Le mystère Edouard Stern… #2
Fait-divers ou légende érotique, la mort d’un grand banquier prédateur, oiseau de proie au corps et au cœur soudainement transpercés par celui de l’oiselle, a résonné d’un timbre un peu plus profond dans des esprits érotiques, chez les fantasmants comme chez ceux qui vivent un tel échange sado-masochiste.
Le 28 février 2005, l’appartement d’Edouard Stern à Genève est forcé, pour y trouver la longue dépouille de ce géant colérique, enlacé de la tête aux pieds d’une gaine de latex couleur chair, percée de quatre balles dont deux tirées au visage à travers la cagoule.
L’enquête éclaire bientôt une femme, Cécile Brossard, belle de nuit, amante ravageuse et ravagée d’un homme qui ne l’était pas moins.
L’une a bâti, dans le domaine de la passion charnelle et obsessionnelle, un drakkar noir qui valait bien les montages financiers de l’autre.
Cette construction imaginaire, dans laquelle elle l’enchaînait aux rames et voulait qu’il la mène à l’extrémité d’un autre monde, ils n’ont pas su finalement la vivre tout à fait.
Incapable d’en débarquer l’un sans l’autre, incapable d’en laisser débarquer l’autre, ils se sont liés par des loyautés de sexe et de sang, jusqu’à ce qu’elle l’emporte finalement jusqu’au bout de sa nuit.
Une capacité finale de don égale à la brutalité dont, dit-on, il faisait preuve pour prendre, d’une manœuvre financière, le pouvoir des mains d’un étranger ou de son père, lorsque par exemple il lui arracha à ce dernier sa place à la tête de la banque familiale.
Géant décalé à la fin finalement grandiose, il fit, d’une façon dont personne ne pourra dire avec certitude si elle était psychologiquement délibérée, l’offre de sa vie à une folie qui lui ressemble.
Paix aux souvenirs de la famille, surtout s’ils ne peuvent comprendre cette dérive.
Tout ce qui est écrit ci-dessous ne vise pas à les atteindre, ce n’est qu’une réaction à la part d’ombre de ce Stern, l’homme qui leur a échappé, érotique et masochiste.
Cette dimension inconnue, je ne m’en saisis pas pour l’agiter comme un épouvantail à curieux, mais parce qu’elle interpelle, par ses fantasmes partagés et son issue intolérable.
J’ai entendu très peu d’échos en fait, de cette affaire, dans le monde des nuits décalées… une sorte d’embarras couvre l’événement.
Les échos s’échelonnent depuis les : “Ce n’est pas ainsi dans la réalité que les rencontres SM finissent“, cherchant à établir que cela n’a rien a voir avec ce que “eux” vivent…, jusqu’aux : “Il y a des soumis qui sont tellement pervers qu’il faudrait les abattre, cette fille mériterait une médaille“…
Pauvres réponses, de la gène à la haine.
Si vous partagez la même dérive, assumez-la avec superbe, pas forcément à la face du monde mais au moins en votre fort intérieur.
Une médaille, non, mais une légende, oui, à faire rentrer dans le panthéon de Sade et de Masoch, illustrant l’alliance paradoxale de la force et de la faiblesse.
Bien à l’opposé de faux soumis sordides (il semblerait qu’ils existent), seul un “roi du monde” pouvait déraper hors de tout contrôle jusqu’au bout de sa force et de sa faiblesse, avec et pour une femme qui jouait avec lui à la limite du précipice parce qu’elle était à la limite de sa propre fêlure.
Je laisse de côté l’histoire du million, elle ne m’intéresse pas.
Encore qu’elle ne soit pas sans rappeler “la Femme et le Pantin“, roman de Pierre Louÿs dont Bunuel tira “Cet obscur objet du désir“, dans lequel Conchita obtiendra de l’amant “le million“, un baiser sur son pied au travers la grille de la maison dont elle le rejette… et l’offrande de son humiliation frustrée.
Une angoisse à apaiser, un volet du jeu, nous ne le saurons pas, le million compte pour rien.
Celle qui a appuyé sur la gâchette ne mérite pas l’absolution selon la loi des hommes, mais le couple qu’ils ont formé devrait mériter, malgré le précipice final et encore est-il symbolique de leur passion même, un triple ban d’adieu dans le monde en négatif des passions SM…
Elle n’a plus vingt ans, plutôt trente peut-être, mais il ne se pose pas la question.
– Saint-Valérien (an 260) : Fiancé à Sainte Cécile, converti par elle le jour de leur mariage, condamné à mort et martyr… : Encore. Répète tout encore une fois. Le moindre détail. Je veux… Elle se tient en équilibre, juste au bord de la banquette profonde, le buste en avant. Inconsciemment, elle passe sa langue sur ses lèvres, c’est la troisième fois en une minute et cela ravive l’éclat gloss de son rouge à lèvres. Ces lèvres qui brillent retiennent toute son attention. Face à elle, cravate dénouée pendant négligemment à son cou, l’homme est captivé par la fascination qu’il suscite. Il reprend encore une fois. Elle veut tout savoir de ce qui s’est passé ce soir là, il ne peut pourtant pas lui en dire plus qu’il n’a vu, dans cet appartement à Genève où le grand banquier prédateur, au regard d’oiseau de proie a été foudroyé par l’oiselle, cette amante ravageuse et fragile qui a tiré quatre balles dans son corps.
