Hi-Boy ’32 Blower
“Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l’on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez”… Waouh ! La traduction est de ne pas juger ce Hot-Rod afin qu’on ne juge pas le votre en retour, ce qui ne s’adapte pas à la Franchouille qui n’en comte pas des masses. Ce qui vous permet de comprendre que tapoter des textes y concernant devient presque pénible… Avec tout ça, j’ai appris au moins ceci : “De ne pouvoir sortir de moi-même, qu’au moins j’aie le soin toujours de n’en rien imposer jamais ni surtout d’en exhausser le repère. Jamais autant qu’en ces jours, je n’aurai éprouvé, moins désir que besoin de me taire, de laisser tout ceci infuser, pénétrer, déformer”. En gros la signification de ces charabias est le bon vieux “Je n’ai rien à branler de vos commentaires”... Clair, simple et net !
“Ce qui plaît universellement sans concept n’impose aucun commentaire” disait Kant (oh oui, voici ce qui ne se pense même pas). Non, chicanez pas, les photos sont cool. Le problème c’est le fond des photos, ici dans la nature, c’est bucolique, je préfère le glauque des vieilles usines abandonnées, mais faut pas non plus en abuser pour ceux qui peinent souvent à regarder un cliché c’est le prolongement des yeux comme l’outil est prolongement de la main. Ne rien dire ou marmonner de plus, pas plus, ça ne révèle rien d’autre, ça se contente d’offrir une trace un peu plus lisible de ce qui autrement eût échappé d’avoir fuit si vite après qu’elle fut faite…quoique laissant entrevoir une histoire, une atmosphère, une vérité cachée dont on ne saura jamais qui surajoute ou si au contraire tout se trouvait déjà, niché, à l’abri des indiscrétions. Non ! qu’on ne me dise pas comment je dois croquer les photos ! je n’en mérite pas les sentences.
Elles sont là, prises moins avec art qu’avec une incontrôlable intuition, pour faire litière de mes ressentis et créer des histoires simplement que j’ai souci de raconter. Un rai de lumière suggère souvent plus sur le sens de l’homme, son métier et la nostalgie qu’il porte d’une tradition dont il se sait sans doute l’un des ultimes surgeons. Tout parfois semble de guingois… Pourtant, victorieuse d’on ne sait quel boyau oublié, rescapée d’on n’imagine quelle sinuosité, cette lumière tendue comme un avenir, raide comme une promesse qui dessine au sol un point, puis deux, puis trois offrant ainsi à la terre cette union antique avec le ciel dont nul n’ignore, nulle part, qu’elle est promesse d’être. Combien d’histoires pourrais-je raconter sur cette rescapée des ténèbres ! combien de mythes à seulement éveiller qui collent au rayon comme l’imaginaire au réel.
Oui, c’est ceci ; tout juste ; très exactement ce que je cherche à écrire, à proclamer comme s’il s’agissait d’un mot de passe verrouillant l’entrée de ma caverne. Finirai-je anachorète, dos voûté sur quelque grimoire poussiéreux, qu’éclairait à peine un cierge épuisé, barbu comme seuls savent l’être les sages ou les grands pénitents ; taciturne, maussade comme seuls peuvent l’être ceux qui se sont retirés du brouhaha des hommes, comme un juste, un de ceux qui par ses silences et assiduités réunis parvient à rendre le monde sinon vivable en tout cas supportable. Vous devez penser que j’en fais manifestement trop pour un Hot-Rod… Oui, certain, quoique, sans doute, incroyablement il s’orne d’imaginaire. Ne nous y trompons pas : c’est par cet enrobage que la vérité tient au réel ; que le réel conserve pour un petit moment encore l’épaisseur de la vie.
Notre imaginaire a supposé l’acte créateur initial comme un tumulte tempétueux bousculant tout sur son passage, écartant les ombres invinciblement ou comme un vacarme assourdissant déchirant subitement le silence des éternités. Sans doute, venu de nulle part, presque sans bruit et sans signe avant-coureur, oui, sûrement, avec une modestie qui épargne à la grâce toute pesanteur qui l’entraverait ou, pire encore, l’enlaidirait, l’acte suprême, celui qui d’un doigt fixe la direction. Jamais de lumière sans ombre, nous le savons tous. Ici, de manière presque miraculeuse, le juste équilibre d’une ombre qui ne dévore pas tout espoir ; d’une lumière qui n’écrase rien. Elles s’épousent l’une l’autre avec un doigté remarquable. Qui aurait l’outrecuidance d’annuler la lecture de ce que je suis en train de tapoter ? La cuistrerie de barrer l’accès à mes propres sensations ?
