Clubs échangistes : cul, morne plaine…
De façon paradoxale, c’est dans les clubs qui, en théorie, incarnent l’idéal d’une vie de couple sans tromperie ni frustration, que l’échangisme se serait sclérosé jusqu’à ne plus être qu’un ersatz d’orgie, une partie de jambes en l’air assaisonnée d’interdits, de muflerie et de misogynie.
Ces lieux existent encore et forment une galaxie d’environ trente clubs et saunas parisiens qui, sous couvert d’épicurisme, permettent à des inconnus de vous frôler, de vous palper et, s’ils vous plaisent, de vous sucer ou de vous prendre.
Le plus ancien club recensé en France date de 1934 : c’est le Roi René, situé à Ville d’Avray, près de Paris, qui aurait inauguré la mode des “boîtes à cul”…, il faut payer environ 60 euros par couple pour y entrer (buffet, piste de danse et “coin câlin” compris).
A la différence des backrooms gays, résolument bière-béton, les clubs hétéros présentent pratiquement tous l’aspect de boudoirs et de baisodrômes mondains, ornés de miroirs en toc, de lustres tapageurs ou de poufs en velours rouge sang à l’esthétique faussement chic qui encouragent les clients à se proclamer libertins, par abus de langage…, les libertins des 17e et 18e siècles n’avaient certainement rien à voir avec ces couples et ces célibataires qui s’amusent le samedi soir en se réclamant de la liberté des mœurs.
Officiellement, l’échangisme repose sur un idéal de fidélité que les adeptes résument ainsi : “Au nom de quelle morale dépassée devrions-nous vivre notre vie entière en compagnie d’un seul partenaire ? Si nous avons envie d’expériences nouvelles, pourquoi devrions-nous le faire dans la honte, le secret et le mensonge ?”.
Pour la plupart des échangistes en France, les “parties” (ou partouzes) sont des soirées au cours desquelles chacun peut jouir séparément, satisfaire ses envies et s’envoyer en l’air sans léser ni blesser personne.
L’échangisme repose sur l’idée qu’il est possible de vivre avec son épouse ou son compagnon une sexualité à plusieurs, sans éprouver de jalousie…, ce qui suppose une confiance minimum entre les partenaires.
L’échangisme serait, à en croire les pratiquants, la façon la plus efficace de renforcer les liens amoureux et d’éviter les déchirures que génère inévitablement la sacro-sainte monogamie.
De ce bel idéal, les clubs se réclament de façon si tragiquement grotesque que la plupart des vrais échangistes évitent soigneusement de les fréquenter : ils préfèrent organiser leurs fêtes privées entre amis de cul, loin de ces lieux sordides aux allures de bordel…, ils préfèrent même éviter de se dire “échangistes” tant le terme est péjoratif.
Dans le cadre des clubs, l’expression même d’échangisme relève du leurre…, cette pratique ne concerne pas uniquement les couples désirant permuter (s’échanger), elle concerne surtout des hommes seuls qui trouvent plus revalorisant de jouer la comédie de la séduction, coupe de champagne et chandelles à l’appui, que de s’offrir une prostituée dans la rue.
En clair : les clubs sont des maisons de passe déguisées où les clients, essentiellement des hommes, payent plein pot le droit d’entrée à des soirées hypocritement surnommées “trios” ou “mixtes”, dans lesquelles les femmes mariées et les petites copines leur sont jetées en pature.
Encore faut-ils qu’elles apprennent à dire non, qu’elles tapent sur les mains balladeuses, qu’elles surveillent l’origine des fluides dont on barbouille leurs orifices et qu’elles soient munies d’un bon garde du corps, capable de repérer les tricheurs (ceux qui se débarrassent des capotes entre deux coups de rein ou qui profitent d’un coin d’ombre pour éjaculer dans la figure).
