1939 American Bantam Roadster
Cette “délicieuse” microcar américaine aux racines britanniques affichait avant-guerre 39/45 (Europe), 41/45 (USA), un style irrésistible signé Alexis de Sakhnoffsky adoré par les célébrités de l’époque et chéri par les collectionneurs d’aujourd’hui. C’était une automobile abordable, économique et attrayante proposée au moment où la Grande Dépression s’installait. En voici l’histoire…
Quoique les petites voitures n’ont jamais fait recette aux Etats-Unis, cela n’a pas empêché Sir Herbert Austin, fondateur de la firme britannique homonyme, marque la plus vendue en Grande-Bretagne durant plusieurs décennies, de décider en 1929 que les Américains devaient s’intéresser en masse à sa minuscule Austin Seven lancée en 1922 en Grande-Bretagne.
C’est sous le nom d’American Austin qu’elle a commencé à être produite sur base des Austin-7 qui étaient très populaires sur le marché britannique des années trente. Sur le papier, c’était une micro-voiture tout à fait logique, mais le concept n’a pas réussi à trouver son écho aux USA. Dans le monde de l’automobile, le timing peut être primordial.
Sir Herbert Austin établit sa filiale outre-Atlantique en Pennsylvanie, à Butler, à proximité d’une source importante de charbon et d’acier, et pas trop loin de la côte Est pour faciliter l’importation des pièces fabriquées en Angleterre. Sa société American Austin Car Company commence alors à produire des voitures en mai 1930, alors que le pays est plongé dans une crise économique sans précédent, suite au krach boursier d’octobre 1929.
Ford avait vu juste en a commercialisant la Mustang, car il s’agissait d’une voiture insouciante qui était idéale pour les années soixante, mais l’American Austin se situait à l’autre extrémité du spectre et misait sur le fait que le marché américain avait besoin de voitures abordables au plus fort de la Grande Dépression. Bien que l’American Austin n’était pas particulièrement chère, son prix était toutefois dangereusement proche d’offres plus alléchantes.
L’Austin américaine dérivait étroitement de l’Austin Seven britannique. Il s’agissait donc d’une petite voiture très légère (550 kilos) conçue sur un empattement de 1,90 mètre, soit un mètre de moins que la voiture américaine moyenne. Son moteur était un quatre cylindres 770cc développant 13cv, très éloigné des grosses cylindrées présentes alors aux Etats-Unis.
Les différentes carrosseries proposées Coupé, Cabriolet, Roadster ont été dessinées avec un certain talent par le comte Alexis de Sakhnoffsky (1901-1964), designer russo-américain. Malgré un prix très bas de 450 dollars, les ventes ne décollent pas. Le climat d’austérité causé par la Grande Dépression aurait pourtant pu être favorable à ce type d’automobile économique, mais l’Austin ne correspond pas à la demande américaine qui se méfie des petites voitures. n
Elle ne retrouve pas à leur bord tout le confort et l’espace auxquels elle est habituée et les performances requises. Le constructeur jette l’éponge en 1934, après 19.959 voitures produites en quatre ans (8.558 en 1930, 1.279 en 1931, 3.845 en 1932, 4.726 en 1933 et 1.551 en 1934. La société fondée le 23 février 1929 demande fin 1934 la protection de la loi sur les faillites.
La liquidation a été prononcée en août 1935, et American Austin Car Company est rachetée par Martin Tow, William A. Ward et Roy Evans. Ce dernier est le propriétaire d’une grande chaîne de concessionnaires dans le sud-est des États-Unis. Il distribuait à lui seul près de 80 % de la production d’American Austin. Les trois associés déboursent la modique somme de 5.000 dollars pour les terrains, les bâtiments, les équipements et le stock.
Ils doivent par ailleurs s’acquitter du remboursement d’une dette de 214.099,83 $… mais cela reste une bonne affaire. La cour fédérale a jugé les repreneurs capables de sauver l’entreprise, et elle l’a bradée pour le plus grand profit des trois investisseurs. Les actifs sont acquis en juin 1936 au nom de le cy Evans Operations, Inc. qui incorpore la nouvelle société nommée American Bantam Car Company (Bantam est une race de poule naine), abandonnant Austin.
