“Le Français”, ex-“Kaskelot”…
Construit totalement en bois à Svenborg, au Danemark, durant l’année 1948 (il n’y avait à cette époque plus d’acier disponible à cause de la guerre ’40/’45) pour la compagnie royale de commerce du Groenland, ce baleinier s’appelait alors le “Anne-Marie Grenius” et avait été conçu en tant que ketch (un voilier à deux mâts et gréement aurique [Marconi] : le grand mât est situé à l’avant, le plus petit [mât d’artimon], est à l’arrière en avant de la mèche de safran) destiné à la pêche/chasse à la baleine ainsi qu’accessoirement pour approvisionner les possessions danoises du Groenland.
Sa silhouette, s’inspirait de celle des “Baltic Traders” ventrus qui pratiquaient le cabotage à la voile longtemps après la fin de la dernière guerre mondiale… et c’est à leur exemple que sa coque (dix centimètres d’épaisseur), avait été conçue pour résister à l’étreinte des glaces.
On pensait à cette époque que la voile était plus sûre que le moteur pour un bateau destiné aux habitudes extrêmes et aux froids polaires.
Il fut très rapidement rebaptisé “Kaskelot” parce que c’était un nom plus approprié… qui signifie “Cachalot” en Danois.
En 1960 il est vendu à un armateur des Iles Feroë qui va le louer à des pêcheries diverses, toujours sous le nom de “Kaskelot”… et en 1980, il est racheté par Robin Davis un riche homme d’affaire anglais qui va le transformer en 3 mâts-barque pour en faire la réplique d’un voilier du 19ème siècle afin de mener une nouvelle vie très lucrative : être LA vedette des films de cinéma d’aventures sur mer et de Pirates).
Complètement réaménagé pour être un décor flottant et naviguant de films, l’équipage du bateau était formé pour figurer dans les tournages et le “Kaskelot” était basé dans le tout petit port de Charleston au sud ouest de l’Angleterre, qui, à l’image du “Kaskelot”, était entièrement dédié au 7ème art, tout dans ce minuscule village étant resté comme dans le siècle passé !
Le “Kaskelot” va servir pour de nombreux longs métrages :
–The Last Place on Earth (1985)
–Revolution (1985)
–Return to Treasure Island (1986)
–Senza indizio (1988)
–Les Naufragés de l’île aux pirates (1990)
–Les Trois Mouquetaires (1993)
–L’Île aux pirates (1995)
–Au cœur de la tourmente (1997)
–A Respectable Trade (1998)
–David Copperfield (1999)
–Longitude (TV series) (2000)
–Shackleton (2002)
–Amazing Grace (2006)
–Alice au pays des merveilles (2010)
Puis il va faire partie de “The Square Sail Fleet”, port d’attache à Bristol, qui possède aussi le “Earl of Pembroke” et le “Phoenix”… une flotte soigneusement reconstituée pour servir lors de tournages de films.
Avec l’arrivée en force des techniques numériques par ordinateurs, les grandes re-créations cinématographiques d’aventures maritimes du temps des voiles n’avaient plus besoin de vrais navires “à l’ancienne”… (tout comme pour la saga “Star Wars” il n’est pas besoin d’aller dans l’espace avec des fusées et véhicules de l’espace)… donc, après avoir participé, en 2005, aux célébrations du 200e anniversaire de la bataille de Trafalgar à Portsmouth… après avoir été utilisé pour la formation des jeunes marins et aussi pour quelques croisières richement privées (avec seulement 3 cabines passagers, c’est assez “intime”)… le “Kaskelot” va participer à de nombreux grands rassemblements de voiliers (Brest , Douarnenez, etc.)…
Il va finalement être cédé 3 millions d’Euros en septembre 2018 à Frédéric Lescure (société France Armement gérée par http://bobescoffiermaritime.com/) et plusieurs autres millions de restauration plus tard, rebaptisé “Le Français” en hommage au navire de Jean-Baptiste Charcot “Le Français” et de sa première expédition (1903-1905) en Arctique… (ce qui crée une confusion dans le public, car l’ex “Kaskelot” (construit en 1948, n’a strictement rien à voir, sauf le nom, avec la première expédition de JP Charcot de 1903)!!!
Embarquer sur un trois-mâts de 47m est une expérience exceptionnelle et inédite… avec près de 900m2 de voiles, “Le Français” est un géant des mers, qui se veut un vestige de la marine à voile des 18ième et 19 -ème siècle, mais qui en réalité n’est que le témoin de la tradition maritime, puisqu’il a été construit en 1948 en tant que baleinier, ce qui ajoute une ambiguïté à l’idéologie de la pureté originale des défenseurs de l’environnement et du bien être animal…
Que soit…, pour “noyer le Cachalot/Kaskelot et les baleines”… ce 3 mâts barque (ex-Ketch à 2 mâts) embarque des marins d’un jour loin des odeurs de mazout… tout en ayant un moteur diesel d’appoint… et non des barques avec de solides rameurs comme “au bon vieux temps”…et cela, comme par miracle, sans aucune odeur (ni mention) de cachalots éventrés… l’attention étant entièrement dirigée vers l’expédition de JP Charcot qui date de 50 ans avant la construction de ce voilier… et ce à l’appui d’une invitation à participer à la vie à bord, au rythme de la mer.
