Place des Lices/Saint-Tropez, on a joué avec mes boules…
Le secret des joueurs de boules de la place des Lices, pour apprécier leur vie… et elle n’est pas de merde, c’est de ne rien prévoir d’autre que de jouer aux boules, de ne rien chercher d’autre que des joueurs (et joueuses) de boules et d’attendre que “ça viendre” tout seul…, comme ça, naturellement…, cette méthode est d’une grande facilité, il suffit de savoir jouer aux boules et de glaner ce qui se présente.
L’été à Saint-Tropez n’est pas vraiment propice au flânage, faut attendre septembre/octobre pour transcender…, le pouvoir du flânage et du flâneur (et des flâneuses), par la même occasion, n’est jamais à sous-estimer…, d’ailleurs le Grand Philousophe qu’était Eddie Barclay, qui devrait avoir sa statue Place des Lices d’ici peu (elle sera payée par l’ensemble des commerçants et commerçantes du lieu) lui accordait des vertus subversives…, on aime actuellement à réduire ce personnage à sa dimension oisive, alors que c’était surtout un épicurien spécialisé dans la perception éhontée (voire scandaleuse) de pourcentages monstres sur la vente de vinyles…, attendant que “les choses” (et les femmes) lui arrivent naturellement.
Une équipe de chercheurs Tropéziens vient d’établir, avec la complicité de plusieurs adeptes des boules, dans la totalité du village de Saint-Tropez mais aussi dans les communes d’alentours, quartier par quartier, coin de rue par ruelles en attente de constructions en béton…, bravant les odeurs touristiques de nourriture, d’animaux, d’émission de gaz d’échappement, de tabac et d’excréments…, un guide consacré aux boules, reposant sur une nomenclature complexe et variée.
Soyons franc, Saint-Tropez n’est plus un espace de contemplation propice à admirer les valeureux pêcheurs (qui ont d’ailleurs presque tous disparu, au point qu’on brûle chaque année un “Pointu” pour faire de la place), mais un lieu pensé pour entraver la circulation et le parking…, certes, il y a toujours des bancs, mais seulement pour ceux et celles qui prennent un repos temporaire avant de reprendre leur marche en avant, car à Saint-Tropez on se méfie de celui qui s’arrête, regarde, réfléchit et observe naïvement…, pis encore des flâneuses qui s’avèrent souvent des péripatéticiennes non déclarées et non déclarables… qui ont l’audace de refuser “le travail au noir” mais qui le pratique assidument…
C’est la cosse, la paresse, qui est à l’origine de nombreuses inventions sans lesquelles notre vie moderne serait bien plus triste : la télécommande, la sieste, l’apéro, le presse-ail, le théorème de Pythagore, la bronzette, la salopette, les salope(tte)s, les sandalettes, les chaussettes, la crapette, l’Internet, l’ouvre-boite, la plage (surtout celle des Cannoubiers victime de l’édification d’un restaurant chic camouflé en club de voiles), la fusion nucléaire et la pétanque.
C’est forcément un paresseux, qui le premier, s’est dit que regarder un match de pétanque à la télé locale fatigue moins qu’en faire soi-même… et il a découvert le Chevalier-Tropez et les cacahuètes (moi c’est le Petrus ’48 et le Caviar d’Iran)…, les Tropéziens de souche, “ceusses” qui ont acheté n’importe quel bien immobilier à 30.000 euros le M²…, souvent fainéants…, au lieu de crapahuter dans les vignes et champs de lavande en fumant des clopes qui mettent le feu à la région…, au lieu de de suer sang et eau de vie…, ils estiment préférable de jouer à la pétanque…
C’est un sport de boules typiquement méridional dont le nom vient de l’expression “pés tanqués” qui signifie “pieds joints”…, c’est par ailleurs un Tropézien-Pétanquiste éclairé (l’eau de Vichy aide à tout digérer et est en vente libre), qui a inventé le bouchon rétro-luminescent est toujours en attente de fabrication parce que l’usine de Torpilles qui assurait le travail de la population locale devait devenir un gigantesque atelier de bouchons rétro-luminescents, est fermée.
