Saint-Tropez-Vice…
J’étais d’une humeur de chien écrasé échappé des faits divers…, j’avais essuyé un crachin, frôlé le pare-chocs d’une nyctalope qui avait failli me culbuter… et je m’étais cassé le nez sur le digicode de l’immeuble résidentiel ou demeurait la copine d’une copine…, un bâtiment prétentieux, dans le style de la nouvelle Bastille moderne que des yuppies Tropéziens avaient cannibalisé.
Je réussis enfin à m’engouffrer dans le hall, en profitant de la sortie d’un couple ivre-mort et joyeux…, l’ascenseur était en rideau et je me tapais les six étages à pieds.
À plus de deux heures du matin, les neurones en vadrouille, la boîte noire du cerveau ne démarre plus au quart de tour…, quelques secondes sont nécessaires pour sortir de l’hébétement, dépoussiérer les connexions.
J’allais la prendre par derrière, comme d’habitude…, elle allait bien sûr renâcler un peu, au début, faire mine de résister, miauler, couiner…, mais je la chaufferais…, puis elle craquerait, brutalement…, je ne lui donnais pas trois minutes.
J’introduisis la longueur nécessaire en tâtonnant…, attentionné, je m’activais en silence, sensible à ses vibrations… et elle répondait au doigt et à l’oreille, comme prévu.
J’y étais…, mon outil avait trouvé le point sensible…, c’était gagné…, un dernier petit coup et j’eus le sourire…, niais…, complètement nirvané.
Je jetais un coup d’œil furtif à ma montre U-Boat : deux minutes quarante-cinq…, peut mieux faire.
Y’a pas de mystère, je savais y faire avec les serrures. .
Je poussais la porte d’un coup d’épaule sec…, luxe superflu et beauté du geste viril, j’aimais ce genre d’intrusion respectant les clichés des séries B…, je faisais mon incorruptible.
Je cherchais à tâtons l’interrupteur, puis d’un coup de pouce, tel Aladin et sa lanterne magique, j’inondais de lumière le loft, comme disent les branchés !
Un loft n’est rien d’autre qu’une immense pièce commune où les fonctions vitales du corps sont satisfaites sans cloisonnement.., on ne refoule pas, on y bouffe, baise, dort… et on se torche dans un coin un peu plus discret, pour l’odeur, pas pour la vue, un truc d’artiste, avec du blanc partout courant des murs au mobilier, un idéal de constipé, de bouffeur de riz et de fromage blanc frais.
Les nains devaient avoir la cote… et on aurait même pu en faire un élevage en batterie pour remplir tous ces mètres carrés.
Au milieu de ces mètres carrés elle ronflait…, vexant, j’aurais dû balancer un coup de pied dans la porte…, parfois je restais encore trop civil.
Elle eut la délicatesse de se réveiller…, encore belle mais paumée, un visage de petite garce riche qui se fanait déjà en essayant d’anesthésier son ennui par tous les bouts… et je me serais aussi bien perdu dans ce que je pouvais deviner d’elle lovée dans le lit.
Très vive, tout en plaquant un bout de drap contre ses seins, elle se mit à secouer son sex-toy…, j’appréciais ses réflexes, elle ne paniquait pas, elle se contentait de se branler puis elle se mit à grogner.
Elle me dévisagea sans sourciller, puis détourna lentement la tête, le profil à la grecque…, je la regardais avec indulgence…, sa respiration soulevait le drap.
Maîtresse de ses nerfs et du reste qui n’était pas des restes…, mon initiative foireuse la laissait de glace.
Sûr que j’aurais aimé volontiers la faire fondre, lui rouler les rondeurs et la froisser à quatre pattes sur la moquette…, levrette pour effacer l’amertume de ses plis aux coins des lèvres.
Bref, je serais bien rentré immédiatement dans sa banquise…, mais entre deux rafales du marteau-piqueur qui forait un puits dans ma boîte crânienne, j’entendis une cafetière qui ronronnait quelque part.
J’étais agacé et surtout plus fourbu et foutu qu’une starlette après le festival de Cannes.
Terrassé par une érection que je comprimais tant bien que mal à deux mains, craignant qu’un Alien ne s’en échappât en ricanant…, mon attitude laissait à désirer, des spasmes tord-boyaux me faisaient douter…, un savant fou avait dû me piquer le virus du priapisme…
J’accommodais lentement… et la perspective s’en trouva chamboulée et moi bouleversé : ses sourcils en accent circonflexe, ses yeux d’opaline bleue, ses belles lèvres, son sourire…
Mes yeux essayèrent de faire le point…, zoom avant flou : une grosse tête d’épingle ovoïde émergea d’un brouillard parfumé, j’aperçus deux yeux, un nez, une bouche et des lobes d’oreilles auréolés d’une cascade de cheveux noirs et d’une frange droite…, rien que de très commun.
Renversant, j’étais sauvé… et je basculais…, lâchant un cri de bébé phoque massacré.
Ça ressemblait toutefois à un rot aigu…, mais, immobile, je restais à quatre pattes.
– Quelle heure est-il ? marmonnais-je entre mes dents.
– Qu’importe… Il est très tard ou trop tôt, vous êtes satisfait ?
Je me cramponnai à un accoudoir et réussis à hisser ma grande carcasse.
Dans un éclair de lucidité j’avais vu l’ouverture…
– J’ abuse si…
– C’est prévu… répondit-elle.
Ses lèvres dessinèrent un sourire énigmatique sans être académique, une vraie Joconde.
– Ah oui… dis-je, soudainement perdu dans une mélancolie saharienne.
Nos regards se croisèrent…, dans le mien on lisait des combinaisons de mots simples, mon vocabulaire était très limité : pas un mot de plus de six lettres.
Dans le sien, je ne voyais rien…
On se cherchait dans tous les sens…, un empire jusqu’ici interdit à conquérir, c’était lourd, orageux, avec des promesses d’éclaircie en fin de nuit…
Pendant que je brouillonnais le prochain bulletin météo dans ma tête, son corsage s’échancra…, je n’avais plus ce voile opaque devant les yeux et je plongeais dans l’ouverture.
Ses seins m’obsédaient…, de les entrevoir acheva de me liquéfier…, j’étais à bout : du rouleau de printemps compressé.
– On est censé faire quoi maintenant ? fit-elle, amusée, pas dupe.
Sa question me frappa à la fourche…, atterré, je la considérai d’un autre œil.
Elle rit… et c’était si léger qu’une plume n’aurait pas frissonné, sauf moi qui était pour quand elle était bien taillée, mais là, je m’égarais.
Sans attendre mon feulement elle me tira par le bras et m’attira dans la chambre, mon corps, aimanté par cette amante-peu religieuse, fut catapulté sur le lit… et par enchantement mes misères restèrent en l’air…
Après l’intermède du caoutchouc lubrifié qu’elle avait déroulé à cet endroit précis entre deux doigts longs et délicats, elle m’avait fait ça…, j’avais fait ça…, elle m’avait touché là…, je lui avais mis la main ici…, bouche à bouche…, langue à langue…, bouche à oreille…, on avait gémi…, une caresse ici…, une caresse là…, corrida…, les oreilles…, la queue…, émoi…, elle l’avait saisi…, je m’étais présenté…, elle m’avait guidé…, je l’avais laissé glisser…, enfoncer…, foncer…, défoncer…, ça avait vibré…, partout…, on avait tourné…, on s’était retourné…, on s’intervertissait…, mélange…, des jambes…, des fesses…, les murs et le plafond étaient montés et descendus…, on avait bafouillé…, fouille mouillée…, ça avait été crescendo… et ça avait bavé…
Au dernier moment, à l’ultime soubresaut, quand mes vertèbres s’étaient coincées comme un prépuce dans une fermeture-éclair…, jamais je n’avais hurlé comme ça avec une femme !
