Au commencement était le sexe, puis vinrent les parts de marché…..
Au tournant des années ’70, l’économie de marché fit de la libération sexuelle une industrie gigantesque, l’invention du sigle « X » a chassé les films pornographiques des salles dites «traditionnelles»… et ce cinéma devenant vidéo-porno s’est de mieux en mieux porté et a drainé derrière lui une économie à la fois florissante et exsangue.
Florissante, car la consommation de produits pornographiques a littéralement décollé, l’étude la plus sérieuse et objective sur le sujet semble être celle du magazine Forbes, qui estimait que le marché du X avait généré en 2000, environ 7 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Exsangue et capable des pires dérives, car la majorité de ses fructueux revenus finissent soit éparpillés dans une nébuleuse sans structure ni autre dessein que le (petit) profit immédiat, soit dans les caisses d’industriels aux mains propres…., car le “X” paie, mais ne profite pas qu’à ses auteurs.
Comme pour tout marché, la pornographie dépend d’abord de la demande, or la demande semble sans limites, en France, 8 millions de personnes consomment du “X” sur les chaînes câblées, un million sont abonnées à la chaîne spécialisée “XXL”…. et un quart de l’audience des films “X” de Canal+ est constitué par des acharnés qui la regardent cryptée contribuant ainsi à la lente déglingue de cette chaine TV. Les mêmes font peut-être partie des 80 % d’internautes qui sont un jour passé volontairement par un site interdit aux moins de 18 ans.
La demande est donc là, permanente, sans cesse renouvelée, mais de là à y gagner des fortunes, les temps ont changés…, l’offre est surabondante, inchiffrable, complètement diluée… Comme l’expliquait Gregory Dorcel, président de la célèbre entreprise au nom de papa Marc Dorcel, soit la première société française productrice de films X , cette dilution, c’est la tendance lourde de tout le marché, déclenchée par une chose : le développement des chaînes de télévision et le pay-per-view. Si la première révolution du marché est celle de la vidéo, qui la première a considérablement réduit les prix de fabrication et démocratisé l’accès au genre, les technologies numériques ont, elles, dans les années ’90, transformé un marché déjà déstructuré en une nébuleuse désormais incontrôlable : le “X”, toute question morale mise à part, est un métier qui ne demande ni compétence particulière ni budget démesuré. Pour quelques milliers d’euros aujourd’hui, des centaines de petites sociétés de production, voire de simples particuliers, saturent le marché de leurs productions maison. Une tendance déclenchée en Europe par une « amatrice » nommée Laetitia, et qui concerne aujourd’hui la moitié des productions disponibles. Il y a aussi les grosses productions plus chics, plus sobres aussi, comme Marc Dorcel, Vivid, Colmax ou Private, et puis il y a tout le reste, produit pratiquement pour rien, peu importe par qui, et surtout souvent beaucoup plus « hard ». Elles représentent la moitié du chiffre. Cette tendance à la dilution s’est en effet accompagnée d’une autre, tout aussi évidente : la mise en scène de pratiques de plus en plus extrêmes, et de plus en plus directes. Une double raison, purement économique, à cette dérive qui fait aujourd’hui le lit de toutes les polémiques ; à la fois l’ultra concurrence sauvage du secteur et le type de consommation qui l’accompagne : une consommation impulsive, immédiate !
Dans les hôtels par exemple, 80 % du chiffre d’affaires réalisé sur le principe du film à la demande, lequel rapporte plus que tous les autres services hôteliers, sont fait de films pornographiques, or il faut attirer immédiatement pour être acheté. Même constat pour les jaquettes des cassettes et DVD : seuls trois ou quatre sociétés ont le pouvoir, l’argent et une politique de marque ; tous les autres usent du seul aspect visuel, donc choquent, pour appâter les clients onanistes.
Dilution et images chocs se retrouvent aujourd’hui à tous les niveaux de la chaîne : dans les revues disponibles (où, étrangement, le seul sous-secteur en nette augmentation concerne les pratiques homosexuelles), dans les dizaines de boutiques spécialisées, dans les catalogues de la petite dizaine de distributeurs officiels de films X, tant chez les trois plus importants (Milord Production, Mediagest et Mediavision) que chez les plus petits, importateurs parfois indélicats. Le problème de ce business, au niveau des magasins, c’est la revente des droits. On retrouve très souvent les mêmes films sous d’autres titres et d’autres jaquettes ; une production française peut par exemple revenir en doublon dans le circuit via un diffuseur hollandais, qui change la jaquette, et qui le distribue.
Dans le X, dès qu’une société achète un film, elle en fait ce qu’elle veut. Le statut du cinéma pornographique pèse lourd en effet sur son économie. En France par exemple, le cinéma X n’est pas reconnu par le CNC, Centre national de la cinématographie. Il « bénéficie » donc du même statut que les documentaires en cas de diffusion : les producteurs sont payés au forfait et non au pourcentage des recettes qu’ils génèrent. Résultat : si au début des années ’90, la télévision, les chaînes câblées et les bouquets satellites ont assuré les beaux jours du X, aujourd’hui, les mêmes lui maintiennent la tête sous l’eau, en plafonnant les forfaits en question : pour posséder et diffuser un film pendant un an, les chaînes s’accordent pour plafonner les prix d’achat moyen aux environs de 5.000 euros. Ce prix d’achat dérisoire, rendu possible par la pléthore de productions à coût et qualité minimaux, empêche aujourd’hui les sociétés installées de proposer des productions dont les budgets, exceptionnels dans le milieu, dépassent les 140.000 euros, comme chez Marc Dorcel ou Colmax.
Chez Colmax, société parisienne forte de 750 films, 20 employés, et 3 millions et demi d’euros de chiffre d’affaires, en progression de 18 %, on n’hésite pas ainsi à dire que la télévision se fait des fortunes sur le produit de leurs films achetés ridiculement bas, et s’en servent ensuite pour acheter des films traditionnels. Et si les rares grands du X continuent de survivre et de produire, toute proportion gardée, des films de qualité, c’est selon leurs propres aveux grâce à leur seul catalogue de films, à la fois internationaux (les consommateurs se fichent de la langue, dixit les spécialistes) et par essence inusables.
L’explosion du marché du DVD et évidemment internet leur permettent de revendre sans cesse le même produit : et pour quatre nouveautés éditées chaque mois en cassette vidéo, dont une seule production propre, Colmax et Marc Dorcel éditent 8 à 10 DVD. Dilution du marché, productions minimales, statut particulier, escalade concurrentielle, prix forfaitaires plafonnés… les professionnels s’accordent pour constater qu’il est interdit au “X” de trouver une viabilité. La conclusion du réalisateur de films “X” John B. Root, (appréciez l’alias), qui dans un numéro de “Libération” répondait d’une carte blanche et de quelques chiffres aux attaques de plus en plus violentes dont fait l’objet l’industrie pornographique : “On reproche au X d’être un sous-produit, mais on l’empêche par tous les moyens de se montrer respectable”.