Quand on s’promène au bord de l’eau…
Je vais vous causer d’un homme que vous ne connaissez pas…
Ne cherchez pas, vous ne l’avez jamais connu, vous ne le connaitrez d’ailleurs jamais !
Si ça peut vous consoler, il ne vous a jamais connu non plus…
Cet homme, dont vous vous f… complètement (l’inverse est tout aussi vrai) était Pierre Molinier, peintre, photographe, fétichiste de la jambe et du talon aiguille.
Dans une spectaculaire mise en scène, le mercredi 3 mars 1976, allongé sur son lit devant un miroir, il s’est tiré une balle de colt 44 dans la tête.
On trouva non loin du corps, accrochée sur un fauteuil Louis XV, une lettre avec ces mots : “Je soussigné, déclare me donner volontairement la mort… et j’emmerde tous les connards qui m’ont fait chier dans toute ma putain de vie. En foi de quoi je signe : Pierre Molinier“…
Sur une table, un autre document manuscrit : “Ca me fait terriblement chier de vivre et je me donne volontairement la mort et ça me fait bien rigoler. J’embrasse tous ceux que j’aime de tout mon cœur. Signé : Pierre Molinier“…
Celui qui pensait que sa mission d’homme était de transformer le monde en immense bordel, avait cessé de rire, dans un ultime geste de défi à cette société dont il écrivait qu’elle le dégoûterait si quelque chose devait encore le dégoûter…
Dans son appartement bordelais, Pierre Molinier s’était créé un univers dont il était le grand chaman, passer sa porte, ce n’était pas errer dans un monde marginal, c’était franchir le seuil d’un autre monde.
Un monde de velours noir, de lourdes tentures et de miroirs dans lesquels se reflétaient ses créatures, mannequins aux visages de poupées dont les yeux de biche, derrière la voilette, semblaient scruter le visiteur.
Mais le personnage principal, c’est le démiurge Molinier, qui ne cessera de se démultiplier dans d’étonnants autoportraits travestis dont les seules traces seront des merveilleux photo-montages au petit format en noir et blanc.
Il faudrait enfin reconnaître Molinier pour ce qu’il est, un artiste contemporain de génie, précurseur de l’art corporel… et non pas “un petit pervers polymorphe“, comme la bonne société bordelaise le laissait entendre.
L’histoire de l’art devrait se pencher sur le cadavre de Molinier, elle serait surprise de voir qu’il bande encore…
Il est par ailleurs d’autres cadavres…, mais qui eux, ne bandent pas plus qu’ils ne bandaient pas avant…, c’est dire, par l’écrit, toute l’absurdité du monde, le notre !
“Je n’y puis rien que mes tableaux ne se vendent pas. Le jour viendra, cependant, où l’on verra que cela vaut plus que le prix de la couleur et de ma vie en somme très maigre, que nous y mettons”…
(Lettre de Vincent van Gogh à son frère Théo, le 20 octobre 1888)
US$ 82.500.000…, quatre-vingt deux millions, cinq cent mille dollars américains…
Le Portrait du docteur Gachet par Van Gogh est toujours à la première place dans la liste des records de prix en vente aux enchères…
Est-ce que la main du commissaire-priseur trembla quand son marteau retomba sur cette adjudication record de 82,5 millions de dollars ?
“Un jour la peinture de Van Gogh armée et de fièvre et de bonne santé, reviendra pour jeter en l’air la poussière d’un monde en cage que son cœur ne pouvait plus supporter”…
(Antonin Artaud)
Un ange a dû passer sous les lambris de la salle de ventes.
Le monde entier s’était interloqué du paradoxe de cette somme astronomique et de l’indigence de Van Gogh qui poussa le peintre au suicide, tout comme Pierre Molinier.
Y a-t-il un début d’explication de ce paradoxe ?
Ce qui fait le prix d’une œuvre d’art, finalement, est-ce bien le talent ?
En nos temps d’absurdités ou la richesse se crèe sur les cadavres et le vol, il ressort des ingrédients aussi divers que : arrangements, spéculation, reconnaissance sociale et snobisme…
La conclusion est lumineuse : Aujourd’hui, dans la lutte interne qui anime le mariage contre nature entre le marché et l’art, c’est l’argent qui a pris le dessus…
Il n’y a donc pas de place pour les artistes, puisque personne n’achète leurs oeuvres, sauf des spéculateurs qui les monayeront très chers à d’autres spéculateurs espérant les vendre encore plus cher… Il y a aussi des artistes-écrivans….
C’est presque devenu un “marronnier” (un sujet qui revient chaque année à une période donnée : les salaire des cadres, vivre en solo, où vit-on le mieux ? etc.), du petit monde des lettres, de se répandre en digressions sur ce sujet inépuisable qu’est la profusion des romans publiés à chaque rentrée littéraire.
Aucune année n’échappe à la règle ; des milliers de bouquins se bousculent sur les tables des libraires qui s’arrachent les cheveux.
Quand on observe les médias lors de cette période agitée, on s’aperçoit très vite que la critique littéraire est atteinte de suivisme.
Plus clairement, tout le monde parle des mêmes livres…, comme si, seule une vingtaine mériteraient quelques échos médiatiques.