La colonne vertébrale repliée en soufflets d’accordéon, j’attendis l’aube, étendu, nu et raide, sur la carpette.
Un godemichet neuf aurait été plus souple…, j’étais incapable du moindre geste, battre un cil représentait un effort considérable…
Elle m’écouta soliloquer… et ponctua quelques-unes de mes réflexions d’un trait pertinent… et, lorsque j’ai déplié ma carcasse en miettes avec des craquements de biscottes, les rayons du soleil écrasaient leurs nez dorés à la fenêtre.
Eh oui, la muse muselée par la mouise se réveillait, elle aussi… et me taquinait… et la chambre s’éclaira…, moi aussi…
Je devais m’en aller régler quelques comptes…
Dehors, tout était silencieux… et une petite voix impérieuse fit taire le brouhaha dans ma tête…, ma décision était prise…, j’étais réveillé…, je me levais péniblement.., les douleurs redoublèrent, comme si on m’avait tatoué avec une aiguille de gramophone.
L’amusement est un bain ferrugineux où l’on rit du fait qu’il n’y a pas de quoi rire…
Dehors quelques belles bourgeoises oisives, les courbes et les cuisses sculptées dans les cours de gymnastique des clubs privés, s’en allaient déjeuner chez Sénéquier.
Quant au vent, il se contentait de faire la chasse aux détritus…, ça puait !
D’ordinaire, dans ce repaire de l’indolence, les murs gris-ocre de rhinocéros suintaient l’ennui aigre, la poussière, l’eau de toilette bon marché, le tabac froid et la transpiration…, un cauchemar même pas climatisé…, un crématorium…, une ambiance de morgue.
Une drôle d’odeur de protéines en décomposition flottait dans la pièce, comme si, après avoir coupé une demi-douzaine de chats mutants, on les avait abandonnés et laissés crever dans une litière sale…, une odeur de mort.
Elle me lança un regard suspicieux, j’étais une sorte de mystère pour elle, qui en était réduite à l’agonie et au deuil de l’imagination…, son cerveau devait tremper dans le formol…, le ton de sa conversation, bornée ordinairement aux élucubrations météo et aux transferts des animateurs T.V…, baissa de deux crans…, elle se mit à chuchoter mouillé en me regardant en chienne de faïence, avec autant de pétillant dans ses prunelles que dans celles d’un ours en peluche.
J’ai levé le couvercle de la poubelle de la cuisine… et…, ce que je vis me coupa le souffle.
L’insoutenable pourriture…, je savais que la bête avait été égorgée d’un seul coup, très proprement, elle n’avait pas souffert, mais elle n’avait pas supporté…
Ce n’était plus un coq en pâte, pas même un pâté de coq, qui gisait au fond…, j’apercevais un bout de crête et les ergots qui saillaient d’un magma de sang séché et noirâtre, de chair molle et de plumes graisseuses…, deux ou trois bons kilos de bouillie putréfiée dans un feu de couleurs.
Oh, la belle bleue, oh le rouge rubicond… et le jaune vif, oh le vert !
Aaah les vers…, un Van Gogh éclaté, un Soutine viré fauve sur le tard, un Bacon nègre…
J’aurais pu écrire d’autres métaphores picturales si l’odeur n’avait pas commencé à exploser mes fosses nasales pour monter ravager les synapses.
L’odeur, même Lovecraft, le zigoto nazi et froid de Providence, en aurait oublié ses créatures innommables.
Des effluves à trouer la couche d’ozone, des flagrances à provoquer une épidémie de suicides dans une colonie de putois…, trois mille paires de pieds de marathoniens sudoripares n’auraient pas suinté pire.
Celui qui aurait inventé un désodorisant capable d’éliminer pareille infamie aurait été sanctifié et ses vieux jours coulés dans l’or le plus pur…, putain, que ça chlinguait !
A classer illico comme arme chimique…
Et tout alla très vite…, suffoquant, j’ai tiré une langue gonflée de pendu, puis happé l’air fébrilement comme un cormoran mazouté… et plus je happais, plus mes joues se creusaient, plus ma peau se parcheminait.
D’un coup de pied, fort et bien ajusté, j’envoyais valdinguer la poubelle qui fendit l’air, les bords cédèrent… et le coq dessina quelques arabesques…, la tête pendante se détacha du cou… et le corps s’éparpilla en morceaux, de tous les côtés, dans une envolée de plumes…, on aurait dit une pluie de papillons fienteux.
Toutefois, on pouvait presque palper les traînées nauséabondes qui s’en échappaient en fusées de détresse…
Les morceaux explosèrent en touchant le sol dans des secousses gélatineuses, éclaboussant tout alentours comme si deux paquets de douze yaourts à la chiasse avaient été balancé du plafond !
L’effet fut instantané…, la merde toucha le ventilateur !
Une expression de torpeur incrédule flasha sur son visage tandis qu’elle agitait ses bras maigrichons dans une tentative désespérée de fuir cette réalité…, lorsqu’un rogaton d’aile vint se percher sur son épaule !
Elle déglutit, son sourire de fausse blonde se tordit…, ses lèvres firent une grimace d’épouvante de série Z…, ses yeux exorbités sortaient d’un dessin animé de Tex Avery.
Nulle étude, nul stage de formation, rien ni personne ne l’avaient préparée à ça…, toutefois les reflets violets presque phosphorescents de la chose répugnante la fascinaient…, elle cherchait à lui donner un nom qui ne figurait pas à son vocabulaire…, alors elle brailla, bondit et se rua dehors.
Sur le trottoir elle hurlait encore comme une vache amouillante et ses cris provoquèrent un attroupement et un concert de vociférations.
Ce fut le signal de la curée…, tout le monde courut à sa catastrophe…, en avant…, têtes contre culs…, des gens tournèrent trois fois sur eux-mêmes et, leur direction choisie à l’aveuglette, se lancèrent à toutes jambes.
Le coq les ramena vite à la raison…, ils patinèrent sur des morceaux gélatineux, plus glissants que des peaux de banane…, leur équilibre était perdu…, ils le savaient… et des nez, des fronts et des bouches s’éclatèrent par terre.
Des puzzles d’auréoles et d’étoiles purpurines apparurent…, quelle débandade…, le même genre d’ambiance apocalyptique avait dû régner à bord du Titanic au moment du naufrage.
J’ai quitté le loft… et me suis rendu en Jeep sur la route de Gassin…, c’était un phalanstère au goût de blues qui servait également de bureau au garage adjacent, dont le patron, un petit bonhomme trapu, se vantait d’avoir les meilleurs clients du monde, les plus fidèles…, selon lui, il renfermait plus de trésors humains que Stockholm lors des cérémonies des prix Nobel.