Mais, contre toute logique, American Bantam reprend à partir de l’automne 1936 la production des Austin Seven, toutefois modernisées par le comte Alexis de Sakhnoffsky. Le capot et la calandre sont arrondis, les ailes avant et arrière sont redessinées. Les American Bantam sont améliorées sur le plan mécanique par Harry Miller (1875-1943), le créateur de voitures de course pour Indianapolis sur base de l’ancien quatre cylindres de 770cc.
Les chaînes d’assemblage de Butler redémarrent, avec des prix de vente compris entre 300 et 400 dollars, inférieurs à ceux du début des années ’30, alors que les American Bantam bénéficient de nombreuses améliorations esthétiques et mécaniques. Dans ces conditions, le constructeur perd de l’argent et les prix doivent augmenter dès le millésime 1938, passant de 400 à 500 dollars selon les versions, ce qui représente une hausse d’au moins 25 %.
Mais la clientèle américaine préfère payer un peu plus cher pour acquérir une Ford, une Chevrolet ou une Plymouth, toutes plus spacieuses, voire choisir une voiture d’occasion plus statutaire pour un prix comparable. Le style de la Bantam, très “voiture à pédales pour enfants”, rebute la clientèle, et le dynamisme d’Evans ne suffit pas à convaincre les Américains de la valeur de ce “jouet”.
Les ventes déclinent très rapidement : près de 3.000 exemplaires en 1937, 2.000 en 1938, 1.230 en 1939, 800 en 1940 et 140 en 1941… Ce qui n’a pas fonctionné avec American Austin ne fonctionne pas mieux assez logiquement avec American Bantam. Les voitures sont quasiment les mêmes et les goûts et besoins de la clientèle américaine n’ont pas évolué en si peu de temps.
De nouvelles versions lancées en 1938, comme le speedster ou le cabriolet Riviera dont les flancs sont décorés d’un arrondi latéral comme sur les Duesenberg, le break Woody qui est le modèle le plus cher de la gamme à 565 $, ou encore le pick-up et la camionnette Boulevard Delivery, ne changent en rien la situation désespérée d’American Bantam. On peut s’étonner d’une telle diversité de l’offre, avec des volumes si faibles.
Travaillant avec un budget limité, la nouvelle marque a toutefois conservé l’ingénierie de base et l’empattement de 75 pouces de l’Austin, pour s’éviter des dépenses, mais son moteur quatre cylindres de petite cylindrée même quelque peu amélioré avec l’aide compétente du célèbre ingénieur de course Harry Miller reste anémique. Pour ce qui est du travail du comte Alexis de Sakhnoffsky, loué pour les Auburn’s et les Cord’s, le public y est indifférent…
Toutefois le design épuré très “années folles”, rendent les micro-voitures American Bantam élégantes ce qui séduit les célébrités : Ernest Hemingway et Al Jonhson en achètent, la Bantam devient une seconde voiture distinctive, leurs propriétaires, et des photographes de magazines de mode et de cinéma montrent Buster Keaton (ci-dessous) posant avec un même Roadster que celui qui illustre cet article.
Comme pour l’American Austin avant elle, cependant, les American Bantam se sont avérées moins prisées auprès du public américain, et de ce fait, moins de 8.000 American Bantam ont été produites. L’entreprise aurait peut-être cessé ses activités en 1940 si elle n’avait pas mis au point une voiture de reconnaissance militaire pionnière à quatre roues motrices : la Jeep !
Que vous soyez un acolyte des designs spectaculaires d’Alexis de Sakhnoffsky ou que vous désiriez simplement une adorable microvoiture bien conçue pour les promenades ensoleillées, ce Roadster Américan Bantam constituerait sans aucun doute un ajout bienvenu et tout à fait charmant à votre collection.
