L’histoire du culte des saints…, qui a pris racine dans le christianisme médiéval devenant d’une importance considérable, inséparable de celle du culte des Anges… présentent, comme caractères communs, des invocations et des hommages religieux adressés à des créatures… et un office d’intercession attribué à elles.
Les anges tiennent une grande place dans l’Ancien Testament, comme messagers et ministres de la volonté divine, on y trouve aussi des patriarches vénérés et des prophètes chargés des plus hautes missions et investis du pouvoir d’accomplir des miracles qui asservissaient les éléments et qui ressuscitaient les morts.
Néanmoins, il est impossible de découvrir dans les documents de l’Ancienne Alliance le moindre indice d’un culte affecté aux anges ou aux prophètes, ni d’invocations à eux adressées.
Cela était incompatible avec les conceptions des Juifs sur la souveraineté de l’Éternel (le Dieu fort et jaloux)… et avec les hommages religieux qui n’appartiennent qu’à lui seul.
Ces conceptions furent conservées dans leur tradition.
On lit dans le Talmud de Jérusalem : “Si quelqu’un tombe dans l’adversité, qu’il ne crie point vers Michaël ou vers Gabriel, mais qu’il crie vers moi et je lui répondrai aussitôt”…
En tant que Quelqu’un virtuel, quoique…, tombant dans l’adversité, je n’ai donc pas crié vers Michaël ou vers Gabriel, mais poussé un grand hurlement de douleur et de rage mélés… et une voix dans ma tête m’a murmuré : “Aide-toi, toi-même, le ciel n’y est pas, n’y peut rien, n’y est pour personne”…
Un illétrisme soudain m’a poussé, les deux mains tendues vers l’avant, vers le culte des seins inséparable de celui des anges… leur vouant soudain un culte masturbatoire au centre de mes invocations à la jouissance adressés à ces créatures avec lesquelles, peu à peu, dans le délire du stupre et les prières à sainte bandaison, divers offices d’intercession ont occupé une grande partie de mon temps !
Si tout est histoire de fixation, alors, il est inévitable que fleurissent les légendes, les mythes sexuels, religieux et politiques… et que, dans les archives de qui archive…, se pétrifient la mémoire des siècles passés, un passé se fait réminiscence mais dont certains objets obéissent à un autre régime temporel faits de rebuts semblant surgir d’un point qu’aucune historisation ne saurait fixer et dater.
La vie qui nous anime n’est pas celle de la temporalité, le passé est anachronique.
Le présent dans lequel il nous plonge, nous fige et nous pétrifie, est riche d’une mémoire première.
Pas d’une mémoire qui se repose dans les écrans ou les écrins du souvenir…, rien d’une mémoire épique qui est un mémorial, défaisant en nous le tissage convenu de nos propres filiations, de nos propres romances…, nous exposant à un immémorial de notre propre visage, face insolite et obsédante qui nous fixe de nos propres yeux dans les miroirs et réflections des objets, dans un temps qui n’est plus celui de l’histoire.
C’est le temps anhistorique de la pulsion qui séduit, menace et règne.
Cette face obscure mange tout le champ, tout l’espace… et devant elle, ou même d’elle à côté, les autres visages sagement et docilement découpés par l’alternance tracée des ombres et lumières, du jour et de la nuit, s’évanouissent comme autant de faux-semblants ou de contrefaçons.
La rencontre avec un ange, avec son corps, ses jambes, ses bras, von visage, ses seins…, c’est la rencontre d’une configuration qui ordonne autrement le temps et l’espace révélant le rien qui tient toute narration et toute fabrication des identités représentées.
Ainsi pouvons-nous, par le truchement de l’envie, de la grâce, de l’amour, renouer avec une mémoire essentielle, dépourvue encore du lustre de quelconques récits et imaginaires fantasmés, qui est celle du moment où une pure signifiance de présence, dépose et dispose une forme, marquée dans sa chair même d’un lent dégagement de l’informe, imposant au regard la temporalité de son surgissement.
Ce qui s’y désigne est que tout se fait possible, se construit, s’isole, se fait désir de forme, et même désir d’œuvre où s’enclôt et se réanime cérémoniellement l’anhistorique qui trouve asile dans notre corps, dans ce que nous ressentons.
Comme si nous pouvions à nouveau être les exacts contemporains de ces temps où le monde humain des formes humaines inventait par quoi les vivants pouvaient penser l’impossible qu’il y a à penser la vie.
L’inéluctabilité de finalement mourir de cette confrontation avec la vie qui saisit le vif, pour se faire le déchiffreur et l’héritier d’un temps historique, se fait par l’épique, le mythe.
Or ce passage qui est passage vers la parole qui nomme et découpe, qui est passage vers un monde régi par le rythme et par l’opposition des signifiants primordiaux (opposition du jour et de la nuit, du vivant et du mort) ne s’effectue pas sans perte.
La mémoire narrative, disjointe de la mémoire anhistorique, de celle qui est donnée par la face réelle du rebut, ne se fait pas sans la perte d’un sentiment de continuité entre les corps, entre les visages.
C’est un peu de cette continuité perdue entre notre visage et le Monde qui revient sur nous et nous dépayse de nous-mêmes, nous étrangle, nous rend paradoxalement seul et recouvert d ‘une ancestralité primordiale : la matière en elle-même…
Pourquoi la matière même par quoi ce buste est fait, joue-t-elle un rôle si éminent ?
L’empilement des couches de vie, les longues infusions sexuelles les unes dans les autres, abouche sur une compacte continuité, sorte de matière jouissante, sorte de tissu psychique, peu à peu animé, qui fait tresse avec une vie psychique encore sans jour et sans nuit, sans lumière et sans ombre, une vie psychique en limbe, insistante.
