Playboy/GatsbyOnline : Interview de Jean-Pierre Bourgeois
Le charme discret de la Bourgeoisie…
– Lisez-vous Playboy ?
– Évidemment. Je suis attentif aussi bien aux photos qu’aux sujets de fond. J’étais un grand lecteur des Playboy de Hugh Hefner. J’adorais comparer les Playboy des différents pays. Le magazine allemand était complètement différent du magazine italien, par exemple.
– Avez-vous déjà collaboré avec Playboy ?
– Je n’ai été publié qu’une seule fois dans le Playboy américain. Hefner est venu un jour à Paris pour voir Daniel Filipacchi. C’était pour un très gros partenariat… Hefner s’engageait à diffuser le magazine Lui aux Etats-Unis, sous le titre de Oui, car plus facile à prononcer pour les américains. En échange, Filipacchi diffusait le Playboy américain transformé en Playboy français au sein de son groupe. Pendant 7 ans, j’ai été le photographe attitré du Playboy italien. La classe, non ?
– Et Gatsby ?
– Aussi bien GatsbyOnline que GatsbyMagazine, je dévore ! De même que King…
– Comment sublimer le nu féminin sans tomber dans la caricature de photos vulgaires pour camionneurs ?
– La solution miracle n’existe pas. Chaque photographe a un style et sa propre façon de percevoir les femmes. Pour moi, le plus important a toujours été de trouver le modèle qui suscite le rêve.
– Quelles femmes vous font rêver ?
– Celles que je peux présenter à ma mère. Celle que vous n’imaginez jamais poser pour des magazines de charme. Quand vous posez le regard sur elle, vous n’attendez pas à ce qu’elle enlève sa culotte. Là, on tombe dans le domaine du rêve ! C’est pour cette raison que j’ai eu les plus belles filles d’Europe à photographier, sans vouloir me vanter.
– Comment trouviez-vous ces sublimes modèles ?
– Maintenant je suis vieux, mais j’ai été jeune (rires). Jeune, j’étais pas mal (rires). J’avais la classe, j’étais fin, raffiné et je me présentais à elles avec un motif totalement avouable et justifié. J’étais le photographe ! Ça marchait souvent.
– Question de chance ?
– Question de don. Vous regardez mes books, il n’y a rien à jeter ! Toutes les filles ont quelque chose de spécial. Surtout, il n’y en a pas une de vulgaire. Corps naturel. Visage angélique. J’aurais toutes pu les présenter à ma mère (rires).
– C’est plus facile de convaincre une belle fille, une fille moyenne ou une fille moche ?
– C’est très simple de convaincre une fille super jolie. Celles qui sont supérieurement jolies acceptent facilement de poser nues. En revanche, c’est très compliqué d’envisager une prise de vue et une production avec une fille qui est moyenne, voire moche. Elles ont un tas de complexes. Mon travail est plus simple avec des bombes atomiques.
– Que pensez-vous des mouvements féministes radicaux qui veulent censurer à tout-va ?
– C’est impossible aujourd’hui de refaire ce que j’ai fait de 1974 jusqu’au début des années 2000. Aujourd’hui tout est fini ! Je plains la nouvelle génération. La société française n’est plus comme avant. C’est le contexte social qui veut ça. Je ne suis pas contre, je souligne simplement qu’il y a une grande mixité avec une prédominance des religions, notamment. Les extrémistes ont pris le poids sur tout ! Je n’ose plus aborder une fille dans la rue. Même un mannequin ! Si je dois encore photographier, j’irais travailler avec des étrangères, mais pas des françaises. Avec la mentalité actuelle, ce serait un danger mortel pour le photographe que je suis.
– Cette situation existe également aux Etats-Unis. Les 5 plus grands photographes encore vivants sont tous mis en examen pour agressions sexuelles ou viols…
– C’est triste. À mon avis, à 90% des cas, il s’agit de tentatives d’extorsion de fonds ou de vengeances parce qu’elles n’ont pas réussi à obtenir ce qu’elles voulaient. C’est très grave ! Je comprends très bien qu’on puisse reprocher à David Hamilton, par exemple, d’avoir photographié des filles très jeunes nues. Mais qu’on l’accuse de la sorte sans prendre en compte ce qu’il a à dire, c’est grave.