Il est entré à la suite des autres, témoin de hasard parce qu’il était là avec eux quand ils ont quitté cette pénultième société qu’Il avait fondée… et les a suivi jusqu’à l’ouverture de la porte, l’exploration de l’appartement et la découverte de l’incroyable. Ses collègues ont juré, sans beaucoup de surprise lui a-t-il semblé, plus étonnés de la mort que de la mise en scène, efficace ! Immédiatement projetés dans l’action, ils ont envoyé la concierge attendre la police en bas de l’escalier et ont commencé à classer des dossiers : Pour protéger la confidentialité des clients, lui ont-ils expliqué, plus tard, sans qu’il ne leur ait rien demandé… il ne voyait rien d’autre de toutes façons, ce soir là, que le corps immense enserré dans sa gangue de latex chair, le fascinant comme la naissance du monde, prenant toute la place dans cette vaste pièce au point que ses yeux ne pouvaient plus s’en détacher.
Il en avait capturé tous les détails, inscrits dans sa mémoire photographique, jusqu’à la forme exacte de la coulée de sang séchée, formant mare dans la concavité de l’œil, avant de déborder et de couler plus bas, guidé par l’arrête du nez… et de rejoindre la ligne des lèvres… Là s’immiscer dans le dessin de la bouche obturée par la matière hermétique, le laissant incapable de goûter, même s’il avait encore eu à ce stade un restant de conscience, le goût de fer de son propre sang… il devait aimer son propre sang, elle a déjà du le lui faire goûter, sur son doigt.
Elle tend son index et quand il veut répondre, elle le lui glisse dans la bouche, l’empêchant de parler : Si, j’en suis sûr, forcément ils l’ont déjà fait… Sa gène, causée par le geste insolite de cette femme au milieu de ce restaurant, ne l’amène pas à se reculer ni à se dégager. Il ne bouge pas, il la laisse faire et elle le capture de son regard trouble, d’un brun doux presque flou, pendant qu’elle fouille sa bouche de son doigt.
Quand elle le retire, une lueur vive s’allume dans son œil et tout son visage s’éclaire : Tu vois. Exactement comme je viens de te le faire. Pareil ! Tu sens ce que ça veut dire ? Et comme il ne sait pas exactement quoi répondre mais qu’il y a ressenti un vertige confus, il lui répond oui pour ne pas la décevoir, sentant qu’il est sur une voie très étroite qui mène vers elle et qu’il n’a pas envie d’en chuter. Il la regarde hésitant, la voie en train de le dévisager de façon tellement intense, il sent qu’il devrait dire quelque chose mais est paralysé par la recherche du mot juste… et pour dire quoi. Elle sourit encore plus fort quant il baisse les yeux.
Elle a aimé ce scénario sans parole : Paie et demande mon manteau. Je veux rentrer… Elle s’esquive au fond de la salle, pour savourer seule en se remaquillant le plaisir de ces instants et pour ne pas faire durer ce moment fragile où elle le sent troublé. Elle aussi sans doute. Elle est séduite par sa force hésitante, lorsqu’il est devant elle et la laisse le mettre en déséquilibre. C’est bon. C’est si rare qu’elle en rencontre un dont la vibration incertaine réponde à ses attentes. Partir maintenant ! Ne pas prolonger cette scène. Ne pas prendre le risque de l’abîmer. S’il y avait eu une sortie dérobée, elle l’aurait planté là, avec un petit message téléphoné, pour maintenir ce pic. Il n’y en a pas.
Elle fait bouffer sur ses épaules ses cheveux blonds et revient dans la salle, vers lui, souriante et décidée, le laisse galamment l’aider à enfiler son long manteau de peau noire puis ouvrir les portes sur son chemin. Au pied de l’immeuble parisien, il s’est garé en double file, comme elle le lui a demandé… et elle lui a laissé faire le tour de sa voiture anglaise, en se hâtant, pour lui ouvrir la portière. Il enregistre les détails et leur signification, il n’est pas garé et elle ne compte donc pas le faire monter, il ne le demanderait d’ailleurs pas, il se tient seulement dans l’attente des indices de ce qu’elle souhaite. Si elle changeait d’avis, il ne compte pas retourner garer sa voiture, il en sera quitte pour aller la retirer le lendemain à la fourrière, ce ne serait pas la première fois. Cette femme là est à rebours de ses habitudes, elle est encore plus incendiaire qu’élégante, elle y met du goût mais les détails de sa tenue ne sont pas fait pour séduire sous une apparence de respectabilité, qui permettrait de dire non, mais au contraire pour ravager, sans faux semblant. Elle dégage sa jambe de la voiture, le froissement du nylon murmure à son oreille comme une voix subliminale. Son pied se pose sur le goudron, la cheville l’hypnotise, la courbe de la chaussure aussi, elle ignore sa main tendue et se redresse d’un élan de rein. Six pas qui claquent dans son oreille, la voici à la porte, fouillant dans son sac rouge à la recherche de clefs. Elle fouille longuement, sans crainte des stéréotypes féminins… et les clefs résonnent sur le sol, à ses pieds. Il les ramasse, les lui tends, elle le regarde goguenarde et les laisse tomber de nouveau, à ses pieds, auxquels il s’accroupi de nouveau. Cette fois, elle a glissé le trousseau devant une borne portière et la porte l’a avalé, le laissant sans un mot de plus, mais attaché à ce dernier regard qu’elle a enfoncé jusqu’à la garde dans son corps. Une image photographique encore, capturée par sa mémoire, ce gros plan sur les yeux de Chamrate, impossible à déchiffrer mais qu’il ne pourra pas oublier.
Il est comme ça, visuel, certaines images s’incrustent dans sa tête et l’accompagnent pendant des années, en fait, probablement jusqu’à la fin de sa vie.