Les mauvaises langues vous diront que la pétanque n’est pas vraiment un sport à part entière et que la pétanque n’a pas une réputation de sport olympique…, oui, c’est exact, et c’est bien dommage…, car c’est un sport qui allie la marche à pied : les allers et retours entre la zone de lancer et les boules jouées étant nombreux, le calcul est ainsi vite fait, si vous jouez entre 2 et 3 heures, vous allez parcourir en moyenne 2 à 3 km vous assurant ainsi une musculation typiquement Provençale…, surtout qu’une boule pèse environ 700 grammes, ce qui fait qu’après quelques heures de jeu, vous pourrez facilement vous gratter les pieds sans vous baisser.
Pour bien jouer, il fait aussi être un maitre de la concentration et de la manipulation mentale…, tout l’art de ce sport relève du mental…, la pétanque est une discipline spirituelle, comme le Yoga, le Kyūdō, le bushido et les boules de Geisha…, quelques grandes maîtresses japonaises ont ainsi trouvé la sagesse dans la pétanque…, le but n’est pas de faire un carreau, mais d’être l’impact…
La pétanque est aussi un art guerrier qui demande de la discipline, c’est un sport de combat réservé à ceux qui en ont…., pour être un bon joueur de pétanque, il est en effet indispensable d’avoir sa paire de boules à soi, sous peine de ne pas pouvoir les lancer…, c’est ainsi que pour les eunuques et les femmes, la pratique de ce jeu est nettement plus difficile…, il est également indispensable de pouvoir dire “putaing ou peuchèèère” sans accents parigot tête de veau.
La tenue est aussi importante, un bouliste se doit d’être beauf, certains qui le sont tout particulièrement, comme le fameux Bob Ricard…, ont une collection de tee-shirt incroyable, comme ce flocage très macho que j’ai pu admirer hier: “Quand je les baise pas, je mange du thon”…, avec son haleine toujours pastissée, il faut le voir pour y croire, l’espadrille ferme, les pieds en canard, la flexion du genou élastique, les yeux plissés déviant les rayons du soleil, alors qu’il tente une retropissette inversée…, bref, la Place des Lices, c’est toute la poésie Pagnolesque et croquignolesque, avec les platanes qui fleurent bon la Provence et les petites phrases qui déstabilisent l’adversaire.
J’ai pu vaincre deux vieux débris grâce à ma tactique faite de stratégie et de psychologie, une technique uniquement enseignée par un moine Shaolin installé du côté de Ramatuelle…, il m’a appris que toutes les prétentions, toutes les joies, toutes les déceptions naissent, se rassemblent et meurent autour d’un vulgaire bouchon de buis que quelques hommes regardent comme la transsubstantiation en attendant que le Maire Tuveri fasse un de ses fameux discours qui n’ont de sens que pour lui…, on ne peut pas être au four et aux boules.
Pour conclure, ce que je pense de la pétanque ?
C’est assez simple, je n’en pense rien et c’est bien ça le plus précieux avantage de ce sport, il permet, dans les beaux jours d’été, de ne pas penser à l’hiver qui arrive…, autant il y a des vieillissements qui sont autant de noyades, autant certains donnent envie de vieillir…, en vérité, on n’aime pas que le temps soit visible…, autour de nous, tout moisit, tout pourrit, tout se corrompt, tout s’écroule, tout se délite, tout fout le camp, alors, une après-midi de boule, une table sous les platanes, quelques bouteilles de bons vins de Provence qui ne réclament que nos gosiers épais, quelques voisins curieux, quelques sardines grillées, quelques tranches de saucissons, que demander de plus ?
Le seul attribut réservé aux plus vieux est le pouvoir de manier avec plus de liberté, d’aisance, d’expérience et de bonté, la faculté de jouir des bonnes choses de la vie…