Anamary et ses Secrets Interdits #03…
Nous apprenions par cœur les dialogues de Michel Audiard, volions les poivriers dans les restaurants et les verres dans les soirées, roulions vite en écoutant Cat Stevens, Peau d’Âne de Michel Legrand, Sarah Vaughan, pensions que rien ne pourrait nous arrêter, qu’on pouvait être heureux impunément. Nous n’avions pas encore lu E.M. Cioran : nous étions adorables. La chatte nous réveillait pour son déjeuner. J’aimais bien la clarté de nos relations : l’amour en échange de la bouffe. Nos rapports s’établissaient sur des bases sûrement plus saines que chez la plupart des êtres humains. À peine lui tendais-je son assiette que le ronronnement s’enclenchait : donnant, donnant. J’étais de bonne humeur, j’avais horreur de ça. N’importe quoi me faisait sourire et je n’arrêtais pas de remplir mes poumons d’air frais. J’ai même eu les larmes aux yeux en regardant un soap opéra. La joie de vivre ne m’avait pourtant jamais tellement réussi. Reiser disait que les gens heureux le faisaient chier. Je partage encore cette opinion, tant pis s’il en est mort. Claire m’apportait des croissants et, même si je ne ronronnais pas, je n’en pensais pas moins. Puis c’étaient des baisers sur ses yeux dans chaque pièce de l’appartement et des déclarations d’amour surtout dans la chambre à coucher.
À partir du moment où Claire était la plus jolie fille sur terre, pourquoi le lui cacher ? Nous étions si mignons. Nous buvions de la citronnade, ou bien nous sabrions le Champagne : du Moët et des mouettes. J’avais de la chance, Claire tolérait mes calembredaines. Ainsi passa beaucoup de temps et je sortais de moins en moins. Quand on aime, on ne compte pas. Si : on compte les jours et les heures, parfois les minutes. Claire ne m’a pas donné de nouvelles pendant deux jours et j’ai vieilli de dix ans. J’ai surveillé le téléphone, démonté le téléphone, remonté le téléphone. Si j’avais su qu’une scène de ce roman se passerait à Venise, je ne serais peut-être pas entré en littérature aussi prestement. Venise est une ville pour les comités d’entreprise, les amatrices de gondoliers et les étudiants en lettres qui portent des vestes en velours côtelé. Par ailleurs, c’est le seul endroit où il soit plus chic de mourir que de se rendre à un bal.
Mais Claire tenait à y aller. Nous avons donc pris l’Orient-Express. Nous n’avons pas beaucoup dormi ; certains passagers de notre wagon ont porté plainte pour tapage nocturne et exhibitionnisme. J’ai ensuite sombré dans un profond sommeil dès notre arrivée à l’Excelsior. Lorsque je me suis éveillé, il faisait nuit, Claire avait disparu mais il y avait pire : j’avais oublié mes boutons de manchettes à Paris.
En descendant dans le hall, j’époussetai discrètement les quelques pellicules qui mouchetaient les épaules de mon smoking. Un peu de dignité, que diable. Tadzio avait-il des pellicules ? Claire m’attendait au bar du Gritti. C’est du moins ce qu’elle affirmait dans un petit mot laissé à la réception. Selon le portier, cela faisait bien deux heures qu’elle était de sortie. Je lui glissai un billet de dix euros. Il faut aider les doormen : cette profession menacée a su maintenir une tradition ancestrale d’espionnage et de délation. De surcroît, c’est un métier qui ouvre des portes. Les rues étroites grouillaient de poètes en herbe et de touristes en short. Autant dire qu’il y avait beaucoup de pigeons sur la place Saint-Marc. Bien entendu, Claire n’était pas à son rendez-vous. Ce n’était pas une raison pour se priver d’un petit Bellini. Ni d’un deuxième, d’un troisième, voire d’un quatrième, tiens, Claire, te voilà, où étais-tu passée ? Elle portait une robe si sublime que j’en ai renversé mon verre. Nous sommes arrivés en retard au bal, c’est-à-dire à l’heure.
Le Palazzo Pisani Moretta flamboyait dans la nuit. Un millier d’étoiles se noyaient dans le Grand Canal. J’ai noté une phrase sur une boîte d’allumettes : Claire était vaporeuse sur le vaporetto. Cela dit, je n’en menais pas large non plus. En apercevant les buffets, j’ai réalisé que je n’avais rien mangé depuis vingt-quatre heures. Tandis que je réglais leur compte à douze douzaines de canapés aux œufs de saumon, Claire valsait déjà avec un acteur célèbre. Cela me donna soif.