– Avec le temps, le métier de photographe a évolué. Les critères de beauté aussi ?
– Le problème c’est qu’il y a de moins en moins de photographes en activité. Surtout, il y a de moins en moins de magazines. Résultat, on n’a plus aucune référence. Les photos que vous allez publier dans votre Playboy et votre GatsbyOnline datent d’il y a longtemps. Je ne vois pas comment un jeune photographe peut s’en sortir aujourd’hui. C’est impossible. La presse écrite se meurt progressivement et les jeunes préfèrent glander derrière un écran. C’est une tristesse terrible pour moi.
– À quelle époque on trouvait les plus beaux modèles ?
– Dans les années 80 ! On a eu une période faste. Il suffit de voir les Top qui étaient dans les agences. Eva Herzigova… j’ai eu la chance de la rencontrer quand elle avait 18 ans. C’était Brigitte Bardot avec 20 centimètres de plus… Christy Tyrlington, Naomi Campbell, Claudia Schiffer… Des monstres de beauté !
– Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
– Les rencontres avec les gens. Les voyages aussi. Je suis allé plusieurs fois aux Philippines, aux Bahamas, dans des endroits somptueux. Je souhaite à tous de vivre ce que j’ai vécu. J’ai fait l’équivalent de 5 ou 6 fois le tour du Monde. Les seuls pays que je n’ai pas fait sont ceux qui étaient trop dangereux pour moi, mes modèles et mes équipes.
– Quel était le plus gros danger ?
– Les insectes (rires). Sérieusement, les insectes, les moustiques, les serpents. Vous pouvez vous faire piquer, mais vos modèles aussi. Je suis le seul responsable de mes équipes. J’ai donc refusé certains pays. Le plus dangereux a été le Mexique. Je suis tombé sur des petites bêtes venimeuses qui nous attaquaient. On a eu la chance de se carapater très vite. J’ai plié bagages et suis parti aux Bahamas (rires).
– Si vous deviez retenir une seule de vos modèles, ce serait qui ?
– La plus jolie que j’ai photographié était Debbie Dickinson. Puis une fille qui venait de Riga, dont j’ai oublié le nom. Sa beauté était à couper le souffle. Partout où j’allais, elle était à côté de moi. Que ce soit dans un restaurant, dans un club… tout le monde se taisait pour l’admirer lorsqu’on passait.
– Et quels sont vos pires souvenirs de photographe ?
– Je me suis pris un hurricane sur la tête aux Bahamas. C’était terrible. On était en face d’une île qui s’appelait Spanish Wears et de la maison dans laquelle on était enfermés, entre le bruit assourdissant et les volets qui claquaient, j’ai vu Spanish Wears disparaître… Un autre mauvais souvenir me vient en tête : une fois, j’ai atterri sur le ventre avec l’avion. Le train d’atterrissage ne sortant pas, il a fallu nous faire atterrir sur de la neige carbonique. Une autre fois, un avion 747 a pris feu en décollant de Miami. On a dû faire demi-tour et repartir avec les pompiers. Je suis un survivant.
– Un autre mauvais souvenir. Cette affaire de proxénétisme qui a secoué votre vie. Vous êtes allé en prison. Puis avez été innocenté. Vous racontez cette histoire extraordinaire dans un bouquin (« Profession : photographe » chez Ramsay). Comment tout a commencé ?
– Tout débute avec une dénonciation calomnieuse faite par un individu que j’avais vu deux ou trois fois dans ma vie, qui lui-même était embarqué dans une histoire effroyable. Ce détail, je ne l’ai su qu’après. Pour avoir une réduction de peine, ce type-là a donné de fausses informations à la police sur plusieurs personnes. Je le répète : toutes fausses ! Il espérait avoir 1 an ou 2 ans de réduction de peine sur les malversations et toutes les actions épouvantables qu’il a pu commettre.
