La colonisation a cherché à cadrer les Africains jusque dans leur sexualité…, la position du missionnaire fut un enjeu civilisationnel… et un échec.
Le premier accouplement humain a eu lieu en Afrique il y a environ trois millions d’années, c’est effectivement sur le continent noir que les plus vieux fossiles d’hominidés appartenant au genre Australopithecus ont été découverts… or, la nature étant ce qu’elle est, il a bien fallu que ces fossiles aient un papa et une maman… alors, comment s’y sont-ils pris ?
Mystère… ce qui est clair en revanche, c’est que le sexe a tarabusté très tôt nos lointains ancêtres, en témoignent les gravures rupestres de Tel-Issaghen et de Ti-n-Lalan (Fezzan, sud-ouest de la Libye) et les peintures pariétales du Zimbabwe mettant en scène des accouplements, collectifs ou non.
Dans un ouvrage d’érudition intitulé Eros noir publié en 1963, l’égyptologue italo-russe Boris de Rachewiltz a rendu compte de ses études sur la sexualité du continent noir… il y voyait une quête de l’âme africaine et commentait : “Cette perspective nous amène à constater que l’étiquette primitive appliquée à la civilisation noire actuelle n’est pas justifiée, puisque le monde des Noirs n’a fait que rétrograder dans le temps par rapport à ses prototypes archaïques… la faute au colonialisme”.
Un demi-siècle plus tard, le livre de Boris de Rachewiltz est davantage qu’une charge contre les Occidentaux et leur manière d’aborder le monde africain.
L’Eros noir est surtout un fabuleux inventaire de la sexualité de l’Afrique au moment où colons et missionnaires battent en retraite… ces mêmes missionnaires qui ont tenté d’apporter la civilisation aux indigènes pendant près d’un siècle, jusque dans leur sexualité… d’où la célèbre position éponyme !
Mythe ou réalité, que cette position du missionnaire ?
La réponse avec Armand Lequeux, sexologue et professeur à l’UCL : “Dans certains endroits, les missionnaires accompagnaient l’armée et aussi les commerçants dans les colonies. Pour que les indigènes puissent être dominés plus facilement, il fallait régulariser leur sexualité en la conformant à la nôtre. Le missionnaire, la position sexuelle qui est la plus utilisée au monde (mais c’est à confirmer), a été considérée comme la bonne, comme la seule autorisée. L’Eglise, c’était la civilisation et l’Europe occidentale c’était l’Eglise, l’Etat, les puissances, les penseurs etc… c’était un tout, c’était la même chose”…
C’est ainsi que des bons pères se mirent à prier leurs nouvelles ouailles d’adopter le mode copulatoire imposé en Occident par l’Eglise du Moyen-Age et que les Anglo-Saxons avaient cru breveter entre-temps en l’appelant “position de papa-maman” ou “position anglo-américaine”… la seule admissible !
A suivre Rachewiltz toutefois, en Afrique noire, il n’est rien resté de cet apprentissage obligé à la Chrétienté…
Pour s’en convaincre, il suffit de citer ce passage de l’Eros Noir évoquant une cérémonie rituelle mau-mau (Kenya) où sexes humains et animaux s’entremêlent toujours dans un but d’initiation… les forces de la nature y éclipsent complètement le prude christianisme : ces techniques érotiques visant en effet à forcer les portes de l’enfer afin d’évoquer les puissances des ténèbres et d’anéantir la personnalité individuelle, pour ne garder que la conscience collective, il faut donc bien souligner qu’il ne s’agit absolument pas de pratiques obscènes ou impures, mais de techniques ancestrales qui s’accordent à une conception du monde d’un point de vue métaphysique, basée sur la magie lunaire, le culte des ancêtres, les menstrues et l’esprit générationnel.
Les traditions ancestrales, les croyances, la sorcellerie et les usages locaux ont donc fait le tri dans l’enseignement des pères… Boris de Rachewiltz n’utilise d’ailleurs jamais les termes “position du missionnaire”…, il l’appelle “position de l’ange”.