Il avait un visage aplati, couturé, soudé à une carrure d’armoire à glace, il affichait l’archétype de l’ennemi public numéro un dans l’inconscient de la majorité pernicieuse…, marchand de bagnoles d’occaze, tôlier, carrossier, chauffeur-porte-flingue et cafetier-barman, son l’humeur chatouilleuse le faisait valser au gré de ses occupations…, des anecdotes en pagaille à raconter sur ses clients…, qui cocaïnomane…, qui obsédé sexuel partouzeur (une fois, ivre, celui-là avait insisté pour prendre le volant et avait perdu le contrôle du véhicule en se faisant sucer par sa secrétaire particulière)…, qui folle travestie la nuit…, qui psychopathe…, qui idiot congénital…
A voir sa tête, je devinais que quelque chose le turlupinait, mais je ne me serais pas avisé de lui demander quoi…, il cultivait son humeur massacrante comme d’autres les bonsaïs, avec un soin maniaque.
Et son comptable, plongé dans la lecture des pages boursières du Monde, faisait rouler la monnaie, la sienne et celle des autres…, sans relever sa tête de furet, le chapeau rabattu sur les lunettes à double-foyer, les poils poivre et sel pointant des narines…, d’un geste de la main il indiqua que ce n’était pas le moment de le déranger et lâcha (en Provençal) : « La ferme, vous deux’g ! Pitin’g. J’arrive pas à me concentrer »…
Des taches de café et de graisse constellaient sa cravate dénouée et sa chemise…, dans sa galaxie, seuls les chiffres avaient de l’importance.
Les filles qui franchissaient le seuil étaient pour la plupart des travailleuses des alentours, jeunes employées de banques, infirmières, coiffeuses, caissières, puéricultrices, des filles simples et fières, souvent meurtries, dont le désir inavoué était de s’encanailler à peu de frais et sans trop de risques à la pause du déjeuner.
Elles étaient toujours très bien accueillies et ressortaient ravies de leur plongeon dans le petit bain des gentils machos…, mais je n’en ai jamais trouvé une qui voulût bien se pendre à mon cou.
Je ne comptais pas d’autres amis en dehors de ceux que je fréquentais là.
Attention, c’était pas l’Eden…, les affinités entre tous les survivants d’une autre époque ne se commandaient pas comme un demi…, chacun respectait l’autre sans les faux élans de sympathie qui sont le lot de la plupart des piliers de bistro et des vendeurs d’autos….
Cette convivialité faisait l’affaire de tous.. et surtout celle du fantôme, un spécialiste du vol de voitures de luxe, mèches blanches coincées dans la casquette à gros carreaux, des valises géantes sous des yeux bleus d’une vivacité intacte à quelques soixante-dix ans, le mégot collé au coin de l’arc d’une bouche de ceux à qui on ne la faisait plus.
Ils risquaient tous de longues années d’interdiction d’exercer leur art…, s’ils venaient à être condamnés pour : vol, escroquerie, abus de confiance, recel, filouterie, recel de malfaiteurs, outrage public à la pudeur, tenue d’une maison de jeux, de débauche…, prise de paris clandestins sur les courses de chevaux, vente de marchandises falsifiées ou nuisibles à la santé, infraction aux dispositions législatives ou réglementaires en matière de stupéfiants, récidive de coups et blessures, ivresse publique…
Ici, j’avais ma table ouverte d’où je pouvais commander n’importe quoi, à n’importe quelle heure…, j’engloutissais souvent des sardines grillées dans une sorte de frénésie de piranha, mon appétit me faisait peur… c’était mon plat de midi préféré…., puis je savourais mon rosé-pamplemousse avec un sourire en coin à la con… tandis que le patron portait l’addition sur mon ardoise…, avec une précision de braqueur de banques, qu’il avait été quelques fois.
Après le coup de feu du dîner où le service, sous mes yeux vitreux, prenait des allures floues et ralenties de ballet chorégraphié par un opiomane…, ne s’accrochaient plus au comptoir que les indécrottables…, les cœurs solitaires ou brisés…
Les sans-amour commencèrent à brailler : “J’ai dansé avec l’amour”, d’Edith Piaf, mais leur version évoquait plus celle d’allumés rockers au fin fond de leur garage banlieusard.
– J’ai dansé avec l’amour… J’ai fait des tours et des tours… Ce fut un soir merveilleux… Je ne voyais que ses yeux… Si bleeeuuus…
Que c’était beau et pas beauf… et, en lousdé insidieux, le blues vint poisser les peaux…, ça finit dans une ballade lépreuse d’Hank Williams, I’m So Lonesome I Could Cry, adaptée en français, : J’suis si seul que j’en chialerais…
Et des sanglots longs mouillaient les manches de chemise, les cœurs d’artichaut pleuraient, contrits et western… les hommes gémissaient comme des geishas.
L’air lourd et gazeux viciait les muqueuses…, incandescents les yeux se teintaient d’un rouge de lapin albinos !
Je m’occupais en lisant, sur mon ordinateur portable, le courrier des internautes de ma page Facebook avec un pincement de bonheur au cœur…, il était si doux et si réconfortant de penser que tant de personnes croyaient en moi…, j’étais leur providence, signe et fils du ciel, attendu tel le messie…, cliché éculé…, ma main tremblotait et quelques gouttes coulèrent le long de mon menton comme des petites larmes brûlantes.
Un revers de manche les effaça aussi sec…, j’étais au fond du puits, miné, un coup de grisou dans le ciboulot…, le monde changeait si peu.
J’en fut frappé d’une sorte de stupeur, comme si j’avais reçu ma première feuille d’impôts… c’est alors que mon téléphone portable se mit à vibrer…, l’heure des comptes avait sonné…
– J’viens d’en rentrer une…, quoi tu fais là, tu roupilles encore ?
– Pas du tout, euhhhh, j’étais plongé dans mes réflexions…
– Grouille-toi de venir voir…
La clientèle, exclusivement masculine, papillonnait ou stationnait devant les bagnoles, il y en avait pour tous les goûts, un jeune type à la peau luisante poireautait à quatre pattes devant une Corvette, un vieux con balafré serrait contre son cœur une mallette qui devait sûrement contenir de quoi payer trop cher une épave… perché derrière son comptoir, la secrétaire et maîtresse du patron était pendue au téléphone.
Jolie blonde, la quarantaine, polie, c’était son job, elle alignait trente-deux dents étincelantes aux clients, et les faisait saliver en leur promettant monts et merveilles…, son visage s’éclaira comme un lampion en se tournant vers moi…., sa bouche dessina un V de victoire et ce sourire me donna du bonheur, j’en oubliai mes problèmes…, j’étais son 14 juillet, elle attendait toujours le feu d’artifice que je ne tirerais sans doute jamais…, elle soupira, un raseur au bout du fil, et me fit un petit signe de la main.
Je la lui baisai solennellement, en chevalier qui avait connu la peur et les reproches…, elle piqua un fard…, vieille tactique de séduction, je ne mordis pas à son hameçon et mon dard ne piqua pas mon caleçon.
Marlène Dietrich me regarda dans les yeux à travers l’écran de fumée de sa cigarette…, dans la splendeur de sa robe lamée et fendue, elle était peu farouche mais inaccessible…, épinglée au mur dans l’éternité absolue des stars, sa germanité glamoureuse et fatale me laissait de glace : la réputation de folle du cul et de la pipe de la Dietrich sans doute.
Je traversais le garage sans accorder un seul regard à tous ces névrosés…, à côté d’une colonne de pneus qui menaçait de s’écrouler à tout instant, je tambourinai à une porte…, un grognement se fit entendre que je pris pour un acquiescement.