A cause de cela, souvent, il se dit que vieillard il pourrait perdre la raison mais pas la mémoire, pas celle des images en tous cas, et ces yeux brun voilés, pourtant tellement profonds, moqueurs et intenses à la fois, feront partie de ces images dont il sait qu’elles ne l’abandonneront pas : Va chercher ! Et il y va, par tous les moyens qu’il peut imaginer, à la recherche de ce qu’elle veut savoir. Il ne lui dit jamais non, c’est comme un pacte entre eux, il cherche jusqu’au lendemain, pendant plusieurs jours parfois, et lorsqu’il a trouvé, il gagne le droit de la revoir. Elle ne veut jamais l’information à distance, ni au téléphone, ni par courriel. Il y gagne. Elle aussi. Elle se dit que c’est pour mieux le motiver.
Dresser un homme comme un chien, compter sur ses réflexes pavloviens, à chaque fois qu’il fait quelque chose pour elle le récompenser en lui permettant de la voir. Elle se fait rire quand elle défini sa méthode de cette façon là, tout en étant sûre que cela marche. Ne jamais oublier que les hommes sont des animaux. Elle aime les hommes subtils mais qui acceptent de se laisser traiter comme cela, en mâles entortillés par ses façons sophistiquées et femelles, son jeu de séduction exacerbé auquel elle a décidé de toujours gagner. Plus elle aime un homme, plus elle aime le manipuler. Action-punition-récompense, elle lui offre sa présence quand il réussi pour qu’il ai toujours plus envie de lui plaire. Elle n’est pas complètement dupe cependant, c’est elle aussi qui est prise.
Lorsqu’il revient bredouille et qu’elle le tient à distance, refuse de le voir, elle se frustre autant que lui : Tu sais ou est emprisonnée Cécile Brossard, la meurtrière d’Edouard Stern ? Elle est écrouée dans la prison de Champ-Dollon, en Suisse. C’est une petite prison, à peine plus de quatre cent détenus. Les journaux disent cinq cent, les statistiques de la prison quatre cent quarante! Champ-Dollon c’est à Thonex, tout près de Genève mais du côté Suisse de la frontière… Et elle débite, en phrases courtes et en chiffres précis, tout ce qu’il est possible de savoir sur cette prison ordinaire, des dates, l’équipe dirigeante, le système pénitentiaire Suisse, les conditions de la détentions provisoire… et les détails du régime des détenus, les contraintes qui leurs sont imposées, il réagit avec un intérêt si anxieux qu’il se demande si elle lui a dit toute la vérité, lorsqu’elle prétend ne pas la connaître…
Mais peut-être n’est-ce que de l’empathie, un instinct profond et humain, une fêlure commune qui résonne : Emmène-moi…
Il acquiesce, il ne comprend pas très bien ce qui lui arrive et dans quelle direction mène cette route sur laquelle elle l’entraîne, mais il sait qu’elle joue sur des leviers rivés au fond de lui et que personne avant elle n’a jamais voulu actionner… et puis, Stern, Brossard, cette histoire est resté rivée en lui aussi comme une marque au fer rouge, la vision qu’il a découverte dans l’appartement le hante mais plus encore, ce qu’il n’a pas vu, ce que personne ne peut savoir, les moments vécus entre ces deux protagonistes et qui les ont menés à cette ultime violence, en couronnement intolérable de toutes celles qui l’avaient inévitablement précédée.
Il ne sait rien, il ne peut pas s’empêcher d’imaginer… Chamrate, elle, depuis qu’il a accepté de la mener à la prison de Champ-Dollon, de nouveau rayonne, irrationnelle et magnétique, le bousculant sur un chemin où il a envie d’aller… seul, il ne s’y serait pas autorisé, cela ne rime à rien, mais lorsqu’il voit son regard clair transfiguré, il superpose cette exultation et celle qu’il peut facilement prêter à cette la femme qui a déclaré avoir tué le banquier sombre et magnifique… ce n’est pas son regard au moment où elle l’a tué, non, ce qui s’est passé ce jour là il ne parvient pas encore à se le représenter, mais il lui imagine bien ce regard lors des autres nuits, alors que son amant tout-puissant était pareillement emprisonné dans le harnais dont elle détenait la clef, titan impuissant entre ses mains, prisonnier de sa volonté à elle comme un fauve dompté.
Le trajet se fera en voiture… la manipulatrice et le manipulé… où est-ce le contraire, comptent déjà les longues heures de route dont-elle entend, à sa façon imprévisible, lui faire apprécier chaque minute : Viens me chercher, samedi matin. Tu viendras avec du café, très noir, très fort, et des croissants… et je veux aussi de la confiture de gingembre… tout ça à neuf heures et quart précisément… et… je ne veux pas avoir à aller t’ouvrir cette porte, tu me ramèneras la clef.
Il regarde comme une relique la tige de métal cranté qu’il a recueilli au creux de sa main… cette clef ouvre la porte de la femme qui l’obsède chaque jour un peu plus, il sait que cette serrure ne s’ouvre que pour qu’elle la referme sur lui… il pense aussi à la femme qui a brûlé le banquier de sa passion déraisonnée, le poussant en dehors des normes communément admises de la sexualité, lui qui ne croyait en aucune norme, aucune limite.. ils ont brûlé comme une flamme, union d’un carburant et d’un combustible… et aujourd’hui le combustible n’est plus.
Dans cette cellule de prison, complaisamment et sans doute faussement décrite par les journaux, il se l’imagine, à la fois défaite et déterminée, forcée à l’attente, forcée dans un emprisonnement qu’elle rejette de toutes ses fibres, vacillante, instable, matériau fissile prêt à se détruire s’il ne peut flamber de nouveau..; aller voir sa prison n’a aucun sens, c’est pourtant la seule chose qui compte : Tu n’auras qu’à dormir par terre, à mes pieds.