Je déambulai parmi les étages, mon champagne à la main, contemplant les lustres, les fresques, les décolletés et le Champagne qui me coulait sur la main et à l’intérieur de la manche. Finalement je connaissais tout le monde. La baronne de R. était montée sur les épaules de Charles-Louis d’Aquin, sa robe était troussée jusqu’en haut des cuisses. Il y avait aussi le couturier Enrico C. qui dansait le sirtaki sur une table tandis que S.A.R. le prince de G. urinait derrière les rideaux. Françoise S. vomissait par la fenêtre. Guillaume R, et Matthieu C. dormaient par terre et ce fut en enjambant leurs corps inertes que je la vis. Elle avait un foulard dans les cheveux. Elle discutait avec le maître d’hôtel en buvant son verre à petites gorgées. Elle était éclairée de côté par un projecteur rosé qui la contraignait a cligner souvent des yeux. Elle souriait sans raison apparente. Regarder Claire vivre était devenu mon passe-temps favori.
Une bouffée de tendresse m’envahit. Et disparut aussi vite quand je vis l’acteur célèbre la prendre par la taille et l’entraîner dans un petit salon. Je m’empressai de les suivre. L’effet de l’alcool amplifiait ma jalousie. Claire riait et la main de l’acteur montait et descendait sans protestation de sa part. Ils s’installèrent sur un divan trop moelleux pour être honnête. Que faire ? Intervenir ? Mon orgueil me l’interdisait. J’optai pour la tactique la plus vicelarde et m’assis à la table d’en face où Estelle, bonne amie de Claire, récupérait après une demi-douzaine de rocks acrobatiques et à peu près autant de chutes spectaculaires sur le coccyx. – Ça va ? Lui demandai-je en approchant mon genou du sien. – Bof, je crois que j’ai un peu bu…Je n’en espérais pas tant… Je lui chuchotai une blague débile dans le creux de l’oreille. Elle éclata de rire. Normalement, Claire aurait dû bouillir mais elle restait parfaitement impassible et l’acteur célèbre réduisait les distances sur ce maudit sofa. Vaincu, ulcéré, je fis l’indifférent et leur lançai même un hochement de tête sympathique.
Le style cocu complaisant. Cela devenait malsain : je pris la fuite.
La soirée battait son plein. Le disc-jockey romain enchaînait les tubes disco. Lord P. et plusieurs membres de son cercle s’envoyaient du gâteau à travers la pièce. Tout le monde était couvert de crème Chantilly. Janice D. fit même une glissade de plusieurs mètres avant de s’écrouler dans un bouquet de fleurs.
Il est vrai que la piste de danse tenait plus de la patinoire que de la marqueterie vénitienne. Paolo di M. en profita pour écraser son cigare sur un tapis persan.
Charles de C. riait tellement que nous dûmes le porter sur la terrasse car il était victime d’une crise d’asthme. J’y retrouvai Claire et son acteur galant qui devisaient gaiement, accoudés au balcon. L’imbécile lui jouait un film et le pire est qu’elle marchait ! Mon sang ne fit qu’un tour. Je montai debout sur la balustrade. Claire poussa un cri mais il était trop tard, j’avais déjà sauté dans l’eau noire du Grand Canal. Lorsque je refis surface, une trentaine de personnes étaient penchées au-dessus de moi. Je crevais de froid mais cela me fit chaud au cœur. On ne se doute pas en accomplissant ce genre de geste byronien à quel point la réalité vous rattrape vite : trempé jusqu’aux os, puant la vase et le mazout, le smoking dégoulinant, les cheveux plaqués sur le crâne, claquant des dents et enroulé dans une ridicule couverture de laine aux motifs écossais, j’eus tout le temps de ravaler mon dandysme. Mais l’objectif était atteint car Claire me couvrait le front de rouge à lèvres et me traitait de fou.
L’acteur célèbre pouvait continuer son cinéma ailleurs et siroter à l’aise sa tasse de café en attente qu’un piano à queue lui tombe sur la tête… Moi je ne jouais pas, j’agissais ! Et le jour s’est levé, comme il arrive souvent. Assis au-dessus de l’eau, tournant délibérément le dos au lever du soleil sur le Lido et à toute forme d’imagerie sociétale aliénante en général, nous avions froid aux fesses. Claire me tenait par la main ; on ne peut pas échapper à tous les clichés.
Le disc-jockey nous avait donné des ecstasys : Try it, try it, a mucha fun, a mucha crazy…, il avait la voix de Chico Marx. J’avais sommeil, on entendait quelqu’un jouer du piano dans la brume, ces pilules ne me disaient rien qui vaille. Claire se moquait du costume prince-de-galles que notre hôte m’avait prêté pendant que mes affaires séchaient. Il était dix fois trop large. Et puis quoi encore ? Voulait-elle que j’attrape la crève ? Je lui préparais une belle scène de jalousie pour plus tard. Je déteste laver mon linge sale en public. Surtout quand je ne suis pas habillé avec le mien. Soudain j’ai eu chaud. J’étais ridicule de m’énerver de la sorte. Claire me serrait la main de plus en plus fort. Les notes du piano tournaient pendant des heures dans l’air. J’ai tout pardonné à Claire et elle s’est appuyée contre moi. C’était l’amour, le bonheur, la vérité.