Le poster de Marlène Dietrich était l’unique décoration de la pièce, meublée d’un bureau et d’un coffre-fort, posé dans un angle, perpétuellement surchargé, le plateau du bureau était un bordel sans nom et le patron nageait là-dedans comme le requin qu’il était, ses mains aux doigts embrunis par la nicotine farfouillaient entre le micro-ordinateur, le fax et la calculatrice…, son menton et son cou, fondus en goutte d’huile dans le lard, ne faisaient plus qu’un seul morceau alors qu’il concluait d’un air professionnel au téléphone, puis il raccrocha…
– Une veuve…, m’expliqua-t-il en bondissant sur ses jambonneaux.. : Les bagnoles de collection de son défunt, lui filent une frousse terrible, rapport au fisc…, elle veut s’en débarrasser au plus vite, ça l’oppresse, qu’elle raconte…, elle a l’impression d’être cernée par des esprits malveillants. Tu te rends compte ?
Et il partit à rire…, des larmes roulèrent en boule sur ses bajoues…, cette sorte de chorus apoplectique lui mit le rouge au visage…, une fois ses larmes d’hippopotame bues dans la soie de son mouchoir brodé à ses initiales, nous nous fîmes l’accolade des mauvais garçons, remake voyou à la russe des maffieuses politesses de Saint-Tropez…., il m’enfouit dans ses bras, sans que nos visages se touchent…, voilà où menait le monde des bagnoles de collection qui n’est qu’un autre cimetière de plus…, je me dégageai et m’inclinais…
– T’es le plus fort… et tu veux me la vendre sans devoir les acheter d’avance, hein, mon salaud !
– Bien vu ! Tu la placeras dans une vente aux enchères…, comme d’hab !
Le Diable seul savait comment il avait trouvé tout ça, pensaient les jobards aux poches pleines…, car Dieu, comme dans la plupart des affaires terrestres, n’a rien à voir là-dedans…, la vérité était plus simple et prosaïque : il les avait rachetés à la bonne personne ou au bon endroit : Châtelains fauchés, hommes d’affaires ruinés, truands en cavale, politiciens véreux prétendus morts, gagnants de l’Euro millions, du Loto et des courses de chevaux, commerçants incompétents, stars déchues, macs grabataires et putes très âgées… mais aussi quelques marchands de marchés aux puces, faux clochards, voleurs, antiquaires, brocanteurs…, la liste aurait été trop longue à énumérer…, remonter à la source était encore plus difficile, et le patron était la discrétion incarnée, d’autant que la moitié des bagnoles était achetée en noir, l’autre moitié avec des factures minimisées… et qu’une troisième moitié était des voitures volées…
Sa caverne d’Ali-Baba, comme il se plaisait à dire était remplie à ras bord…, il avait été sacré roi de la récupération du rêve bien digéré de la génération des révoltés de ’68…, un filon en or…, des bagnoles qui pouvaient rendre fou et homicide les collectionneurs de conneries, les journaleux automobiles aussi… de même que les vendus de tous bords…, tous les acheteurs de saloperies rares et de merdes flamboyantes sur lesquelles les nouveaux enrichis se lançaient à la tête pour avoir l’air aussi crétins que les pires salauds.
J’avais vu une fois l’artiste à l’œuvre…, revendre 100.000 euros « la première Ferrari de Gainsbourg » à un ahuri d’une chaîne de télé…, l’objet rarissime était une banale 208GTB pourrie, la version has-been du bas de gamme Ferrari motorisée par un V8 à la cylindrée fiscalement réduite pour les Italiens, cotée environ 25.000…, le pafométré, yeux de biche, bouche cocasse, était au paradis câblé et ne savait comment remercier le patron qui l’avait récupérée pour 15.000 à un pépère à la retraite…, Gainsbarre n’a jamais possédé de Ferrari !.
– Tes affaires marchent ? me demanda-t-il.
– Couçicouça… Les tiennes ont l’air de pas mal prospérer si j’en juge par tes réserves. T’as pas l’air de souffrir de la crise ?
– Je me maintiens. Tu viens pour la p’tit dernière suite à mon coup de fil ?
– Ouais…, c’est quoi ?
– Une rareté… Une Volvo Hot-Rod-Kustom-Dragster 1956, elle est surnommée Hemizon parce qu’elle est équipée d’un V8 Chrysler Hémi. La base est une Volvo Amazon 121 version Coupé 131, très représentative du style des années ’50 ne manquant pas d’élégance. Les formes font la part belle aux courbes. Les tôles sont constituées d’acier de 1.2mm d’épaisseur… ça sonne « mat » quand on ferme la porte !
– Elle est encore tombée du camion ? Une paire de sourires entendus fut échangée…
– Non, un achat net, un vieux client qui voulait partir en Amérique du sud…, viens voir…
C’était une petite merveille, j’en tombais immédiatement amoureux…
– Combien ?
– Pour toi, pas grand chose, 20.000…
– Je pensais à 5.000…
– J’ai des frais, suis malade, j’ai besoin de médicaments rares, c’est cher, peut pas faire moins que 15.000…
– 10.000 c’est tout ce que j’ai…
Je tirai les billets de mon portefeuille comme un magicien aurait sorti des foulards de son gibus…
– Tiens, voilà 8.000 : je garde les 2.000 autres pour les réparations…
Aussi plat qu’une limande sole, mon portefeuille réintégra ma poche intérieure de veste.
– Dis-moi, tu bénéficies encore de tes protections ?
– T’es redevenu naïf ou quoi ? T’es amoureux ? Comment je tiendrais sinon, à ton avis ? Plus que jamais, j’assure mes arrières. Toujours. Il suffit de viser suffisamment haut pour que les flicaillons un peu trop curieux comprennent qu’ils ont intérêt à écraser le coup et à pas m’emmerder s’ils veulent pas se retrouver à faire de l’îlotage en banlieue. Pas plus tard qu’hier soir, je jouais aux échecs en compagnie d’un commissaire divisionnaire qui raffole des années cinquante et voulais une 4CV Renault. Tu peux me croire que je le soigne, celui-là.
– Ça fait une paie qu’on se connaît, murmurai-je sans aucune raison : Et je ne t’ai jamais posé la question…
Son visage se fendit d’un large sourire.
– C’est parce que ça fait vendre, merde ! Je leur raconte ma salade de fils de déportés tchétchènes, les cocos sont encore plus mal vus qu’avant, merci Staline et tous les autres… et les gens se disent : putain, ses vieux sont morts de faim et de froid, il a dû en chier, et pourtant il la ramène pas trop, c’est un démerdard mais aussi un brave gros type qui sait y faire. Je te l’ai dit, faut savoir leur faire plaisir aux clients… Pour les rouler en douceur, en leur donnant l’impression que tu leur fais un cadeau, c’est quand même pas à toi que je vais apprendre ça… me dit-il en m’envoyant une claque dans le dos à désosser un bœuf de Rembrandt : Mais faut soigner l’apparence, le costume, on ressembles à ce qu’on est !
J’ignorai le compliment…, dans le monde des bagnoles de collection, il n’est meilleur masque que celui de la vérité, je croyais ça aussi. Le monde se chargerait en son temps et heure de me démontrer le contraire. .. et lui, il parlait, il parlait de sa voix de ferraille, reconnaissable à la première syllabe :
– C’est marrant, parce que des cousins éloignés ont retrouvé ma trace. Les Tchétchènes font régner leur loi à Moscou. Ils sont enchantés de mes affaires, ils sont très friands des bagnoles occidentales. Si, par hasard, tu connaissais un moyen de se procurer en grande quantité des Ferrari Enzo récentes, je serais intéressé par une dizaine.