La nuit était tombée avant qu’ils n’arrivent… il restait devant eux toute la route des Alpes, tant ils avaient traîné par des chemins buissonniers, depuis le matin…, le midi plutôt après qu’elle ait interminablement traîné, prenant son temps pour se faire belle ou seulement le mettre sous pression… l’après-midi avait été folâtre, un parcours de papillon en zig zag à mesure que, son ongle rubis sur une carte, elle l’envoyait à chaque heure sur un chemin de traverse, pour visiter une nouvelle destination… à la tombée de la nuit, avant même de passer Lyon, elle avait repéré l’itinéraire sur une carte et lui donnait ses instructions précises : Quitte l’autoroute vers Villefranche…, puis Roanne…, maintenant Bagnols…, par là-bas… le château… entre et gare toi là… attends moi.
Elle était revenue le chercher avec un unique trousseau de clef, pour l’entraîner entre les murailles épaisses d’une architecture du XIIIème siècle.. une seule chambre, tant pis pour lui, il n’aura qu’à dormir sur le sol, au pied du lit, avec une sagesse exemplaire sans quoi… la banquette dans la voiture… il grommelle, plutôt attiré par la promesse de lui servir de descente de lit, n’y croyant qu’à moitié, mais ne voulant pas consentir trop vite… peut-être faut-il qu’il n’avoue pas son envie… dans les corridors, le luxe alterne avec la rigueur d’une forteresse conçue pour une époque de guerre… et, devant la porte de la chambre, elle s’arrête : Ouvre et rend moi la clef.
C’est elle qui referme la porte derrière eux, à double tour, faisant tinter le trousseau et le passant à sa ceinture : Range mes vêtements dans l’armoire et ferme les rideaux, fait attention à ce que tu fais, traite mes bottes avec respect… elle fait claquer ses talons sur le sol carrelé, au pied du lit, le regardant avec une lueur fauve dans ses yeux verts : Tu vas avoir froid cette nuit.
Il n’ose pas répondre, ne devinant pas ses intentions, souriant à moitié, comme à une plaisanterie, mais n’osant pas non plus présumer de son droit à partager le lit… il a pourtant vu le parking vide, c’est volontairement et pas faute de place qu’elle a demandé une seule chambre, un seul lit, mais cela ne lui dit pas s’il aura droit à le partager : Va prendre une douche mais ne ferme pas la porte.
Il l’attendra vainement sous la douche pourtant, elle ne franchi la porte que pour y déposer ses affaires de toilette et récupérer quelques uns des vêtements d’homme dont il a jonché le sol… ses yeux ne font qu’effleurer sa gêne, le frustrant de la caresse d’un regard indiscret… quand il ressort, un long courant d’air le fit frissonner… rideaux rouverts, elle fume à la fenêtre de la chambre, ouverte sur le parc et la nuit, et l’appelle : Viens ici, je veux te voir maintenant… non ne me touche pas.
Elle a arrêté ses mains à vingt centimètres de sa taille, alors qu’il cherchait à la fois la chaleur de son corps et son abri, embarrassé de sa position nue devant la fenêtre et les possibles yeux inconnus, intimidé de son regard à elle son ventre, qu’il rentre pour le rendre plus plat, sans oser gonfler la poitrine pourtant, pour ne pas se sentir plus ridicule encore dans une tentative de l’impressionner infantile : Tourne !
Il aurait préféré que les choses se passent différemment, pour ne pas se trouver ainsi, incapable de savoir comment éviter de paraître un niais absolu, mais sentant qu’il y aurait au moins autant de ridicule à dire non qu’à obéir… il fait comme elle le demande et bondit presque quand de ses doigts elle effleure ses fesses : Tu as un joli cul !
Une sonnerie à la porte le fait espérer être tiré de son embarras, mais une main sur son ventre l’arrête dans le frémissement qui le mettait en mouvement vers la salle de bain, pour y chercher un abri à son corps nu : Non, pas là. Derrière le rideau et je veux voir tes pieds dépasser, ne bouge plus jusqu’à ce que je revienne te chercher.
Dans le noir approximatif du rideau, alors que s’ouvre la porte de la chambre et qu’entre un majordome cliquetant du bruit de ses couverts, il sent une poussée de colère éclater soudain en lui comme une bulle molle… son sentiment prend un virage soudain… que fait-il ainsi à consentir à un jeu aussi idiot ?
Rien ne le tente plus, soudain, que d’espérer la venu de l’intrus, tirant le rideau, pour pouvoir lui allonger sans même savoir pourquoi un magistral coup de poing… mais rien ne vient… il se retient jusqu’à ce que la porte se referme et se dégage alors de la draperie d’une humeur devenue maussade… la femme le toise pendant qu’il enfile un peignoir et s’assied en face d’elle, devant la table roulante et les plats qu’elle a commandés, l’atmosphère est devenue de plomb.
Il mastique sous un regard narquois. Il a envie de tout envoyer balader mais s’arrête sur une crête fine, qui sépare la mauvaise humeur affichée de la scène : Tu veux partir ? Tu as quelque chose à dire ? Reprend la voiture, rentre à Paris, ce sera plus agréable sans toi...
Qu’a-t-elle dit ? Elle ne veut pas rentrer ? Une gifle magistrale le cueille. Étonné, il la regarde les yeux ronds. Sans répondre. Il reçoit une seconde claque sans comprendre : Qui t’a dit de te rhabiller ? Nu ! A genou !