La promiscuité n’arrange rien, mais il y a des femmes qui aiment ça…, il y en a même qui s’abandonnent ravies aux joies du fast-sex, parce que leurs fantasmes sont remplis de corps inconnus et d’hommes sans visage…, elles se laissent donc emporter comme par une marée d’amants, par saccades… et pour ces “fantasmeuses”, certainement, les clubs ne sont plus ces PMU du coït vite-fait où des légions d’hommes seuls et frustrés viennent décharger leurs doses d’insatisfactions…, ce sont pour elles des endroits de rêve…, mais pour les autres, il y a au moins six points sur lesquels les clubs posent un problème.
1/ Les prix d’entrée.
Partant du principe que les hommes seuls peuvent bien payer le double de ce que payent les couples, beaucoup de clubs accueillent des célibataires qui payent très cher le droit d’être indélicats. Ils ne voient pas forcément la différence entre une prostituée et une échangiste. Normal. Ils ont déboursé, pour entrer, l’équivalent d’une passe. Ces hommes seuls n’ont donc qu’un seul espoir : pouvoir goûter la marchandise. Et tant pis si celle-ci ne partage pas la même vision du monde.
2/ Le dress-code.
Partant du principe que seules les femmes sont échangeables dans cet univers somme toute très conventionnel (prête-moi ta femme, je te l’échange contre la mienne), les clubs ont instauré le principe de la tenue vestimentaire de rigueur. Les filles en pantalon sont mal vues dans ces endroits. Elles doivent avoir les jambes libres, jupe courte et porte-jarretelle si possible, pour dégager l’accès. Les hommes, soumis à moins d’exigences, peuvent se contenter d’une tenue casual sombre. En résumé : tenue de pute pour les femmes, complet noir style mafioso pour les hommes.
3/ L’homosexualité masculine interdite.
Partant du principe qu’on n’est pas des pédés, les hétéros qui hantent les clubs et qui en constituent parfois la grande majorité (au point que certains clubs ressemblent à des backrooms : 90% de mâles), écartent le démon de l’ambivalence en regardant d’un sale œil les transsexuels, les bis, les gays et les travestis. Pas question de se livrer à des attouchements entre mâles, même si le fait de prendre une femme à plusieurs vous amène à frôler quantités de pénis. La sodomie entre hommes relève du tabou. L’anus doit rester vierge et l’honneur sauf.
4/ L’homosexualité féminine obligatoire.
Partant du principe que les femmes sont là pour faire monter la sauce, les hommes les encouragent à se draguer et à se “gouiner”, histoire de briser la glace entre couples. C’est donc aux épouses/copines de prendre l’initiative lorsqu’une fille plaît à leur compagnon. Elles abordent donc et caressent l’autre fille qui, suivant les conventions propres à l’échangisme, doit faire mine de trouver cela agréable. Les hommes font alors semblant de prendre plaisir à ce spectacle et, la contagion aidant, touchent à leur tour les deux femmes puis leur font l’amour. Ils appellent cela de la courtoisie.
5/ La pratique du passeport.
Partant du principe qu’il faut éviter de payer trop cher, beaucoup d’hommes viennent avec une femme nommée passeport, qui n’est pas la leur et dont ils payent l’entrée. Elle fait office de partenaire. Il s’agit la plupart du temps d’une collègue de bureau curieuse, d’une copine délurée ou d’une fille recrutée par petites annonces qui veut voir à quoi ressemblent les clubs. Il est difficile de savoir quel est le pourcentage de couples illégitimes dans les soirées échangistes : la moitié ? Par un curieux retournement du sort, il semblerait donc qu’une partie des client(e)s de clubs trompent joyeusement leur conjoint. Sous couvert d’échangisme, ils pratiquent l’adultère.
6/ La musique.
Partant du principe qu’il faut, pour créer une ambiance, pousser le son très fort, beaucoup de clubs dissuadent leurs clients de parler avec d’autres couples. Il faut hurler pour se faire entendre, ce qui n’est guère propice aux rencontres. Cherchant refuge dans les salles aux parois molletonnées ou les cabines obscures, beaucoup de couples croient trouver une plus grande intimité dans les recoins. Hélas. Aux heures de pointe, il faut se résoudre à faire l’amour devant des cercles de voyeurs qui se masturbent et parfois même commentent vos prestations à voix haute. Dans ces moments-là, on aimerait que la musique soit plus forte encore pour ne pas les entendre.
