Il la collait comme un arapède ou un rémora, non pas que je veuille insinuer qu’elle soit une digne représentante de la famille des squales, la malheureuse, elle avait déjà bien assez de mal pour rentrer chez elle en tractant le parasite solidement arrimé dans son sillage.
Ca avait commencé plus tôt, impossible de s’en dépêtrer, du très collant, celui qui s’égouttait littéralement sur ses genoux parce que, elle, c’était comme une aube au dessus des ruines de Babylone ou des cités perdues des mayas, livrées aux perroquets dyslexiques et/ou stoppés en pleine croissance.
A moins qu’il ne lui ait simplement dit qu’il voulait la sauter…, mais avec le regard du lapereau face aux canons jumelés.
Elle ne savait plus exactement comment cela avait commencé.
Mal, c’était certain.
Lui bourré, elle aussi, mais bien plus que de coutume.
Surtout elle qui ne se souvenait absolument rien du début de la pièce, du moment où l’obscurité s’était faite, quand elle aurait pu déceler le ronronnement du projecteur 35mm lancé sur sa première bobine.
Et se méfier.
Seule certitude, c’est qu’à force de jouer au remorqueur dans la nuit, elle avait fini par arriver chez elle et partager son salon avec lui.
– Et maintenant, on fait quoi ?… qu’elle lui avait demandé, agacée, fatiguée, un début de migraine forant son cerveau au dessus de l’œil gauche.
L’autre n’avait rien répondu et avait méticuleusement inspecté la pièce, sans changer de place, par de simples mais nombreuses torsions du cou.
Elle lui en avait presque été reconnaissante, d’accorder ainsi à son corps perclus d’éthanol quelques minutes de repos.
Elle avait quand même trouvé la force de lui expliquer une fois de plus qu’elle ne coucherait sous aucun prétexte…, même ivre morte…, même s’il était la dernière paires de couilles d’une terre dévastée par la troisième guerre mondiale…, même si, par Dieu sait quel miracle, en la tronchant il avait le pouvoir la guérir de la leucémie qu’elle n’avait pas…, mais sait-on jamais dans le monde exubérant des hypothèses…
Evidemment, devant la tournure des évènements, il avait endossé sa panoplie de rongeur phtisique traité au prozac, aux grands yeux gorgés de toute la misère du monde jusqu’à la gerbe, et avait pleurniché, quémandé, imploré, mais sans oser faire un pas, craignant probablement qu’elle ne lui en retourne une, alors qu’il la dominait d’une tête.
Et après, cette petite lopette qui susurrait (et fallait l’entendre ce susurrement de poivrot geignard) qui lui demandait : “S’il te plait, montre moi au moins tes seins, ou ta chatte ou les deux, que je vois ton cul, au moins, après tout ce trajet dehors, et il pleut maintenant, dehors, je vais pas ressortir, fais un effort, aies pitié“…, avec la voix d’un mec qui vient acheter ses esclaves en leur faisant ouvrir la bouche pour voir l’état des dents…, mais un négrier à la cool…, avec un t-shirt “Louise Attaque” et un diamant dans le lobe de l’oreille.
Une saloperie de négrier sympa.
De toute façon, elle le voyait venir, sa queue ne lui était plus de la moindre utilité, il la voulait à poil, pour la “caresser” avec ses paluches qu’il contrôlait à peine, lui baver dessus (ce devait être ça ses baisers langoureux), et au final la doigter devant/derrière…, l’apothéose !
Elle était tellement mal, tellement saoule, tellement épuisée par le babil obscène et entêtant de l’autre érotomane en bout de course, qu’elle n’arrivait même pas à simplement le f… dehors, à coups de pieds au cul, s’il le fallait.
Elle se contentait de le contrer à chacune de ses expectorations de bouts de fesses fantasmées, de plus en plus crevée, de plus en plus acculée, comme une bête blessée par les picadors, affolée, cherchant une issue qui se dissolvait à chaque minute.