Il farfouilla dans une caisse en carton et trouva ce qu’il cherchait…, il me colla un bouquin dans les mains, comme s’il me refilait une chaude-pisse.
– Tiens, c’est pour toi, ça devrait te plaire. Cadeau empoisonné. Une édition originale de Mein Kampf, c’est le premier roman d’Hitler, un sale type, une ordure intégrale, il a déchainé l’enfer, mais un grand écrivain, hélas ! J’ai aussi tous les bouquins de Céline en édition originale… Prend la caisse, cadeau…
Ses paroles eurent un effet de boomerang, elles me renvoyaient aux portes de l’enfer…, je ne pouvais plus que me retirer sur la pointe des pieds…, tout ça parce que j’étais préoccupé par les préparatifs de l’enlèvement de la bagnole que je venais d’acheter, à soigner le détail, qui faisait vrai, je n’avais pas prévu ça : la Faim, la crampe, à cran, les crocs… et j’étais coincé, fait comme un rat dans une tapette, privé de fromage et de dessert… et de café.
Je regardai ma montre : fin d’après-midi et des poussières.., des poussières comme des moutons… et je rêvai de méchoui…, j’avais l’estomac dans les talonnettes…, mon ventre criait, je transpirais…, j’avais le tournis, voyais trente-six bougies et pas le moindre bout de gâteau à l’horizon : danger : chute libre de sucres.
Hypoglycémie, fit un signal lumineux dans mon réseau sanguin…, si je sautais un repas, j’avais tendance à somatiser à la vitesse d’un œuf cuisant à la coque…, soudainement, ça me reprit, j’eus des visions de mouillettes.
Une journée sans déjeuner et sans café était une aberration, une abjection, une condamnation…, une minute d’absence pouvait ruiner ma matinée…
J’alpaguai par le bras une des loques en visite dans le garage…, un Zombie hirsute, complètement dépenaillé et anémié, je sentis l’humérus qui saillait sous la manche, je l’avais remarqué quand une quinte de toux avait scié le type en deux…, le souffle catarrheux, en train de ruminer, le front obtus, c’était un customiseux franchouillard, je les reconnaissais au premier coup d’œil…, il releva sa tête de futur pendu…, j’avais croisé des lunettes de W.C. qui avaient plus d’attrait… il avait le pif pour m’acheter la Volvo que je venais d’acquérir…
– Ça te dirait d’acheter un Hot-Rod-Dragster ? Que je lui ai lancé…
– Ma foi, pourquoi je refuserais, à moins que ma réputation soit en jeu, votre honneur… On voit de ces choses par ici, si je vous racontais…
– Une Volvo Hot-Rod-Dragster, première main, plus rien à faire que la payer et dégager…
– Monseigneur, vous insultez mon intelligence… M’a l’air louche votre proposition, mais l’est à quel prix c’te merveille ?
– 25.000, un prix cadeau…
Des filaments d’étoiles filaient dans ses yeux gris de serpillière et ses dents jaunes, pâteuses comme un soleil de Van Gogh, illuminèrent sa bouille.
– Ouais, si vous pouviez me faire un prix d’ami ! Je vais y jeter un œil !
Le gars fila à la vitesse d’un escargot sous la voiture…, au bout d’un quart d’heure interminable, mon calvaire prit fin, il hurla que c’était un « Gasser » et me dit qu’à 20.000 il était preneur…
– Tope-là, on coupe en deux à 22.500 et tu fais une affaire d’or…
Le patron du garage passa et repassa devant moi sans ciller, comme fondu dans le décor… et je restai sage, discret et poli…, la viande du customizeur franchouille marinait dans un jus noir de sueur relevé de gros grains de poussière…, des cafards de crasse dégringolaient jusque dans ses godasses.., il se délabrait à toute berzingue..
– D’accord, voici la monnaie… J’suis heureux d’en avoir un. C’est inespéré. C’est rare. Les Gassers sont des Dragsters basés sur des modèles fermés des années 1930 à 1960, qui ont été dépouillés de poids externes et relevés à l’aide d’un essieu tubulaire pour mieux répartir le poids en accélération.
Il me tendit une liasse de billets, c’était le bon compte, la journée avait été bonne…, j’étais lessivé, des flammes me caressaient le gosier et, tout à trac, je vidai mes tripes dans la caisse en carton…, une remontée de la merde des quatre derniers jours recouvrait maintenant l’édition originale de Mein Kampf…
J’avais décroché le gros lot…, pas trop tôt…, allez expliquer ça…, un état second…, je l’observais du coin de l’œil, le patron du café-garage s’occupait de finaliser l’affaire…, le customeux sourit à la fin et releva d’un geste précieux une mèche étudiée pour… et je souris à mon tour, plus jaune qu’un citron.
C’est alors qu’une tête connue d’animateur TV apparut…, l’enflure avait belle allure, bien dans sa peau de bébé, il n’avait pas connu l’acné… et bien dans ses fringues, du sur mesure pas roturier, la quarantaine fraîche, lotionnée, sportive, squasheuse, non, plutôt Roland Garros, estampillé crocodile Lacoste…, le genre tout sourire, la malice au bord des lèvres, prêt à mûrir une impertinence calculée comme l’affectionne la nouvelle race des animateurs télé, cireurs de pompes, comme si de rien n’était… et le miroitement de sa chevalière en or, frappée à ses initiales, se détachant sur le doigt en l’air, reflétait son indifférence supérieure…, un modèle de gendre que plébiscitent les magazines féminins…, pub mensongère…, l’élégance anguleuse et enculeuse…, sale engeance…, une belle tête à claques qui n’amusaient pas les types comme moi.
– C’est moi qui a racheté ici l’ex-Ferrari de Serge…
– Serge qui ?
– Mais…, Gainsbourg, voyons…, j’en cherche une autre, je reviendrais plus tard…
Il consulta sa montre, parut réfléchir quelques secondes puisque la fin de la journée approchait il dit qu’l avait faim…et sortit.
Il grimpa dans une Bentley noire et partit vers Saint-Tropez , je le suivis par hasard car je voulais dîner à La Ponche ou j’avais des souvenirs…
L’horloge « Rolex » de la commanderie du port qui jouxtait le parking indiquait une six heures trois quart…, des pigeons, repus, fientaient en bandes sur l’échiquier d’un hirsute qui semblait jouer avec eux…
L’animateur télé pressa le pas, très droit, le torse bombé, à la spartiate, conquérant, Hannibal franchissant les Halles…, il marcha sans daigner s’abaisser à regarder autour de lui, tel un maréchal Rommel dans sa tourelle…, à peine si je le vis tourner faiblement la tête au spectacle des ondulations de bassin d’une Lolita qui passait, en abusant de ses charmes nubiles.
Elle aussi avait failli me faire tourner de l’œil…, mais rien ne semblait l’intéresser, ça se voyait que la France (du moins Saint-Tropez) lui appartenait…, on pouvait arracher son masque, deviner sa grimace de dégoût qui marquait en douce son désir de cramer au lance-flammes tout ce qui dépassait son idée à angle droit de la France…, un paquet de têtes allait fondre si l’envie le prenait de faire joujou ici.
Ça et là, en grappes ou isolés, les corps des clochards qui gisaient sur des bouts de carton, des vieilles couvertures ou des sacs poubelle ne formaient qu’une seule et gigantesque pieuvre… et, parfois, une main noire de crasse ou de croûtes de sang séché sortait tel un tentacule et tendait sous le nez des badauds un gobelet recraché par un fast-food. Insouciants ou aveugles, beaucoup rigolaient…, pas moi.
