L’autoroute déroulait ses trois bandes de part et d’autres d’un muret en béton.
La radio montée toujours d’un cran soulignait comme une voix off les images de paysages d’une Provence bétonnée.
Tout çà défilait en cinémascope à travers le pare brise comme dans un road movie.
J’allais à Monaco, j’étais monté dans ma caisse et j’étais parti comme on part à la pêche au gros.
Dans le journal du matin, dans toute la largeur et dans ses moindres travers : le fonctionnement des paradis fiscaux.
Elle décrivait comment les principautés, duchés et autres cailloux aux noms exotiques s’y prenaient pour sucer et rendre exsangues les économies des enfers fiscaux !
Je me disais que je n’aimais déjà pas çà, la notion de paradis, ou plutôt l’espoir chamallo d’un futur un peu merdique, comme s’imaginer renaissant dans un endroit sirupeux au milieu des tronches de premier de la classe, mais cette description balançait en fait comme un sac à vomi entre deux vieilles brinqueballées dans un car en excursion.
Quand même, je me demandais bien ce que j’allais y faire, à Monaco, sinon baiser Mouna…, comme si cet élan qui m’avait pris pour y aller, me donnait à présent l’allure d’un personnage de dessin animé qui continue à courir alors qu’il a déjà dépassé la falaise.
Il est superflu de vous remémorer l’origine de ce voilier de 75 mètres construit en 1976 à l’Arsenal de Toulon pour Alain Colas qui participa à la célèbre OSTAR et eut le destin tragique que l’on sait…
Le très médiatique Bernard Tapie s’enticha de ce quatre-mâts et battu le record de l’Atlantique à son bord.
Ensuite Mouna…., ahhhhhhhhhhh, ma Mouna…, Ayoub pour les non intimes…, transforma Phocéa en palace flottant.
Il est depuis quelques mois propriété d’un capitaliste Français qui l’a confié à la société Magellan basée au Luxembourg qui le propose en charter pour 196.000 euros la semaine…, quinze hommes (et femmes) d’équipage sont alors au service (aux sévices) des douze passagers…, répartis dans huit cabines…
Que de souvenirs, Mouna…
J’allais maintenant rejouer au reporter faussement citoyen pour couvrir je ne savais pas trop quoi, j’y allais, j’avais dit, je m’étais dit, donc j’y allais.
Quant on peut, on veut, et quand on veut c’est qu’on peut.
Sur le parking d’une station d’autoroute tout en ravitaillant ma belle gloutonne, j’ai zieuté un gros 4×4 immatriculé au Luxembourg, signe probable que j’abordais les contres allés du paradis déjà fréquentées dans les parages par ses anges joufflus et en Ray-bans.
Il y avait aussi des belles petites voitures avec des beaux petits vieux dedans.
Plein de petits vieux bien soignés, bien coiffés et bien habillés… et des dames bien bronzées qui plairaient à Berlusconi.
C’est vrai qu’il faisait extraordinairement doux pour un mois de déprime.
J’ai poussé jusqu’au centre de la cité monégasque sans le faire exprès, tant la frontière entre la dernière ville limitrophe et la ville du prince parait inexistante.
Je n’étais plus qu’à quelques dizaines de minutes de Monte Carlo centre.
Tant pis, j’y étais et je décidais quand même de m’y laisser glisser comme les flux financiers sous les tunnels.
Ce fut le parking de la digue qui trouva grâce à mes yeux, après c’était la mer.
Quand j’ai ouvert la portière, je me suis dit qu’on aurait pu manger parterre tellement çà faisait propre et tellement çà faisait bizarre que çà fasse aussi propre dans un parking aussi souterrain que bien peint.
Mais quand même c’était une idée con de penser à manger parterre dans un parking, fallait être un blaireau dans un endroit étonnant comme çà, pour penser un truc pareil.
Et puis, parking çà fait pas très classe pour ici, j’aurais plutôt appelé çà un rangement à voitures, comme on dit un rangement pour couverts en argent.
Et je me suis dit que çà allait douiller.
Plus loin, une grosse bagnole dormait sous une housse impeccable et au fond deux voitures un peu luxueuses n’arrivaient pas à remplir la cave toute neuve.
J’en ressortais avec mes envies.
Le Soleil plein la gueule, la mer…, les yachts, les femmes.
Tout autour se dressait une imposante et foisonnante muraille de buildings coiffés çà et là de palmiers et dépassés de temps à autres de grues dont je me demandais à quelles constructions elles pouvaient servir vu le manque de place évident.