– Qui est-il ?
– Nazim L. un libanais qui travaillait pour l’Emir du Qatar de l’époque (Cheikh Khalifa Ben Hamad Al Thani). Ça je ne le savais pas non plus. Il est venu me voir deux-trois fois pour avoir des filles afin de faire des photos en Angleterre. Je n’ai jamais donné suite. C’est peut-être par esprit de vengeance qu’il s’est acharné sur moi avec de fausses informations. La police lui a mis un deal sur la tête en lui promettant des choses à condition qu’il donne des noms. Les directeurs d’agence, les photographes, les talent’s scout… tous étaient visés !
– Avec plus de 2000 filles photographiées à votre actif, faisiez-vous figure de parfait coupable ?
– Effectivement. Et sur ces milliers de filles, vous pouviez en trouver deux ou trois qui n’étaient pas contentes (rires). Il y a une probabilité qui fait que ça peut devenir un risque.
– Reprenons la chronologie des faits. Accusation, puis arrestation ?
– Tout à fait. Ce type a dit que j’avais vendu des filles à son Emir avec qui il travaillait depuis 25 ans. Je n’ai jamais rencontré cet Emir. Je ne l’ai jamais vu. Jamais parlé. Rien. Nada. Mais on m’a embarqué suite à cette dénonciation calomnieuse. La loi de 1997 était différente de celle d’aujourd’hui. À l’époque, une déposition calomnieuse contre vous suffisait pour vous mettre en garde à vue.
– Il y a ce juge très spécial aussi…
– Le juge Frédéric Nguyen. C’était un fanatique. Il a décidé de m’arrêter, de me mettre au trou pendant l’enquête. Sans aucune preuve. Rien !
– Vous n’êtes pas chez vous au moment de l’arrestation ?
– Non. J’étais en rendez-vous extérieur avec une compagnie aérienne pour un partenariat… Quand je suis arrivé chez moi, la police était à l’intérieur. Ils étaient 5, armés jusqu’aux dents. Ma femme attachée sur une chaise au milieu du salon. Ils m’ont braqué avec un pistolet dès que je suis arrivé chez moi. J’ai cru que c’était un cambriolage. Dès qu’ils ont crié « Police, Police ! », j’ai été un peu rassuré. Ils ont expliqué leur perquisition et pourquoi ma femme était attachée. Je suis tombé sur une histoire invraisemblable. Ça commence le 27 janvier 1997 et ça a duré 2 ans. Je retrouve ma liberté après, blanchi à 99%. Bien entendu, les faits de proxénétisme qui m’ont été reprochés sont tombés complètement.
– Comment ?
– 9 mois après mon incarcération à la prison de Fleury-Mérogis, j’ai eu enfin le droit à une confrontation avec mon principal accusateur, qui devant le juge a décrété, d’un ton stupide : « Monsieur le Juge, maintenant que j’ai Bourgeois en face de moi. Je me rends compte que je me suis trompé de photographe ».
– Des envies de meurtre à ce moment ? (Rires)
– Bien sûr que j’avais envie de le tuer. Tout le monde d’ailleurs, car je n’étais pas la seule personne accusée. Il a balancé de fausses informations sur des personnes bien plus importantes que moi… Ça les a mis dans des situations catastrophiques.
– Qu’est devenu Nazim L. ?
– Il est mort !
– De quoi ?
– Je ne veux pas savoir. Mais il est mort. Il le méritait.
– Revenons un peu sur le juge Nguyen. Pas une histoire d’amour entre vous deux.
– Je crois que tout était calculé. En me visant moi, il avait la certitude d’atteindre d’autres gens. Je suis tombé sur ce juge qui était vice-président du Syndicat de la Magistrature, et à l’époque c’était quelque chose de 10 fois pire par rapport à aujourd’hui. Les juges détenaient un pouvoir exceptionnel. Aujourd’hui, il y a une barrière avec la présence des juges des Libertés. Plus personne ne peut vous incarcérer de manière arbitraire.
