Fun Factory…
Ça arrive à plein de mecs…, on rencontre une belle meuf et, inexplicablement, on lui plait…, on fait connaissance, on se léche les muqueuses, chacun se choisit un côté du lit préféré… et puis un jour, ça nous tombe dessus comme un poisson mort nous tomberait sur la tête, ça y est : notre meuf a un nouveau joujou et elle l’aime plus que nous.
Gode, double zob, compagnon pour chattes solitaires, dom Juan d’Autriche, remplisseur de vide, ouvre-huîtres, marteau à palourdes, truelle à fleurs, explorateur de grottes mélancoliques…, chacun sa forme et son petit nom…, tous représentent le même danger pour le mâle timoré.
Par un bel après-midi de printemps, j’ai mis le cap sur la plus grande usine à sextoys d’Europe, afin d’éradiquer la menace la plus grave pesant sur les pénis de chair depuis qu’Abraham a inventé la circoncision.
La Fun Factory est située sur une petite bande de terre proche du fleuve Weser à Brême, dans le nord de l’Allemagne.., c’est un préfabriqué trapu, dans le genre de ceux qui fleurissent sur les tournages des films à gros budget, entre une boîte qui vend des pièces détachées et une papeterie.
Cela écrit, quand je me suis approché et que j’ai collé mon visage contre la paroi en verre de l’entrée, j’ai découvert un arc-en-ciel de couleurs et j’avais plus l’impression d’être au paradis du jouet que dans l’antre de l’enfer.
Les vibros, comme les voitures et les barres chocolatées, y sont produits à la chaîne, et les ouvrières qui les fabriquent, les massent et les nettoient… ne sont pas les perverses aux mains poisseuses qu’on pourrait s’attendre à rencontrer, elles sont aussi normales qu’une mère de famille allemande qui ferme les yeux sur le matos SM qu’on a laissé traîner dans le salon le jour où elle fait une visite surprise.
Prenons Sabrina, par exemple…, ça fait cinq ans qu’elle travaille à l’usine, son vibromasseur préféré c’est le Dolly Dolphin (la poupée dauphin) : “C’est un gode dont l’extrémité est une tête de dauphin rieuse au mignon nez retroussé : étanche et non toxique, le dildo Flipper est vendu avec un moteur puissant qui vrombit comme une Harley Davidson à fond les manettes”…
C’est du boulot de fabriquer des fausses bites, mais c’est pas non plus lugubre…, la société emploie autant d’hommes que de femmes…, Benni est l’un des plus jeunes hommes à travailler ici, à Brême, quand il sort pour draguer, les filles qu’il rencontre pensent d’abord que la Fun Factory est une boîte de nuit… et quand il leur dit qu’il travaille à l’augmentation du plaisir féminin, ça les excite un peu…, mais est-ce que ça aide vraiment à pécho que d’avoir des godes plein le CV ?
“Ça peut aider à démarrer une conversation, et comme pour coucher avec quelqu’un, il faut lui parler avant, en un sens oui ça aide” m’a dit Benni qui a pris du retard sur la chaîne et il a du gérer une invasion de minipénis noirs en caoutchouc…, gêné, il a reconnu être propriétaire de quelques sextoys.
Gunther devait avoir une vingtaine d’années de plus que Benni, avec l’œil bleu placide du pornographe, il coupait l’excédent de silicone qui dépasse des moules aussi calmement qu’il viderait des harengs : “C’est juste un boulot. Je n’ai pas honte de ce que je fais”, m’a-t-il-dit , sans que je ne lui ai pourtant rien demandé.
Gunther partageait son poste de travail avec Fritzi, une petite femme qui rougit quand on lui demande de parler anglais mais restait impassible quand un chargement de stimulateurs anaux arrivait en roulant sur l’établi, des Stubby, des vibros pourvus d’un renflement qui les empêche de disparaître dans les profondeurs obscures des trous de balle de leurs utilisateurs…, c’est que les accidents sont tellement fréquents que c’est devenu une préoccupation légitime.