Putain de Yachts, grands comme des immeubles, lustrés comme des commodes empire, au milieu d’un port encombré de prétentions diverses… et d’un club de voile remplies de filles qui gloussaient en allant rejoindre l’aventure au-delà des jetées.
Je me suis dit qu’il y a des immeubles qui devaient tomber dans l’eau pour faire de la place aux autres.
Une densité incroyable.
Allées et venues sur les quais, de joggers, de nourrices, de chauffeurs, d’une armée de domestiques montant et descendant les échelles de coupées des somptueux navires, immatriculées qui, aux Iles Caïmans ou Georges Town, ou bien battant pavillons britannique, du Portugal ou de la planète Mars.
Du plus gros fer à repasser au bateau à la Corto Maltèse en passant par un élégant vieux gréement style Voiles de St Tropez…, tous attendaient leurs riches armateurs, qui d’un clin d’œil, d’un caprice ou d’un coup de fil se prépareraient bientôt à appareiller ou bien semblant.
Des équipages briquaient coques et ponts, d’autres devisaient au soleil, désœuvrés comme une glandouille en zone de moyenne altitude.
Moi j’en étais une… qui en descendait ce matin… et je déambulais, me grattant furieusement la tête et le reste accessoirement, signe que je feignais de craindre la panne sèche quant à l’inspiration.
Je pensais à la classe British légendaire : Trench et Burberry’s en plein été… et je me trouvais aussi élégant que la voiture de Colombo.
Il fallait donc que je profite d’être dans la place pour découvrir quelques bons plans, toujours çà de pris.
Il était un peu plus de dix heures… et les hirsutes (les touristes) n’allaient pas pointer leurs savates avant midi, au-delà des limites du supportable.
Ce n’était finalement pas une mauvaise chose que de me trouver sur le rocher monégasque !
J’ai quitté le port après une courte ballade sur un bateau-bus (électrique de surcroit), et comme moi affecté comme l’était en son temps Escartefigue à Marseille, entre deux les quais d’un bassin rempli de yachts.
J’y ai surtout remarqué un couple à l’accent russe, bronzés comme un lavabo et un bidet en hiver et qui avaient tous deux l’air d’être au paradis, béats, bisous, re-béats, Monaco tout autour et on s’en fout.
Elle était plutôt jolie, était habillée très sexe… et il était fou amoureux et plutôt chauve : “Vous ne voulez pas descendre pour Monte Carlo ?”… leur a dit la dame qui était poète et qui faisait matelot tandis que son mari faisait capitaine en prose et propulseur d’étrave.
Ils ont rigolé et se sont à nouveau embrassés, ils avaient l’air un peu cons et ils tenaient à en profiter.
Après ce moment de bonheur, je suis allé direct au pied de l’escalier à l’assaut de la résidence du prince Albert.
On pouvait entendre la noria des hélicoptères taxis qui font la navette entre l’aéroport de Nice et Monaco station, participant de leur mieux au réchauffement durable.
Par le chemin des pêcheurs j’ai longé la mer puis par un escalator j’ai grimpé la citadelle.
Je suis arrivé rincé comme une motion socialiste au pied du musée océanographique où des canadiens se faisaient prendre en photo devant un Yellow Submarine…, puis plus loin devant une machine à chenilles ayant servi à des lointaines expéditions polaires… et moi je me cherchais un endroit un peu rigolo.
Je suis passé devant le palais cher au Commandant Cousteau qui avait vu juste, en déclarant : “And it is a great dommage for the future générations”… et puis je suis tombé en arrêt sur une statue de la pieuvre, avant d’admirer la cathédrale, l’équivalent d’une église dans le nord… et puis le Conseil national, l’équivalent de l’assemblée nationale à Paris… et puis je me suis dit devant la taille des ces bâtiments, qu’ici, l’essentiel était surement ailleurs.
Je dois dire que je me sentais comme à l’intérieur d’un film de Schreck où je m’attendais à voir débouler la princesse Fiona poursuivie par le ballon de la série anglaise des années soixante “le prisonnier”.
J’ai emprunté de jolies et proprettes petites ruelles commerçantes, ornées de jolis petits drapeaux monégasques qui ressemblaient au drapeau polonais à l’envers ou aux barrières des passages à niveau quand elles sont relevées.
Tout m’a amené sur la place, jusqu’à des talons aiguilles sous des jambes fines et galbées que je poursuivais du regard et que même, c’est à ce moment que quelqu’un d’autre que moi-même m’a appelé sur mon portable.