– Donc le juge Nguyen voulait vous lettre au trou, peu importe les faits.
– Il voulait me faire passer 5 ou 6 ans en détention provisoire jusqu’à ce que je cède. Jusqu’à ce que je balance des choses qui n’ont pas existées, mais que le juge souhaitait entendre.
– En gros, un chantage.
– Un chantage odieux. Il m’a clairement dit : « Si vous me dîtes ce que je veux entendre, je peux envisager une libération avant la fin de ce siècle ». Des mots minables, dignes de lui et de sa face de citron pressé ! Il terminait toujours par une menace : « Sinon attendez-vous à une peine de détention terrible ». C’est à dire une peine de 20 à 25 ans de prison pour des faits que je n’avais jamais commis.
– Quelle était, précisément, l’accusation de Nazim L. ?
– Encore aujourd’hui, je me rappelle de sa voix de petite fouine : « Monsieur Bourgeois a travaillé pour mon patron qui était l’Emir du Qatar et lui a présenté entre 20 et 22 filles. À chaque fois, il a touché des enveloppes de 10 millions de francs ».
– Pourquoi la première confrontation intervient seulement 8 mois après ces accusations ?
– Impossible à expliquer ! Même mes avocats n’ont rien compris à l’histoire… C’est à cause de ce monstre. Le juge Nguyen était vietnamien. Tout petit. Lorsque mon accusateur s’est rétracté, il a viré du jaune au vert-gris (rires).
– Le juge s’est excusé ensuite ?
– Des excuses ? Le juge Nguyen ? Je ne souhaite à personne de rencontrer, de parler ou de connaître cet individu. C’est un monstre ! Vous savez le surnom qu’il avait au Palais de Justice, donné par ses pairs ? Pol Pot. Je lui ai dit dans son bureau : « Monsieur le Juge, on ne me surnomme pas Hitler ou Staline, moi ». Il le savait. Il aimait bien. Le seul plaisir de cet individu c’est de faire souffrir les gens.
– Reprenons le fil. Que se passe-t-il au moment de la révélation de Nazim L. ?
– Mes avocats étaient à deux doigts du fou rire. Je me suis levé et j’ai dit : « Monsieur le Juge, vous voyez bien que c’est une erreur, que ce type a menti pour avoir une réduction de peine. Maintenant que vous m’avez sali dans la presse et sali partout, j’espère que vous aurez l’honnêteté professionnelle d’arrêter cette mascarade. Il n’y a pas d’argent. Pas de putes. Pas de réseau. Pas de clients ». Surréaliste. Comme dans un film. Et là, il me dit : « Monsieur Bourgeois, de toutes façons, j’irai jusqu’au bout. Je n’aime pas la vie que vous avez eue. Je n’aime pas le personnage que vous êtes. Et je n’aime pas la conduite que vous avez eue ». Résultat : il me met en Criminelle pour viols aggravés sur une vingtaine de modèles.
– En attendant, enfin libre ?
– Non. Je suis resté encore un petit moment en prison… Des dizaines de policiers ont fait le tour du Monde pour essayer de prouver les agissements dont on m’accusait. Ils ont interrogé mes anciens collaborateurs du journal Lui et plusieurs modèles avec qui j’ai travaillé. Ils disaient tous la même chose : « Il n’y a pas plus pro. Pas plus gentil que monsieur Bourgeois ». Mais le juge s’en fichait. Quand on se voyait, il me disait : « Derrière votre aspect gentil et aimable, vous êtes un hypocrite. J’arriverai à percer ça ». Je vivais un véritable acharnement.
– Un juge aussi important ne peut pas simplement vouloir vous coller au trou, quand même…
– Il en voulait à mon carnet d’adresses. Du coup, il buvait religieusement toutes les paroles de mon accusateur qui n’avait honte de rien. Après s’être rétracté de sa première accusation à mon encontre, il affirme : « Vous comprenez monsieur le Juge. Ce n’est pas monsieur Bourgeois qui importe dans cette histoire, mais d’autres gens. Bien plus importants ! Des gens avec qui il a travaillé ! Eux ont présenté des filles à tous les Émirs. Tous les Princes du monde entier ».