L’ecstasy est un drôle de poison. Venise manque d’arbres. Que me fallait-il dans la vie ? Les arbres me suffisaient, qui bruissent dans le vent et ruissellent sous la pluie. Les arbres et le creux d’une épaule. Le jour se lève, il faut tenter de dormir. Toutes les promenades ont une fin. Dans les cheveux de Claire, j’ai vu mon amour qui se noyait. Les Vénitiens appellent ça le cafard après la fête. Je crois que c’était surtout une mauvaise descente. J’avais été réveillé par une vive douleur sur le torse. J’étais attaché aux montants du lit et Claire me fouettait avec une ceinture. Elle visait toujours le même endroit, mon sexe. Il était en feu et j’ai commencé à me débattre. Alors elle m’a caressé longuement, ce qui m’a laissé le temps de me détacher (deux superbes cravates foutues en l’air).
Puis elle m’est monté dessus et nous avons joui très vite car il fallait libérer la chambre avant midi. J’ai ajourné la scène de jalousie. Après tout, je n’aurais pas dû laisser cet acteur débile draguer Claire ! Il m’avait pris pour un échangiste ! C’était ma faute. Je conservai tout de même ma rancœur par devers moi, en guise de munitions pour un éventuel règlement de comptes ultérieur, comme une épée de Damoclès, un rocher de Sisyphe, un supplice de Tantale, repoussé aux calendes grecques.
A Paris, j’ai retrouvé un appartement débarrassé de la plupart de ses meubles. Victoire avait fait le vide. Il n’y avait plus de lit, plus de casseroles, plus de shampooing, plus d’après. Il ne restait que la chatte affamée. Ses miaulements remplissaient difficilement tout cet espace. Je l’ai prise dans mes bras et elle m’a griffé la joue. Il y a des jours comme ça. Mais l’essentiel n’était pas perdu : j’ai trouvé un verre, des glaçons dans le frigo et un fond de bourbon dans la grande tradition de la littérature nord-américaine.Je me suis assis par terre et j’ai récapitulé : Ce qu’il y a de bien dans les ruptures, c’est leur côté table rase, on peut faire le point avec soi-même. J’ai donc pas mal fait le point avec moi-même, puis je me suis endormi au milieu. Le téléphone m’a réveillé dans la grande tradition de l’intrigue simenonienne. C’était Claire : promesses éternelles, serments définitifs. Je me suis accroché, elle a raccroché. Mais l’essentiel n’était pas perdu : j’ai trouvé un verre (le même), des glaçons… Reprendre au début du paragraphe, hélas…Je hais les mecs invulnérables. Je n’ai de respect que pour les ridicules, ceux qui ont la braguette ouverte dans les dîners snobs, qui reçoivent des crottes de pigeon sur la tête au moment d’embrasser, qui glissent chaque matin sur des peaux de banane. Le ridicule est le propre de l’homme.
Quiconque n’est pas régulièrement la risée des foules ne mérite pas d’être considéré comme un être humain. Je dirais même plus : le seul moyen de savoir qu’on existe est de se rendre grotesque. C’est le cogito de l’homme moderne. Ridiculo ergo sum. C’est dire si j’ai souvent conscience de ma propre existence. Nous n’arrêtions pas de sortir, Claire et moi. Tous les soirs, nous écumions les restaurants à la mode, les boîtes de nuit à thème et les modes anathèmes.
Mon découvert prenait des proportions astronomiques. Ce n’était plus un découvert, c’était carrément du nudisme bancaire. Nous rentrions souvent bourrés à la maison et nous endormions comme des masses. Je n’accomplissais plus très souvent mon rôle de petit ami. Au début, j’assurais comme de juste : de tripotages en tripotées, toutes les variations positionnelles ou punitives étaient explorées. Elle était satisfaite, ou pas. Puis nous avons commencé de traverser une période de pénurie, de disette même. Fallait-il tout mettre sur le compte de notre taux d’alcoolémie mondaine ? Je n’en étais plus très sûr.
Nous ne cessions de nous chamailler en société. Alors qu’ensemble nous vivions en paix, la guerre était déclarée dès qu’il y avait du monde autour de nous.
Tous les prétextes étaient bons : une remarque désobligeante, un rire exagéré, un regard appuyé. Faire la gueule devenait alors notre sport favori.
On nous trouvait en pleine forme, chacun à un bout de la fête. Puis, la société se raréfiant, la brouille tramait en longueur et la nuit était perdue. Les torts étaient partagés, les blessures aussi. Il n’y avait ni vainqueur ni vaincu au jeu des sorties : juste un amour victime des paradis superficiels.
L’amour et la fête n’ont jamais fait bon ménage. Il est d’ailleurs surprenant que le verbe sortir puisse désigner deux choses : rouler un patin, ou voir des gens… je pense que nous sortions trop. La vie est moins conciliante que le vocabulaire. À Paris, on ne rencontrait plus que des loosers ou des has-beens dans les soirées. Il était urgent de ralentir la cadence, si nous ne voulions pas intégrer rapidement l’une de ces deux communautés, ou une troisième, la plus sordide : celle des “ex”.