Quand j’ai relevé la tête, c’était elle, la grande place devant le palais du Prince.
Y’avaient trois policiers habillés comme des grooms qui sifflaient dès qu’un passant marchait en dehors de là où il est autorisé de marcher, c’est-à-dire on ne sait pas trop.
Le policier monégasque siffle beaucoup en faisant signe que non, c’est surement pour çà qu’il a des grosses joues toutes roses comme Oui-oui…, comme çà, il a pas l’air méchant mais il prend son travail au sérieux et on ne sait jamais, y ‘en a peut être d’autres planqués pas loin derrière.
Devant le palais y’avaient des chaines qui délimitaient une surface de réparation gardée par un goal coiffé d’un œuf de Pâques recouvert d’une feutrine bleue et qui évoluait comme sa pensée dans une étroite guérite et qui n’avait pas l’air de rire.
Je feinte !
Peu de touristes en dehors des play-mobiles affectés à la sécurité, un camion de pompiers, rouge, quelques chinois et quelques vieux qui arpentaient la grande place sous le soleil de Bodega.
Plus loin, surplombant de 35 mètres le port de Font Vielle, une batterie d’anciens canons veillaient au grain accompagnés d’une pyramide de boulets soudés ordonnancés dans un élan poétique et en équilibre consternant.
Là, sous l’œil interloqué de trois touristes américains qui faisaient le poids des boulets, j’ai appris qu’une manifestation devait démarrer dans une demi heure au Cap d’Ail, la commune mitoyenne de Monaco, site qu’avaient choisi divers énergumènes pour bloquer symboliquement la route des flux financiers qui alimentent ces trous noirs de la finance que sont les paradis fiscaux.
J’ai déboulé les escaliers de la cité pour tenter de les trouver au sortir de la ville princière…
Il faisait de plus en plus chaud et je serais bien allé prendre une bière…
Eh ben non, c’était pas le moment d’une bière.
Au dessus de Fontvieille, les remparts, dominent la ville vers l’ouest, j’avais vu sur le deuxième port où les yachts sont plus modestes, le stade de foot et puis au-delà, le Cap d’Ail, la commune française mitoyenne avec le “rocher”.
Mon petit reportage se transformait peu à peu en balade dans une cité pour poupées Barbie.
Je demandais mon chemin, personne n’était d’ici.
Courses dans les escaliers, retour dans la ville, les belles bagnoles, les décapotables, tiens, un escalator dans une grotte, arrivée dans un centre commercial pour troglodytes, au bout, la sortie près du port, re escalator, direction à peu près comme çà vers le stade…, putain y fait chaud ici…
Je n’étais nulle part et ce qui me semblait être la bonne direction était un leurre.
Escalier à nouveau, je suis arrivé en haut essoufflé.
J’étais au Cap d’Ail à n’en point douter.
La rue, la circulation, ah çà devait être par là…
Des flics…m’observaient.
C’est curieux ce sentiment d’insécurité quand un gardien de la paix vous observe.
J’ai traversé et suis passé devant eux.
J’en voyais d’autres plus loin.
C’était comme un parcours fléché, en bleu…, mais pas de manifestants à l’horizon.
La ville est à flanc de la côte, la mer en bas, la montagne au dessus, il me fallait monter.
Encore des gendarmes, par petits groupes, positionnés tout le long de cette route qui va du Cap D’Ail vers Monaco, qui fait bien deux kilomètres comme çà.
Un hélicoptère au dessus semblait surveiller.
Ah, enfin, ce qui de loin me semblait être un manifestant, il avait toute une panoplie de drapeaux.
Il attendait le bus.
Il était pâle.
Je me suis adressé au gars qui attendait le bus.
Près de lui, des CRS, des gendarmes, en panoplie de play mobile, genouillères, brodequins, matraques, regards martiaux, inamicaux, tendus, soupçonneux, y’en a un qui est venu vers moi, tripotant son arme, il me soupçonnait de transporter quelque chose de suspect, pour lui c’était sur, y’avait un point qui n’était pas clair, dans ma démarche.
Il m’a dit que la manif était regroupée plus haut à deux kilomètres, car en dépit d’une autorisation de manifester, en fait c’était impossible ici…
Des gendarmes sont alors arrivés sur nous… cinq, six, plus… la tête rentrée dans les épaules, pas gentils… : “Votre pièce d’identité…, vous êtes journaliste ? Vous avez une carte de presse ? Vous n’avez pas le droit de faire des interviews dans la rue comme çà, sans autorisation, c’est interdit, y a des lois”…
Il prenait note des infos qu’il lisait sur ma carte d’identité…
“Où habitez vous Monsieur ?”