Je sais, et je crois l’avoir su toujours, que quelque pas que l’on avance, quelque ligne que l’on écrive ou quelque métier que l’on exerce, non seulement ils n’inventent rien, n’innovent jamais et parviennent au mieux à répéter ce qui toujours ponctue le temps ; mais surtout n’y réussissent qu’à condition de tremper leur vigueur au plus intime. Il n’est pas d’autre chemin ni d’autre cime qui vaille. Me lassent comme jamais, et m’inquiètent toujours plus ceux qui sempiternellement savent et s’empressent de leçon donner. Il n’est pas, dans les rais de l’être, de recettes pour ainsi fuser si droit et ne rien détruire pourtant ! Qu’y puis-je si, en ce Hot-Rodder, me narrant ses prochaines réalisations, ou regrettant de n’avoir aucun jeune à qui transmettre son art, je vois plutôt la perpétuation d’une métaphysique plutôt que l’ultime réquisit d’un artisanat en voie de disparition ?
Que regardez-vous ? Que voyez-vous ? Vous qui promenez vos yeux avec la paresse de vos certitudes et la précision vengeresse de vos remarques ? En réalité vous ne parvenez jamais qu’à recouvrir êtres et choses, d’histoires, différentes des miennes. Enrober l’objet d’une couche de rêve, d’imaginaire : jamais la raison ne fait agir quiconque. Le réel ne s’éploie que les yeux clos ! Ne jamais laisser personne persifler son imaginaire. Mais pourquoi donc cette étrange réticence ? Je pourrai théoriser, bien sûr, l’envie ne m’en manque jamais, et rappeler combien souvent ces choses sont agaçantes pour ceci cela et que l’on s’en réduit à des prétextes, faute de mieux ! A bien regarder ce que disent Hegel, Marx, mais tellement d’autres finalement, les traces que nous laissons dans le monde ne sont que des preuves que nous nous donnons, cherchons surtout à nous donner, de notre puissance mais d’abord de notre existence.
Que notre rapport au monde fût dialectique, ceci nous le savons bien, mais cela signifie qu’en fait de nature brute, pure et nette, il n’y eut jamais ; il n’y a plus ni n’existera plus jamais. Le principe du mal réside dans la tension de la volonté, dans l’inaptitude au quiétisme, dans la mégalomanie prométhéenne d’une race qui crève d’idéal, qui éclate sous ses convictions et qui, pour s’être complue à bafouer le doute et la paresse, vices plus nobles que toutes ses vertus, s’est engagée dans une voie de perdition, dans l’histoire, dans ce mélange indécent de banalité et d’apocalypse… Les certitudes y abondent : supprimez-les, supprimez surtout leurs conséquences : vous reconstituez le paradis. Cioran avait raison qui prétendait que nul n’y échappait sauf peut-être les sceptiques, les fainéants ou les esthètes ! J’ai sans doute de l’estime pour tous ceux qui désirent préserver leur espace de toute souillure;;;
Sans doute ont-ils raison chaque fois qu’ils tenteront d’en réduire la marque et l’empesage. Mais cruellement tort chaque fois qu’ils espéreront en supprimer toute possibilité. J’ignore si c’est pour son plus grand malheur, mais l’homme n’est homme qu’en étant négateur, prédateur. Mais l’histoire fait le partage entre ce qui se détruit et qui le détruit. Il faudrait être niais pour oublier combien la nature peut sécréter, elle aussi, de massacres – que l’on nomme ceci chaîne alimentaire n’y change rien – la philosophie a fait depuis longtemps justice de ce faux couple antinomique nature/culture. Il n’est point de paradis perdu ou se réfugient les Hot-Rodders ! Et ceci s’entend doublement : ce paradis sait à l’occasion revêtir toutes les apparences de l’enfer. De ne l’avoir jamais connu, nous ne saurions le perdre jamais. Au reste, il nous perd au moins autant que nous ne le perdrions. Point n’est besoin d’imaginer une révolte.