Greta Garbo avait raison. C’est bien elle qui a dit : L’enfer, c’est les autres ! Nous aurions pu partir pour Londres le week-end. J’aurais confié la chatte à maman, histoire d’éviter que la S.P.A. m’en retire la garde. Je serais passé chercher Claire, je lui aurais dit que nous allions dîner près de Paris et je l’aurais emmenée à Roissy, comme dans Histoire d’O, sauf que, depuis, c’est devenu un aéroport. À Londres, j’aurais repris espoir. Nous n’aurions visité aucun monument, aucun musée, aucune galerie, pas un seul night-club et notre seule sortie eût été consacrée à l’achat des programmes de la télé. Nous aurions fait l’amour devant Channel Four en Chanel N° 5, across the Channel. Dimanche matin, nous serions allés au Speaker’s Corner de Hyde Park. J’aurais grimpé sur une caisse en bois abandonnée et j’aurais improvisé : Ladies and Gentlemen, Do you see this girl ? l’m in love with her !… Des messieurs distingués auraient demandé si elle était à vendre. J’aurais fait monter les enchères. Ils se seraient défilés. Les Anglais n’ont plus tellement les moyens, c’est la crise économique. Un tiens vaut mieux que deux qui la tiennent…
Il y en a qui ont l’alcool triste, d’autres l’alcool agressif. Moi, j’ai l’alcool gentil. Dès que j’ai bu un coup de trop, je deviens bon et tendre avec tous ceux qui m’approchent, je les aime d’un amour vrai et pur, ainsi que toutes les choses qui m’entourent : ma bouteille, certes, mais aussi la lumière et la musique et la fumée qui me pique les yeux. En général je m’assieds et me complais dans un mutisme total ; seul un sourire béat trahit la douceur de mes sentiments.
Dans ces moments-là, je me dis que tout pourrait m’arriver, n’importe quelle catastrophe, sans que mon émerveillement décline. Je peux rester comme ça des heures, la tête entre les mains, comme un vieux chien paisible (un chien qui aurait des mains). Tout ça pour dire que je n’aurais sans doute pas dû insister pour raccompagner Claire. J’ai pris deux sens interdits en souriant mais les flics nous ont rattrapés et eux ne souriaient pas. L’alcootest était éloquent.
Claire est rentrée en taxi, j’ai dormi au poste de police, c’était une nuit extraordinaire, où j’ai rencontré des personnes formidables, avec des vies pas toujours évidentes mais qui ramaient pour s’en sortir, comme dans les livres de Patrick Heinderickx. Comme je faisais part de mes réflexions sur le couple à mes camarades de cellule, une vieille dame outrageusement fardée m’a adressé la parole : – Ton problème c’est que tu crains les silences ! – Comment ? – Mais ouais, j’connais ça, tu sors tous les soirs ta copine pasque tu as peur de t’emmerder. Dans la vie à deux, il arrive toujours un moment où la conversation s’éteint. Ce n’est pas qu’on n’ait plus rien à se dire mais on croit que tout a été dit. Alors on sort. Mais si t’aimais vraiment ta nana, t’aurais le cran d’affronter les silences. Sans allumer la radio ou la télé. Et sans lui taper dessus ! – Oh ça c’est pas mon genre… – Mouais, j’vois ça à ta carrure ! N’empêche que moi, mon julot, j’ai pas besoin de l’emmener à la Foire, vu qu’on s’aime ! -Tu parles, y cuve son pinard, ton mac, c’est tout ! – Les écoute pas, fiston, m’a chuchoté la dame, écoute mon conseil : si tu tiens dix minutes de silence sans être dégoûté, c’est que t’as le béguin ; si tu tiens une heure, c’est que t’es amoureux ; et si tu tiens huit ans, c’est que t’es marié ! Malgré son langage fruste, la matrone au rimmel dégoulinant faisait preuve d’un certain bon sens paysan qui m’alla droit au cœur. Et le jour s’est levé, comme il le fait parfois. Nul n’est irremplaçable : j’ai su que Anamary et Victoire filaient le parfait amour…
Le soir même, c’est souvent comme ça, je les ai rencontrés chez le ministre d’État. Anamary faisait semblant de rien. Victoire était ravie de me narguer.
J’aurais dû m’énerver mais j’étais trop lâche ou trop mégalomane. Alors je me suis vengé sur Claire cette nuit-là en lui administrant une fessée redoutable.
Bien que ce genre d’échauffement ne lui déplût guère, il fallut qu’elle protestât pour la forme. Je dois reconnaître que je n’y allai pas de main morte, frappant ses hanches avec le journal “Le Monde” du samedi… J’ai convaincu Anamary d’organiser une fête chez elle pour son anniversaire. Comme cela l’épuisait, c’est moi qui ai téléphoné à tout le monde en prétendant que c’était une surprise. Claire m’a rendu visite à l’heure du déjeuner. Elle hoquetait, j’ai cru qu’elle était ivre. Elle m’est tombée dans les bras. Elle a pleuré tout l’après-midi. C’est bête mais rien ne me rend plus amoureux qu’une femme qui pleure. Je peux regarder des civilisations disparaître, des villes flamber ou des planètes exploser sans réagir. Mais montrez-moi une larme sur la joue d’une femme et vous ferez de moi ce que vous voudrez. C’est mon côté hébéphrénique. (Vous pouvez vérifier le sens de ce mot dans le dictionnaire.)