“Comme c’est indiqué sur ma carte d’identité que vous lisez”…
“Attention, c’est de l’outrage à agent…, je ne crois pas ce que vous dites, Monsieur”…
Les autres en bleus se rapprochaient de moi, un poil oppressant, le gars qui attendait son bus était tout blanc et je me suis dit que j’étais venu l’emmerder pour rien d’ailleurs, ils contrôlaient également son identité…
“Je vous conseille de ne pas insister, je vous le répète il y a des lois pour ce genre de choses”…
“Merde”, j’ai repensé, “tout ce chemin peut être pour rien, faut calmer le jeu, je me connais, faut toujours que j’ouvre ma gueule…, faut calmer le jeu”…
Un autre gendarme, m’a dit aussi de ne pas insister, genre que j’énervais le chef…
J’aime pas qu’on me demande qui je suis et qu’on ne se présente pas en retour, ça me rappelle l’armée, la marine, les gendarmes…, c’est la dictature !
“Et vous qui êtes vous monsieur le gendarme ?”…
Il n’était pas content…: “Vous êtes du Cap d’Ail ? Monsieur, on a été poli avec vous”…
Ah ben moi aussi…, y’a pas d’raison…, c’est mon coté élevé au Bourvil…, sauf que le De Funès du moment est moins drôle.
J’ai senti que je l’énervais, bon, fallait pas, y’avait mieux à faire…
Un bus arrivait, j’ai sauté dedans, après avoir fait signe au gars du syndicat…
J’étais dedans…, j’allais rejoindre la manifestation qui s’était donnée pour but de fermer symboliquement les portes du paradis fiscal….
Les gens dans le bus me regardaient bizarrement.
Depuis Monaco, j’avais encore “Jet set” chanté par Nougaro, dans la tête : “Jet set, the people”.
Je me suis dit que c’était nul, c’était pas grave pour moi, mais c’était juste désagréable et c’était nul.
La président Sarkozy fait semblant d’être outré par les paradis fiscaux et en même temps ses gendarmes sont là, à leurs frontières, pour les protéger…, pour intimider, empêcher les empêcheurs de tourner en rond…, pour protéger les riches.
Les protestataires étaient là, à l’orée d’un bar.
Je suis descendu deux stations plus loin.
Y avait qu’un groupe, les autres devaient être plus loin, ou bien en retard…
Ben non ils étaient tous là, seulement une petite centaine, à peine… et il y avait tout autant de gendarmes… “Regroupement, on y va” ont-ils-dit, les pancartes, les drapeaux, ohé, ohé, les gendarmes barrent la route et s’opposent à toute progression, il y avait pourtant autorisation de manifester.
En terrasse, les clients assistaient à tout çà d’un air goguenard, ils n’approuvaient pas, fallait pas faire de bruit : “Foutez le camp”…
Un autre avait le menton sur son demi et regardait le petit défilé, les yeux vides, avec un coté pathétique, le nombre des manifestants, l’indifférence générale, la démesure des forces de police, les enjeux énormes autour des paradis fiscaux, l’hélicoptère qui tournoyait au dessus, la colère digne des organisateurs…, l’énergie de ce petit groupe qui tournait de temps en temps à la manif de droite, les slogans, un bus qui attendait en sens inverse et qui ne pouvait pas passer, la joie d’un manifestant qui gueulait content : “On a réussi, on a fermé la route mène au paradis”…
J’ai interviewé les organisateurs, quelques participants, il y avait des caméras de France 3 et d’autres, des magnétos, des témoignages, un gars de Canal avec une petite numérique, un clin d’œil…, sympa, il m’a filé sa carte.
Je ne savais plus ce que je faisais là, c’est comme çà depuis que je suis né, je ne sais jamais ce que je fais là, des conneries sûrement, au milieu de tas de trucs pas justes.
Les forces de l’ordre tenaient ferme, tentative de débordement dans une rue adjacente, même scénario, la rue était barrée par des uniformes.
Et puis je suis resté au milieu, avec eux dans ce petit purgatoire, il y avait une femme qui faisait un reportage avec un crayon et un bloc, des crobars, quelques notes, j’ai trouvé çà, classe…
Vint l’idée de se servir du bus comme cheval de Troie.
Le chauffeur du bus a refusé, il a ensuite fait demi tour…
J’ai regardé le pochetron à la terrasse avec son demi, j’avais soif.