Il est pris par surprise et ne sachant que faire, avant le troisième coup, obéi à l’injonction… le voici nu, au sol, et elle lui pointe du doigt et le pousse du genou vers le pied du lit, le fait s’allonger sur le carrelage frais… le grand corps, mètre quatre-vingt de viande étalée, ne bouge pas pendant qu’elle s’affaire autour de lui, sauf qu’en d’un appui du pied elle le repositionne… ilne sait pas s’il est hagard ou pris d’espoir… il a envie de cela et pourtant, lorsque le talon érafle sa chair, ce n’est pas du plaisir mais une morsure qu’il ressent, ses nerfs ne mentent pas et il a mal, mais il ne veut pas résister pourtant… autour de ses chevilles, elle resserre un cordon de rideau, soulève ses pieds, noue l’autre extrémité en hauteur au montant du lit : Les mains dans le dos !
Il ne sait pas que faire alors il obéit… Le voici attaché. Peut-être pas bien solidement pourtant mais il ne cherche pas à lutter. Elle a voulu l’attacher alors il est attaché, il veut que ce soit vrai, il se tait seulement parce qu’il a peur d’être ridicule. Et elle s’en va. Bientôt tout seul sur ce carrelage froid il se sent vraiment ridicule, pendant qu’elle met un temps interminable à se toiletter dans la salle de bain… et encore plus quand elle va se coucher, enjambe son corps sans même le toucher, s’allonge, éteint. Il ne se passe plus rien, sauf ce corps dénudé qui gigote maladroitement le ventre sur le sol, les pieds liés à dix centimètres du sol. Il ne se passe plus rien et il se sent envahi par une détresse imprévue, se demandant si c’était cela qu’Edouard Stern recherchait, ce sentiment ignoré qui ressemble au malheur, une impuissance inconnue parce qu’il n’est plus possible de lutter, puisque justement, à tout ce qui est arrivé on consent. Il ne se passe rien et sans savoir pourquoi, il se répète intérieurement son prénom, comme s’il avait besoin de s’en souvenir, comme s’il devait craindre de le perdre. Il sent la fissure et dans le craquèlement de sa personnalité, l’autre…
Mains sur le volant, il s’est stationné à cinquante mètres du mur, contact coupé… il attend de savoir ce qu’elle veut faire à présent… elle est assise à côté de lui, dans la même position qu’elle a conservée presque toute la matinée sur les routes de montagnes, n’en changeant même pas pour manger les hamburgers grappillés en guise de déjeuner. Pas de détour ce matin, départ rapide, conduite continue, comme si quelque chose était à présent urgent. Elle l’a traité avec gentillesse, il a tenté de prévenir ses désirs, mais tout ce qu’elle voulait, c’était qu’il la conduise droit jusqu’au but. Ils y sont.
Elle ôte ses pieds nus de la plage avant, où elle les a posé depuis qu’ils sont montés en voiture, déchaussés, distrayant son attention de ses jambes nues et de ses orteils ronds et blancs, laqués pâle, à l’extrémité d’une arche pure comme l’arc d’une église, lisse comme un muscle de fauve, obsédante… ce sont ces pieds qu’au matin, elle a posé sur son dos, en descendant de son lit pour aller se doucher… sa nuit avait été exécrable.
Il découvrit combien il est impossible de dormir attaché, même l’épuisement qui le gagnait ne parvenait pas à prendre le pas sur l’inconfort de la pose, accru au fil des heures… et chaque point de contact sur le sol devenait avec le temps une torture moins soutenable… il se sentait misérable, épuisé par la position et le sommeil volé, grelottant d’être nu, gagné par le froid carrelé qu’il embrassait de tout son corps, glacé par l’absence de circulation dans ses extrémité attachées.
Au milieu de la nuit, les liens sur un de ses poignets avaient glissé, ses mains étaient libres, il aurait pu se détacher, mais il ne voulu pas le faire… ce n’était pas à lui de se détacher mais à elle de le faire, il lui en voulu de le laisser ainsi, ne changea pas de position en continuant d’espérer que sa geôlière le libère et s’endormi ainsi, pour une heure ou deux de mauvais sommeil entrecoupé, avant de se réveiller encore plus moulu au petit jour.
Tout en ayant du mal à se comprendre, il glissa de nouveau ses mains dans leurs liens, dans son dos, pour qu’elle le retrouve comme elle l’avait laissé… il lui en voulu encore de son injustice, désespéra pendant une heure sans qu’elle ne se décide à bouger, frémi quand il l’entendit bouger… lorsqu’il sentit ses pieds se poser dans son dos, jouer un peu avec sa peau, le poids immense abattu toute la nuit sur lui s’évanouit sans qu’il s’en rende compte, en un instant… leur glissement contre sa chair lui caressait le cœur, comme ils auraient lissé le sable, effaçant toute possibilité de rancœur… d’un orteil, elle fit tomber le lien sur ses poignets… sa main tira sur le cordon attaché au lit libérant ses pieds… d’une voix un peu épaissie par la nuit, bienveillante pourtant, elle lui dit après avoir marché sur son dos, de s’allonger sur le lit et de se branler pendant qu’elle allait se préparer… il avait sombré plus d’une heure avant qu’elle ne le secoue doucement pour partir, une fois avalé brûlant un café.
Ces même pieds qui l’ont foulé puis fascinés tout le matin, exposé sous ses yeux comme une récompense, quittent le tableau de bord et se glissent dans des chaussures de cuir, très ville, très femme, aux talons stables mais très hauts et à l’arc aussi cambré que celui naturel de ses pieds… ils sont à présent devant la prison de Champ-Dollon : Attends-moi là, j’y vais… Mais il faut faire une demande préalable pour les visites, à l’administration pénitentiaire !