En voici quatre témoignages :
Les clubs échangistes ne représentent que la partie émergée de l’iceberg, “la moins représentative” à en croire certains amateurs qui énumèrent les autres et multiples manières d’échanger leurs envies, leurs fantasmes, voire leurs partenaires.
Frédéric, 48 ans, informaticien…
“J’ai voulu faire de l’échangisme, sous l’influence des films pornos, parce que je vis à mon époque et que l’époque, justement, propose comme modèle la sexualité de groupe… Quand on voit des films X, on a envie d’essayer pour voir. Le tout, c’est de ne pas mettre en danger son couple… Tout a commencé en 1993 : je venais d’avoir 30 ans, c’était un tournant dans ma vie. Cela faisait six ans que je vivais avec mon amie, Valérie, et j’avais envie d’essayer de nouvelles choses… A ce moment, justement, la presse s’est mise à parler des boîtes échangistes parce que le phénomène se démocratisait. D’entendre parler de ces lieux-là comme d’endroits sulfureux où il se passait des choses, ça m’a rendu curieux. Quand un plaisir existe, pourquoi s’en priver ? J’ai demandé à Valérie si elle voulait tenter l’expérience. Entre nous, tout allait bien, aussi bien sur le plan sexuel que sur le plan sentimental. Mais elle l’a très mal pris. La première chose qu’elle a répondu c’est “Tu ne m’aimes plus ? Tu veux me tromper ?”. Il a fallu que je la rassure. J’ai mis six mois à lui faire changer d’avis, ça n’a pas été évident ! J’ai insisté, sans être trop lourd, en essayant de lui faire comprendre ma démarche. Je lui ai expliqué que c’était juste de la curiosité, que j’arrivais à une période de ma vie où j’avais envie de baiser avec d’autres personnes… Je lui ai expliqué que ça ne remettait pas en cause notre couple et que c’était certainement le meilleur moyen de satisfaire des fantasmes, sans faire souffrir l’autre… Personnellement, l’idée de mener une double-vie me fait horreur. L’adultère, c’est la misère absolue. Je me contentais de dire à Valérie : “On est à Paris, on est jeune, on est beau, j’en ai envie”. Ça avait au moins le mérite d’être clair et franc. Pour qu’un couple vive, il doit éviter les frustrations. Alors, au bout de six mois, un soir, Valérie m’a dit “OK, allons voir”. On est allé au 2+2. A cette époque, c’était un des clubs les plus connus de Paris, le premier à s’être lancé dans l’échangisme. Mais il donnait une impression de sordide : pas d’hygiène, une décoration hideuse et une clientèle de vieux. Il y avait même une prostituée dans la salle. En voyant ça, j’étais un peu réfrigéré ! Valérie et moi, on a bu deux vodkas chacun, pour commencer. Il fallait bien se détendre… Ensuite, elle s’est un peu exhibée tandis que je la caressais. Quand on est descendus au sous-sol, il y avait des couples mélangés dans la pénombre. Valérie s’est fait peloter le derrière, sans prévenir. Elle m’a serré la main parce qu’elle avait peur et on est vite remontés. Bien sûr, ça nous avait excité, mais plutôt dégoûtés aussi. A la sortie, Valérie m’a dit “C’est nul, c’est glauque, je ne veux plus y retourner”. On y est retournés trois mois plus tard, parce que j’insistais. Cette fois, on était moins timides. On est restés plus longtemps au sous-sol qui ressemblait à un petit couloir avec des banquettes miteuses. On a regardé les gens : ils se branlaient les uns les autres, les mecs mettaient la main dans la culotte de filles qui les masturbaient par l’ouverture de la braguette… Un couple de vieux était à côté de nous. On a fait pareil… Puis on est parti. Nous ne sommes plus jamais retournés au 2+2. Les boîtes nous avaient dégoûtés définitivement… ou presque. En fait, ça ne nous