Cachez ces vulves que je ne saurais voir…
Ce message n’est pas subliminal, c’est bien celui qui a été adressé en août 2013 au journal étudiant australien “Honi soit”, dont la couverture a été censurée parce qu’on y voyait 18 sexes de femmes, un fait révélateur du fossé entre les sexes.
“Ah bah le voilà le fumeux De Bruyne de GatsbyOnline qui va encore nous faire chier avec ses inégalités hommes-femmes et ses histoires de féminismes, gnagnagna. Mais c’est normal qu’un zizi soit différent d’une choupinette, y a rien qui dépasse chez la fille, ducon !” penseront certains en voyant le titre.
Sauf qu’à défaut de parler inégalité physique (la nature y est aussi parfois pour quelque chose), j’allais parler d’inégalité dans la représentation.
Un récent projet d’étudiantes australiennes, qui avaient osé orner la couverture de leur journal universitaire de 18 photos de vulves, s’est vu censuré en raison de son “obscénité”.
Volonté de choquer, provoquer, exciter ?
Même pas, juste un message prônant la libération du corps mais surtout de l’esprit…, car ici, une nouvelle fois, le sexe faible ne fait pas le poids face à la toute-puissance du pénis…, seins découverts mais vulve dissimulée : les sexes féminins sont plus cachés que ceux des hommes…
Elles estiment que leurs vulves sur la couverture ne sont pas sexuels : “Nous ne sommes pas toujours sexuelles. La vulve peut et doit être montrée sous tout ses aspects sans connotation sexuelle ; il s’agit seulement d’une partie de notre corps, comme d’autres. Pouvons-nous vraiment être si naïves pour penser que nos vulves sont les choses les plus obscènes et sexuelles de notre corps ?”…
Militer pour désexualiser son sexe, comme d’autres le font pour les seins en quelque sorte, et réaffirmer le besoin de savoir que leur vulve est belle et apprendre à l’aimer…, leur propos s’inscrit dans la lignée du Large labia project (australien lui aussi !), qui entendait rappeler que toutes les formes de vulves existent, sans avoir à complexer, et de la Vulva university de Dorrie Lane, qui vous apprend à mieux connaître votre corps et notamment sa partie la plus intime.
Ceci pour faire oublier le standard véhiculé par le prisme déformant du porno où rien ne doit dépasser, le modèle rester tout lisse et (sembler) parfaitement propre…., totalement aseptisé en fait.
Et pendant que les mecs sont tout fiers de leur verge, véritable incarnation de leur virilité, font des concours de qui-pisse-le-plus-loin ou scrutent qui-a-la-plus-grosse sous la douche des vestiaires, les filles n’entrent pas dans cet aspect compétitif.
Les uns cherchent à montrer, les autres doivent cacher…, quand on propose aux premiers divers services pour élargir ou agrandir leur pénis, les secondes sont de plus en plus nombreuses à recourir à la chirurgie pour se couper cette soi-disant anormalité qui dépasse chez certaines…, comme l’expliquait un documentaire d’une journaliste britannique intitulé “The Perfectvagina“…
Le sexe féminin, bien que partout, ne se montre pas, l’excellent article du site Barbi(e)turix le rappelle : “Sur les couvertures des magazines érotiques, dans les vidéos pornographiques trônent toujours les mêmes sexes lisses et épilés. Aucun repli, aucune lèvre qui ne dépasse, aucun clitoris prépondérant. Pourtant, les petites lèvres dépassent les grandes chez 75% des femmes environ. L’iconographie du corps de la femme, et plus particulièrement de son sexe, sont hautement révélatrices de la place qui lui est faite dans la société. Mais si aujourd’hui on voit la vulve en long, en large et en poster, ce ne fut pas toujours le cas”…
La représentation du sexe masculin à travers les siècles est omniprésente.
Chez les Grecs, monsieur voit son paquet illustré sans complexe quand madame a toujours quelque chose pour recouvrir son pré.
Cupidon et Psyché nus : les Grecs représentaient le sexe des hommes mais cachaient celui des femmes…
“Sur de nombreuses peintures et dessins, la femme nue est représentée avec une ‘draperie mouillée’, dissimulant son sexe avec sa main ou une feuille de vigne. Parfois, elle s’illustre dans des positions ‘obscènes’ avec des animaux tels des crapauds ou des serpents pour souligner l’aspect zoophile, animal, bestial du sexe féminin. Pour signaler la monstruosité de la vulve. Son caractère sexuel (évidemment puisque c’est un sexe) est conçu comme un danger. On voit alors apparaître le mythe du vagin denté. La Méduse de Caravage dessine en réalité un sexe denté et béant, dont les cheveux figurent des poils pubiens aussi menaçants que des serpents. Le sexe féminin est rarement montré tel qu’il est. Il demeure un symbole du péché, une personnification du diable, du mal. La vulve met en lumière les instincts les plus bas chez l’homme, l’instinct sexuel”…, poursuit l’article…, ce qui explique en partie pourquoi “L’Origine du monde” fit scandale en 1866.