Il suffit peut-être de se souvenir de ce qu’Anaximandre suggérait : “Vivre est déjà injuste ce qui justifie cette nécessité qui nous fait peut-être vivre mais surtout disparaître. Sophocle ne dira pas autre chose qui caractérise le fond grec du tragique : assurément vaudrait-il ne pas être né ; mais qu’au moins on meure le plus tôt possible”... Lorsqu’on se refuse à admettre le caractère interchangeable des idées, le sang coule… Sous les résolutions fermes se dresse un poignard ; les yeux enflammés présagent le meurtre. Jamais esprit hésitant, atteint d’hamlétisme, ne fut pernicieux : le principe du mal réside dans la tension de la volonté, dans l’inaptitude au quiétisme, dans la mégalomanie prométhéenne d’une race qui crève d’idéal, qui éclate sous ses convictions et qui, pour s’être complue à bafouer le doute et la paresse, vices plus nobles que toutes ses vertus? s’est engagée dans une voie de perdition;;;
Ou donc ? Dans l’histoire, dans ce mélange indécent de banalité et d’apocalypse… Les certitudes y abondent : supprimez-les, supprimez surtout leurs conséquences. Qu’est-ce que la Chute sinon la poursuite d’une vérité et l’assurance de l’avoir trouvée, la passion pour un dogme, l’établissement dans un dogme ? Le fanatisme en résulte, tare capitale qui donne à l’homme le goût de l’efficacité, de la prophétie, de la terreur, lèpre lyrique par laquelle il contamine les âmes, les soumet, les broie ou les exalte… N’y échappent que les sceptiques, les fainéants et les esthètes, parce qu’ils ne proposent rien, parce que, vrais bienfaiteurs de l’humanité, ils en détruisent les partis pris et en analysent le délire. Une sagesse à boutades est plus douce qu’une sainteté déchaînée.
Ce Hot-Rod ici illustré et dont il me faut bien causer, quoique 80% des lecteurs illétrés sont déjà partis sur d’autres pages…
Des pages plus accessibles aux esprits simples… Il a été construit il y a environ quatre ans et dispose d’une carrosserie en acier de style Ford Roadster de chez Brookville finie/peinte en gris et montée sur un châssis personnalisé venant de chezde Blackboard Hot-Rods. La puissance est fournie par un V8 Flat Head Ford 8BA équipé d’un compresseur/Blower Navarro couplé à une transmission manuelle à cinq vitesses Tremec TKO 500 et à un pont Ford banjo avec un rapport de 4,10: 1. Les caractéristiques supplémentaires comprennent un essieu avant rigide Ford 1932 avec ressorts à lames de chez Posies de même que les amortisseurs à tubes de gaz, les freins à tambour, une sellerie en cuir brun, une capote noire amovible et des fenestrons latéraux, des carburateurs Stromberg en triplettes, des cache_soupapes, un capot à persiennes, un pare-brise très incliné et des jantes en acier de 16 pouces.
La cabine abrite une banquette garnie d’une sellerie en cuir brun ainsi que des panneaux de porte et latéraux assortis. Les sols sont recouverts de tapis en boucle avec bordure en cuir. Un volant de style banjo monté sur une colonne de direction Ford de 1939 se trouve devant un tableau de bord en faux bois comportant divers compteurs d’affichage de l’état du moteur. Voilà, voilou, j’en ai fait le tour. Durant ce reportage personne n’a été tué ou blessé, aucune bête non plus. Pas qu’on s’est fait grave chier, non, quoique pas vraiment mais presque… Brücke, Ludwig, Helmholtz, Du Bois-Reymond avaient constitué une sorte de foi jurée : tout se ramène à des forces physiques, celles de l’attraction et de la répulsion. Quand on se donne ces prémisses, il n’y a aucune raison d’en sortir. Si Freud en est sorti, c’est qu’il s’en est donné d’autres : il a osé attacher de l’importance à ce qui lui arrivait.
Par exemple aux antinomies de son enfance, à ses troubles névrotiques, à ses propres rêves. C’est là où Freud est, et est pour nous tous, un homme placé au milieu de toutes les contingences les plus humaines : la mort, la femme, le père. Ceci constitue un retour aux sources et mérite à peine le titre de science. Il en va comme du bon cuisinier, qui sait bien découper l’animal, détacher l’articulation avec la moindre résistance. Pour chaque structure, on admet un mode de conceptualisation qui lui est propre. On entre toutefois par là dans la voie des complications et l’on préfère revenir à la notion moniste plus simple de déduction du monde. Néanmoins, il faut bien s’apercevoir que ce n’est pas avec le couteau que nous disséquons mais avec des concepts : le concept a son ordre de réalité original. Les concepts ne surgissent pas de l’expérience humaine, sinon ils seraient bien faits, mais à partir des mots…