convenait pas comme forme d’échangisme… Mais ça, je l’ai réalisé plus tard, grâce au minitel, puis à internet. Quelques semaines après notre expérience du 2+2, j’ai en effet appris qu’il existait d’autres manières de rencontrer des couples. Un soir, sur 3615 cpl75, j’ai donné rendez-vous à deux personnes de notre âge. Ce soir-là, ç’a été la fête. Ils étaient mignons, adorables, cools… On s’est tous éclatés ensemble, en discutant et en baisant pendant des heures. C’est ce soir-là que j’ai vraiment compris d’où venait le problème des clubs: leur fréquentation. Sur les sites de tchat ou de PA, on trie les gens avec qui on va faire l’amour. Les critères de choix ne reposent ni sur l’argent, ni sur les origines socio-culturelles mais sur les fantasmes: pour que les désirs s’accordent, il doit y avoir des affinités. Dans une boîte, forcément c’est la faune. Il est rare de trouver des gens qui partagent les mêmes goûts. L’autre inconvénient avec les clubs, paradoxalement, c’est la promiscuité: tout le monde se mate. Si on n’est pas exhibitionniste, cela peut être assez désagréable. On voudrait pouvoir faire l’amour gentiment dans un petit coin, mais il y a toujours des gens qui passent, des ombres qui se collent dans un angle de la pièce avec l’espoir de pouvoir participer, des parasites qui essaient de s’immiscer… Difficile de se concentrer dans ces conditions, surtout quand les voyeurs se mettent à se masturber en murmurant des choses qu’ils trouvent excitantes mais qui, pour vous, ne le sont pas du tout. La vulgarité, ça ne manque pas dans ces endroits. Les hommes ne prennent pas toujours des gants pour caresser une fille. Les spécimens les plus courants de clubs, c’est les beaufs qui disent aux filles: “Toi tu es belle comme une Mercedes” ou “Je suis très généreux tu sais”. Pour eux, la boîte, c’est l’occasion de frimer. Ils croient être subversifs parce qu’ils fréquentent un “lieu de débauche”. Mais ce sont des conformistes. Beaucoup exhibent leurs ceintures de marque, avec un joli logo sur la boucle. D’autres font briller leurs montres. Si vous portez comme moi un pantalon en cuir ou en vinyle noir bien moulant et un T-shirt punk, vous vous sentez rapidement seul… Quand Valérie et moi retournons en club, nous y allons comme à une soirée déguisée chez les ploucs. Même en se forçant, impossible de trouver les boîtes féériques ! La seule solution pour s’y amuser, c’est de s’y rendre avec des amis, en bande. Pour entrer dans le milieu, il suffit d’avoir un réseau d’amis de cul, qu’on se constitue à force de fréquenter les soirées privées et d’inviter des gens chez soi. C’est facile de trouver sur les sites de rencontre spécialisés : au fil des tchats, il y a des amitiés qui se nouent. Moi, je suis d’une génération qui a fait son service militaire et maintenant que le service a disparu, je pense que le seul et unique moyen pour les Français de rencontrer des personnes venant de tous les milieux c’est l’échangisme. Il y a une forme d’euphorie extraordinaire dans ce brassage des corps et des esprits, quelque chose de très exaltant. J’adore parler et baiser avec des gens qui n’ont pour points communs que leurs fantasmes… Spécialiste de la chirurgie de l’œil, tatoueur, dessinatrice de BD, compositeur de livrets d’opéra, agente de police, rentier, prof de travaux manuels, agente immobilière, menuisier… Nous nous retrouvons chez l’un ou chez l’autre. Chacun apporte une bouteille et sous la lumière filtrée de tubes halogènes noirs, de bougies ou de stroboscopes, tandis que Love Secret Domain résonne, ou les longues litanies de Chris and Cosey, on perd le sens du haut et du bas.