Un sentiment de compassion me gagne quand je songe à tous ces auteurs abandonnés qui attendent désespérément qu’un critique daigne jeter un œil sur leur prose.
Tout d’abord, quelques secrets de fabrication littéraire : Les auteurs de romans commerciaux abusent des dialogues pour trois raisons évidentes.
1. Les dialogues permettent tout bonnement de rallonger la sauce et par un jeu de mise en forme basique de transformer un ouvrage à l’inacceptable format de 75 pages en un objet atteignant les 128 réglementaires. Cette astuce, alliée à l’utilisation d’une police de caractères 14 et à l’usage du double interligne, sait rendre dodu et consommable le produit de divertissement proposé au lecteur qui, c’est connu, en veut toujours pour son argent.
2. Les dialogues représentent pour les blagues un espace de prédilection. Les auteurs de romans commerciaux doivent avoir un minois agréable, du gel dans les cheveux et le sens de l’humour. On appelle ça la règle des trois unités.
3. Les auteurs de romans commerciaux sont nombreux à confier, si possible en public, qu’ils ont fait écrivain à défaut de faire cinéaste. Plutôt que de se mettre au vert pour rédiger un scénario et laisser tranquille la littérature qui ne leur a rien demandé, ils développent benoîtement leur adorable script, le ponctuant de dialogues qui ne sont pas sans rappeler le ton hautement subversif des sitcoms d’AB Production : Mon cœur est un chien qui salive. Je n’attends pas qu’ils m’aiment avant que je choisisse. Une fois que j’ai choisi, j’attaque et je conclu. Une fois que j’ai conclu, j’ai besoin de souffrir, pas trop mais un petit peu. Comme j’ai couru après j’ai beaucoup fantasmé, voire même cristallisé je cristallise à une vitesse c’est pas permis…
Il paraît que les cailloux possèdent un pouvoir hypnotique qui leur permet de se déplacer : quand un caillou veut changer d’endroit, il attend que quelqu’un passe, il l’hypnotise, le passant le ramasse et l’emporte ailleurs.
Ouaisssss !
Les temps changent et pourtant restent identiques pour “ceusses” qui n’ont pas connu les temps d’avant…
Souvenez-vous de l’époque glorieuse des “friconautes” et de leurs “start-up” où certains rêvaient de faire fortune avec la distribution promise des “stock-option” après l’obligée entrée en bourse…
Lu dans le magazine Marie-Claire de mars 2003, le témoignage édifiant de Chine Lanzmann, co-fondatrice de Newsfam.com, site phare de la “Net-Economie” : “J’ai levé 20 millions de francs (environ 3 millions d’euros) de capital-risque, j’ai écumé l’une après l’autre toutes les boutiques de fringues de l’avenue Montaigne. J’achetais tout ce qui me faisait envie, je dépensais sans jamais compter. Je me suis retrouvée cernée par des dizaines et des dizaines de cabinets de conseils financiers qui me disaient : “Vous allez valoir 400 millions ! Vous pesez 20 000 francs (environ 3000 euros) de l’heure !”… La qualité du magazine n’avait plus aucune importance. La seule chose qui comptait, c’était de faire croire aux investisseurs qu’il était rentable. Et pour faire croire ça, tout était trafiqué, surévalué. On mentait sur les prévisions de publicité et de fréquentation du site. Pour attirer un maximum d’annonceurs, on faisait de la merde. J’étais très mal à l’aise vis-à-vis de l’équipe à qui j’avais dit que nous allions faire un vrai bon magazine. Mais en même temps, c’était totalement exaltant. On était boosté par tout le monde, par les consultants mais aussi par la presse, qui titrait sur “les reines des start-up”… Ça faisait bien de dire que deux petites nanas jeunes et sexy avaient créé une entreprise high-tech qui allait faire un malheur en Bourse. Les médias adorent les success-stories. Raconter notre histoire leur permettait aussi de faire rentrer de la publicité pour Internet et pour l’informatique”…
Quelqu’un d’autre pourrait presque ré-écrire la même chose sur différentes autres choses…
Les gens adorent être dupés et croire en des conneries, les religions en étant les parfaits exemples…
Toutefois, c’est plus dur dirait un bandeur fou…
Vous les emportez comme un trésor, mes mots et phrases…
Dans un ascenseur, vous repenserez à ce texte, puis arpentant les rues, à la vanité qui pousse chacun d’entre nous à vouloir laisser son nom, fut-il gravé de la pointe d’un couteau dans l’écorce d’un arbre.
Vous ne vous poserez plus la fameuse question : le renoncement à toute publication, peinture, sculpture…, bref à toute création…, le supposé découragement…
Vous saurez, enfin, qu’avant de publier, il faut d’abord écrire…
Quand on s’promène au bord de l’eau,
Comm’ tout est beau…
Quel renouveau …
Paris au loin nous semble une prison,
On a le cœur plein de chansons.
L’odeur des fleurs
Nous met tout à l’envers
Et le bonheur
Nous saoule pour pas cher.
Chagrins et peines
De la semaine,
Tout est noyé dans le bleu, dans le vert …
Un seul dimanche au bord de l’eau,
Aux trémolos
Des p’tits oiseaux,
Suffit pour que tous les jours semblent beaux
Quand on s’promène au bord de l’eau…