Août, sur une plage…
Quatorze heures de je ne sais plus quel jour, un samedi probablement car la plage est bondée, ici, des serviettes recouvertes de corps huilés, là des enfants en train de brûler sous le regard absent de leurs géniteurs insouciants, un peu plus loin, des tables de pique-nique garnies de tuperwares… et puis des bouées, des palmes, des sandales, des paréos… le sable fourmille d’humains : des femmes en maillots fleuris plus ou moins défraîchis, des hommes bronzés, d’autres pas, des qui lisent le journal, en Marcel sous le parasol, des athlètes tous sexes confondus qui s’agitent autour des filets de volley malgré la chaleur torride de ce début d’après-midi, des entrepreneurs en culotte courte supervisant la construction de châteaux éphémères… et puis quelques nageurs aussi… tel est le tableau d’une plage en été.
Mais pas n’importe quelle plage, car c’est celle que Roxane a choisie pour ses vacances cette année !
C’est toujours à quatorze heures qu’elle arrive, le meilleur moment pour une entrée en scène, quand la torpeur digestive et le soleil avachissent la paupière et la faculté de penser des estivants… le pied ailé dans ses tongs roses fluo elle avance, féline, un sac sur l’épaule assorti à son string happé par un derrière rond et bronzé, les yeux fixés sur le rivage, feignant d’ignorer les regards soudain braqués sur ses seins, libres et arrogants, bercés au rythme de ses pas. Jamais appât n’a attiré autant l’œil des hommes qui suivent, lèvres pendantes et le reste dressé, la lente progression de la belle… Roxane finalement s’arrête, déniche un carré de sable libre coincé entre une famille nombreuse, très nombreuse… et des bimbos bon marché qui, découragées par une si rude concurrence, décident de fuir.
Roxane soupire d’aise, étend sa serviette, chausse ses lunettes de starlette et, d’un geste lascif entreprend de s’enduire le corps de crème solaire… la foule retient son souffle, les hommes tentent de rester discret : à plat ventre c’est mieux… les femmes fulminent… les sportifs s’interrompent pour une mi-temps rinçage-à-l’œil… les enfants profitent de l’inattention générale pour faire des conneries… et même les mouettes s’arrêtent momentanément de brailler… quand tout à coup… Roxane se redresse, moite, luisante, essuie son front et la profonde vallée entre ses seins d’un élégant revers de main… de nouveau la tension et la température montent… comme d’un commun accord, les regards convergent vers la belle qui décide de s’allonger, commence à lire, se laisse presque oublier jusqu’à ce que l’atmosphère redevienne respirable.
Les sportifs retournent à leurs ballons, les hommes se remettent sur le dos, les mères engueulent leurs bambins, les mouettes lâchent quelques guanos, on referme les tuperwares où le sable colle à la mayo, on déplace le parasol, on pète en espérant que le vent emportera l’odeur au loin, on va se tremper les doigts de pieds parce que, merde, on est quand même pas venu à la plage seulement pour se faire rôtir comme des cons… bref, la vie reprend le cours normal d’une journée à la mer en août !
Avant de s’éloigner vers l’eau, Roxane se penche pour poser sac et tongs sur la serviette évitant ainsi qu’elle ne s’envole. La position aidant, les fesses un instant se séparent et on plisse les yeux pour deviner au milieu, la ficelle du string… ah, curiosité quand tu nous tiens… mais… elle n’a pas de string, stupeur… l’effervescence est à son comble mais Roxane ne semble pas le remarquer… et elle avance, digne comme une reine, la démarche souple et assurée.
Dès ses premiers pas dans l’eau, son corps accuse la différence de température en faisant pointer ironiquement le bout de ses seins… Roxane prend son temps… elle avance lentement… l’eau lui arrive aux genoux, au cul, au ventre qu’elle creuse en gonflant ses poumons… puis les seins à leur tour commencent à s’enfoncer, glissant dans la mer comme deux splendides soleils couchants… et enfin, comme happée, Roxane tout entière disparaît.
Depuis la plage, on regarde son absence et les ronds qu’elle a laissés à la surface de l’eau… les secondes passent, trop nombreuses… les femmes comprennent en premier, mais gardent le silence… puis les hommes ré-enclenchent la fonction cerveau… un trou d’eau… la sirène est en train de se noyer… alors soudain, c’est la ruée… une ruée quasi exclusivement masculine, est-il besoin de le préciser… on joue des coudes pour aller sauver Roxane car aucun n’ignore que le trophée du vainqueur sera un bouche à bouche avec la victime… et peut-être en prime un massage cardiaque.
Suspense… le cercle de mêlée se resserre. Les moins endurants sont déjà éliminés, pas de pitié pour les braves… les femmes observent la course de leurs maris, priant secrètement pour que celui d’une autre leur fasse un croc-en-jambe… un vieux pervers encore rapide pour son âge attrape un jeune volleyeur par le maillot… ce dernier, le slip à mi-cuisses, abandonne la lutte pour cacher au plus vite ses tout-petits attributs… mais le vieux pervers à son tour est violemment bousculé par un père de famille sportif du dimanche.. le père est enfoncé sous l’eau par le bras volontaire d’un quadra bedonnant mais motivé…
Mesdames et messieurs, c’est de la folie pure, nous n’avons maintenant plus que trois concurrents en course pour le sauvetage de Roxane… mais, comme une page de pub balancée au moment crucial de l’intrigue, un grand blond type suédois, trop élégant pour être hétéro, débarque et devance les presque-vainqueurs… il plonge, remonte Roxane sans ménagement et la remorque jusqu’à la plage pour exécuter les manœuvres de sauvetage.