Marilène, 38 ans, infirmière…
La première fois que je suis allée en boîte, c’était chez Chris et Manu N°2, près du centre Pompidou. Dès l’entrée: catastrophe, je tombe sur un vieux type avec des chaînes en or sur son torse poilu et une grosse pouffe blonde décolorée… Adieu fantasmes, veau, vache, cochon. Pour me ragaillardir, j’ai voulu voir dans la “pièce obscure”. Là-bas, c’était l’heure de pointe. La foule était si dense que je me suis retrouvée, dès l’entrée, déculottée par quatre paires de main anonymes et fouineuses, enfouie dans un remugle de respirations et de corps tassés les uns sur les autres… J’en suis sortie humiliée. Et mon copain, hilare, de dire: “Tu voulais voir à quoi ça ressemble ? Eh bien voilà !”. Effectivement, j’étais déçue. Cela ne m’a pas empêchée d’aller dans d’autres boîtes, pour voir. Elles ont un peu chacune leur spécialité: celles où l’on dîne, d’autres faites plus pour danser, il y a les saunas où l’on peut passer une soirée entre le jacuzzi et le hammam dans les vapeurs moites, d’autres conçues pour s’isoler dans les petits coins, et d’autres faites pour les voyeurs… Il y a aussi un club SM sur Paris, Cris et Chuchotements, conçu pour les échanges entre couples “cuir” : il est équipé d’une salle médicale, d’un donjon et d’un sling (balançoire à sexe) où des hommes et des femmes se font attacher puis prendre “de force”… Il y a aussi, en Belgique, des clubs géants avec piscine, restaurant et dancing qui sont ouverts le long des autoroutes pour des soirées rassemblant des milliers de personnes. Chaque samedi, c’est rempli à ras-bord de gens qui baisent dans tous les sens. Malgré leur diversité, il est rare de faire en clubs des rencontres intéressantes. On croise des phénomènes, c’est sûr. On croise aussi des personnes qui peuvent être émouvantes ou touchantes. Mais c’est plutôt dans le milieu des soirées privées qu’on se fait des amis, parce que le cadre est plus intimiste. Dans les clubs, en revanche… Pffffff ! Les clubs vous laissent toujours sur votre faim. J’y ai vu beaucoup de débutants farouches, des petits couples curieux en goguette, des mélangistes velléitaires, des filles qui disent “pas-touche-à-mon-homme”, des snobs qui te toisent, des m’as-tu-vu ou des branleurs frustrés… Quand on y entre, tous ces regards d’inconnu(e)s et ces mains… On n’a pas forcément envie de se joindre aux remugles des dark-rooms… C’est dur de s’y détendre, à moins d’y aller avec plusieurs amis ou des gens de confiance. Pour une femme seule, c’est l’horreur. Même accompagnée, je dois tout le temps demander “bas-les-pattes”. Au début, je n’osais pas repousser les hommes, par souci de politesse. Mais au bout d’un moment, je me suis dis Ils sont trop bêtes pour comprendre, alors moi non plus, je ne vais pas prendre de gants. Après deux ou trois soirées en boîte, on prend vite le moule et on devient plus forte. Si on se laisse tripoter, on se sent avilie, méprisée et on vit l’échangisme comme un viol mental. D’une certaine façon, le club est une école d’auto-défense et je dois aux clubs d’avoir appris à poser les règles. Le système est d’ailleurs très rigide. Ceux qui ne connaissent pas les codes se font vraiment taper sur les doigts et j’ai assisté à de nombreuses altercations dans les clubs, ne serait-ce qu’entre conjoints : il y a parfois des crises de jalousie homériques. Si on ne respecte pas les règles en boîte, on peut détruire son couple”.
Hélène, 29 ans, attachée de presse…
“Règle N°1: l’échangisme est formellement déconseillé aux couples en bisbille. D’abord parce que l’un des deux va forcément trouver ça bien et l’autre moins bien. D’où ressentiments, petites phrases (Tu étais moins bien habillée que Mme Michu, Oui, mais M. Michu a une bite plus grosse que la tienne, etc).