Lorsque l’on réfléchit à l’échec de l’American Bantam, il convient de noter que sa petite taille n’a pas aidé sa cause dans le marché américain…
Celui-ci est en effet habitué aux automobiles pachydermiques. Elle était à peine plus grande que la légendaire Austin Seven et était strictement une biplace. Cela rendait son prix moins “bonne affaire”, surtout quand tant de gens à cette époque vendaient des voitures d’occasion plus grandes pour beaucoup moins cher en raison des circonstances économiques désastreuses.
La Bantam représentait l’automobile dans ce qu’elle a de plus basique, il n’y a donc aucune disposition pour le luxe au-delà du chauffage dont cette voiture est équipée. L’acheteur 2024 peut donc l’entretenir lui-même ou dans un atelier basique. Un point positif est la simplicité, seulement deux compteurs sont présents. Celui de droite comporte le compteur de vitesse, et l’autre abrite le niveau de carburant, la pression d’huile et la charge de batterie.
S’ils avaient été absents, cela aurait pu représenter un casse-tête important, car la rareté de ces petits classiques signifie que les remplacements ne sont pas nombreux sur le terrain. En soulevant le capot de l’American Bantam, on découvre son “puissant” moteur quatre cylindres “Flathead” de 821cc développant 20cv à son apogée. La transmission manuelle comporte 3 vitesses AV + la marche arrière… Que désirer de plus ?
La voiture ne pèse qu’environ 1.261 livres, mais ses performances sont tout ce que l’on peut attendre d’une voiture avec une puissance aussi modeste. Dans des conditions favorables, elle s’essouffle à environ 40mph, donc pas de problèmes avec les limitations de vitesse. Ce n’est pas rapide, mais c’était suffisant en 1939. Le compartiment moteur révèle également ce qui est le coffre de ce petit bijou (et non pas le coffre à bijoux, quoique…).
L’armée américaine souhaitait disposer d’un véhicule pour les reconnaissances et les liaisons, léger, assez bas, à quatre roues motrices, qui puisse se déplacer sur de longs trajets sur route mais aussi dans les espaces les plus variés, et qui soit capable de soutenir le poids d’une mitrailleuse. Un cahier des charges est rédigé. Les militaires suggèrent d’étudier la possibilité de prendre pour base la récente American Bantam.
En juin 1940, les autorités prennent contact avec l’usine Bantam, qui en réalité est au bord de la ruine… Elle se dit prête à relever le défi. C’est en fait un vrai miracle… Les prototypes présentés aux militaires démontrent leurs capacités sur route et hors piste. Alors que les ventes des American Bantam sont devenues quasi nulles, on reprend espoir chez Bantam. En fait, la seule perspective de survie passe par la signature d’un contrat avec les militaires.
Mais l’affaire se complique. Les exigences techniques sont revues à la hausse, et les militaires ne peuvent pas se satisfaire d’une seule offre. Ils adressent un nouveau cahier des charges à 130 industriels susceptibles de répondre à une telle demande. Les militaires s’attendent à recevoir un nombre respectable d’offres. Ils déchantent rapidement. Plusieurs industriels considèrent que l’armée demande l’impossible, et préfèrent passer leur chemin.
Finalement, seuls deux constructeurs répondent à l’appel d’offres : Bantam qui ne veut décidément pas lâcher l’affaire, et Willys. Ces deux entreprises sont à la peine. Elles ont un besoin urgent d’argent frais. Ce sont aussi les deux derniers constructeurs américains à proposer dans leur gamme un moteur quatre cylindres. C’est au final un contrat auquel seule une société qui n’a plus rien à perdre peut répondre. Les autres industriels pensent n’avoir rien à y gagner.
