À une époque, c’étaient des histoires de petits cinémas glauques où de vieux messieurs moches et seuls allaient se palucher pitoyablement sur des sièges de velours rouges tout tâchés, c’étaient aussi des magazines criards planqués tout en haut des présentoirs des marchands de journaux, là où les petits garçons ne pouvaient s’élever, même à la force du poignet… c’étaient des photos toutes froissées par un usage intensif, que des garçons à peine pubères se refilaient à la récré derrière les chiottes en gloussant comme des dindons mal dégrossis… c’était aussi, pour les plus rusés d’entre mes copains, le cahier central de Play-boy, un magazine qu’ils achetaient en catimini en passant pour des pervers déliquescents.
Bien sûr, ils se branlaient en matant les beautés dénudées aux poses bien explicites, mais comparé aux pages lingeries de La Redoute, c’était la plongée directe du club Mickey à Sodome et Gomorrhe… à l’heure où nos petits cerveaux malléables baignaient littéralement dans une tempête hormonale, le sujet était forcément de la plus haute importance… la curiosité des jeunes filles était au moins aussi immense que leur ignorance dans le domaine… mais… dans les pensionnats de jeunes filles bien élevées dont quelqu’un jetait la clé au fond d’un puits tous les lundis matin pour ne la retrouver que le vendredi soir…, que se passait-il ?
L’éducation sexuelle de l’époque était totalement indigente, limitée à une heure de biologie avec une coupe transversale des organes reproducteurs présentée en troisième sous les rires… et puis c’est tout… le sexe, c’était dans le courrier des lectrices de Salut les copains…, puis bien plus tard de Podium et de ce genre de sous-magazines pour gamins et gamines pubères, avec des questions vachement importantes comme : “faut-il coucher le premier soir ?”…
Et bien sûr, les récits instructifs des grandes :
– “Quand une fille marche avec les genoux écartés comme ça, c’est qu’elle a couché”
– “J’ai fait une pipe à travers un jean, est-ce que je peux tomber enceinte ?”
Les jeunes filles bien comme il faut dans les pensionnats de jeunes filles…, ne savaient pas de quoi elles parlaient… et manifestement, elles non plus… en fait, s’intéresser au sexe, quand on était une fille, c’était assez limite : juste des discussions ignares et confuses, le soir après l’extinction des feux… une fille qui aurait ramené un journal de cul ou maté un porno, ça aurait plutôt été une salope qu’une exploratrice… pour les adolescentes, le sexe, c’était regarder langoureusement les garçons à travers leur mascara grumeauté à grands paquets tout en espérant se faire lécher par un palot pas trop baveux à la gare routière, le vendredi soir, avant de rentrer sagement à la maison.
Une amie de ces temps lointains n’avait pas très bien intégré les codes du genre… un jour, elle ramena à son pensionnat un roman porno qu’elle avait dû piquer à son grand frère ou à sa mère, un truc qu’elle s’est mise à dévorer avec émois mouillés sous les couvertures tout en essayant de comprendre un vocabulaire stratosphérique rempli de vît, foutre, con, chatte, pine, gland, etc… Pendant que les garçons du pensionnat pour jeunes-hommes, voisin de 2 kms, se tapaient des concours de branlette après l’extinction des feux, les jeunes filles bien comme il faut, en étaient encore à penser que le touche-pipi, c’était sale et dépravé et à se demander si, pendant une pelle, il convenait d’ouvrir la bouche et… mais qu’est-ce qu’on pouvait bien faire de la langue ? Le porno dérobait à sa perception sexuelle ce qu’il étalait à pleines pages pour les garçons.
Un jour, mon amie expliqua dans la cour de récré de son pensionnat pour jeunes filles, qu’elle s’était masturbée abondamment et avec une belle réussite avec son stylo encre de service…, ce qui a plus qu’éveillé la curiosité de la plupart d’entre ses copines… et la jalousie d’une autre… le lendemain matin, elle fut saluée dans la cour de récré par un langoureux : “Bonjour, ça va ton histoire d’amour avec ton stylo ?”… ça n’a duré que quelques semaines, mais elle en fut profondément mortifiée et stigmatisée.
Les nanas se sont, peu à peu, mise à l’éviter soigneusement pour ne pas être contaminées par sa réputation sulfureuse, mais je suppute que les dites nanas sont tombées, de leur coté, amoureuses de leur stylo, bien des fois en pensant à elle, secrètement… il faudra du temps, une longue génération de conneries, pour que ça évolue… ce qui a commencé avec le cinéma de minuit dans une salle forcément obscure de banlieue qui passait “Histoire d’O”…, suivi de “Emmanuelle”… ça n’a l’air de rien, comme ça, mais d’un seul coup d’un seul, le truc un peu poisseux qui se planquait sous le manteau, pouvait se voir en groupe dans un cinéma plus respectable que les autres…
Après quelques années, le cinéma de minuit n’a plus ébranlé personne, y avait mieux sur la nouvelle télé-liberté qu’était Canal + : le porno cripté du samedi soir ! Fallait se branler entre les lignes… Enfin pas tous les samedis non plus, fallait pas être trop gourmand ! Mais tous les premiers samedis du mois, c’était l’institution : avec une passoire correctement agitée devant les yeux, on pouvait espérer déchiffrer quelque chose dans les bacchanales cryptées… le vrai sport, pour les nouveaux ados, c’était de se retrouver invités le jour qu’il fallait, dans une maison correctement équipée et jouer finement de l’emploi du temps pour que les parents soient absents pendant le créneau fatidique… autant dire que ce n’arrivait pas souvent !