Règle N°2: rester tout le temps l’un près de l’autre. Il ne faut jamais prendre son plaisir en solitaire, ni se perdre de vue. Un couple forme une entité dans les boîtes. Si l’un des deux se met à baiser tout seul avec d’autres personnes, son partenaire se sentira exclu.
Règle N°3: communiquer au maximum. Il faut se raconter ce qu’on a fait après, créer une complicité, partager ses points de vue…
Règle N°4: rassurer l’autre. Les lendemains de soirées échangistes, il faut faire l’amour à deux, tranquillement… L’échangisme n’est pas une fin en soi. C’est une mise en scène pour s’exciter la tête, un terrain d’expérimentation, une manière de découvrir d’autres corps et d’autres désirs. Mais tout cela ne doit pas vous faire oublier le principal : celui ou celle que vous aimez”.
David, agent immobilier, 55 ans…
“J’aime sentir l’ambiance d’une boîte, cette chaleur sexuelle qui monte quand j’y vais avec ma femme, Marie. La première fois que je suis sorti dans un club échangiste, je devais avoir 23 ans : je suis allé au Pub Grille à Vincennes avec deux ou trois copains. Ils ont fait l’amour, mais pas moi. Ça ne m’a pas excité du tout. Je ne suis pas du genre animal à baiser pour baiser… Très vite, j’ai compris que tout l’intérêt d’y aller, c’était d’être avec une femme. C’est à travers elle que je trouve mon plaisir : ce qui m’excite c’est le regard des hommes, quand Marie attise leur libido. J’aime l’exhiber. Le problème, c’est qu’elle ne veut pas toujours le faire ! (rires) Seulement quand ça lui chante… Quand il y a un mec, ou une femme, ou plusieurs mecs qui lui plaisent, on y va. Fondamentalement, ce qui me branche, c’est regarder Marie faire chauffer la salle et regarder des hommes en train de la prendre. Il m’est arrivé d’être jaloux, au début, il y a longtemps, quand je ne lui faisais pas encore totalement confiance. Mais la jalousie est un sentiment méprisable. On évolue dans la vie. Marie et moi, on se connait depuis dix-sept ans. On s’est rencontré sur minitel et un mois à peine après qu’on ait fait connaissance, je l’ai emmenée dans les boîtes. Il est normal de partager des choses qu’on aime avec quelqu’un qu’on aime… Elle s’est dévergondée petit à petit. Actuellement, on y va toujours assez régulièrement, une ou deux fois par semaine. Sinon, on organise des soirées à la maison, on va au bois pour l’exhib, au cap d’Agde pour se ballader dans les dunes qui grouillent à la tombée du soir, on trouve des hommes qui se branlent dans les rues de Paris où des mecs seuls attendent, on va dans les casernes de pompier, on passe des week-ends dans les maisons d’hôte échangistes du sud de la France, on participe aux soirées gang-bangs organisées par des copains travestis, on s’amuse de toutes les manières possibles… Les clubs ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. Ce sont les lieux à la fois les plus connus et les moins représentatifs de ce qu’est le phénomène échangiste, qui regroupe mille et une manières de faire l’amour à plusieurs ou côte à côte. Je pense que les échangistes échangent surtout des énergies. Il y a quelque chose d’aphrodisiaque dans le fait de voir d’autres corps qui se livrent… La bande-son des soupirs, des bruits de peau, des clapotements… Cette magie est très peu opérante dans les clubs, hélas, qui sont des lieux plus propices au voyeurisme, à l’étude, voire à la sociologie, qu’à l’enchantement des pertes de sens. C’est un peu comme comparer un fast-food avec un restaurant. Mais qu’importe, il y a des lieux qu’il suffit de réinventer, de se réapproprier. C’est facile avec un peu d’imagination et l’aide de quelques complices. Ce que je préfère c’est aller avec Marie dès 19h, le lundi, aux “soirées trio” de certains clubs gratuits pour les couples. On prend un verre tranquillement. Si Marie trouve un mec mignon, sympathique, elle discute avec lui. Si elle le sent bien, alors elle en profite pour prendre du bon temps… sous mes yeux. Puis on rentre pour faire l’amour”.