Frank Fenn, le président de Bantam, est confiant. Pour réduire les coûts, il va utiliser un maximum de pièces de ses voitures. Mais sa société s’apparente désormais plus à une coquille vide qu’à un puissant groupe industriel. La plupart de ses cadres ont déserté l’affaire. Frank Fenn parvient à convaincre un concepteur indépendant, Karl Probst, qui possède son propre bureau d’études à Detroit. Faute de trésorerie, il ne sera payé que si le véhicule voit le jour…
Le premier véhicule de reconnaissance à quatre roues motrices est livré pour des essais au Camp Holabird à Baltimore le 23 septembre 1940. Les militaires vraiment exigeants veulent désormais plus de puissance. Le quatre cylindres Bantam de 20cv cède sa place à un autre quatre cylindres de 45cv, produit par Continental. Le cahier des charges mentionne un poids à vide inférieur à 590 kg. Probst n’a pas d’autre choix que de tricher sur les formulaires…
Par chance, l’offre de Willys est loin d’être aussi aboutie que celle de Bantam. Et Ford est là en simple observateur. Il reste à produire le prototype, et le temps est compté. Bantam tient ses engagements. Finalement les militaires, réalistes, renoncent à imposer un poids inférieur à 590 kg. Mais l’armée américaine, qui n’est pas à un revirement de situation près, craint que Bantam n’ait pas les épaules assez solides pour répondre à la demande…
Les militaires font finalement appel à deux autres constructeurs, Willys qui ne part pas de rien sur ce dossier, et la Ford Motor Company, dont on comprend mieux désormais la situation d’observateur. Ford dispose d’énormes capacités industrielles, sans commune mesure avec celles de Bantam et Willys. Ford est aussi un groupe puissant, en bonne santé, qui saura quoi qu’il advienne honorer toute les commandes, tandis que Bantam et Willys sont fragiles.
Willys et Ford sont invités à présenter leurs propres modèles d’essai, concurrents de la Bantam. Willys qui est déjà dans la course, prend le soin de parfaire son projet. A l’issue des essais comparatifs des prototypes des trois constructeurs, force est de constater que chacun a ses défauts et ses qualités, mais qu’aucun ne se démarque franchement de ses deux challengers. Les militaires passent leurs premières commandes.
Bantam et Willys sont au rendez-vous pour les honorer. La lutte bat son plein pour l’attribution des commandes suivantes, qui s’annoncent plus conséquentes. Willys est le premier vainqueur à ce jeu, grâce à son prix de vente inférieur à celui de Bantam et de Ford. Bantam et Ford ne veulent pas rester à l’écart. Les imposants moyens du second plaident en sa faveur. Bantam est définitivement mis sur la touche, et se contente de construire des remorques…
L’affaire de la Jeep prend une nouvelle dimension après l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941. Désormais, il s’agit de produire ce 4 x 4 à des centaines de milliers d’exemplaires. Willys et Ford répondent à toutes les demandes. La Jeep connaît une carrière exceptionnelle tout au long de la Seconde Guerre mondiale. Elle est présente sur tous les fronts, en Europe, en Afrique du Nord et dans le Pacifique.
Au total, la Jeep est durant le conflit fabriquée à 640 000 exemplaires, dont 362 000 par Willys et 278 000 par Ford. Le robuste et fiable véhicule vert olive entre alors dans l’Histoire. Il a largement contribué à la victoire des alliés. A la fin de la guerre, Bantam se fait déposséder de la Jeep par Willys qui la remet à son catalogue, donnant naissance à une marque au potentiel de plus en plus important.
Depuis les années 2000, Jeep est l’un des plus gros constructeurs de SUV au monde. Sans la Jeep, la firme automobile Bantam n’aurait pas pu renaîtreun certain temps de vie en plus, après-guerre en raison de l’inadaptation de ses voitures au marché américain. Le constructeur Nash, futur Rambler et AMC, connaîtra des difficultés analogues pour vendre sa petite Metropolitan au cours des années 50.
Ce modèle sera d’ailleurs fabriqué chez Austin en Grande-Bretagne, une sorte de seconde tentative du constructeur britannique pour investir le marché américain de la petite voiture. Seule la Volkswagen Coccinelle parviendra vraiment à s’imposer durablement aux Etats-Unis, au cours des années 50 et surtout des années 60. Aujourd’hui, les petites voitures disparaissent complètement du marché américain.