Des images par ci, des images par là.
Le temps passait.
La manifestation n’irait pas plus loin en dépit de quelques fleurs que des filles tentaient d’offrir aux gendarmes.
Il y avait un petit groupe de clowns manifestants pour détendre l’atmosphère en cas de…
Et puis ce fut fini, ils ont décrochés et sont repartis vers le bar.
Le but initial n’était pas atteint.
Ils espéraient parcourir sur deux ou trois kilomètres la rue qui menait jusqu’à l’entrée de Monaco, c’était pas pour aujourd’hui.
Beaucoup sont repartis, quelques uns sont restés le temps d’une bière, je me suis joint à eux.
Ah une bière…
On sentait un mélange de plaisir d’être ensemble, de l’avoir fait et une insatisfaction, une frustration…
“Forcément”… m’a dit ma voisine de table, “des gauchistes dans le coin, c’est pas gagné, mais normalement on est plus nombreux”.
C’était le weekend end, il faisait beau, il y avait des meetings ailleurs.
J’ai pris congé et je me suis dirigé vers l’arrêt de bus, car maintenant que c’était fini les bus allaient se repointer, et ma caisse était au milieu du port de Monaco…
J’ai regardé les flics qui étaient toujours là.
Cà faisait un moment que je jouais à Champollion et que je décryptais la pierre de rosette en forme d’horaire de bus en mal comprenant que j’étais…
Bon, le voyage retour vers Monaco allait être sympa…
Une jeune femme, belle, classe, s’est approchée… et dans un superbe accent italien, m’a demandé : “Ça va ? le bus y va venir, t’inquiètes pas…, je suis Carla, italienne. Tu as vu, c’est magnifique ici, il fait doux, j’aime les couchers de soleil, la mer, c’est trop bien ici…, tous les midis je viens ici, puis je redescend au port ou j’ai un petit bateau, je prend le bus, c’est plus facile”…
On est monté dans le bus, elle m’a raconté des tas de trucs, surtout qu’elle était venue mettre au point un bateau tout en cherchant un amoureux dans mon genre… et elle m’a parlé en me fixant à 10 centimètres du visage et a poursuivit comme si on était copains depuis longtemps…, qu’elle aimait la mer, que c’était merveilleux ici, que les gens étaient adorables, que c’était une surprise, qu’elle aimait les voiliers et que…
Elle a continué en italien et m’a demandé ce que je fais avec mes accessoires… : “C’est sexuel ?”…
Je me suis dit que c’était le bon dieu qui était chagriné d’avoir eu recours aux gendarmes cet après midi et qui, pour me réconforter m’avait envoyé un ange…
Je lui ai dit que j’étais venu réaliser un reportage pour mon site du oueb (gag !), une manifestation contre le Black money des paradis fiscaux…
Putain, quel bazar, j’étais loin, je me sentais tellement loin que je ne me voyais plus.
Cà n’avait pas ou plus d’importance, je bandais…
Ce qui est important c’est de vivre.
“Oui, c’est formidable, c’est merveilleux”, qu’elle m’a dit…, comme le reste, tout était merveilleux !
Autour les gens tendaient l’oreille, on était devenu l’attraction du bus.
Je me perdais dans mon anglais que je pratiquais avec l’accent d’une espèce de docteur indien, elle se marrais, je lui ai dit qu’elle était folle, mais qu’elle était belle, heureuse au milieu de son univers qu’elle avait transporté avec elle, et qu’importait, j’étais un poil décalé aussi et que c’était bien comme çà et puis le bus s’est arrêté au centre de Monaco.
J’ai payé une barquette de frites, des frites grasses de Monaco, et puis on a été plus loin les manger assis sur un banc, sur le quai, devant une barque de pécheur.
Elle m’a suivi et on s’est retrouvé au milieu d’une fête foraine…, des jeunes criaient, ballotés dans les airs dans une grande centrifugeuse avec des petits drapeaux monégasques…, toujours des petits drapeaux !
Le petit bateau de pêche était coincé là avec deux ou trois autres, quichés comme lui derrière les grands yachts.
Çà faisait du bien de les regarder, comme on regarde un bout d’humanité dans un univers qui parait lointain.
