Le cargo d’Erdeven…
La tempête soufflait depuis trop longtemps…
Jean Kerouac était bien averti, maintenant, quand une tempête allait pointer son nez : les alertes météo sont fréquentes, se font plus précises et sont bien relayées par la mairie.
Jeudi soir, le vrai pic de la tempête a été atteint… et ça a duré toute la nuit.
Le bruit était assourdissant, les rouleaux se fracassaient sur la côte, la pluie était projetée à 130 km/h sur les vitres, sur les portes, ce n’était pas rien.
En 2001, il a eu 30 centimètres d’eau, mais ce n’était rien à côté de la tempête de mars 2008, où cette fois, ce sont 80 centimètres à 1 mètre d’eau qui ont envahi sa maison et son quartier.
Quand Jean Kerouac s’est réveillé et a vu, de sa fenêtre, des trombes d’eau propulsées par un vent violent, et des déferlantes blanches d’écume qui s’écrasaient sur le littoral avec fracas, il a cru à un ailleurs possible…, c’était féerique et très impressionnant à la fois, mais il connaissait bien le sujet et savait quand un vent est dangereux et quand il ne l’est pas, grâce à son orientation…, il faut dire qu’il habite sur une presqu’île, entourée d’océan, à 200 mètres…, c’est donc un habitué des grosses tempêtes.
Quand on habite ce genre d’endroit, on réfléchit de manière plus pragmatique, car la dangerosité des tempêtes dépend de la conjonction de différents paramètres.
Tout compte : la hauteur des marées, le sens du vent et la pression atmosphérique.
Par rapport à 2008, ce n’étaient pas du tout les mêmes conditions.
En revanche, jeudi, les vents allaient très vite, environ à 120-130 km/h et la mer était très agitée.
Mais les vents n’étaient pas orientés de manière dangereuse, le coefficient des marées était plus faible et la pression atmosphérique, plus élevée.
Les vents, Jean les a entendu tourner (ouest-nord-ouest) à 3 heure du matin, ce qui éloignait le risque.
D’ailleurs, il n’a pas répété les erreurs de 2008.
Ex-technicien, il essaie toujours de voir au mieux comment il va se protéger et il écoute aussi souvent la météo, parce qu’il va souvent pêcher.
Cette année-là, il n’avait pas pris la précaution d’évacuer sa voiture.
Elle a donc été noyée, mais cette fois-ci, il a fait attention : il a arrimé les objets dehors, fermé les volets, mis les pare-eau sur les portes, au cas où !..
Quand une tempête est annoncée il faut être sur le qui-vive.
Jeudi soir, il s’est endormi en restant très attentif, le sommeil très léger.
Il avait pris des mesures préventives, mais on ne sait jamais ce qui peut arriver.
Et il ne faut pas attendre avant de se protéger.
En 2008, la tempête était prévue aussi, mais comme on exagérait moins qu’aujourd’hui, les gens étaient moins préparés et les dégâts ont été importants.
Finalement, aujourd’hui, quelques arbres sont tombés, bien sûr… et la route qui relie au continent a été coupée par le sable projeté par le vent, il a fallu la déblayer.
Sa presqu’île, son petit paradis…, de chez lui, il aperçoit le bateau échoué à Erdeven.
Il ne sait pas ce qu’il s’est passé pour ce cargo : a-t-il ripé sur son ancre, n’était-il pas bien amarré ?
Une enquête va être ouverte croit-il…, “mais nos bateaux à nous, ils ont tenu le coup” se dit-il…, “ce n’est pas le seul coup de vent de l’année, on vérifie fréquemment leur amarrage”.
L’échouage est volontaire, il s’oppose à l’échouement qui est subi, par exemple lors d’un naufrage ou d’une manœuvre manquée.
Dans le domaine maritime, l’échouage est une manœuvre consistant à laisser le navire se poser sur le fond de la mer, généralement lorsque le niveau de la marée baisse.
L’échouement est l’immobilisation accidentelle d’un navire sur un haut fond, c’est-à-dire dans un endroit où le navire ne dispose plus assez d’eau sous la coque pour naviguer.
L’échouement se produit généralement non loin de la côte mais il peut également se produire au large dans une zone de mer moins profonde.
Dans une mer forte l’échouement peut entraîner la destruction progressive du navire qui va talonner (heurter) violemment le fond à chaque vague.
Si l’échouement se produit sur un écueil par ailleurs entouré d’eaux profondes, le navire risque de couler après avoir été brisé par la mer.