– “Écartez-vous s’il vous plait !”… crie le grand blond… et l’on s’écarte avec mauvaise volonté… Roxane tousse, crache, bave, se mouche, puis retrouve finalement son élégante dignité.
– “Vous devez être maître nageur !”… murmure-t-elle au grand blond penché au-dessus d’elle en lui coulant un regard séducteur.
– “En personne… La prochaine fois, faites attention, ok?”… lance le grand blond en faisant déjà mine de s’éloigner… alors que dans les rangs encore proches, ça transpire de jalousie.
– “Attendez”… supplie Roxane : “Vous ne pouvez pas me laisser comme ça ! Accompagnez moi jusqu’au café là-bas, j’ai grand besoin d’un remontant”…
De la plage on les regarde s’éloigner, les hommes fulminent, les femmes rient sous cape, elles ont déjà compris que Roxane allait se ridiculiser en essayant de séduire ce charmant maître nageur peu souriant mais très gay, ce qui ne signifie pas joyeux.. alors, ce soir probablement, une fois de plus, Roxane ira noyer son chagrin à l’alcool et remuer son superbe corps sous les yeux brillants de mâles heureux dans le night club de l’Hôtel-de-la-Plage.
Bon gré, mal gré, le maître nageur taciturne épaule Roxane qui s’accroche, caressante, à son bras, et le flatte sur sa superbe musculature… mais ceci est une autre histoire… elle leur donne tout ce qu’ils désirent pourtant… comment pourrait-elle se douter que c’est peut-être justement parce qu’elle leur donne tout qu’ils n’attendent rien de plus… mais Roxane garde l’espoir de rencontrer un jour l’âme sœur.
Après le dîner, puisqu’il faut encore patienter, Roxane va traîner ses jolies jambes au Lounge… douce pénombre d’une salle en sous-sol, musique feutrée, tintement discret des verres à cocktail… tous ceux qui sont ici, ou presque, attendent l’heure d’ouverture du Club… alors on s’épie, l’air de rien, on jauge, on soupèse, on prépare une attaque ultérieure, chacun cherche son chat… sa chatte… voire plus si affinité… puis les degrés des boissons délient peu à peu les langues… commu- d’abord, -niquer après… on s’effleure un bras, une épaule, une cuisse… lueur lubrique à peine contenue au fond de l’œil… et lorsque l’horloge sonne, le troupeau d’humains s’en va, docile et vaguement titubant prendre possession de la piste de danse du Night Club… sous les lumières mouvantes et multicolores, les corps s’agitent, soubresautent en rythme… déhanchements sensuels, peaux moites, on se met en valeur, comme sur l’étal du poissonnier, on se lisse l’écaille.
Lier connaissance au Night Club, c’est rapide… ou impossible… ou les deux..; décibels obligent… alors on se frotte en guise de dialogue d’introduction, on se sourit en guise d’acquiescement… et, bien entendu, les choses évoluent comme prévu : Super-Con raccompagne Roxane… bien entendu, elle lui propose d’entrer prendre un dernier verre dans sa chambre… bien entendu il accepte… bien entendu les choses se terminent entre les draps… bien entendu une fois de plus Roxane espère que ce sera le bon… comme d’habitude après l’amour elle a envie de dire“Je t’aime”en croyant le penser mais elle se contente de demander “Tu as aimé?”… en silence Super-Con acquiesce… lui caresse le visage en la regardant dans les yeux d’un air étrange… elle y croirait presque cette fois… elle lui sourit.
“Regardez-moi!”…, semble clignoter sur tous les fronts, mâles ou femelles… Roxane, elle, a déjà jeté ses hameçons… elle attend en dansant que l’un d’eux morde, yeux fermés, son visage tendu vers les cieux, sa gorge superbement mise en valeur… imperceptiblement un cercle se forme autour d’elle, mais elle s’esquive… c’est un homme qu’elle veut, pas devenir un centre d’attraction.. elle jette un œil alentour dans l’espoir de ferrer et croise son regard… lentement mais d’un pas conquérant, il s’approche sans cesser d’onduler du bassin… éblouie, Roxane vient de découvrir son super héros : panoplie presque complète, musculature saillante, mâchoire virile, cheveux gominés, jusqu’au costume qu’il porte, pantalon moule-burnes, tee-shirt lycra façon seconde peau sérigraphié d’un gros Z qui pourrait vouloir dire Zéro… Roxane joue les blasées et se laisse approcher l’air de rien, le regard presque distant… puis il lui sourit, comme dans une pub pour dentifrice… et la belle se sent fondre… conquise, elle imagine Super-Con volant vers elle et l’emportant au loin dans sa garçonnière ou ils vivraient heureux pour l’éternité… elle a des rêves un peu naïfs parfois quand elle pense à l’amour, le grand, le vrai, elle qui ne sait que susciter le désir… mais ce peut être un début me direz-vous…
– “Tu sais, je suis beaucoup moins bête que ce que je suis belle !”… la pertinence de la remarque fait rire Super-Con qui décide de prendre le risque d’apprendre à mieux connaître cette surprenante personne… et c’est ainsi que le destin de Roxane croise le chemin du tueur en série le plus recherché du moment… mais ceci n’est que la fin de cette histoire…