Accusé d’être une œuvre provocante et pornographique, le tableau devra des années durant rester caché des âmes sensibles…, comme par hasard des enfants, mais aussi des femmes…, et recouvert d’un autre tableau par ces différents propriétaires, dont le psychanalyste Jacques Lacan.
Courbet a toutefois osé montrer l’inmontrable, le “fruit sacré” dans son état brut.
Outre l’art, la médecine, notamment aux XVIIIe et XIXe siècles, joue un rôle très néfaste à l’émancipation de la sexualité féminine.
Les docteurs Samuel Auguste Tissot puis Isaac Baker Brown, avec leur vision moyenâgeuse, font tout pour combattre ce fléau que constitue l’onanisme, notamment féminin et perpétue cette image de mépris des hommes à l’égard du clitoris…
Oui, le porno a sans doute une part de responsabilité dans cette pression sociale et sociétale qui impose des sexes entrant parfaitement dans un moule précis (sans mauvais jeu de mots bien entendu…).
Mais c’est avant tout parce qu’il reste aujourd’hui, malheureusement, le premier voire le seul accès à la sexualité et sa représentation dès le plus jeune âge.
Outre l’éducation scolaire qui devrait être plus ouverte sur la question, la législation devrait également s’avérer moins stricte, comme dans le cas des étudiantes australiennes (qui aurait très bien pu arriver en France), pour expliquer que le corps n’est pas tabou et que ses parties censément intimes ne doivent pas être constamment considérées dans une vision sexuelle et suggestive.
Ceci permettrait d’ailleurs d’arrêter l’hypocrisie du “devoir de protection” des enfants dès que l’on voit une fesse ou un bout de sein (dans la mesure où cette illustration n’a pas de visée sexuelle, entendons-nous bien, et qu’il ne s’agit pas d’un argument pour vendre sans raison un yaourt ou une bagnole).
Qui n’a jamais vu ses parents nus, voire plus ?
Ce fut-il un trauma indélébile ?
Non, à partir du moment où on explique que cette représentation naturelle, le corps à nu et toutes les parties qui le composent font partie de la vie.
Il est également intéressant et assez révélateur d’étudier le nom donné à travers les siècles à ces parties spéciales du corps.
Vous trouverez ici un référencement pour le sexe masculin et ici féminin.
On remarque que les expressions pour désigner le sexe féminin sont beaucoup plus nombreuses et souvent plus poétiques (trésor, court de tennis aphrodisiaque ou grotte de Vénus) que son homologue (le persuadeur, le champion ou la torpille corned-beef), ce qui signifie probablement que la société a eu plus de mal à prononcer le mot vagin que pénis.
Vous remarquerez aussi que la plupart des noms donnés à la fameuse zone de madame le sont en rapport au plaisir à donner à l’homme… et pas ou peu l’inverse.
Comme le rappelait le sexologue Pascal de Sutter : “La beauté, c’est une question de perception et cela s’apprend. Cessons dès l’enfance de faire comprendre aux gamines que leur sexe doit être caché parce qu’il est sale et dégoûtant. Et changeons de vocabulaire : plutôt que d’utiliser des termes vulgaires et indécents comme ‘con’ ou ‘chatte’, parlons de ‘fleur’, de ‘pétale’ ou de ‘fruit’. Tout cela fait partie de l’éducation érotique : c’est ainsi que l’on peut apprendre à aimer sa vulve et à apprécier qu’elle soit dégustée”…
Avant d’être bien dégustée, cette gourmandise doit ainsi non seulement être découverte mais aussi et surtout respectée : “On ne naît pas femme, on le devient”…
C’est en effet seulement une fois qu’on aura assumé le vagin comme une partie du corps à part entière et non comme une absence…, “en un sens, elle n’a pas de sexe”, rappelle Simone de Beauvoir…, que ce “deuxième sexe” combattra à armes égales avec le pénis.
Et peut-être qu’un jour, au même titre que pour le zizi, on saura tout sur la choupie !