3.000 euros la pipe et 5.000 euros le complet…
Dernièrement je discutais avec des amis…
Nous philosophions de choses et d’autres, entre hommes “vrais”, machos…, c’est à dire des femmes…, de la crise…, du devenir du monde… du devenir de nous-même et du sens de la vie… tout en nous amusant bêtement à transformer quelques citations célèbres, à la manière populaire… !
– “Le néant suit le gasoil”… Patrick… (L’existence précède l’essence… Sartre, L’existentialisme est un humanisme.)
– “L’âme est la motrice du corps”… Guy… (Le corps est le tombeau de l’âme… Platon, Cratyle.)
– “Tout fout le camp dans les horribles univers parallèles”… Moi… (Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles… Cette citation, généralement associée au Candide de Voltaire, en tant que satire de la philosophie Leibniz, n’est cependant pas présente telle quelle dans le texte original.)
– “Ignore-toi avec les outres”… Michel… (Connais-toi toi-même… Socrate. Il s’agissait là de la devise du philosophe grec, empruntée à l’inscription gravée au fronton du temple d’Apollon à Delphes.)
– “La femme est libre d’être soumise”… Patrick… (L’homme est condamné à être libre… Sartre, L’existentialisme est un humanisme.)
– “Le toi est aimable”… Guy… (Le moi est haïssable… Blaise Pascal, Pensées.)
– “Je suis tout à fait d’accord avec vos thèses, mais je ne lèverai certainement pas le petit doigt pour que vous puissiez les défendre”... Alain… (Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire… Cette phrase, attribuée à Voltaire, n’est présente sous cette forme dans aucun de ses écrits, ni même de ses correspondances.)
– “Le patrimoine, ça plane”… Patrick… (La propriété c’est le vol... Proudhon, Qu’est-ce que la propriété? ou Recherche sur le principe du Droit et du Gouvernement. L’anarchiste français a emprunté cette citation à Brissot de Warville.)
– “Ce qui me blesse me fait grossir”… Moi… (Ce qui ne me tue pas me rend plus fort… Nietzsche, Le Crépuscule des idoles.)
– “Ce qui est réel est rationnel et ce qui est rationnel est réel”… Alain… (Ce qui est rationnel est réel et ce qui est réel est rationnel… Hegel, Principes de la philosophie du droit.)
Alors que la soirée se terminait, bien arrosée, que les esprits s’embuaient et que nous faisions le deuil de rencontrer les déesses nues et ailées, commandées chez madame Rita au tarif de groupe… déesses qui nous auraient emportées au septième ciel… une jeune dame quasi nue mais sans ailes… est apparue, dardant notre assemblée d’un regard hautain :
– “Je m’appelle Angelina, je suis envoyée par Madame Rita, désolée du retard. Mes copines n’ont pu venir. Vous pouvez me poser une question, n’importe laquelle, mais une seule…et j’y donnerai une réponse, je reviens, le temps d’aller faire pipi et vous devrez avoir choisi votre question”.
Sur ces mots, la déesse a disparu, nous laissant surexcités et lancés dans des débats houleux, c’est que cette déesse semblait avoir un petit quelque chose de plus…
– “Fantastique ! Nous devons bien sûr demander quel est le sens de la vie, après tout c’est le sujet de notre dernière discussion”, a proposé Alain…
– “Je pense que nous devrions plutôt demander pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien”, a rétorqué Patrick. Entre deux bâillements, Guy a hasardé :
– “À mon avis, il voudrait mieux demander les numéros gagnants de la loterie de la semaine prochaine, car cette déesse m’a tout l’air d’être un ange” a dit Guy…
– “Je vais prendre la parole pour moi seul, vous êtes trop saoul pour suivre, je vais lui demander combien pour le reste de la nuit”... Ce fut la conclusion bannasse et pratique de Michel,…
Après une dizaine de minutes passée entre thèses, antithèses et synthèses, les yeux cernés, nous nous sommes accordés enfin !
La déesse est réapparue, cette fois nue et ce fut le choc…
– “Alors, quelle est votre question, bande de nazes ?”…
Patrick s’est alors levé en regardant l’entre-jambe de la déesse :
– “Nous nous sommes mis d’accord pour vous demander quelle est la meilleure question que nous devrions-vous poser, et quelle est la réponse à cette question ?”
– “Mais enfin, il s’agit là de deux questions”, a rétorqué la déesse courroucée, “de plus je m’attendais à une question plus sexuelle en rapport avec ma particularité… ! Que soit !”...
–“Pas du tout”, a corrigé Patrick, “il s’agit là d’une seule et unique question, qui attend une unique réponse en deux parties. Les meilleurs spécialistes de philosophie du langage ici présents pourront vous le confirmer”...
– “Vous êtes vraiment une bande de cons”, a maugréé la déesse en réfléchissant, “très bien, j’ai la réponse à votre question. La réponse est… : La meilleure question est exactement celle que vous venez de me poser, et la réponse à cette question est celle que je viens de vous donner… Sur ce vous me devez 1.000 euros pour mon déplacement”….