Un navire échoué peut parfois sortir de cette situation par ses propres moyens : en se déhalant sur une ancre mouillée au large, ou en faisant gîter fortement le navire (pour un petit navire), ou à marée haute, en vidant ses ballasts (s’il en dispose), ce qui diminuera son tirant d’eau…, généralement, pour un navire de commerce, le recours à un remorqueur est nécessaire.
Lorsque la coque est très endommagée, il est souvent difficile de renflouer le navire.
D’ailleurs, pour Jean Kerouac, il est hors de question de quitter Gâvres !
Au final, il faut rester attentif aux événements climatiques, il faut faire avec les éléments : on peut vite avoir les pieds dans l’eau !..
Maintenant que la tempête s’est éloignée, tout ce qu’il reste, ce sont des goélands qui picorent dans les flaques d’eau et le bruit qui s’éloigne.
C’est quand même pas si mal…
Aux abords du cargo échoué à Erdeven, les curieux se pressent.
Dans les rangs de ces visiteurs, colère et tristesse prédominent.
L’affluence sur la route des plages ressemble à celle de l’été, sauf que là, les visiteurs se dirigent tous vers un point précis : la plage de Kerminihy où le cargo s’est échoué dans la nuit de jeudi à vendredi, à cause de la tempête Joachim qui a balayé les côtes atlantiques, tous déplorent ce naufrage et la pollution consécutive.
En famille, individuellement ou entre amis, tous viennent voir ce monstre de métal posé sur le sable.
Tous immortalisent aussi ce spectacle inédit sur leurs appareils photo et téléphones portables.
Pour les nombreux enfants présents, la sortie prend un air pédagogique indéniable, pas besoin de long discours, ils constatent et mesurent directement les dégâts de la pollution.
“Je pense à la terre”, dit gravement un petit garçon âgé de 6 ans.
Tristesse et colère !
Samedi après-midi, quelque 300 personnes ont défilé pour crier leur colère et leur indignation après un tel événement.
Parties d’Etel, elles ont rejoint la plage avec l’intention d’aller écrire sur la coque leur ras-le-bol.
Elles ont été stoppées dans leur élan par les forces de l’ordre qui quadrillent un périmètre de sécurité. “Nous sommes maudits”, pensent certains Etellois.
“Qu’est ce que ce bateau faisait en mer une nuit de tempête ?”, répètent-ils tous.
L’échouement du TK Bremen rappelle inéluctablement le naufrage de l’Erika, survenu douze ans auparavant et qui avait, lui aussi, souillé les côtes bretonnes et la ria déjà.
L’enquête en cours répondra peut-être à leurs interrogations.
La ministre de l’Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet, a regretté sur place “un gâchis environnemental et un gâchis économique”, et commandé l’ouverture d’une enquête.
Catastrophe ou pas ?
A la Ville d’Etel, transformé en QG de fortune, on se veut rassurant : “Ce n’est pas une grosse pollution, elle n’est pas comparable à l’Erika, un pétrolier cassé en deux, répandant ses cuves de fuel dans l’océan”, souligne le maire-adjoint Guy Hercend.
Le TK Bremen, cargo de 109 mètres, voyageait effectivement à vide.
Ses cuves ne contenaient que son carburant dit “de propulsion”, à savoir 180 tonnes de fuel et 40 tonnes de gazole.
Gazole et fuel sont considérés comme moins nocifs pour le milieu.
Une partie s’est échappée en raison d’une brèche dans la coque à bâbord : “Heureusement que ce n’était pas du mazout”, se félicite-t-on à la Préfecture maritime Atlantique.
Le premier, un peu plus lourd que le diesel de voiture, s’évapore en grande partie.
Le second, plus lourd, s’évapore pour 20% et se transforme pour le reste en boulettes ou émulsions dont on se débarrasse manuellement ou mécaniquement.
Impossible pour l’heure d’évaluer la quantité d’hydrocarbure échappée.
A marée haute, les premiers survols aériens ont permis de repérer une nappe de 5 mètres de large sur un peu moins d’un kilomètre, à côté du bateau : “Vu les conditions météo, la proximité de la côte et le vent de secteur ouest, pas de doute que les hydrocarbures sont allés se scotcher sur la plage”, estime Christophe Rousseau, directeur adjoint du Cedre (Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux).
“A ceux qui parlent de ‘petite’ pollution, je réponds qu’il n’y a pas de pollution marine anodine pour les ostréiculteurs et le littoral”, a réagi la candidate EE-LV Eva Joly dans l’après-midi.
Une opération de pompage a été lancée dans l’après-midi…., pour la suite, deux possibilités : soit le navire est remorqué, soit il est dé-construit sur place…, hypothèse la plus probable puisque la coque est perforée en plusieurs endroit…, l’opération peut alors prendre plusieurs semaines, voire des mois.