Elle enfile un manteau léger et long qui couvre ses genoux, fait le tour de la voiture et par la fenêtre ouverte l’embrasse pour la première fois, comme pour se porter chance, avant de partir vers le portail d’un pas décidé : Attends-moi !
Il y a l’ombre d’une supplique… le ciel suisse est devenu étonnement voilé, il attend comme au parking en tentant de lire un pamphlet de circonstance, Unlimited Emmerdement of New Order, où l ’administration Suisse est décrite en répétant des phrases sarcastiques selon une rythmique syncopée, façon pour lui d’écorcher le glacis de surface que présente ce pays au façons bien policées, comme l’incident Stern a fait un accroc dans la tranquillité du havre des financiers saoudiens et des affairistes russes… Stern aussi, à sa façon, semait ses touches de désordre dans des conseils malmenés… il ne l’avait croisé qu’à peine mais cet homme l’avait pourtant recruté, à l’issue d’une entrevue subite sur la foi d’une recommandation d’un client précédent auquel il avait, en quelques semaines d’analyse, fait gagner un ou deux millions, ajustant de quelques centièmes des procédés obscurs conçus par des mathématiciens pour des financiers… en huit minutes d’entretien à peine, le grand homme pressé avait eu l’arrogance de le jauger, de le choisir et de lui confier son plus gros contrat, le premier d’ailleurs qui resterait impayé.
Il ne se fait pas d’illusion, il ne joue pas dans la même catégorie qu’un Stern… il n’a pour lui, ni une fortune familiale initiale à investir, ni l’entregent de l’animal politique de conseils d’administration, prompt à fasciner comme à déchirer, qui étaient la marque de cet homme.
Lui n’a qu’une intelligence capable de broyer des chiffres avec plus de finesse et plus de puissance qu’aucun autre, une intuition logique rare lorsque l’on en arrive à des processus financier complexes, un talent utile pour faire gagner beaucoup d’argent à des hommes qui en ont encore plus.
Il suffit d’un tout petit peu d’avance sur les autres et dans certains domaines cela créé la différence, on en arrive vite à se croire infaillible.
Il se demande si c’est cela qui est arrivé à Stern, cette certitude d’infaillibilité au point de se croire en mesure de maîtriser une femme avec laquelle il n’aurait joué que parce qu’il était certain de pouvoir la contrôler.
Mais la porte de la prison se rouvre.. le son des talons qui se rapproche de lui le rappelle à une autre réalité… Chamrate approche, ses pieds se croisent à chaque pas, les hanches ondulent, la mine fermée n’ôte rien à sa séduction, son esprit, déjà, bafouille de nouveau.
Il fait le tour de la carrosserie pour ouvrir la porte à cette belle dont chaque pas épingle son cœur… la solution de l’énigme lui semble toute proche, pour avoir la réponse il lui suffit de s’écouter, la trace de Stern a laissé un écho en lui, planté comme un indice : Tu avais rendez-vous avec elle ?
Les mots franchissent ses lèvres à peine articulés, comme enrobés de tissus et amortis, le meurtrissant sans fracas… il retourne s’asseoir avec un peu d’amertume, attends qu’elle en dise plus : Trouves-nous un hôtel un peu classe et amène ton portefeuille, on a des achats à faire.
Elle dit ça d’un ton peu amène et le fixe dans les yeux, le mettant au défi de s’offusquer de son ton pour la première fois vulgaire, agressif… il choisit de filer doux et de démarrer sans relever cette provocation gratuite et il l’entend rire… il n’aime pas cela, pas plus que les lunettes noires qu’elle enfile, mais sa rancœur ne tient pas lorsqu’il aperçoit à la lisière des verres, s’échappant sur la peau de l’ombre des montures italiennes, un reflet humide, l’ombre d’une émotion… alors, sa frustration cède le pas à la tendresse… les portes s’ouvrent sur de grands dais lourds et noirs, qu’il lui faut écarter pour pénétrer dans une très vaste salle sombre, aux vitrines ingénieusement éclairées, tout comme les panoplies accrochées aux murs où les savants entrelacs de cordages, emprisonnant des mannequins d’étalage en déséquilibre artistique, dont la matière blanche fait ressortir en violent contraste le harnachement de ces corps.
Il avance de quelques pas, hésite au milieu de tout cela, ne sait quelle attitude prendre quand le regard d’une femme brune passe sur lui sans sembler le voir, le dépasse, se fixe sans pudeur sur la croupe de Chamrate déjà dix mètres plus loin.
Sa patience lorsqu’elle l’avait rabroué, avait été payée de retour, lorsque une fois métamorphosée par une douche longue, elle en était ressortie sur un mode tendre, lui offrant un premier et long baiser, profond, qui à lui seul avait su embraser sa chair… elle était venue et l’avait embrassé, comme s’ils étaient amant depuis longtemps, alors que leurs lèvres ne s’étaient encore jamais effleurées et lorsqu’elle s’était retournée pour qu’il accroche dans son dos les agrafes d’une robe, il s’était étrangement senti à sa place en complice ancien, comme si les étranges rapports qu’ils entretenaient depuis quelques jours comptaient pour des mois de passion déjà… elle était pénétrée en lui droit comme une lame.