Des tas d’engins tournaient au ralenti, devant chez Sénéquier…, la suffocante odeur des gaz d’échappement pétait au nez, des nappes grises en trainées fuligineuses flottaient au raz de l’asphalte et léchaient les pieds, ça fumait… et en représailles je toussais.
Je l’imaginais plus exemplaire, cet enfant de la télé…, une vingtaine de mètres et autant de tôle nous séparaient et je pris grand soin de ne pas me faire culbuter, c’était pas le moment de se faire montrer du doigt…, lui ne s’en souciait guère…, sans état d’âme, il zigzaguait entre les beaufs… et d’un geste impératif, presque un salut nazi, il n’hésita pas à stopper net un scootériste casqué de noir, pressé de rejoindre sa maîtresse…, évidemment, en retour, il se fit copieusement injurier, mais il haussa les épaules et garda son calme… et entra au restaurant « La Ponche », là ou je voulais également dîner…, quel hasard !.
Je fis semblant de consulter le menu à la devanture…, je le laissais tomber, me doutant de la suite du feuilleton…, c’était à mon tour de mettre les pieds dans le plat… et je n’avais aucun goût pour les salades, garnie ou pas.
J’entrais…, pour découvrir des fascistes de l’Est…, je ne voulais pas croire qu’ici dinaient des Ukrainiens millionnaires fêtant leur réussite, j’ai cru voir un short kaki, l’esprit charcuterie…, la teutonnerie bouffonne de cette anticipation m’assombrissait…, pareil pour le décor : authentique toc de poutres apparentes, lambris sculptés, petits carreaux de faïence ornés de fausses fleurs naturelles… et de fresques champêtres, style les biches dans les sous-bois qui attendent la nique vespérale, un vol des cigognes connes, un poème folklorique provençal…, le baroque local à consommer sur place, avec modération.
D’une fenêtre dégueulaient les basses de Bring The Noise de Public Enemy… et hormis cette bombe sonore de la modernité, c’était d’une quiétude rustique, de cueillette au champignon…
Les touristes se suivaient à la queue-leu-leu, ronron de stupides moutons guidés par un chien de berger invisible…, ces piétons à têtes de veau, avaient l’air dévot ; cherchez l’erreur.
Fallait-il que je fusse overdosé à la chlorophylle pour me sentir aussi pâtre, moi aussi… et les boutiques et les bars ronflaient, coincés entre le pousse-café et la sieste…
Je souffris sur le champ d’indigestion alors que je n’avais encore rien avalé…, c’était bourré à craquer, bruyant, dans des odeurs de bougie et de poissons grillés et de « choses » garnies recuites…
Un maître d’hôtel m’installa dans un coin plus tranquille…, la serveuse était une sorte de gros bonbon, joliment enrubannée dans un chemisier blanc à frous-frous très décolleté, une jupette noire, un nœud rouge sang dans les cheveux, les pommettes gélatinées d’une couche de fard rose ; la touche locale et finale…, elle suait graisses, musc et eau.
Une misère que d’être obligé de turbiner habillée comme un reliquat ambulant du musée des arts décoratifs… et la pauvresse poussait le vice jusqu’à ne pas gommer un accent provençal mâtiné d’expressions en un sabir franco-bulgare, du vrai yaourt !
Je ne mâchais plus et un morceau me resta en travers de la gorge…, avant de me mettre à tousser comme un phoque, je vidai mon verre pour les faire passer en douceur… et je fixai l’apparition inattendue…, Valérie de Saint-Tropez…, un je ne sais quoi d’une dominatrice BDSM émanait d’elle…, un article de Var-Matin n’avait pas hésité à la qualifier de sulfureuse.
Si l’assurance naturelle avait une forme, elle l’incarnait, décontractée pourtant, elle atteignait le mètre soixante-cinq…, dégagés sur un front haut, ses cheveux blonds lui tombaient sur les épaules et encadraient un visage aux traits un peu durs, l’incision rouge de la bouche, surtout, que n’atténuaient pas les sourcils, très foncés et épilés en pointe, et le khôl sur la ligne des cils…, ses yeux tiraient sur le rubigineux et ça tirait l’œil, mais elle m’hypnotisait…
Les articles à sensations ne se trompaient pas sur toute la ligne…, dangereuse, en effet, elle devait l’être et jusqu’au bout des ongles de pieds que je lui aurais sucés en me pâmant et sans poser de questions si elle me l’avait demandé.
Je la dévorai plusieurs fois des yeux avant de déglutir…, elle fronça les sourcils et le bas de son visage se crispa…, elle remit mes choses à leur place…, la pointe de sa chaussure frappa mon entre-jambes… et je réussis à réprimer un cri afin de ne pas nous faire remarquer…, il ne me restait plus qu’à m’autodétruire à coups de saucisses, jambon, lard, pommes de terre frites…, ce que je fis… et celle qui se prénommait Valérie de Saint-Tropez…, végétarienne, me regarda avec horreur….
Les informations que le Maître-d ‘hôtel consentit à me donner, ne valaient pas l’article un tant soit peu documenté sur la question de Closer…, dans toute l’Europe, et au-delà, des rumeurs se développaient, comme jamais auparavant…, ma curiosité était-elle satisfaite ?
Le temps de s’informer sérieusement était peut-être venu, la mention de quelques détails ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd.., Valérie de Saint-Tropez rejetée par un millionnaire solitaire qui détestait les jeux d’échecs qui étaient son unique passion (à elle)…, se mettait en ménage avec un présentateur télé, accessoirement joueur d’échecs, pilote d’hélicoptère, possédant un yacht ET l’ex-Ferraillerie de Serge (Gainsbourg) qui n’avait jamais possédé ce genre d’auto…
J’ai fait quelques photos avec mon Samsung Galaxy III… et j’ai envoyé un texto à Var-Matin (le plus connu des merdias du coin) : « Bonjour… Stop… Plutot Bonsoir… Stop… Ceci est un scoop… Stop… J’ai dans mon Samsung Galaxy III des photos compromettantes de la célèbre Valérie de St-Tropez, future championne d’échecs et de voltige aérienne… Stop… Suis prêt à vous vendre ces photos de sa nouvelle idylle avec un présentateur TV internationalement connu en France… Stop… Mise à prix : 10.000… Stop… »
Ce soir-là, c’était rock n’ roll…, fusion des croupes et du son…, au diapason.
En attendant de me faire tirer le portrait dans la presse locale (Var-Matin) pour mon scoop, en même temps que de palper 10.000, au moins, car Valérie est connue mondialement à Saint-Tropez…, les habitués du lieu faisaient cracher les décibels qui rendaient les filles du quartier plus belles et mouillantes…, à coups de vieilles scies comme Be Bop A Lula, Tutti Frutti, Somethin’ Else… ou d’un répertoire original, ils gommaient les rides de la semaine et relâchaient les nerfs à cran…, lifting garanti Gibson-Marschall, le paradis, la musique à fond… à 21 heures, Sénéquier était déjà noir de monde.
Un gros cafard humain et joyeux que le bouche à oreille, le téléphone arabe et le tam-tam urbain avaient fait rappliquer un capharnaüm qui dégueulait ses souris et ses hommes jusque sur le pavé, une canette à la main, crevés de vivre, des rires et des conneries plein la bouche…, une faune simple et pas snob…, que des gens qui ne comptaient pas, des amis des amis des amis…, la clique des pèlerins de la zone qui dépassaient rarement le boulevard périphérique.