Derrière nous, des gens allaient et venaient… en courant, en short, avec des maillots et des numéros, des jeunes, des vieux, des plus que vieux, des femmes, des enfants, des qui couraient comme des athlètes baron de Coubertin, des qui se trainaient, des qui frimaient, des anonymes, des qui marchaient, des qui boitaient, des qui en chiaient, des qui rêvaient, des sérieux, des qui me regardaient les regarder, des qui trébuchaient, des gros, des maigres, ils avaient l’air d’aller vers la digue flottante où se trouvait mon parking. Là bas, des tentes, toute une organisation devant les yachts imposants.
Quatre personnes revêtues de gilets orange me fixaient.
Je suis allé vers eux, toujours suivie par mon italienne et leur ai demandé ce qui se passait.
L’un d’entre eux, barbu bien disposé à mon égard m’a expliqué qu’il s’agissait d’une course qui durait une semaine et qui était organisée au profit de l’association Children and Future, que pour chaque kilomètre parcouru, une somme d’argent était reversée en promesse de dons au profit d’une action médicale qui était destinée à secourir des enfants africains en attente d’opération et qui eux, ne bénéficiaient pas de couverture sociale comme à Monaco, ou en France…
Après quoi je lui ai dit que l’action de cette association caritative était une excellente image pour Monaco, il était encore plus content.
Il nous a entrainé vers une tente toute belle, bien décorée, avec des portraits d’enfants ayant bénéficié par le passé d’une aide médicale par le biais de ce genre d’action, il nous a ré-expliqué l’affaire, il était content.
Je lui ai dit que j’avais co-participé à une manifestation anti paradis fiscaux au Cap d’Ail tout près d’ici cet après midi…, du coup, il était moins content.
Il m’a dit que tout çà c’étaient des clichés, que Monaco n’était pas un paradis fiscal et que le Prince Albert veillait à ce qu’aucun argent sale n’entre à Monaco.
En citant le nom du Prince, cela m’a rappelé que je devais rejoindre mon parking princier pour y récupérer ma Ford GT40….
Fallait que je reparte.
Je suis passé, main dans la main de “mon” italiennne devant un magnifique yacht… et elle m’a alors dit : “Très chèèèèr ami, ouiiiiii, venez donc pâââsser le nuitée dans mon Yacht, ce sera tout plaisir pour moi”…
Mazette…, ce yacht était une unité dont la naissance n’avait rien à voir avec un simple coup de foudre…
Certes, il était venu au monde grâce à des passionnés, mais il avait surtout vu le jour grâce à Nuvolari et Lenard Seaway et…. Carla Demaria !
Ce pouvait-il que ce soit-elle ?
Ouiiiiiiiii, elle m’avait bien dit se prénommer Carla…
Numéro un mondial des constructeurs de voiliers, en tête des chantiers navals européens de bateaux à moteur, le groupe Bénéteau a entamé le troisième millénaire avec des idées de développement, notamment dans le secteur des yachts de 20 à 30 mètres.
Ambitieux mais pragmatique, son comité de direction, sous la houlette d’Annette Roux et de Bruno Cathelinais, s’est mis en chasse afin de trouver la perle rare, celle ou celui capable de relever le défi.
La patronne du groupe se souvient avoir rencontré à plusieurs reprises Carla Demaria, alors directrice de la marque Atlantis du groupe Azimut-Benetti.
La décision fut prise en 2006 : la nouvelle marque naîtrait dans le temple européen des bateaux à moteur, l’Italie… et le chantier serait érigé à Monfalcone, au bord de l’Adriatique.
Le courant est vite passé entre ces deux femmes qui partageaient les mêmes idées sur l’opportunité d’apporter du sang neuf dans le secteur des yachts.
Elle serait d’inspiration transalpine, certes, mais devrait séduire toutes les clientèles y compris celle d’outre-Atlantique.
De gros moyens furent mis à disposition de Carla Demaria qui va s’entourer de talents reconnus.
Les architectes et designers qui remportèrent le marché se nommaient Nuvolari et Lenard.
Est-il besoin de les présenter ?
Dans cette tâche, ils étaient épaulés par Seaway pour la conception de la carène et l’ingénierie, une société qui collabore depuis longtemps avec Bénéteau et Jeanneau.
Autre transfert technologique entre le groupe français et la nouvelle marque : le procédé de fabrication mis au point pour des voiliers.
La coque, les superstructures et le module des aménagements (planchers, cloisons et meubles) furent produits en même temps.
Il restait ensuite à assembler le tout.
Cette méthode permis un gain de temps de 30 à 40 %.
D’ailleurs, le premier modèle de 76′ n’a nécessité que neuf mois de gestation, une prouesse.