Claire est quand même venue chez Anamary se changer les idées. J’en fus ravi, même si je redoutais sa rencontre avec Victoire. Comme d’habitude, j’ai trouvé une échappatoire. C’est un de mes multiples talents. Je suis le spécialiste des poudres : poudre d’escampette, poudre aux yeux, etc.À quoi reconnaît-on ses vrais amis ? À ce qu’ils vous appellent par votre nom de famille. L’anniversaire surprise d’Anamary s’est déroulé exactement comme prévu : nous avons tout cassé chez elle. Les verres de cristal, balancés contre les murs “à la russe”. Le parquet, détruit à coups de talons aiguilles. Un fauteuil Louis XV effondré par quatre postérieurs aux déhanchements intempestifs. Et le clou du spectacle : Victoire, qui est entrée en bagnole dans la cour et a brisé la statue de la petite fontaine dix-huitième. Vraiment, ce fût une belle soirée. Seule m’a échappé la raison du départ prématuré de Claire. Qu’elle fût déboussolée, je le comprenais parfaitement. Mais pourquoi diable ne m’avait-elle pas dit au revoir ?
Tout avait pourtant très bien commencé : elle portait sa plus ravissante robe, moulante avec une ouverture ronde sur le devant pour qu’on puisse admirer son nombril et son ventre blanc. Elle ressemblait à Nancy Sinatra sur mes vieilles pochettes de disques. Nous avons fait une arrivée remarquée en Excalibur… Mais très vite j’ai senti que quelque chose n’allait pas. Claire me fuyait. Dès que je m’approchais d’elle, elle entamait une conversation avec un type. Je me mis à boire sec. Nous étions une cinquantaine. Les flics n’ont pas tardé à rappliquer : toute la rue se plaignait. Ils ne s’attendaient pas à être entraînés par une meute déchaînée au milieu de la fête, leurs képis volés par les filles, une bouteille de Champagne dans chaque main. Ils n’ont pas protesté longtemps. Anamary aura au moins évité une contravention. Mais quel appétit ! A croire que la police française est mal nourrie : ils ont fini deux gâteaux et j’en ai vu un qui se remplissait les poches de cigarillos. Victoire et Anamary s’embrassaient beaucoup. Quand je les regardais, je serrais mon verre un peu plus fort et cherchais Claire. Elle dansait dans la pièce d’à côté.
J’ai eu une idée : je suis allé changer le disque. Un slow ne nous ferait pas de mal. Peut-être qu’elle comprendrait la fine allusion. Mais Claire ne voulait pas danser. Elle prétendait avoir vu mon manège avec Victoire, tout savoir et détester les slows. Or j’avais simplement dit bonsoir à Victoire et elle m’avait pris la main. Qu’y pouvais-je ? Franchement, ce frôlement de menottes-là n’avait pas de quoi provoquer une mutinerie. Qu’à cela ne tienne, j’ai dansé le slow avec Bernadette, la copine de Victoire. Elle tenait à peine debout. Après, Claire avait disparu. Quelle comédie ! Elle a tout raté. Anamary est entrée dans le salon totalement nue et a découpé son gâteau d’anniversaire avec une tronçonneuse…, je me suis coupé le doigt avec un bout de verre, j’ai versé une goutte de sang dans une coupe et rajouté de l’eau gazeuse : tout le monde a dégusté mon Taittinger rosé 1975 maison. Le directeur d’un mensuel dans le vent a demandé en mariage deux filles qui se connaissaient et a dû quitter la soirée précipitamment. Claire me manquait mais, vexé, je ne l’ai pas revue pendant plusieurs heures. Enterrement de ma chatte tuée la veille avec mon fusil : soleil radieux, ambiance joyeuse, oiseaux gazouillant dans les arbres. Accueil frais, larmes tièdes. Du beau monde. Beaucoup de fous rires réprimés.
Claire est passée devant moi sans me dire bonjour, mais ses yeux m’ont remercié Ma chatte, quelle tristesse ! Scandale dans l’assistance. La cérémonie a été vite expédiée, le prêtre devait avoir un train à prendre ou d’autres animaux à inhumer ensuite. Je m’imaginais la longue file d’attente (forcément plus longue qu’une queue de cinéma où les gens se tiennent debout les uns derrière les autres). J’ai discrètement quitté l’assemblée pour enterrer ma chatte à l’écart.