Malgré tout, elle restait ferme quant à son “non“, et l’autre con a cru que c’était le moment de sortir le grand jeu ; il est entré dans la cuisine, y a farfouillé une minute tout au plus, puis est ressorti un “laguiole” à la main, triomphant avec une estafilade au front.
– C’est quoi ces conneries, qu’elle lui a demandé ?
Et lui paraissait tout fier de sa petite blessure de troisième zone, il y prélevait un peu de sang du bout des doigts et les portait à sa bouche pour les goûter.
Mucho Macho dans sa tête.
Mucho conno, surtout.
Parce que ça l’a mise en rage et elle a commencé à gueuler pour savoir ce que c’était ce putain de cirque.
Il voulait la violer en la menaçant avec sa navaja tout juste bonne à enlever la croûte du fromage, lui affirmant qu’il avait des cojones en téflon parce qu’il s’était entaillé le derme sur 2 mm…
On ne mesure jamais la qualité presque surhumaine du mépris qui peut jaillir de la bouche d’une femme.
Il a tout d’abord paru imploser, disparaître en un petit nuage sombre et graisseux, puis a repris une stature anthropomorphe, mais tremblotante comme si ses os avaient été changés en jelly.
Il a commencé à pleurer, pleurer, presque comme un nourrisson, en la traitant de sale fille, de méchante, de sans cœur, en évitant les termes trop connotés du genre “salope“.
Il n’était plus en position de force…, il ne l’avait jamais été mais l’avait cru un instant dans sa petite tête pleine de coke et de vodka… et espérait pouvoir s’en tirer les cuisses propres, une forme de retraite honorable ou de recul stratégique.
Mais il a choisi la mauvaise option et a menacé de se trancher les poignets si elle continuait à l’insulter.
Elle s’est mise à rire comme une folle, littéralement, tout en le traitant de maricón, de mariposa et de petite bite… entre autres.
Et le con y est allé franco : bien sûr aucune artère n’a été touchée, le sang n’a pas jailli à badigeonner les murs, mais ça a commencé tout de même à pisser et jusque sur le plancher.
Là, ses plombs ont sauté : elle l’a chopé par le bras, lui faisant lâcher le couteau, l’a traîné jusqu’à la porte d’entrée… et l’a balancé dans le couloir.
Il s’est mis à gueuler comme un putois qu’elle l’envoyait à la mort dans cet état.
Elle est retourné chez elle, est revenue au bout de quelques secondes et lui a jeté deux bandes Velpeau en lui disant de se démerder avec.
Après, elle a eu comme un blanc : ce qui est sûr c’est qu’un voisin s’est pointé à cause du raffut (il devait être vers les 4 heures du matin) ; il a vu le blessé sur le palier qui sanglotait incapable de se contrôler et elle, les seins à l’air qui l’insultait, le regard aussi noir qu’une divinité de la vengeance et des malédictions.
Il est retourné chez lui au grand galop dès qu’elle a tourné son regard furibard dans sa direction.
Ayant le champ libre, elle a fait descendre le séducteur mal avisé d’un soir à coup de pompes, en lui faisant dévaler les escaliers… et en n’oubliant jamais de lui relancer les Velpeau si le besoin s’en faisait sentir.
Quand elle est rentrée chez elle, elle n’a pas fait claquer la porte derrière elle.
Elle ne s’est pas jetée sur son lit pour éclater en sanglots.
Elle est resté hagarde dans le salon, de longues minutes, à la recherche de tâches de foutre, persuadée que l’autre con avait profité de l’état quasi cataleptique précédant sa furie pour se branler en douce.
Lorsqu’elle fut certaine que ce n’était pas le cas, elle s’est déshabillé calmement, s’est mise au lit tandis que le chat, paniqué et soigneusement planqué jusqu’alors, venait la rejoindre en ronronnant…