Puis, après que Guy lui eut donné deux billets de cinq cent euros…, lançant un dernier sourire condescendant à notre assemblée médusée, elle a disparu dans une sorte d’éclair lumineux !
Nul n’osait plus rien dire.
Finalement, la voix traînante de Michel à lancé :
– “Je savais que j’aurais du lui demander son meilleur prix pour le reste de la nuit avec moi”…
Et Guy a surenchérit :
– “C’était un ange, croyez-moi, on aurait dû demander les numéros gagnants de la prochaine loterie”…
Interroger non pas le réel, mais notre rapport au réel… c’est la méthode la plus radicale pour reprendre à la racine la question de notre rapport au monde.
Cela s’appuie sur ce que j’appelle la réduction, le suspend (en grec épokhè).
Il s’agit de mettre hors circuit la positivité des choses, mais aussi de nous-mêmes qui les percevons, les pensons ou les imaginons, afin de redécouvrir la manière dont notre conscience les vise… et ce, indépendamment de la question de savoir si ces choses et nous-mêmes existons réellement.
Or ce lien entre notre pensée et l’objet (la visée intentionnelle), ne se trouve ni dans notre tête ni dans l’objet, il n’est nulle part dans l’espace.
Ainsi, par exemple, quand j’écoute une mélodie, la musique, distincte des sons, n’est ni dans l’espace physique, ni dans ma tête, parce qu’il ne suffit pas que je vise les sons pour l’entendre comme musique.
Ou encore lorsque je perçois un lac au cours d’une promenade, cette perception ne se trouve ni dans l’objet (le lac), ni dans ma tête.
Elle n’est nulle part dans l’espace.
Ce nulle part, ce “rien que phénomène”, me hante.
Pourtant, le lac s’imprime en moi de manière directe et évidente, j’ai le sentiment de percevoir directement sa forme, son odeur même …
Mais le lac, circonscrit dans ses limites et sa forme, c’est une carte postale, c’est le cliché d’un lac, et non pas celui que je perçois quand je me promène.
Ce lac, je ne le perçois jamais que d’un point de vue, en esquisses et en mouvement, avec le vent qui le rend ondoyant, la lumière et la chaleur qui font vibrer l’eau au fil des heures.
Toute vision panoramique est abstraite et inhumaine, je suis alors dans le “voir” et non dans le “regarder”. Face à l’incommensurable du ciel, l’individu peut avoir la sensation qu’il n’est plus qu’un point parmi une infinité d’autres.
Il est dissout, absorbé par ce lieu sans lieux.
Le sublime est une expérience où l’individu prend conscience de ce qu’il vit au-delà de ses déterminations réelles et symboliques.
Il peut s’y perdre.
C’est à la fois fugace et fondamental…
Le sublime est un moment qui échappe au temps, il n’a ni passé ni futur.
Lorsque Descartes veut expliquer comment Dieu (celui des philosophes) crée l’Univers, il invoque un instant éternel, hors du temps : “De ce que j’étais à l’instant précédent, il ne s’ensuit pas que je sois face à l’incommensurable du ciel, on peut avoir la sensation de n’être plus qu’un point parmi une infinité d’autres”…
Le sublime est comme l’ouverture à l’énigme de la condition humaine.
C’est le rapport à la transcendance qui se noue devant l’illimité.
Dans la “Critique de la faculté de juger”, Kant soutient que, devant des phénomènes naturels comme des ouragans, des volcans ou des tempêtes, nous éprouvons, si du moins nous sommes en sécurité, le sentiment cumulé de notre insignifiance physique et de notre grandeur éthique.
C’est l’expérience de ce qui en l’homme dépasse l’homme.
Il y a quelque chose en nous qui nous dépasse absolument, dont nous avons la sensation dans le moment du sublime, mais que nous ne pouvons ni imaginer ni concevoir.
C’est “infigurable” : un dehors qui n’est pas spatial, qui ne se situe pas aux limites de l’Univers, surtout que l’on ne peut réduire au Dieu d’une religion.
Cela introduit, dans tout ce qui est déterminé, un facteur d’indétermination.
C’est ce qui fait que l’expérience humaine n’adhère pas à elle-même.
Tout individu a un rapport avec le sublime, quoique, en fait, je n’en sais rien, il existe aussi ce que j’appelle du sublime négatif !
Les constellations sont un bel exemple d’institution symbolique, nous partageons avec les Chinois le même ciel, mais pas mêmes constellations…
Le sublime se situe à la source du symbolique, mais participe d’un autre ordre.
Il existe aussi des expériences collectives du sublime, comme la “Révolution française”, ou le sublime désigne un moment bref du point de vue du temps historique : une, deux ou trois journées, pas plus, où les repères symboliques classiques s’effondrent et ou les acteurs se surprennent à faire des choses dont ils ne se sentiraient pas capables en d’autres lieux et moments.
Et la communauté se sent elle-même affectivement, non pas en vue d’elle-même, mais en vue d’une cause qui la dépasse : la révolution, la patrie, la nation.
Quelque chose comme une communauté utopique se manifeste : on n’est plus des “monades” seules face à notre condition.