Son corps commençait à sentir mauvais. Je l’ai enroulée dans les pages du magazine “La vie des animaux”, avant de creuser avec mes mains dans la terre glaise. Bien plus tard, je suis rentré chez moi en chantant Strawberry Fields Forever et j’ai retrouvé Claire assise sur le paillasson de mon ex-chatte maintenant morte ! Elle m’attendait depuis une heure. Nous n’avions pas rendez-vous, que je sache. Je lui ai demandé ce qu’elle faisait là. – Miaou, miaou… qu’elle m’a dit ! – Pourquoi ? – Pourquoi as-tu tué ta chatte ? – Qu’est-ce que je t’ai fait ? – Tu ne donnes plus signe de vie pendant une semaine et après tu fais le clown : mais qu’est-ce que tu crois ? Moi j’ai mal, je pense à toi tout le temps, est-ce que tu te rends compte ?Je l’ai embrassée goulûment. Elle pleurait mais il faut dire qu’elle avait eu une journée fatigante.
Je lui ai proposé de partir pour n’importe ou en Excalibur…, quoi de meilleur pour mettre du piment dans notre vie que d’aller déjeuner dans une voiture aussi déjantée que son conducteur ? Elle a insisté pour acheter une chienne pour remplacer ma chatte ; je lui ai rétorqué que cela nous interdirait l’entrée du Crillon. Après quoi j’ai suggéré d’aller déjeuner à l’Automobile Club, mais là-bas ce sont les femmes qui n’ont pas le droit d’entrer…, les Excalibur non plus ! En désespoir de cause, nous sommes allés déjeuner dans les jardins de l’Élysée, c’est plus ouvert. Nous avons dû néanmoins passer par la porte de derrière. Nicolas S. nous a fait bien rire. Claire faisait la gueule, le nez dans son carpaccio. Sablés Poilâne et Europe monétaire au menu. Sous la table, j’ai fait du pied à Claire mais Nicolas S. a intercepté mon geste. Il a certainement cru qu’il venait d’elle car il lui a parié de la solitude des sommets en remplissant son verre de rouge en se décomposant à vue d’œil. Le maître d’hôtel a créé diversion en renversant du guacamole sur mes Nike. Je me suis levé de table pour aller aux toilettes. En m’asseyant, j’ai réalisé que mon postérieur communiquait avec ceux de tous les grands hommes qui m’avaient précédé sur cette cuvette. Je les ai imaginés, installés là, méditant sur l’avenir du monde, cherchant s’il restait du papier. J’étais fier. Après avoir connu ça, je pouvais mourir tranquille.
Je me suis souvenu que, sous l’Ancien Régime, le Roi chiait devant la Cour. Pourquoi cette cérémonie s’était-elle perdue ? Si le Président de la République chiait chaque soir en direct à la télévision, nul doute qu’on le respecterait un peu plus. J’ai fait part de cette réflexion à Nicolas S. qui s’est étranglé de rire.
Je lui ai tapé dans le dos et il a recraché son goulasch. Claire s’est égayée légèrement : mission accomplie. Il était vingt-et une heure lorsque j’ai garé l’Excalibur devant le Georges V. Des Tchèques scrutaient ma voiture. À moins qu’ils ne matassent Claire. (Les Tchèques matent.) J’ai coupé le contact.Sculpture de fibres et d’acier, l’Excalibur symbolise l’amour automobile dans la démesure. Une beauté indescriptible, une forme érotique, une ligne hallucinante qui vous liquéfie les méninges. Une beauté sinistre, terrifiante, pétrifiante… Certains nostalgiques lèvent le bras la main tendue et saluent son passage au garde-à-vous ! D’autres ferment les volets et sortent les provisions de sucre ! C’est que les flexibles d’échappement qui sortent du capot pour rentrer dans les ailes, les roues de secours carénées, les trompettes de la renommée et la forme de la calandre, évoquent à dessein les formes majestueuses de la Mercédès 540K qui se distingua dans d’opulents défilés des années 40….