Étudié pour être équipé de la récente transmission par pods ZF4000, il ne pourra malheureusement pas l’étrenner et se contentera, façon de parler, d’une ligne d’arbre qui, s’avéra tout à fait adaptée.
“Si l’étrave est si haute, c’est que le pont a été rehaussé afin d’aménager à l’avant, sur toute la largeur, un espace de détente comprenant deux salons symétriques équipés de tables réglables en teck. C’est l’un des points forts du bateau, un endroit où l’on se sent parfaitement bien au mouillage et que l’on fréquentera volontiers une fois au port sans être vus des badauds”… m’a alors dit mon italienne, dans un Français parfait…
J’étais scié…
“Pour rejoindre le cockpit, on emprunte un pont à la “Portugaise” et des coursives. Et là, bien sûr, pour les designers, la seule solution était un plancher de plain-pied et une baie vitrée s’ouvrant au maximum sur le salon intérieur. Son volume s’en est vu sublimé. La salle à manger, pour qu’elle soit opérationnelle et puisse accueillir les huit convives, on doit déplacer la table très design (plateau en verre et pieds en cuir) vissée au plancher pour des raisons de sécurité en navigation. Le salon (banquette en U, table basse et poufs) se situe à l’avant de cet espace est baigné de lumière naturelle par des vitres latérales qui naissent à mi-hauteur. Le plafond est doté de nombreux panneaux d’éclairage de type Led. Sur tribord, face à la salle à manger, se trouvent des rangements conçus pour la vaisselle et, en vis-à-vis du salon, un écran TV s’extirpe électriquement grâce à une télécommande”… Je l’écoutais en demi-teinte, bercé par sa voix autant que par le léger balancement du yacht…
On s’est étendu sur de larges matelas, à la “Romaine”, calés contre des coussins, car il n’y avait pas de dossiers conventionnels.
“Deux escaliers descendent vers les volumes de coque. Le premier dessert la cuisine principale et les deux couchettes équipage; le second les cabines armateur et passagers. La timonerie fait partie intégrante du salon salle à manger, mais demeure discrète. Elle offre une banquette biplace à qui il manque sur la droite un accoudoir, élément de confort, mais aussi de sécurité, étant donné que, pour l’instant, c’est le vide, juste au-dessus de l’escalier qui mène aux cabines. Le chantier étudie une formule. Sur le Monte Carlo Yachts 76 la suite a été conçue avec beaucoup de goût et d’intelligence”….
Le lit “queen size”, placé sur la diagonale, disposait de tables de chevet et était surmonté d’un panneau décoratif dont l’éclairage indirect mettait en valeur son relief en forme de stries.
De chaque bord, j’apercevais les quatre hublots ronds dont les deux plus petits s’ouvraient.
La salle de bains occupait la partie bâbord…
Je l’ai lentement déshabillée et nous nous sommes retrouvés nus…, mais elle était intarissable de ses explications dont je n’avais plus que faire…
“Les passagers VIP se contentent de deux penderies et de tiroirs, mais leur cabine, tout à l’avant, demeure très agréable, même si elle est moins spacieuse. Ce bateau possède également deux cabines invités (2 x 2 lits simples) qui chacune dispose d’une salle de bains. Avec au total huit couchettes, le MYC 76 est, à n’en pas douter, une star”…
Vivre à bord devait effectivement offrir des moments inoubliables.
Pour s’en convaincre une dernière fois, après une heure d’amour… (censuré), nous sommes grimpé sur le fly qui, sincèrement, était une invitation permanente au farniente en navigation ou au mouillage.
Un tissu très doux au toucher recouvrait le sofa pour six personnes, le solarium légèrement incliné (trois personnes) et la banquette pilotage (trois personnes).
À l’arrière, la surface restante était occupée par l’annexe (3,85 mètres) destinée à y placer des transats et un tender sur une plate-forme hydraulique. Je n’ai pu résister à visiter la salle des machines, la cale moteur recèlait une paire de 1400 chevaux MAN, nouvelle génération, accouplée à des lignes d’arbre.
“Par la suite, le MCY se verra doté de ZF 4000, les pods dernier cri qui, a contrario des IPS, ont les hélices qui poussent vers l’arrière”.
La montée en régime était régulière et le bruit des engins… raisonnable, preuve que la cale était bien insonorisée et que les échappements étaient efficaces.
Une demi heure plus tard, nous avons largué les amarres pour une balade en Méditerranée…
À 2360 tr/mn, le MCY 76 traçait sa route à 31,8 nœuds sur une mer presque plate.