– Vous connaissiez ces « gens importants » en question ?
– Effectivement je les connaissais MAIS lorsque j’avais 20 ans. Ça faisait des décennies que je ne les avais pas revus !
– Mais comment Nazim L pouvait être au courant de tous ces liens d’amitié ?
– Il vivait à Monte Carlo, à Londres, dans le Chester… Il était dans les hautes sphères princières. Il n’avait pas beaucoup d’argent, mais se faisait entretenir par ses hôtes. Il avait le rythme de vie et la possibilité de voir des choses. À un moment, il a commencé à parler de Brigitte Nielsen (chanteuse, actrice et mannequin danoise) : « Monsieur le juge, Brigitte Nielsen était présente. Monsieur Bourgeois aussi. Il l’a vue. Brigitte Nielsen a fait l’amour avec mon Prince ». Ce prince libanais en question, je le connais. C’est mon ami. Je ne donnerai pas de noms par respect pour lui. Mais voilà ce qu’il se passe. Le juge Nguyen voulait la peau de cette personne importante et de toutes les autres que j’avais pu connaître ou côtoyer. En démolissant publiquement ces types, ça lui procurait une ouverture politique, ou je ne sais quoi. Il s’est donc servi de moi. En me poussant dans mes retranchements, il était persuadé d’avoir de nouveaux noms…
– Pendant ce temps, comment avance l’enquête des policiers ? Des filles ont parlé ?
– Oui, mais c’est normal car ils faisaient croire aux filles que si elles se constituaient Partie Civile ou si elles faisaient une déposition contre moi, elles pouvaient peut-être gagner un peu d’argent. Là, on tombe dans l’inhumain. Du coup, certaines ont inventé deux trois bricoles dans l’espoir de s’enrichir. Et là, j’ai vu les nationalités avec lesquelles il ne faut pas travailler (les suédoises sont les pires) et celles qui ont encore un peu d’honneur (les tchèques).
– Quelle était la pire déposition contre vous ?
– Je ne donnerai aucun nom ! Mais je peux vous raconter cette histoire avec une mannequin suisse. Elle était dans un casting avec trois autres filles. Dès que je l’ai vue, j’ai su que je voulais travailler avec elle. J’ai dit aux autres de repartir car mon choix s’est arrêté avant même les photos ! À l’époque, en 95, je travaillais pour une marque française de cosmétiques et pour le journal Lui. J’ai d’abord appelé le patron de la maison de cosmétiques. Il est réticent, je lui dis : « Viens ! Fais-moi confiance. Ne discute pas ». Évidemment, il a vite compris que c’était une perle. Il donne donc le feu vert. Ensuite, elle me suit dans les locaux du journal Lui. Je lui présente toute l’équipe et en dix minutes, elle signe deux contrats super juteux ! Pour la faire simple, je lui change la vie, en bien ! Et celle-là, deux ans après, lorsqu’elle est interrogée par le juge Nguyen et la police, ose m’attaquer en se la jouant Marie Madeleine : « Mais vous comprenez monsieur le Juge, je n’ai jamais accepté de faire des photos entièrement nues. Moi, je suis venue pour faire des photos en maillot de bain. Je pense que le photographe était caché derrière une dune et quand je changeais les maillots de bain, il en profitait pour me photographier nue ». Mais comment on peut tolérer de telles conneries ? Alors que j’avais 4500 photos d’elle où elle posait entièrement nue devant ma caméra avec un sourire à s’en défoncer la tronche ! Elle m’a fait passer devant la police et le juge pour un homme atroce. Pour un monstre qui profitait de la naïveté d’une femme de 18 ans. Si je n’avais pas eu la maturité, la malice et l’intelligence pour pouvoir me défendre, je serais mort en prison pour des faits que je n’ai pas commis.