L’égyptologue décrit en revanche une multitude d’autres pratiques sexuelles, observées dans différentes ethnies : les Sabei, les Gisu, les Nkundo et les Nandi préfèrent “la position de l’ange”, tandis que d’autres tribus aiment mieux le coït sur le côté… et que les Edo, les Ibo et les Mossi s’unissent dans les deux positions mais toujours sur une natte, car le contact direct avec la terre pourrait entraîner la sécheresse dans le pays, étant tabou !
Au moment de l’étreinte, les partenaires Swahili ne peuvent pas tousser, sous peine de provoquer une maladie difficile à guérir… les jeunes filles Swahili, de même que les Ethiopiennes, doivent préalablement danser le duk-duk qui comporte des mouvements syncopés de reins et dure parfois jusqu’à huit heures de suite : ces mouvements rythmiques étant destinés à rendre le coït plus agréable… ces coutumes organisent en réalité la vie et renvoient bien souvent les religions monothéistes, christianisme et islam, au placard une fois les rideaux tirés… toutefois ces mêmes coutumes comportent diverses obligations !
-Elles imposent circoncision et clitoridectomie.
-Elles interdisent, recommandent ou modulent la masturbation des adolescents et adolescentes.
-Elles mettent le plus souvent la femme entre parenthèses au moment des menstrues.
-Elles prévoient la monogamie, la polygamie, voire la polyandrie.
-Elles permettent aux épouses d’avoir des sigisbées (des amants attitrés) lorsque le mari a le loisir d’avoir un grand nombre de maîtresses.
-Elles interdisent l’inceste, organisent le mariage, sacralisent souvent la virginité des jeunes femmes, spécialement chez les populations islamisées.
-Elle acceptent la prostitution, prévoient parfois l’hospitalité sexuelle, rejettent ou accueillent volontiers l’adultère…
On est bien loin des préceptes enseignés par les missionnaires !
Dénoncer la colonisation en exposant la diversité sexuelle de l’Afrique ne fut cependant pas le combat du seul Boris de Rachewiltz… au début du vingtième siècle, l’Allemand Leo Frobenius s’est fait le chantre de la sensibilité africaine en s’attachant lui aussi à décrire les mœurs sexuelles des populations rencontrées… il notait ainsi que : “la position adoptée par certains groupes Yorouba du Dahomey est analogue à celle qui est en usage chez les Tamberma du Togo et dans les peuplades d’Abyssinie et du Nil oriental : soit la position dite ”éthiopienne” où les jambes de la femme sur le dos entourent les reins de l’homme, lui-même à genoux”.
Les périples des chasseurs, les épousailles entre membres de différentes tribus, l’influence lointaine de la splendeur égyptienne, tout cela a semble-t-il contribué à faire de la sexualité un point commun entre hommes et femmes vivant sur une ligne tracée de part en part du continent africain, d’Est en Ouest, et longue de plusieurs milliers de kilomètres…
Certains verront dans ses écrits une justification de la colonisation allemande face à celle des Français et des Anglais… d’autres concluront à la nostalgie des colonies allemandes perdues au terme de la Première Guerre mondiale… quoi qu’il en soit, l’anthropologue allemand aura une grande influence sur les théoriciens et poètes de la négritude, dont Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire… il faut toutefois noter que Frobenius était soutenu dans son entreprise par Guillaume II d’Allemagne… il avait donc à rendre des comptes.
L’Afrique a retenu de Frobenius sa science et sa sensibilité… Senghor, écrivain et président du Sénégal, écrira de lui : “Léo Frobenius nous avait embrigadés dans un nouveau Sturm und Drang, nous avait conduits à Wolfgang Goethe, un Goethe beau comme Ganymède, plus brillant qu’Alcibiade, et d’une téméraire audace. A la suite du rebelle, nous nous insurgions contre l’ordre de l’Occident, singulièrement contre sa raison”.
L’Occident n’a pas désarmé négativement pour autant, si les missionnaires n’ont pas réussi à imposer la position qui porte leur nom, ils ont en revanche apporté à l’Afrique les interdits moraux qui ont longtemps caractérisé la sexualité occidentale.
Une Burkinabé a commenté tout cela de manière assez simple : “Les gens de chez nous ne parlent pas de sexe, car c’est la religion catholique qui le leur interdit… et la religion, c’est aussi la coutume”….