“En allure de croisière à 24 nœuds (1900 tr/nm), l’autonomie est d’environ 260 milles. Dans sa version pods ZF, le MCY 76 se contentera de 2 x 1200 ch pour une vitesse similaire. Le numéro un des Monte Carlo Yachts est donc aux antipodes d’un prototype. Il est ce que l’on appelle une unité aboutie dont la carrière semble toute tracée vers le succès. Révélé au public à l’occasion du salon de Carmes, il va sans aucun doute attirer bien des regards et notamment ceux de la concurrence”…
Après m’être extrait de la cabine, j’ai coiffé mes cheveux gris d’un revers de main et étendu ma grande et distinguée carcasse tout en m’administrant des exercices de yoga sur le pont en bois exotique.
J’étais heureux d’être là.
De quart depuis trois heures cette nuit, assis sur un siège de veille à l’arrière, le “captain” se roulait une clope en m’observant tandis que se détachaient dans les vapeurs matinales les contours de la côte.
Nous avons poursuivi ainsi une route vers le sud pour rallier Bonifacio au soir.
Le mont Cinto faisait le gros dos.
Mon italienne s’était entre temps réveillée et nous a rejoints sur le pont muni de son téléphone portable.
Assise dans le cockpit, elle a décrit à son amie le paysage à grands renforts de “merveilleux”.
Le “captain” lui a alors conseillé de téléphoner sans plus attendre au port de la ville fortifiée afin de s’assurer d’une place, car en cette saison les places réservées aux visiteurs étaient saturées.
Ce qu’elle a fait.
Ne se sentant plus concernée elle est descendue déjeuner.
À sa mine contrariée le captain a compris qu’il n’y avait pas de place.
Le “captain” m’a dit : “Elle possède une maison sur la cote à deux pas de Bonifacio, profite également d’une place d’un ami pour son yacht à moteur et elle connaît très bien le capitaine du port. Je vais lui demander de retéléphoner et d’arranger cela, il ne devrait pas y avoir l’ombre d’un problème”.
Qui s’est frotté au non catégorique des capitaineries corses et en général aux ports méditerranéens surbookés en pleine saison, s’imagine le pratique du relationnel des gens de bonne tenue et compagnie du même nom.
Nous avons donc rallié sans encombres, le port enserré, à l’abri des falaises calcaires.
Après avoir franchi l’étroite passe de Bonifacio comme dissimulée dans la falaise, avec bientôt sur la droite une rangée de super yachts aux allures de modernes fers à repasser qui le disputaient en mauvais goût à d’autres navires aux passerelles agressives, dessinées comme des consoles d’aspirateurs, orgueil et puissance des petits maîtres industriels… nous nous sommes amarré pour le temps d’une parade sur le quai tranquille.
“Voyez-vous”, m’a dit le “captain”, “le yacht qui est amarré au quai d’honneur appartient au directeur de l’usine de la célèbre marque de chaussures T…., une équipe vient spécialement tous les ans, en plus de l’équipage, pour s’occuper de la maintenance à bord”…
Le “captain” n’a pas lâché la manœuvre et a ignoré les conseils que lui criait le préposé du port.
Il jouait allègrement de son propulseur d’étrave, s’ingéniait à transformer pour l’occasion les bossoirs de l’annexe en rutilants couteaux inoxes d’une très maritime moissonneuse batteuse, spécialement conçue pour faucher filières et balcons des voiliers alentours.
Je me suis fait tout petit et j’ai plongé jusqu’à l’oubli de cette scène, noyant mon attention dans la glène de l’aussière, histoire d’étudier dans le sens du cometage, les principes et préceptes d’une approche Zen de la caresse sur fibres synthétiques.
Pendant ce temps, les lamaneurs restaient groupés comme des mouettes en attente railleuse sur la panne réservée par la capitainerie…
L’histoire de ce Monte Carlo Yachts 76… et ce qui m’y est arrivé, également en amont et en aval… pourraient être à l’aventure maritime ce qu’Ed Wood fut au cinéma…
Sur six milliards d’aventures qui s’écrivent au quotidien, nombre chaque jour croissant à la mesure de l’imagination, celle qui vous a été narrée est somme toute banale.
De prime abord, elle ne présente pas plus d’intérêt qu’une éprouvette dans un flacon d’urine, elle n’en garde pas moins la même valeur de témoignage.
“Cette urine est-elle claire, docteur ?”…
“Comme les boues du fond de la méditérrannée, Captain”…
“OK, alors, continuons de pédaler vers l’infini”….