On voit des photos sur Internet tout le temps, m’a dit dit Fritzy, qui insére des moteurs dans des tubes de vingt centimètres à longueur de journée et ajoutant : “Des opérations…, des vibros couverts de sang…, le muscle de l’anus est très puissant…, les gens ne se rendent pas compte”…
La Fun Factory produit des sextoys pour l’exportation depuis 1995 et fabrique environ 400 remplace-bites par jour, dans l’industrie on appelle ça “la cuisson” : on verse la silicone liquide dans un moule, on la chauffe, on la refroidit, puis on l’ôte du moule et on l’assemble.
Dirk, le boss de la Fun Factory, a fondé la société avec son ex-femme, il est célibataire aujourd’hui mais n’avait pas l’air de mal le vivre : “La plupart des filles que je rencontre ont entendu parler de la société avant de me connaître”, m’a-t-il-dit en arborant un jean et un tee-shirt que seul un PDG européen peut se spermettre.
À mon grand dam, il a ajouté : “L’ambiance n’est vraiment pas sexuelle. On a un certain nombre de tabous en moins, mais à part ça, ça ressemble à une boîte normale”…
J’ai décidé d’y aller cash : “Vous ne pensez pas que vos produits sont en train de faire aux hommes ce que la machine à laver a fait aux gants de vaisselle ?”…
Dirk ne s’est pas laissé démonter : “Les vibros sont des amis, pas de ennemis”…, m’a-t-il rétorqué avec l’air de vouloir refiler son premier fix à un gamin de 10 ans…, “Quand une femme vous ramène chez elle et que vous trouvez un énorme vibro dans sa salle de bain, rappellez-vous qu’elle vous a ramené parce qu’elle veut coucher avec vous. Et si elle joue avec elle-même c’est qu’elle s’aime. C’est tout ce qui compte”…
Quatre cents bites artificielles en un jour, cent cinquante mille en un an, chacune capable de détecter le point G aussi infailliblement qu’un cochon truffier les truffes…, sans surprise, la Fun Factory se targue d’obtenir des orgasmes du premier coup… et Dirk a une arme secrète : ses contrôleurs qualité, une équipe de choc composée de vingt personnes, quatorze femmes et six hommes, qui ont entre 20 et 45 ans et passent leur journée à la maison en pyjama et pantoufles, à tester les produits de la Fun Factory !
Après quatre semaines de testing, le groupe présente ses résultats et l’équipe de designers décide s’il est temps de passer à la fabrication ou si l’invention doit encore être perfectionnée.
Parmi les essais non aboutis, des vibros en forme de bâtiments célèbres et un vibro en forme de crocodile…, car un gode doit être efficace mais doit aussi avoir une personnalité.., les gens s’attachent à leurs godes, sentimentalement parlant… et la société reçoit souvent des lettres désespérées de clients qui recherchent des modèles dont la fabrication a cessé !
Il y a des idiosyncrasies selon les pays : “Les Belges aiment l’orange, mais pas le rouge. Les Français aiment le mauve mais détestent le jaune. Les Américains s’en foutent, ils ne gardent pas les yeux ouverts assez longtemps pour se soucier de la couleur et achètent tout ce qui leur passe sous la main… Le but de la vie c’est la reproduction, qui dépend de la sexualité”, a conclu Dirk en me raccompagnant après une journée bien remplie, alors que le soleil se couchait sur Brême, ajoutant en souriant : “Et souvenez-vous, un gode ne remplace jamais un vrai pénis, c’est juste un truc en plus”…
Alors que je m’éloignais, ces mots m’ont dissuadé de revenir sur mes pas, de défoncer les portes métalliques et de mettre le feu à l’usine…, l’ambiance avait beau être cool à la Fun Factory, impossible d’être rassuré quand on a perdu la confiance….
Les vibros et les godes ne sont pas l’ennemi naturel de l’homme, on le sait…, non, c’est juste comme les amis chiants d’une copine : ils sont toujours là, ils ont toujours raison et nous rappellent constamment qu’on est aussi jetable que le mec à qui appartenait le pénis qu’elle utilisait avant le notre…