Comme le dit Michelet à propos de la fête de la Fédération : “Il n’y avait plus de temps, un éclair de l’éternité” !
Cependant, dès que ce moment se ritualise, qu’il donne lieu à des célébrations et à des calculs, c’est qu’il s’est déjà retiré.
La révolution “se glace”, comme disait Saint-Just. Dans ce que j’appelle le transcendantal, se déroulent des événements très importants.
Au départ, il y a l’ambiguïté et la réversibilité imprévisible de l’amour et de la haine, on transmet son humanité, par des câlineries qui font naître en retour l’affectivité.
C’est le moment des échanges de regards dont le jeu peut être vicié dès l’origine.
J’ai longtemps cru que le regard ne pouvait pas mentir, mais il le peut !
La rencontre des regards peut aussi ne pas avoir lieu : c’est ce que j’appelle la “malencontre”, qui représente un traumatisme et peut mener jusqu’à la psychose.
Cette distorsion de l’affectivité, qui fait par ricochet mentir le regard, transforme le paradis en enfer, l’amour en haine.
Dans ce cas, le sublime n’est pas uniquement détruit : il devient négatif ou impossible (il n’y a plus que l’angoisse d’une perte irrémédiable).
De cet exemple de retournement, je conclus que l’homme est un être fondamentalement ambivalent.
Les générations précédentes, qui ont connu la guerre, ont réussi à échapper à l’angélisme qui exalte sans nuance la bonté du rapport à autrui.
Aujourd’hui, nous nageons dans le mensonge du politiquement correct.
Une police du langage, une forme larvée de totalitarisme de la pensée nous entrave.
Il faut réussir à déceler l’origine du mal, souvent lié à l’innocence et parfois à la beauté, comme l’a fait entendre Baudelaire dans “Les Fleur du mal”.
Le Beau et le Bien sont foncièrement ambigus.
Je suis comme Jean-Jacques Rousseau, en quête du paradis perdu de la Nature…
Ce qui m’en rapproche, c’est l’idée d’innocence du bien et du mal, qui vaut aussi bien pour les affections destructrices, comme la haine, que pour les affections constructives, comme l’amour.
Ces affections jouent de façon innocente, c’est la formule géniale de Nietzsche sur : “L’innocence du devenir” : “Tout est en devenir en nous dans les profondeurs affectives, et ce devenir est innocent”.
Je suis plutôt d’un tempérament mélancolique, mais je ne sais pas si tous les philosophes le sont.
Il y a un exemple qui me trouble, c’est celui de Spinoza.
Lui, c’est la joie, la béatitude.
Je crois que tous les philosophes parcourent, à leur manière, le même lieu d’interrogation.
C’est ce qui fait que la philosophie est “transhistorique”, seul change en fait le point d’entrée qui varie en fonction de la situation dans l’histoire et de la singularité des philosophes !
Bien…, avant de vous laisser vaquer à vos turpitudes, je vais vous donner la clé de l’énigme…, car énigme il y avait avec mon histoire vécue dans l’irréalité de ma réalité…
Avant de vous demander si nous avions fait un choix judicieux en posant une question aussi débile à une péripatéticienne transsexuelle, on peut remarquer que la déesse n’était pas un ange, même en se nommant Angelina…, car elle a donné une mauvaise réponse.
Si sa réponse avait été juste, alors la question aurait été la meilleure question que nous pouvions poser ; cependant, la réponse donnée par la péripatéticienne était inutile, tel ne pouvait pas être le cas si elle avait été un ange.
Il nous aurait été toutefois plus utile de lui demander s’il allait pleuvoir le lendemain !
Ce raisonnement alcoolisé n’exclut pas que la question posée par nous, n’était pas, en fait, la meilleure possible ; tout ce que nous avons montré, c’est que la péripatéticienne a donné une réponse fausse.
Mais si elle avait menti…, peut-être la question posée aurait-elle pu amener à une réponse profitable pour l’humanité, ou du moins, nous aurait-elle permis de jouir tout notre saoul !
Cependant, on peut également montrer facilement que ce n’était pas la meilleure question que nous pouvions poser.
Imaginons qu’elle était un ange, soit, mais existe-t-il des anges transsexuels ?
Alors, lorsque nous lui avons demandé via Patrick, quelle était la meilleure question…, la réponse correcte eut été que cette question était la meilleure question…, mais sa réponse n’avait aucun intérêt, d’autant qu’elle nous a coûté 1.000 euros pour des couilles… qui, soit dit en passant, n’ont pu se vider dans l’extase de “malaxements” jouissifs…
La question n’était donc pas la meilleure que nous pouvions poser.
Ainsi, aurions-nous pu mieux formuler notre question :
– “Quelle information nous serait la plus bénéfique de connaître ?”…
Et d’évidence, la vue de son sexe en attente rendait toute question inutile…
Encore fallait-il trouver un moyen d’éviter que la péripatéticienne ne réponde :
– “L’information qu’il vous serait la plus bénéfique de connaître, c’est que c’est 3.000 euros la pipe et 5.000 euros le complet, par individu”…
Hors de prix !