Le cul est ainsi devenu décomplexé à tel point qu’on finit par savoir ce qui même ne nous intéressait pas… petit coup de zapping mou et hop, immanquablement, on finissait par tomber sur une vulve ouverte à tous les vents… ces années de curiosité réprimée et insatisfaite vont céder devant le tsunami de la banalisation du sexe, une brèche, une faille, une fente… dans laquelle va s’engouffrer une foultitude de chaînes et de programmes… à se demander si le trop n’était pas l’ennemi du bien.
Terminée, maintenant, la griserie de l’interdit, le subtil frisson du voyeur qui découvre ce qui lui est si fermement caché… du cul, du cul, du cul, partout, tout le temps, à tous les étages… ça fourre, ça couine, ça gémit en de grands hahanements bien appuyés…. c’est comme une grosse bouffe avec une farandole de desserts qui n’en finit pas, totalement indigeste et vaguement écœurante… et si, au moins, ça faisait monter la température dans les culottes ! Mais non, c’était de l’érotisation de plombier ou l’art de fourrer les orifices… des vulves, des seins, des anus, des doigts et, de temps à autre, une bite qui fourrait tout ça comme si elle voulait éclater une taupe au fond du trou… les films se ressemblaient tous : de petites nanas dépoilées et siliconées, avec de petits culs lisses si étroits qu’on se demandait comment elles pouvaient supporter de se faire désarticuler par des empaleurs en série qui avaient tous des gueules de proxo mafieux des pays de l’Est… avec toujours la même séquence, pratiquement filmée en macro : cuni, pipe, levrette, sodo et éjac’ faciale… comment penser qu’une femme pouvait être bouleversée par une série de petits jets de sperme en pleine poire ?
Il y avait des variantes… des Noirs, des Japonaises qui couinaient en se tortillant, des gods, des vieux…. des araignées géantes, des aliens et des poulpes aux tentacules sexuelles… et toujours de longs plans-séquences sur des nanas qui se faisaient tringler… la métaphysique du vide, la sexualité du trou… le porno formaté et répété ad nauseam au service de la branlette hygiéniste…. et inutile de chercher le salut du côté du porno amateur sur Internet… c’était tellement fait par des mecs et pour des mecs que même eux ne marchaient plus à tous les coups.
Exploration sans fin (faim ?) des mots clés qui égrènaient tous les fantasmes, mais qui débouchaient (sic !) toujours, plus ou moins, sur le même manque de mise en scène d’un coït standardisé et sans âme… aussi, quand elle a entendu parler du porno pour les femmes, Lorenza s’est jetée dessus comme la naufragée du Titanic sur une bouée autochauffante !
– Se peut-il, m’a-t-elle sussuré d’une voix déjà haletante…, que des films pornos donnent carrément l’ambition de repenser la pornographie, de la révolutionner en laissant la caméra à des réalisatrices d’obédience féministe ?”.
Elle y a cru, elle avait vachement envie d’y croire, comme toute femme a envie de croire au shampoing qui donne une crinière de lionne qui brille au soleil… ou à la lessive qui lave toujours plus blanc et qui atomise les tâches qui ruinent le linge et le moral… elle a reluqué un extrait, le plus court, le plus prometteur du lot, en fantasmant sur la recréation du genre… et elle s’est pris en pleine poire un manifeste pour une sexualité sans hommes… et elle a jouit…
Ben oui, si pour moi, le sexe au féminin, ce n’était pas quelque chose qui excluait l’homme, le ridiculisait, le transformait en simple godemichet.. pour elle, c’était à voir : – Tu sais, j’aime les hommes, de préférence dotés d’un léger pelage qui ombre leurs cuisses, leurs fesses, leur ventre, j’aime les hommes bien faits et pas forcément body-buildés, j’aime les hommes avec leurs sourires ravageurs, leurs petites pudeurs déplacées, leur fragilité soigneusement dissimulée, j’aime les hommes qui aiment les femmes qui aiment les hommes. Et donc, forcément, pour moi, ce film retombe comme un vieux soufflet et n’apaise en rien mon envie d’être émue par une belle et éclatante sensualité masculine comme la tienne, m’avait-elle dit en poussant un soupir…
Evidement, je me suis mis à m’informer à sa demande… et quand j’ai cherché du “nu masculin” sur Google images, j’ai récupéré toute une iconographie glaçante de jeunes imberbes musculeux à destination des homos… finalement, Lorenza a eu raison de me demander de me pencher sur la question du porno vu par les filles… ce n’était pas mon univers, pas ma came, pas ma zone de combat.
Lorenza, par contre, est arrivée sur ce sujet avec l’exaltation gourmande d’une jeune employée qui vient d’être embauchée à l’usine de chocolat du coin, dans l’idée de se vautrer dans le stupre et la luxure sans culpabilité aucune : “Ben, c’est pour le boulot, quoi !”… et me voilà ici, dans GatsbyOnline, section SecretsInterdits, avec le cœur au bord des lèvres, submergé par l’abondance de chairs exposées, malaxées, par une déferlante de foutre et de vulgarité.
Oui, on veut du sexe, mais pas de la viande, pas des sexe-machines.
Oui, on veut du porno, mais du porno qui saurait mettre en scène l’alchimie subtile du désir et de la jouissance, un hymne à la sensualité et au plaisir partagé !
Bon, je m’absente quelques minutes, là, une envie urgente… Aaaaaaarrrggghhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh ! Waouwwwwwwwwww !