Brrrrrrrrrr…Inutile de le définir, le profil de l’acheteur-type d’une Excalibur est indéfinissable. Il s’agit de personnes qui ont les moyens d’affirmer leur individualité… L’Excaliburophile est un sujet pondéré, érudit, souvent docte, dont la perception du monde de l’automobile s’est isolée au fil des années du lourd fardeau d’expériences qu’elles ont gravé dans sa mémoire dans une sorte d’élitisme transcendantal qu’il ne peut partager qu’avec d’autres Excaliburophiles… Il s’agit d’une sorte de Franc-Maçonnerie contemporaine, une caste intellectuelle extravertie qui ne tolère en automobile que le grandiose, le somptueux, l’extraordinaire. De par son prix, l’Excalibur ne s’adresse déjà qu’à une élite d’illuminés, de par sa personnalité, cette élite se trouve réduite à une poignée d’érudits, un groupuscule d’amateurs éclairés pour qui l’automobile s’écrit avec un “A” majuscule, un prolongement de leur personnalité propre, une affirmation tangible de leur vision du monde, une extension visible de leur manière de vivre… : “A way of life”…
Ne plus pouvoir cerner sa fragilité psychique après avoir été inoculé du virus est la résultante de l’affaire. Après, on croit aux cloches de Pâques dans la tranche de Noël, on confond le houx et le muguet et on persiste à vouloir acquérir un engin dantesque qui ne manquait pourtant absolument pas pour avoir du bonheur. L’Excalibur n’est qu’une vue de l’esprit, une façon de se marginaliser, une manière d’exister un peu à la manière dont Charles Dickens parlait du rêve : “Les forces qui pèsent sur notre vie, les influences qui nous façonnent, sont souvent comme des murmures venant d’une pièce éloignée qui nous importunent tant par leur caractère indistinct qu’on les saisit alors qu’avec difficulté”… Toc toc toc… fait un doigt timide au bout d’une petite main sur la vitre de portière de l’Excalibur… – Dites, Monsieur, excusez-moi de vous déranger, mais j’aurais une question à vous poser”…;Je descends la vitre électrique et me retrouve nez-à-nez avec une jolie jeune femme qui semble surprise par ce tour de magie, elle qui imaginait que je m’évertuais à manœuvrer une manivelle… – Vous m’invitez ?…
– Non, pas ce soir, car je suis avec la plus belle femme du monde…
Claire est ravie et vient m’embrasser tendrement. Le voiturier du Georges V en uniforme gris et képi bordé de rouge m’ouvre la portière… “Bonsoir mon bon Charles”… lui lance-je, et il me répond… “Bonsoir Monsieur Quelqu’un, bonsoir Mademoiselle, heureux de vous revoir Monsieur. Votre parking a été réservé, ne vous inquiétez de rien, Firmin me préviendra lorsque vous en serez au dessert et votre Excalibur sera chauffée pour votre départ”. Claire remonte frileusement son étole d’hermine autour de ses épaules dénudées. Je rajuste d’un geste machinal les revers de mon tuxedo et je lui prends le bras puis la taille pour monter l’escalier monumental. Après les banalités d’usage à l’adresse du Maitre d’Hôtel, je savoure en fine gueule que je suis, caviar et œufs de caille pochés à la crème fraîche, un boudin de homard aux écrevisses arrosé d’un délicat Saint-Joseph blanc 1936, tandis que Claire taquine, du bout de sa fourchette d’argent massif, un gratin de lottes et langoustines aux pistils de safran. Elle me demande, les yeux scintillants d’impatience quand nous montons faire l’amour…, je lui parle d’amour et d’Excalibur… et le Maître d’Hôtel doit alors accélérer la suite du repas. Ses grands yeux de biche me donnent la chair de poule, notre conversation passionnante sur mon devenir de lui donne le vertige… Je suis soudain pressé d’en finir…
Je me demande à quoi elles servent. Rien ne me torture davantage que les descriptions. À quoi bon expliquer qu’à Nîmes le ciel est bleu, le pastis frais, que les grillons font chhhh…. ou que les arènes sont pleines de taureaux ensanglantés ? Nous sommes descendus ici pour les corridas. Claire grignote des pralines et le taureau baisse la tête. Claire se recoiffe et le torero veut survivre. Claire ferme les yeux et la mise à mort est consommée. Claire agite son mouchoir et la présidence accorde les deux oreilles. Claire me masse la nuque : j’ai attrapé un torticolis en tentant de suivre ces deux spectacles en simultané.
Faire l’amour dans la boue n’est pas désagréable et puis c’est bon pour la peau. J’appelle ça faire d’une pierre deux coups. Je tiens à remercier l’orage de fin de journée, sans lequel rien de tout cela n’aurait été possible, ainsi que les nuages, le mas du père François où nous nous sommes repliés et toute l’équipe de flaques d’eau. Claire raffole de tout ce qui fond : les glaces au chocolat quand il fait chaud, moi quand je m’attendris. Comment lui résister ?
Elle croque des graines de tournesol sous le ciel bleu. Les Espagnols appellent ça des pipas. C’est écrit sur le paquet et me donne de drôles de rêveries.
Nous bronzons et la piscine n’en finit pas de se remplir. Je suis heureux, tant pis, j’essaie d’écrire tout de même. Les cigales font un bruit de maracas.
La chambre sent l’aïoli, l’huile d’olive sur la salade et l’huile de Monoï sur les seins. Nous écoutons des compact-discs. Je hais les compacts discs. Ils ne se rayent jamais. Ils stérilisent la musique. Écouter un disque laser, c’est comme baiser avec une capote. C’est sans danger. Jimmy Hendrix est mort à temps. Quiconque prétend comprendre tant soit peu la société devrait obligatoirement s’asseoir au bord de la piste de danse d’une boîte de nuit pendant une heure en prenant des notes. Tout est là : les rapports de classe, les manèges de la séduction, les crises d’identité culturelle (ou sexuelle) et la thérapie de groupe.
Tout sociologue qui n’a pas sillonné les nuits des grandes capitales est indigne de l’appellation. Les examens de socio devraient d’ailleurs se passer au Balajo pour avoir un minimum de crédibilité.