J’ai ainsi vécu avec mon Blacky (devenu le Cocker fétiche du bord) une expérience de navigation inédite où le capitaine Benjamin Hardouin et Lionel Péan, vainqueur de nombreuses courses de voiles et citoyen d’honneur de St-Malo, m’ont dévoilé le navire et conté son histoire, ainsi que les détails du programme de navigation et les manœuvres à suivre… tout cela sous le regard bienveillant de l’équipage !
J’ai donc appris à reconnaître les 17 voiles, à hisser, à tirer sur les bouts, à manœuvrer le gréement, à gouverner à la barre… découvrir la navigation à bord restera une rare opportunité qui m’a fait découvrir la vie des marins, dans un cadre sécurisé, convivial et fédérateur, j’ai toutefois décliné l’invitation à grimper aux huniers pour scruter l’horizon et aider à carguer les voiles.
“Le Français” accueille des passagers lors de chaque sortie en mer, à la journée, que ce soit au départ de son port d’attache de Saint-Malo ou lors d’événements maritimes sur le littoral français (ici à St-Tropez qui est devenu mon port d’attache, il s’agissait d’une présentation) ou étranger, on y est embarqué pour une expérience de vie riche en découvertes et rencontres…
Peut-on croire qu’un voilier se pilote tout seul lorsqu’on voit la mer glisser sous lui avec aisance… que l’équipage n’a rien d’autre à faire que regarder aux alentours et contempler un monde dont le voilier est le centre.. ou chaque autre voile à l’horizon, chaque ombre dans l’eau, est une distraction… qui sont les hommes qui saisissent tout cela d’un seul coup d’œil ?
Le soleil veille, brille si fort qu’on peut distinguer chaque vaguelette…, elles glissent, bien ordonnées, sagement l’une derrière l’autre, parfois, une trébuche, culbute sur elle-même, puis disparait dans un trait d’écume blanche… alors vient une nouvelle vague… c’est presque à l’infini de l’ennui…
La mer amie…la mer ne peut pas être une amie… l’eau n’a ni sentiment, ni histoire… elle ne fait rien, elle est, c’est tout… si elle assassine, si elle noie, il n’y a là rien à chercher que la stupidité humaine, la mer n’est ni une amie, ni une ennemie… c’est un fait que, dans l’eau, tout l’avenir des gens de mer en dépend, le leur et celui d’autres… l’eau n’y peut rien… l’eau s’en fiche complètement… le problème de l’homme, c’est qu’il anthropomorphise… l’homme pense que l’eau a un plan… l’homme veut se montrer plus fort que l’eau, alors qu’il ne s’agit que d’eau… de l’eau sans pensées, sans arrière-pensées.
Point de tempête, même pas grand vent… la mer porte délicatement le voilier, la mer est une boîte de Petri remplie de plomb liquide… un dieu antique tient la boîte et la fait osciller, avec régularité et attention, de façon à créer une onde longue et houleuse… la proue glisse dessus sans problème… les vagues sont suffisamment grandes pour soulever haut… et après avoir soulevé le voilier, elles le laisse redescendre avec mille précautions… comme si elles reposaient un bébé dans son berceau…
A bord, le capitaine est le seul maître, c’est une personne solitaire… les capitaines ne peuvent pas prendre de mauvaises décisions… tout le monde rêve d’être capitaine, tout le monde rêve de mer… n’importe où se pose le regard, braqué vers la mer… on voit effectivement la mer… et ça rend vulnérable, c’est pour ça que les masses se blottissent si fort les unes contre les autres, toutes et tous jouent les bravaches, mais tous les jours, ont une peur bleue de voir la marée des stupidités (qu’ils et elles fabriquent et vendent) les emporter… tout le malheur vient de l’extérieur… ça rend méfiant.
Personne ne vit sans laisser de trace, pour les faire remonter à la surface il faut vérifier minutieusement l’histoire récente, puis descendre un escalier, en suivant la rampe… une bonne histoire finit tragiquement…, sinon, on ne continue pas à y réfléchir… en ce sens, on hisse ses voiles… car les rêves peuvent devenir facilement de véritables cauchemars, chacun l’apprend à ses dépends et souvent commence à être en proie à des hallucinations…, les angoisses et les tourments prennent le dessus et il faut les battre seul, personne ne peut véritablement aider… le sujet principal de cette chronique, est-ce vraiment la mer, ce voilier et Saint-Tropez ?
C’est avant tout psychologique, la mer est autant intérieure qu’extérieure et il devient peu à peu impossible de démêler la part de réel et la part de fantasme tant l’histoire d’êtres perdus qui souffrent d’un manque abyssal de reconnaissance et se confrontent avec eux-mêmes, s’en saoulent à en faire pleurer le monde entier !
Pour ma part de narrateur, à Saint-Tropez, je me suis mis à chérir la solitude, les nuits, les lumières, les heures entre minuit et quatre heures du matin…., comme faire le quart…, le quart du chien…, Blacky, mon Cocker…
Ecrire c’est comme ramer… et ça devient tout d’un coup pénible, comme si une vague bondissait hors de mon écran d’ordinateur (car je n’écris pas à la plume sur du papier “ministre” voire des parchemins pharaoniques)…, je rame tout seul comme en pleine mer…, la traversée à la rame la plus importante de l’histoire et personne ne me voit…, personne ne le sait, je suis le rameur d‘un rêve qui rame dans la boue…., je rame et rame et les rames glissent dans l’eau, il faut que je les enfonce plus fort…, je ne dois plus être loin de la fin de cette chronique, enfin jeter l’encre… et l’ancre…