Le temps du lard maigre…
La cote du pop art américain, symbole de la spéculation depuis le début des années 2000, montre quelques signes de fléchissement.
Si Andy Warhol est le troisième artiste d’après-guerre le plus cher du marché, avec Francis Bacon et Mark Rothko, depuis le début de l’année son travail rencontre moins de succès en ventes publiques…
Serait-ce un premier signe d’une saturation du marché ?
Robert RAUSCHENBERG
Mouvement très médiatique, les images véhiculées par les acteurs du pop art rendent emblématique leur production.
Les uns récupèrent symboles et icônes de l’Amérique de leur temps, d’autres matérialisent l’œuvre d’art à partir de produits de consommation courante pour offrir des messages accessibles au plus grand nombre.
Les images cultes circulent en masse grâce aux procédés sérigraphiques.
Logiquement, le marché du pop art devrait faire face à une masse de consommateurs mais les prix atteints ces dernières années par ses stars, notamment pour les œuvres uniques, le rendent inaccessible à la plupart.
Après avoir vu ses prix exploser de +75% en 2007, le soufflet semble retomber en 2008 puisque de janvier à septembre 2008, ils ont chuté de -31%.
Ces 10 dernières années, les indices de prix de Robert RAUSCHENBERG, Andy WARHOL, Roy LICHTENSTEIN, Claes Thure OLDENBURG et Tom WESSELMANN ont progressé de +320% à +540% selon les artistes !
Les enchères flamboyantes atteintes par Warhol sont sans commune mesure avec les records des autres artistes du mouvement.
Le pape du pop culmine avec un record de 64 millions de dollars, plus de 47 millions d’euros, décroché en mai 2007 pour Green Car Crash (Green Burning Car I) chez Christie’s New York.
En 2006, Warhol décrochait déjà 43 enchères millionnaires, soit 8 de plus que la star du marché Pablo Picasso…
Plus frénétique encore, l’année 2007 fut le théâtre de 68 adjudications millionnaires pour des Warhol des années 60 aux années 80 !
Au cours de cette année exceptionnelle, sa cote progressa de +89%.
Cette inflation est propice à la spéculation. Ainsi, en novembre 2007, l’acteur Hugh Grant se défaisait de Liz, un portrait d’Elizabeth Taylor réalisé en 1963 pour 21 M$ chez Christie’s, alors que l’œuvre avait été acquise 3,25 M$ à peine 6 ans plus tôt et qu’en 2005, une Liz de la même série partait pour 11,25 M$ chez Sotheby’s.
Autre exemple, «Are you different? », une petite toile de 1985-1986, acquise l’équivalent de 26.000 € le 10 février 2005 à Londres, a été dispersée pratiquement 119.000 euros en juin 2007.
Après cette année exceptionnelle, la cote d’Andy Warhol tend à s’assagir puisqu’en baisse de –5% entre janvier et septembre 2008.
Les signes d’affaiblissement se multiplient ; a titre d’exemple, une version de Campbell’s Tomato Soup (red and black) a été acquise 682.000 € en mai 2007.
Neuf mois plus tard, une pièce parfaitement identique trouvait preneur pour 66.000 € de moins.
Second sur le podium des records Pop art, Jasper JOHNS signait sa plus belle enchère lui aussi le 16 mai 2007, pour 15,5 millions de dollars, soit 48,5 M$ en-deça de celui de Warhol pour Figure 4.
Un premier record de Rauschenberg est tombé lui aussi en mai 2007 culminant à 9,5 M$, environ 7 M€, pour Photograph, une technique mixte de 1959 (Sotheby’s NY).
Décédé le 12 mai 2008, un nouveau record a été décroché 2 jours plus tard, chez Sotheby’s pour Overdrive 1963.
Au-delà des pièces d’exception, les acheteurs tendent à refuser les prix élevés pour les œuvres de moindre qualité.
Ainsi, Blue Smile, Waterworks Series, une importante technique mixte de Rauschenberg a été ravalée par deux fois cette année chez Tajan, une première fois avec une estimation basse de 80.000 €, la seconde pour 60.000 €.
Même si le marché donne quelque signe de tassement depuis le début de l’année 2008, il devient de plus en plus difficile d’acquérir des œuvres phares de période pop sous ces signatures.
On trouve aisément aux enchères des estampes, lithographies et autres multiples de qualité à des prix abordables.
Outre les sérigraphies d’Andy Warhol bien connues par le grand public, moins dont la cote se joue à cinq ou six chiffres, celles de Claes Oldenburg, Tom Wesselman, Jasper Johns, Jim Dine ou James Rosenquist sont accessibles pour moins de 5.000 euros.
Attention toutefois, leur côte tend elle aussi à fléchir.
Au cours des neuf premiers mois de l’année 2008, la valorisation de cette production est en recul de -20%.
Les exemples de cette baisse des prix tendent à se multiplier.
Beautiful Bedroom Kate, une sérigraphie ovale de Tom Wesselmann, tirée à 90 exemplaires partait pour pratiquement 16.000 € en septembre 2007 chez Sotheby’s London, au double des estimations.
La version dispersée en juin dernier en Allemagne n’a trouvé preneur qu’à 9.000 €.
Même sanction pour Roy Lichtenstein dont la plupart des multiples se sont vu dépréciés en quelques mois, tout comme l’illustre Brushstroke Still Life with Lamp, une large impression sur aluminium à 24 exemplaires, adjugée 342.000 € en juin 2007, puis 502.000 € en février 2008, elle ne trouva preneur que pour 315.000 € en juillet dernier.
Au delà de la baisse des prix, la désaffection des collectionneurs se manifeste aussi par une explosion du taux d’invendus aux enchères.
Ce dernier est passé de 16% en 2007 à 37% au cours du premier semestre 2008.
Et pourtant, la contraction du nombre de lots présentés, proche de 26%, devrait soutenir ce marché où la demande est concentré sur une offre restreinte.
Autant dire que ces constats d’affaiblissement du marché, sur un secteur traditionnellement très porteur, sont très inquiétants pour les domaines plus spéculatifs tels que l’art actuel ou émergeant.