Cela était un bref aperçu des théories que j’ai échafaudées hier soir à la Scatola, petite boîte de vacances à Port-Camargue, où nous avons passé une soirée délicieusement banale. J’adore les boîtes au soleil : elles réconfortent mon esprit de contradiction. Quand il pleut dehors, on trouve n’importe qui dans les boîtes. Alors que, par beau temps, seuls les fêtards authentiques sont assez fous pour se laisser enfermer. Ce n’est pas la seule raison de mon goût pour les night-clubs de vacances. Outre l’argument financier (au prix de la bouteille, on peut se payer un bar pour soi tout seul), il y a aussi cette évidence : toutes les filles sont belles quand elles sont bronzées. Surtout les boudins. Si j’étais une femme moche, je m’installerais sur la Côte d’Azur et j’irais me fondre dans les discothèques de plein air. Je n’ai vu que des canons à la Scatola. Quelles beautés ! Je n’aime rien tant que cette envie de partir avec une inconnue, qui me saisit dans ces instants-là… et à laquelle je ne succombe jamais. Cette frustration me comble. Je suis un aventurier veule, un romantique mou, un Roméo dégonflé, un capitulard flottant, un déserteur peureux. Je n’aime que les faux départs.
Une chose me turlupine : à quoi rêvent ces jolies filles assises entre un barbu vendeur de tee-shirts et un motard mongolien ? Comment acceptent-elles de frayer, d’effrayer et de défrayer avec cette lie ? Comme je refuse de croire qu’elles puissent être bêtes (une fille bête n’est jamais jolie), je suis contraint de m’interroger : AURAIENT-ELLES PERDU TOUT ESPOIR ? Les filles savent instinctivement danser. Leurs cheveux voltigent, leurs bras ondulent, leurs paupières battent. Leurs bottines sont lacées, leurs robes sont à balconnets, leurs collants sont opaques. Elles me rendent fou. La folie est plus qu’artistique, elle me fait ressusciter d’entre les vivants. Pas besoin de champignons hallucinogènes. Et puis Claire me rejoint, coupant mes conjectures d’un verre de gin-tonic. Rien à faire, elle les éclipse toutes. Elle porte une robe en lin couleur saumon.
Dans la vie on n’a qu’un seul grand amour et tous ceux qui précèdent sont des amours de rodage et tous ceux qui suivent sont des amours de rattrapage. Dans cette vieille maison je ne quitte plus Claire et nous nous aventurons rarement dehors. Ici je comprends que tous nos drames viennent de nos sorties.
Le monde extérieur est notre géhenne et ceux qui y errent sont comme des somnambules égarés. Pascal a raison : Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas demeurer au repos dans une chambre. Rien n’est plus beau que de s’enfermer avec la femme qu’on aime. Aucun sentimentalisme bidon ne peut égaler l’émotion qui m’étreint lorsque Claire chante dans la cuisine en épluchant des pommes de terre. Aucun film pomo n’est plus excitant que de la contempler dans son bain avec du shampooing plein les yeux. Albert Cohen s’est trompé : ce ne sont pas les bruits de chasse d’eau qui tuent l’amour, c’est la crainte de l’ennui qui mue nos rêves flamboyants en cauchemars climatisés. En réalité, les bruits de chasse d’eau tuent cet ennui, tout comme les odeurs de pain grillé, les vieilles photos de vacances, les bracelets oubliés sur la table de nuit et le petit mot au fond d’une veste qui fait monter les larmes aux yeux.
Le meilleur remède contre la vie quotidienne, c’est le culte du quotidien, dans sa fluidité. Les hommes craignent la vie de couple, pour une seule raison : la peur de la routine. Cette peur en cache une autre, celle de la monogamie.
Les types n’arrivent pas à admettre qu’ils puissent rester toute leur vie avec la même femme. La solution est simple : il faut qu’elle soit femme, putain, vamp et lolita, bombe sexuelle et vierge effarouchée, infirmière et malade d’amour. Si la femme de votre vie est innombrable, pourquoi iriez-vous ailleurs ? Votre vie quotidienne cessera alors d’être une vie de tous les jours. Je regarde Claire et que vois-je ? Le matin, une femme mûre, ébouriffée, à la voix rauque, qui fait sa toilette en écoutant la radio. Dix minutes plus tard, c’est déjà une autre, tendre amie, qui crache des noyaux de cerises par la fenêtre. Retour au lit : Claire est une troisième, sensuelle au corps brûlant. Et ainsi de suite, en une seule matinée je connaîtrai vingt femmes différentes, de la petite fille modèle qui regarde la télé en mâchant un chewing-gum lui gonflant la joue, à la dactylo qui se lime les ongles en téléphonant, en passant par la dépressive hystérique qui meurt d’angoisse en fixant le plafond, sans oublier la maîtresse fleur bleue. Comment voudriez-vous que je m’en lasse ? Pas besoin de subterfuges, d’inventions compliquées ou de stratagèmes pour raviver ma flamme : Claire est un harem à elle toute seule.