– L’épisode Robert De Niro a été le plus médiatique, mais également celui qui va vous sauver.
– Le juge cherchait et ne trouvait rien. Alors il est tombé sur Robert De Niro. L’histoire est simple à comprendre : Robert De Niro, qui est un ami de longue date, est tombé amoureux d’une de mes modèles. Le problème c’est qu’il habitait New York, la jeune fille habitait Londres. Pour se voir, il fallait qu’il lui envoie des billets d’avion. On m’a fait passer pour un horrible rabatteur !
– Je me souviens de cette anecdote. Vous l’aviez racontée sur le plateau de Thierry Ardisson lors de votre passage à l’émission « Tout le monde en parle ».
– Quel connard… lui, qu’est-ce que je lui ai mis ! Ça été coupé au montage, mais il se souvient encore de mon passage. Je peux vous le dire !
– Revenons à De Niro, vous étiez très amis ?
– On avait une passion en commun : la pêche. Robert De Niro a plusieurs restaurants de Sushi dans le monde. Des bons, pas de la merde. Il allait souvent à Saint-Tropez. Moi aussi. Comme je pêchais très bien, il venait pêcher avec moi le matin et on dînait le soir. Un truc de rêve ! Quand il est venu me voir pour évoquer la femme dont il était amoureux, il n’était vraiment pas bien. Il était timide et n’osait agir seul, car il avait eu le flash ! « Tu crois que je peux lui demander son numéro de téléphone. Je n’ose pas » me dit-il. Vous voyez la relation qu’on avait ? Ça n’a rien à voir avec la chair fraîche qu’on vend sur le marché ! Je lui dit : « Bobby, elle est jamaïcaine. Elle démarre dans la photo. Elle a besoin de travailler. En plus, elle parle ta langue. Tu peux correspondre avec elle. Si tu peux lui donner un coup de main, elle en serait ravie. Elle est folle de joie ». Ils ont donc correspondu ensemble. De Niro m’a ensuite demandé de faire lui remettre les billets d’avion pour qu’elle le rejoigne à New York.
– Il n’en faut pas plus pour vous accuser de rabatteur.
– Exact. Cette affaire est partie super loin. Tout le monde en a parlé. Un jour, Robert De Niro devait venir à Paris pour un tournage. Son plus mauvais film (rires). Il était content de venir en France car il devait également recevoir un prix d’honneur pour l’ensemble de sa carrière ! Sauf que les choses n’ont pas tourné comme il le souhaitait. Le juge Nguyen voulait se le faire ! Les policiers sont allés chercher De Niro à l’hôtel Bristol, alors qu’il était encore en train de petit-déjeuner. Une garde à vue qui a duré toute la journée ! Il était en colère. Alors pour se défendre, il a décidé de faire une grande conférence de presse en compagnie de Guillaume Durand et Georges Kiejman ! C’est passé sur Canal Plus. Georges Kiejman, qui à l’époque était une sorte d’Eric Dupont-Moretti en 10 fois pire a littéralement détruit le juge Nguyen en direct (rires).
– Vous étiez devant votre poste de télévision ?
– Oui. Presque tous les prisonniers avaient Canal +.
– Vive Mitterrand ! (rires).
– Dans mon aile à Fleury, lorsque Kiejman détruit Nguyen, les 300 détenus commencent à hurler, à taper dans les portes avec leurs plats en fer : « Allez Bourgeois ! Tu vas l’enculer ce juge ! ». Peut-être que ça lui aurait fait plaisir mais avec moi ça ne risquait pas. (rires). C’était invraisemblable. La révolution à Fleury-Mérogis. Le lendemain matin, deux surveillants viennent avec des magazines, dont Paris Match et me demandent des autographes !
– L’affaire se médiatise et toujours rien contre vous. Que fait le juge ?