En quelques pas larges il la rattrape, sentant pourtant lourdement dans cette caverne aux fantasmes, trois regards inconnus suivre son mouvement… à côté d’elle, il n’ose pas poser la question qui lui brûle les lèvres et elle aime la fièvre qu’elle lui voit dans le regard, son envie de tout ce qu’elle pourrait vouloir… elle le sent à cet instant à la fois si faible et si fort, tel qu’il ne serait jamais dans l’univers dont il vient où l’on arme le béton et blinde les coffres forts…ici avec elle, il n’ose rien et il est prêt à tout, il réprime les tentations dont ses membres tremblent, mais son corps et son esprit fiévreux réclame… une secousse le parcours quand elle fait glisser sa main sur ses fesses, plongeant vers le sillon qui les sépare, mais il ne fait pas un mouvement pour fuir, il a peur mais n’a pas un geste de fuite… elle aime ça… c’est là qu’elle place le véritable courage…, pour lui bien sûr… il ne serait pas question qu’il inverse les rôles… elle savoure aussi les regards de trois hommes et de la femme qui n’ont rien perdu de son geste et de la docilité dont il l’accepte… comme au théâtre, autant pour lui que pour la galerie, elle se penche ostensiblement vers son oreille : J’ai besoin de savoir, tu comprends, savoir ce qu’ils ont ressenti, je veux tout reconstituer, c’est toi que je veux comme cobaye, personne d’autre et rien que toi.
Tout en savourant le contraste gourmand de son regard honteux et de son sexe qui sous le pantalon bande, elle le pousse vers le vendeur suivant, qui les dévisages franchement et demande : Il me faudrait une combinaison en latex, à la taille de ce monsieur, très ajustée.
Lorsque le vendeur demande « noir ou chair ? », elle répond en traquant ses émotions : Elle est déjà commandée, transparente.
Le vendeur immédiatement part chercher l’objet… quand ils ressortent de l’endroit, il y a quelques murmures, il n’a rien eu à régler finalement, la chose était prépayée, un montant majestueux semble-t-il à en croire les commentaires du vendeur et son insistance à offrir à Chamrate les quelques emplettes supplémentaire qu’elle a faite sans lui laisser en prendre connaissance : Je veux que tu m’offres un repas dans le restaurant le plus somptueux de Genève, j’ai beaucoup, beaucoup d’appétit.
La question l’avait accompagné toute l’après-midi, sans qu’il n’ose la poser… le puzzle de cette affaire, sur laquelle il collectait des fragments pour elle depuis qu’il l’avait rencontrée, semblait plus désordonné depuis que cette incertitude s’y était accolée… il a posé cette question avec appréhension, craignant la rebuffade, mais c’est plutôt une brume qui s’empare d’elle, elle semble très loin tout d’un coup, dans un souvenir ou une rêverie, il faut quelques minutes pour que son regard retrouve sa netteté et se pose de nouveau sur lui : Peut-être, je ne sais pas vraiment en fait, il se peut que j’ai dormi une nuit avec elle, c’est ce que je voulais savoir aujourd’hui. En tous cas, je n’ai pas pu la voir, elle n’a pas voulu ou bien on ne le lui a pas autorisé, il se peut même qu’elle n’ait pas été prévenue.
Elle lui sourit, le sonde d’une œillade profonde, claire, le regard le plus direct qu’elle ait posé sur lui depuis leur première rencontre, le premier peut-être qu’elle n’ai pas calculé : C’est dommage, j’ai vraiment besoin de comprendre, tu sais.
Elle tend un index et le touche par-dessus la table, suit l’angle de sa mâchoire, un geste étrange et qu’il lui laisse accomplir sans en comprendre le sens.
Peut-être une forme d’affection simplement : Je compte sur toi pour y arriver, tu es d’accord n’est-ce pas ?
Il accepte, pas tout à fait sans réfléchir mais sachant qu’il ne sait pas ce qu’il y a derrière ce oui… il accepterait tout même sachant qu’il signe une feuille blanche où il ne sait pas ce qu’elle compte inscrire : C’est bien. Je ne voudrais pas que tu ne sois pas consentant.
Le sourire est redevenu serré, le regard vibrant, hypnotique tel qu’il ne peut que tomber dedans… le moment d’innocence est passé, elle a repris le contrôle du jeu et son contrôle à lui… il aime cela aussi…Il lance quelques appels téléphoniques, quelques mails… elle n’a pas décidé de faire marche arrière aujourd’hui et, le lundi venant, la vie professionnelle reprend quelques droits… qu’importe, il n’est pas près à la lâcher… elle lui a dit qu’elle reviendrait à seize heures : Je veux à mon retour trouver du thé et des scones et que tu me masses les pieds.