Dans la famille punk, je voudrais la crête…, dans la rockabilly les rouflaquettes…, dans la teddy le blouson…, dans l’habitué le pastis… et dans la mienne un rayon de soleil…
Les délaissés, les orphelins, les ébouriffés et les jamais sondés, pas des yuppies encanaillés, dessalés dominicaux, ni des journalistes stipendiés, combien étaient-ils ?
Une soixantaine, peut-être plus.
Au fond de l’arrière-salle, et c’était une première mondiale dans l’établissement qui avait commencé dans la vente de nougat… et qui désirait créer un évènement « Rock »…, le groupe Division Dada, D.D. pour le fan-club, branchait ses instruments, ils avaient cette allure de gosses et de causes perdues…, chats de gouttières d’HLM aux sourcils froncés, une brique rouge tatouée sur le cœur, ils n’en avaient rien à foutre les morveux…, courroucés, teigneux, arrogants…, leur « managère » les couvait d’un air enamouré, c’était une jeune métisse au corps de déesse du lucre.
Eclatant soudainement comme la foudre, un accord retentit…, aussitôt, ce fut la bamboula.
Hourrah !
Et tout le monde afflua en criant, ravi de cette décharge d’énergie…, maigre, un sourire d’ange, tel un Jésus-Christ imberbe décloué de sa croix, le chanteur était assez fascinant dans le registre messie pubère…, son teint blafard tranchait sur les reflets couleur d’encre de pieuvre de sa tignasse grasse, collée sur ses épaules…, ses yeux de prêcheur presbyte le faisaient hystérique, possédé, échappé d’un service psychiatrique…, le micro devait lui brûler les doigts, il n’arrêtait pas de le passer d’une main à l’autre…, il sautait plus qu’un pois du Mexique et sa chemise ouverte découvrait une poitrine pâle et lisse d’os de sèche…, par instants, on avait la sensation qu’il lévitait presque…, ça le rendait beau et brillant comme l’étoile polaire.
Les musiciens n’y allaient pas de main morte, le guitariste moulinait à tour de bras, courbé sur son manche…, ses yeux mi-clos, balayés par une mèche blonde, se perdaient dans un royaume de jaspe vert et de cornaline que lui seul contemplait…, ses doigts se démultipliaient sans faire de pains avec une légèreté de papillon…, il griffait les cordes à une vitesse stupéfiante…, avec son médiator il sculptait des magnifiques paysages rythmés…, debout devant le comptoir et une boîte de bière, mon voisin, un connaisseur, me lança de but en blanc :
– Il est fort, hein ! Ce gars est merveilleux, c’est un élu, il a tout pigé de la quintessence des grands as, Link Wray, Dick Dale, Wayne Kramer, Ron Asherton, ça se bouscule sous ses doigts, mais c’est pas de l’imitation, ni de la citation, il garde sa prop’ patte, y’a pas à tortiller.
J’en convins et il n’en fallut pas davantage pour qu’il démarrât sur les chapeaux de roue…, il sortit sa science de la musique populaire…, tandis que le bassiste, grassouillet, à la bille de clown, grimaçait sur son instrument et lui arrachait des plaintes de dinosaure junior…, alors que le batteur trépidait sur ses peaux et cognait sans relâche… économe, efficace, sans esbroufe, puissante, la section rythmique faisait reluire les traits de génie du jeune guitariste.
A travers le prisme irisé et déformant des verres que j’avais éclusés à la file, la fumée du tabac et des feuilles exotiques montait se coller au plafond pour redescendre peu à peu en formant des nappes ectoplasmiques aux contours dansants…, je me demandai quand, pour la dernière fois, j’avais vu des ptérodactyles translucides voler au-dessus de moi.
L’électricité des guitares, dans les rires, la sueur et les larmes aussi parfois, ondulait par vagues successives sur les silhouettes floues qui s’assaillaient, se secouaient et se cajolaient, puis filait se perdre dans les chiottes occupées sans arrêt…, on picolait beaucoup, les verres s’entrechoquaient…, une jeune fille, un lézard tatoué sur la clavicule gauche, se cogna contre un gars qui vacillait, dénudé, sa viande saoule en nage débarrassée de la moitié de ses frusques…, le gars embrassa le lézard, les copines de la fille stridulèrent de plus belle…, sur mon tabouret (rouge-Sénéquier), j’oscillais, un sourire abruti et humide accroché à la lèvre inférieure…, complètement à contretemps le groupe marqua une courte pause, le temps de se lubrifier la glotte à la mousse, puis le guitariste, bottlenecké jusqu’à l’âme, se mit à baver des notes dégueulasses sur son manche…, ça suintait l’animal…, les chœurs de la rythmique poussaient des couinements de cochon frais qu’on égorge… et, monté sur un ampli qui tanguait dangereusement, une main dans le slip, le cheveu serpillière sorti essoré d’une bassine à frites, le chanteur s’égosillait, frêle esquif dans l’œil du cyclone, de sa bouche une écume de postillons s’envolait :
– Whaoyeah ! J’suis un porc ! Et que m’importe…
Un vent de folie de force sept sortait du coffre de ce petit gars-là…, mais gare, ils nouaient la peur aux tripes et récuraient les fondements…, anus blues…, lavement rock…, alors le public ouvrait tout grand la bouche, tous en chœur, pour respirer, et les gamins nous faisaient avaler leur bol de pus…, la beauté du mal, c’était qu’on en redemandait.
A la fin de ce régime harassant ils avaient retourné tous les yeux comme des ongles…, jouissance et douleur…, division Dada avait cassé la baraque avant qu’elle ne partît en fumée.
On dira ce qu’on voudra, mais le rock n’roll, c’est sur scène que ça se joue et que ça se juge, sur disque, n’importe quel eunuque peut chanter comme Pavarotti…, un concert c’est un sacrifice païen, le rachat de toutes les tartufferies commises au nom du rock n’ roll…, c’est une offrande…, un miracle…, une leçon de vie !
Le ton avait monté, tout aurait pu se poursuivre jusqu’à l’aube mais ma vessie m’obligea à me montrer raisonnable, au risque de pisser dans mes pantalons.
– Temps mort ! dis-je en me levant.
– J’bouge pas, assura mon voisin, j’vous garde votre tabouret au chaud et on r’met ça dès que vous rev’nez.
Je titubais et grimaçais sur la pointe des pieds…, je m’approchais tant bien que mal de la porte…, elle était close…, W.C. était peint dessus, lettrage énorme, malhabile et noir…, pas d’erreur d’aiguillage possible, même pour le plus cinglé des pilotes…, j’attendis que son locataire déguerpît…, la chasse fut tirée.
Encore chancelant, l’adolescent sortit la tête en feu et bredouilla quelques mots d’excuse tandis qu’il essayait de reboutonner la braguette de ses jeans coupés au-dessus des genoux…, ventre à ventre avec lui, je réussis à me glisser dans l’édicule…, l’olibrius n’y était pas allé avec le dos de la cuillère…, ça coinçait la fosse à purin…, il avait tout empuanti…, belette malfaisante, fils de putois, raclure de bidet, il y avait laissé son appareil digestif, ma parole.