– De la branlette ! Il ne peut rien faire, si ce n’est une erreur. Seule une erreur peut me sauver la vie. Elle finit par arriver. Après avoir auditionné Robert de Niro, le juge Nguyen m’accuse de manière tout à fait formelle d’être coupable sur des faits que j’ai toujours niés. Le juge doit acter les procès-verbaux avec nuance. Si la nuance manque, il outrepasse ses fonctions et devient président de chambre à la place de juge d’instruction. Mes avocats ont pris connaissance de cette erreur. L’un d’eux est venu me voir et m’a passé un petit bout de papier comportant un texte. Je devais l’apprendre par cœur ! « On le tient par les couilles, on le tient », répétait mon avocat ! (rires). Le surlendemain, je suis convoqué devant le juge. Enfin la confrontation. Il me dit : « Monsieur Bourgeois, je vous ai convoqué pour vous parler de ce qu’il s’est passé avec monsieur Robert De Niro. Je veux enfin savoir la vérité de cette histoire. Pour moi, c’est un délit de proxénétisme et je veux l’établir en bonne et due forme ». Je réponds : « J’ai d’abord une déclaration à vous faire, mais pour ça, je veux votre autorisation pour que madame la Greffière l’acte maintenant».
– Effectivement En droit, ce qui n’est pas acté n’est pas valable.
– Il réfléchit. Enlève ses lunettes de merde. Regarde la Greffière et lui dit : « Marilyn, ça fait longtemps qu’on détient monsieur Bourgeois, on peut bien lui accorder une petite faveur ». Je récite alors le texte de mon petit bout de papier : « Monsieur le juge, il s’avère que mon avocat qui est passé me voir avant-hier m’a raconté ce qu’il s’est passé entre vous et monsieur Robert De Niro. Il s’avère que vous m’avez accusé d’office sur des faits que je n’ai jamais commis. Il s’avère donc, qu’en signifiant tout cela sans point d’interrogation, sans virgule, en m’accusant d’office sur des faits que j’ai toujours niés, j’estime que vous êtes sorti de votre rôle de Juge d’instruction et êtes devenu Président de Chambre. Ça mérite une grande sanction. Je dépose plainte officiellement contre vous et demande votre désistement immédiat au Procureur Général de la République. À partir de maintenant, je ne répondrai plus à vos questions et ne veux plus jamais vous revoir ». Oh la tête ! Le plus grand moment de ma vie avec la naissance de mon fils.
– Un dernier mot sur la prison ? Comment c’était ?
– Une période pénible pour moi. C’est grâce à mes voyages et mon ouverture sur le monde que j’ai réussi à y survivre. Durant mes voyages, j’ai visité les endroits les plus fabuleux et les endroits les plus pauvres du monde. J’ai côtoyé les hommes les plus riches du monde, mais également ceux qui vivaient dans la plus grande misère. J’ai beaucoup d’amis très pauvres. Je m’adapte à tout le monde à partir du moment où les gens ne sont pas dangereux. Je parlais espagnol, anglais, français et italien : il y avait beaucoup d’étrangers dans mon aile à Fleury. Certains me demandaient de devenir leur interprète. Je suis devenu l’écrivain public de toute mon aile. Dès qu’un détenu étranger voulait écrire une lettre à son avocat, je l’aidais.
– Le pire souvenir en prison ?
– Ma mère est morte de chagrin, trois mois après mon entrée à Fleury-Mérogis. Le juge ne voulait pas que j’assiste à son enterrement. Motif : risque d’évasion durant la cérémonie…
– Que retenez-vous de votre parcours atypique ?
– J’ai eu une vie exceptionnelle. J’ai travaillé pour une cinquantaine de revues différentes. J’ai eu plus de 2500 couvertures. Maintenant je suis en interview et photos dans PlayBoy et GatsbyOnline ! C’est pas mal. C’est même grandiose !
– Si vous deviez retenir qu’une seule chose ?
– Avoir rencontré Natacha, ma femme. Elle a été présente dans tous les moments de ma vie. L’amour est plus fort que tout.
– Un grand merci à Leti pour son aide et sa collaboration.