Loin de n’être qu’un surajout de misérables restes, ce volume que l’on obtient par la concaténation de cette forme active qu’est devenu le rebut, nous fait accéder à un geste encore plus ancien, un de ces gestes par lesquels, décisivement, une culture se fit civilisation.
Mais ce n’est pas une forme seulement qui en surgit, c’est un geste humain, qui s’y manifeste : l’enrobement.
Qui, aujourd’hui, voudrait remonter aux plus anciennes façons qu’à l’humain de dessiner à son corps un au-delà, le montage sacré d’une doublure métaphysique, rencontrerait inévitablement un de ces premiers fétiches qui hantait les nuits du Sumer et du Nil.
Quelques éclats d’os, quelques fragments de plumages, des écailles, des doigts d’écorce et de troncs, le tout entouré de bandes de papyrus ou de chanvre, patiemment enroulées les unes sur les autres afin de tenir l’ensemble, détrempées les unes sur les autres, infusées les unes dans les autres, réduites en magmas tremblés par endosmose et capillarité.
Leur insolite étendue est celle d’une mémoire atemporelle.
A un tournant de l’histoire, qui demanderait à être précisé, où l’on fixait les souverains les palais et les morts, où l’espace ne remuait plus ou presque, j’aime à supposer que la société allait progressivement chasser la dissonance, la dysharmonie, la négativité…, privilégiant la mémoire du récit sur la réminiscence des origines et des enfers.
Moins des rebuts, certes, que des morceaux de corps du monde et d’enveloppes du monde enserrant ce qui du corps humain n’a pas encore de double, n’a pas encore été pacifié par l’amour.
Dès avant le miroir, il se peut alors que ces formes actives, mouvantes, encloses en leur puissance contribuent à ériger des objets interlopes, composites qui reviendraient faire signe aux vivants après avoir essuyé de leurs enveloppements les rives de l’immortalité.
L’œuvre qui empile exsude et tord les rebuts, qui donne élan à l’informe, l’ouvre….
Pour évoquer les corps, les honorer et les vaincre, il faut les déplier entre veille et sommeil, ressentant alors la nécessité impérieuse de conserver comme une possession, une relique qui viendrait de l’autre, tel un reste de vêtement, une encore une bribe d’objet (monture de lunettes, par exemple, capuchon de stylo, fragment de photo)…, un objet reliquat qui condense et noue ensemble ces malheureux restes !
C’est autre chose qu’un souvenir, c’est une forme agissante qui redonne du semblant de corps à ce trou dans le maillage des semblances et des affiliations que constitue la disparition… et à partir de quoi une élaboration fantasmatique des altérités perdues en un non-lieu, peut se remettre en chemin et en chantier.
J’ai entendu ces pauvres litanies, ces psalmodies minimales et ténues qui accompagnaient la manipulation de ces reliques, ces façons de berceuses qui conjoignaient enfin… et à nouveau, le corps de la voix au corps du voir…, une forme rythme donnée au silence et orientant le silence, faisant ombilic de mémoire, avant qu’à partir de ce don de voix outrepassant la sidération où nous engloutissent les ténèbres obscures et mutiques, une mémoire narrative puisse refleurir.
J’en ai vu de ces reliques de ces objets vestiges, de ses paperasses…, qu’une investigation ethnopsychiatrique aussi malheureuse qu’offensante nommerait fétiche.
Si on suppose que l’objet reliquat est le reste diurne qui se repose dans les mains après la décantation des élaborations hallucinées, alors nous pourrions généraliser à parler de la matérialité de ce qui reste après l’expérience hallucinatoire.
Toutefois, il serait vain et dangereux aussi de s’y limiter, elle ne donne pas forme par elle-même à l’ombre.
Elle sert à évoquer une présence en attente de lui donner une forme.
Elle creuse dans l’évidence absurde et monochrome du monde le pli d’une présence qui est restée, jetée dans le chaos du monde.
Et ne serait-ce que pour supporter notre vie, l’hébergement psychique que nous pouvons faire de ce qui comme œuvre prend valeur de mémoire par le rebut, est d’un réconfort incalculable !
Il est fort difficile de ne pas diviniser les seins à qui on adresse des invocations et de qui on attend assistance pour une plus longue envie.
A cette difficulté se rattachent les questions suivantes : Comment les seins, masses inertes, simples glandes mammaires, connaissent-ils les prières qui leur sont adressées ?
Comment se produisent les effets de leur intercession ?
Je suppose que cette intercession exerce une sorte d’action coercitive, les seins étant considérés comme prenant part au processus sexuel, ils apportent au peuple une affection toute particulière pour les femmes, et vraisemblablement une sincère indulgence pour leurs faiblesses éprouvées…
Il est même naturel qu’on s’adressât à eux plus volontiers qu’à un nombril…, de sorte qu’ils devinrent de nouveaux médiateurs entre hommes et femmes, médiateurs auxquels on rend un culte plus assidu et plus fervent…, quoique les seins n’entendent rien des supplications.
C’est un élément essentiel de la parfaite félicité, que l’homme ne veuille rien de déraisonnable et qu’il ait ce qu’il veut.
Or, comme chacun connait ce qui se rapporte à lui, les seins, s’ils pouvaient penser par eux-mêmes devraient connaître ce qui se rapporte à eux, par conséquent, les prières qui leur sont adressées. D’ailleurs, à raison de leur rapport avec la jouissance, ils connaissent assez les autres êtres pour savoir ce qui doit servir à leur félicité.
Donc, ils doivent avoir connaissance des prières qui leur sont adressées.
Amen !