Pris au dépourvu, je n’eus pas le temps de défaire ma ceinture…, l’estomac et neuf mètres d’intestin me remontèrent le long de la gorge en quatrième vitesse…, ascenseur pour le dégueulis…, bipède malade, je fis l’autruche et plongeai maladroitement ma tête dans la cuvette…, prêt à gerber tout mon soûl.
Ce réflexe me sauva la vie.
Au moment où j’allais balancer ma purée molle comme un chancre, il y eut un terrifiant coup de tonnerre…, tout trembla…, un trou noir m’aspira…, je fus propulsé au fond de la cuvette.
A présent, je réalisai qu’une moitié de la lunette noire était restée accrochée autour de mon cou…, ensuite, que la porte et la cuvette des chiottes s’étaient volatilisées…, soufflées par la déflagration…, les canalisations avaient cédé et je barbotais dans une mare fécale et nauséabonde qui ruisselait entre mes genoux et jusque dans les moindres recoins.
Sans rien comprendre, je me redressai d’un coup…, ou presque…, je faillis réussir…, trente-six chandelles de plomb m’en empêchèrent…, elles tournoyèrent un moment au-dessus de moi…., après les petits oiseaux firent cuicui et dansèrent le pogo…, la tête encore lourde, je vacillai en me relevant…, la lunette en collier bougea d’un poil.
Une explosion…, une façon plus originale, sans doute, de participer à l’allégresse générale.
Le visage tartiné de virgules de merde, de grumeaux de vomi et de lambeaux de papier cul, le cerveau à l’envers… et d’un seul morceau sens dessus-dessous, j’étais toujours vivant…, en chair et en os… rescapé…, un miracle…, de plus athées que moi en seraient sortis convertis.
Debout, aucune joie ne me transporta, je me sentais minable et miteux…, assurément mal dans ma peau…, sale et sauve…, sauve qui peut !
Au-dessus du trou que la disparition de la cuvette avait laissé béant, se balançait toujours la chasse d’eau…, ses anneaux grincèrent pendant ce qui sembla durer une éternité…, une pluie fine de minuscules flocons de plâtre s’abattait sur ma carcasse et chatouillait mes narines…, j’éternuais…, mes sphincters se relâchèrent un peu…., je pétais de tristesse ou de peur…., ma main se colla au fond de mon pantalon…, elle tâta…, il n’était pas souillé, j’avais sauvé mon cul, et les 22.500 euros de la vente de l’affreuse Volvo-Kustom-Gasser-Hémizon…, mais à quoi bon ?
Mon scoop concernant Valérie de Saint-Tropez était dans la merde…
Spectre à la gomme accoté au chambranle, je branlais dans le manche…, mes yeux se fermèrent puis je les rouvris aussitôt…, les ténèbres envahissaient le bastringue… chez S&n&quier tout était déjà rouge, mais après l’explosion tou était encore plus rouge…
Quand ils se furent habitués peu à peu à l’obscurité, la désolation les fit saillir de leurs orbites, mes yeux,…, je fis un pas et me ravisais…, mes mains commencèrent à trembler…, je remuais la tête, hébété…, ça me secouait méchant et je glissais sur une merde qui se faufilait sous mes pieds…., je pédalais les quatre fers en l’air dans le bouillon qui dégorgeait du trou des chiottes…, le morceau de lunette se détacha de mon cou et s’écrasa sur le carrelage dans une gerbe de gouttes café au lait.
Le silence qui suivit fut pitoyable.
Je me relevais en faisant gaffe…, l’odeur d’abattoir habituelle des autres jours depuis la réfection des égouts, était maintenant encore pire…, un mélange de chair et de sang frais, s’insinuait dans le tissu de mes vêtements et me transperçait le nez comme une fléchette empoisonnée…, mes semelles collaient au sol couvert de flaques de sang…, à chacun de mes pas, le bruit de succion me retournait l’estomac…, on aurait dit un baiser à répétition de vampire en manque.
Un hoquet me cisailla en deux…, le souffle court, je manquais trébucher dans un homme ou une femme-tronc, on n’aurait su dire, plus saignant qu’un roastbeef…, les corps disparaissaient sous les gravas et les débris des lampions et des luminaires ; écrabouillés sous les tables ; pilés dans les glaces à facettes et les fenêtres ; pliés dans les chaises ; engloutis par les amplis et la batterie.
Je traversais lentement ce qui restait du célèbre bastringue, en me frayant un chemin parmi les cadavres, parfois sans guibolles, sans bras ou sans têtes…, fauchés en pleine fête, une éradication radicale de la mauvaise graine…, sympathies pour le diable…, un carnage rock’n’roll.
Un gros tas de bidoche éclaté aux quatre coins…., comme si le bar et ses piliers avaient été moulinés dans un mixer géant…, selon les estimations les plus optimistes, j’aurais l’appétit coupé jusqu’en l’an 2020… et si paumé, si ahuri, que je crus l’espace d’une déglutition que j’allais devenir végétarien comme Alméric truc-muche dans une émission télé…, et comme Valérie de Saint-Tropez…, foutaises, coliques, je lâchai un chapelet de saloperies…, crachant ma bile !
Dans la salle, débités en cure-dents, les culs des bouteilles fracassées finissaient de se vider sur le gérant, mort au champ du zinc, la liquette à l’air, un soleil écarlate explosé au milieu du ventre, ses tripes en éventail dessinant des rayons aux reflets bleu-gris…, le percolateur de la machine à café qui s’était renversée l’avait éviscéré…, son armature, percée de part en part, chuintait…, un panache de vapeur blanche s’élevait dans la pénombre…, ça chantait une mélopée mélancolique de baleine échouée sur un banc de sable…
Que de mammifères foutus en l’air !
On ne sait pas ce qu’en aurait pensé Brigitte Bardot…, il y a des coups de pied aux culs des bébés-phoques qui se sont perdus.
Près du comptoir le comptable…, l’homme ne perdait pas beaucoup de sang tout comme d’habitude il ne perdait pas d’argent…, mais des bulles écarlates éclataient à la commissure de ses lèvres…, un bout d’acier lui avait perforé un poumon…, il finit par mourir d’une hémorragie interne avant l’arrivée des secours.
A ses côtés, des éclats innombrables, plantés comme des câpres dans son visage, le lui avaient haché menu et tartare, des pointes de fer noires avaient poussé sur son crâne nu…, ses mains reposaient sur les pages froissées du Monde qu’il ne consulterait plus jamais…, ses ongles en deuil faisaient un écho macabre à celui qui me frappait de plein fouet.
Au passage, j’avais entendu monter les plaintes des blessés, aussi insupportables que des pleurs de nourrissons, certains demandaient l’addition, mais un ahuri criait de profiter de la situation pour partir sans payer…, quelques-uns des rescapés se relevaient au milieu du désastre : muets…, leurs gestes de zombies se décomposaient au ralenti…, je ne reconnaissais pas leurs visages livides…, eux, dont une jeune métisse, ne me regardaient pas…., leurs yeux, perdus dans un océan de détresse sans fond, cédaient à l’étonnement d’être encore en vie et à la découverte du spectacle de cette folie furieuse et mortelle…, une hécatombe de millionnaires et de milliardaires venait de se dérouler…, y en avait pour surement un milliard de dégats selon la valeur des macchabées…, j’eus alors le réflexe de prendre des photos que je vendrais au moins un million d’euros à Paris-Match…, mais l’explosion avait brisé mon Samsung Galaxy III… pas de chance, un mauvais coup du sort…
A suivre ../..
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