditionne son entourage et manipule au profit de ce qu’il prend pour ses désirs ?
A quoi sert l’intelligence si elle ne conduit qu’à l’absurdité des injustices et à la froideur des calculs égoïstes, tandis que rien ni personne ne sait où s’en vont ceux qu’on aime lorsqu’ils ne sont plus.
A quoi sert il de faire semblant ?
Peut être un tas d’ego et de graisse hypocrite qu’il faudra franchir avant de rouler et repartir en arrière.
Qu’y a-t-il en haut de l’escalator ?
Saloperie de temps qui passe, putain de big bang et que sont devenus mes rêves ?
Où sont les mouvements d’opinion, la stupeur générale devant l’inacceptable, la bronca des cris cons comme la mort devant les aimables ambassades ?
Échapper à la connerie ambiante, à la foule en pleurs.
Je suis parti juste un peu, pas trop loin, sans radio, sans web, sans tel, sans cervelle aussi.
Je suis parti comme un con avec une furieuse envie de ne pas revenir.
Je suis revenu.
Je reviens toujours.
C’est un classique.
C’est pénible les classiques, on sait toujours comment çà va finir.
Mal.
Où alors c’est une comédie.
Mais c’est pas sérieux une comédie.
Alors je suis revenu.
On a beau avoir l’habitude, le passage est toujours aussi difficile.
Le plaisir c’est de chercher le moyen de s’évader.
Enfin c’est devenu comme çà.
Je sais bien qu’un jour j’y parviendrai.
J’ai déjà réussi.
Des années au même endroit et le sentiment d’être toujours ailleurs et aussi bienvenu qu’un jambon dans une mosquée.
Construire le paquebot de ses rêves devient ambitieux. Non, une soucoupe, c’est çà, je vais peut être envisager la construction d’une soucoupe.
Alors m’est revenue cette idée, la bête sera difficile à sortir.
Volante de préférence.
Une soucoupe volante pour me carapater.
J’ai bien lu Terre des hommes de Saint-Exupéry… et bien, c’est là haut que çà se passe et c’est quand on redescend qu’on trépasse, sur la terre, où c’est comme çà que les hommes vivent.
Il y a des voyages dont on ne revient jamais.
Par exemple avez-vous vu les yeux de quelqu’un qui débarque d’un tour du monde dans la furie des océans et du vent et du soleil et des jours de gris, les jours de coup de mou ou de grains?
Avez-vous vu ses yeux comme ils restent accrochés, ailleurs, le sentiment que quelque chose d’irrémédiable s’est produit : il ya trois sortes d’humains, les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer…
C’est beau on dirait du veau mais c’est bon, j’ai fait les trois, j’ai de la chance, je suis revenu des océans, à l’avant d’un bateau qui revient les soutes pleines de poivre, de curcuma, de cardamone, de curry…
Il est fou vous allez dire…
Ouais, fou à lier, je suis fou d’étoiles, amoureux comme jamais et c’est comme çà que c’est bon d’avoir la gueule dans les étoiles, le nez dans la voute céleste, allongé dans la nuit, à la croisée des chemins, pour ranimer l’envie et faire revivre la magie dans un temps qui n’a plus d’heure, avec mal partout sauf au cœur, vivre jusqu’à plus soif jusqu’à l’usure des yeux, comme un vieux pirate qu’on a laissé avec un tonneau de poudre et trois bouteilles de rhum…
Yop là boum…, je suis saoul !
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