Le cargo s’est en effet échoué dans une réserve naturelle, à l’embouchure de la ria d’Etel.
“Une fuite d’hydrocarbures est forcément néfaste pour le milieu”, abonde-t-on à l’association Eaux et Rivières de Bretagne…, “quant à l’impact sur l’activité conchylicole, des analyses sont en cours dans les laboratoires de l’Ifremer à La-Trinité-sur-Mer”.
De ses résultat dépend le chiffre d’affaires d’une cinquantaine d’ostréiculteurs qui exploitent des parcs dans la ria et se préparent à fournir les plateaux de fruits de mer des fêtes de fin d’année.
“Les huîtres de cinq entreprises, à l’est de la ria, semblent touchées par des boulettes de fuel”, indique Hervé Jenot, président du Comité régional de la conchyliculture de Bretagne sud.
Sur les 370 du Golfe du Morbihan, c’est peu.
D’autres ostréiculteurs pourraient toutefois se révéler également touchés d’ici dimanche.
Selon mes informations, le TK Bremen aurait quitté le port de Lorient autour de 11 heures après avoir déchargé, pour laisser la place à un autre bateau ayant besoin de décharger à son tour.
“Que faisait ce cargo au large de l’île de Groix en pleine tempête ?”, demande Eva Joly.
La tempête était alors annoncée mais n’avait pas commencé.
Le navire avait pour projet de mouiller à l’abri au nord de l’île de Groix, dans l’attente d’une amélioration des conditions météorologiques, et de reprendre sa route vers l’Angleterre une fois le calme revenu.
“Ayant de grosses difficultés à tenir son mouillage, il tente d’en rejoindre un autre plus abrité et commence à dériver”, résume la Préfecture maritime d’Atlantique…, “à 00h40, il demande assistance au centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) d’Etel. Un remorqueur portuaire de Lorient ne peut appareiller au vu des mauvaises conditions météorologiques. A 2 heures, le TK Bremen alerte le CROSS Etel qu’il vient de s’échouer au Sud de la ria d’Etel”.
Pourquoi le cargo n’est-il pas resté à quai ?
Le parquet de Brest, compétent en matière de pollution maritime, a ouvert une enquête sur les circonstances de l’échouage du cargo.
Contrôlé en juillet 2011, il aurait été jugé en bon état par l’organisme de vérification.
L’armateur turc a indiqué pour sa part qu’il assumait tout.
Voir ce cargo échoué, c’est voir une image qui renvoie à la désillusion de l’orgie de la consommation autant qu’à l’appauvrissement des milieux vivants.
“On ne peut pas interdire le départ du bateau quand le commandant décide d’appareiller”, indique-t-on au service de communication de la Préfecture maritime.
C’est une invitation à réfléchir à un mode de vie, une société de consommation, qui clairement court à sa propre perte…, le confort, la domination, la sécurité, l’apparence et la superficialité, sur fond d’ignorance et de perte de contact avec les dimensions écosystémiques, cosmiques et symboliques de l’univers sur lequel nous sommes si macroscopiquement assis.
Qu’avons-nous faits de notre monde ?
Il est plutôt paradoxal qu’après avoir conquis tous les recoins du globe, après avoir été jusqu’au bout du monde, notre civilisation se retrouve en quelque sorte aujourd’hui, au bout de son propre monde.
Nous sommes face à l’obligation de revoir un modèle humain qui compromet la vitalité des milieux vivants par lesquels nous existons.
Souvenez-vous que tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre !
Lorsqu’on effleure le tragique des enseignements perdus dont les peuples avaient encore à nous apprendre, lorsqu’on prend conscience des incommensurables richesses humaines et biologiques dont la quête effrénée du profit et notre arrogante cupidité auront privé l’humanité, on peut considérer que la quête du profit à tout prix, n’a pas été une grande chose, mais bel et bien un désastre.
Concernant les photos et ce texte, je pense qu’il est du rôle de l’artiste, de dégager la beauté, même dans le tragique, via une exploration des dimensions symboliques et matérielles de nos rapports à l’environnement.
C’est en augmentant la qualité des relations, environnementales et sociales, qu’on améliore les possibles et qu’on donne de l’air au futur.
Mais aérer le futur, ce n’est pas chasser hors de soi tout mal ou toute souffrance au profit d’un progrès parfaitement gentil, joyeux et optimiste…, l’avenir n’est pas un congé de pensée, mais l’exigence d’une honnêteté face à nous-mêmes dont nous avons absolument besoin aujourd’hui.
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