Quelle peste, se dit-il en souriant, mais quelle allumeuse de génie aussi… il se sent tendu comme une barre de métal, n’attendant qu’elle, à chaque fois excité par chaque frustration supplémentaire qu’elle lui impose comme un tour de chaîne supplémentaire serré sur son désir… seul dans cette chambre, il se moque de lui à mi-voix parfois, il perçoit bien le ridicule qu’il a eu à dormir une deuxième fois d’affilée au pied du lit, pas même attaché cette fois…, mademoiselle est vraiment trop indulgente…, avec le confort d’un oreiller qu’elle lui a jeté et du dessus de lit pour se couvrir… il n’a même pas envisagé de dire non… il ne pensait qu’à son envie de la sentir marcher sur son corps, comme marchepied pour accéder au lit, comme descente de lit au lever. Il a même eu la chance… c’est ce qu’il a pensé lorsque c’est arrivé, qu’elle se lève pendant la nuit pour se rendre dans la salle de bain, le laisser entendre la cascade de son filet d’urine frappant l’eau, avant de retourner s’allonger, en s’amusant quelques secondes au passage de son pied sur son visage… quelques secondes pas plus, la récompense était brève… oui, bien sûr, c’est pour un nouveau prospect qu’il reste ce matin à Genève, qu’on le joigne par message électronique ou téléphoné si on a besoin de lui et qu’on le mette en copie de tout… ce sont les consignes qu’il donne, c’est tellement crédible, Genève : Oui je suis sur la trace d’un grand financier…
C’est tellement vrai de toutes façons, seulement, pas de la façon précise dont-il le laisse croire… s’interroge-t-il sur ce qui le rend si consentant ? A peine, quelques phrases traversent son esprit comme les réminiscences d’une résistance déjà tombée… il n’arrive pas à mettre bout à bout une explication convenable à un comportement, il le sent bien, en déviance totale avec l’image qu’il a d’un rapport à l’autre normal… il n’a pas envie d’y penser, rejette les fragments de doute qui pointent dans les rayons bien ordonnés d’où il sortent, préfère laisser son regard glisser sur les chaussures arrogantes, au talons hauts et à la cambrure vertigineuse, qui provoquent son œil, l’une en évidence accrochée par le talon à l’arrête de l’écran d’ordinateur sur lequel il travaille, l’autre quand il se tourne vers le lit, jetée sur l’oreiller qui gît encore au sol, là où reposait sa tête la nuit durant… un dispositif stratégique, il devine facilement qu’elle l’a fait tout exprès, pour qu’il ne puisse pas dévier son attention des lanières de cheville, de la semelle de cuir, du souvenir de ses pieds à elle que ces chaussures ont portés… elle connaît les moyens faciles… il est, pour elle, “un homme facile” se dit-il, facilement prit, facile d’en jouer, comme une partition dont elle semble connaître d’avance toutes les notes… il n’a aucune envie de résister mais se sent un peu humilié de cet état des choses… l’autre ne devait pas être d’une pratique aussi facile, sans doute, cet Edouard Stern qui a joué avec le fil du couteau, la gueule de l’arme, béante, jusqu’à ce qu’elle tire ? Ou bien si ?
Est-il mort parce qu’il était trop dur ou trop facile à jouer ? L’ombre d’Edouard plane dans sa tête à la recherche d’une vérité, la sienne… le Sterne qui se faisait rapace, se jetant avec rage sur ses proies pour les déchiqueter, s’était-il laissé prendre sans défense comme lui ?
Il a du mal à l’imaginer, pourtant il a finit dans une combinaison de latex comme celle que Chamrate a accroché dans la penderie, en évidence gênante offerte aux yeux de toute employée au regard fureteur et pour personne il ne fera de doute qu’elle lui est destinée… elle est grande comme si elle était faite pour lui, grande aussi comme ce Stern dont la silhouette se déployait au-dessus de la plupart des têtes… il descendra manger, pour que le personnel puisse ranger la chambre sans qu’il ait à soutenir la gène de leurs regards derrière, son dos… à son retour, sa première préoccupation est de retrouver les chaussures de son amante, qu’il découvre rangées dans la penderie, juste dessous le porte costume où il a abrité la combinaison de latex… hasard de la part d’une femme de chambre consciencieuse ou ironie féroce ?
Il en a vue plusieurs s’effacer dans les couloirs, souriant et baissant les yeux, comme sous l’effet d’une formation hôtelière traditionnelle à outrance, mais peut-être était-ce pour mieux se moquer de lui… il réalise que c’est une inquiétude qui ne l’abandonnera peut-être jamais plus s’il glisse sur cette pente comme il en a une envie irrésistible… cela fait des années, depuis l’enfance, qu’il ne craignait plus qu’on se moque de lui puisqu’il ne laissait à cela aucune prise… dorénavant, il suffira de peu pour qu’il soit la risée, à moins de mettre immédiatement fin à tout cela, quitter cette chambre et partir, rentrer.
Mais il n’est pas capable d’en avoir envie, l’idée seule le met dans une agitation qu’il ne supporte pas et pour l’apaiser il se met à genoux devant la penderie… et son grand corps plié en trois au dessous des habits il pose ses lèvres sur les escarpins vernis, hume le cuir pour y chercher son odeur… lorsqu’il entend la clef jouer dans la serrure et la porte s’ouvrir, il se relève pris en faute et sous l’œil de Chamrate, ne sait pas ce qu’elle a perçu de son vol furtif d’une émotion, là où elle a posé ses pieds : Ici, Chouchou ! Vient porter mes sacs.
Elle se moque, elle est de bonne humeur, il va avec soulagement se plier devant elle et la débarrasser de ses achats… mais c’est d’une voix beaucoup plus sérieuse qu’elle reprend la parole, lorsqu’il a posé les sacs et qu’il revient vers elle… une voix qu’il ne lui connaît pas encore : Viens t’asseoir en face de moi, à genoux, et regarde moi… Et lorsqu’il est là, à un pas d’elle qui s’est emparée d’un fauteuil, elle ajoute : Ce n’est pas un jeu, je veux que tu le saches, je ne tolérerai pas de jeu. Il n’a jamais entendu la gravité qui s’installe dans cette voix qui s’empare de lui…
Il est prêt… c’est le terme qu’elle emploie pour les hommes perdus, lorsque cette barrière a cédé… il y a de nombreux paliers, dans le contrôle que l’on peut atteindre sur un homme, avant qu’il soit absolu… lorsqu’elle a ouvert la porte et a aperçu la penderie se refermant, le mouvement furtif de l’homme pour achever de se relever, elle a immédiatement fixé ses yeux et a sondé chacun de ses mouvements pendant qu’il la débarrassait de ses paquets… il respirait la crainte de ce qu’elle pensait de lui, mais sans volonté de se donner une contenance, sans la résistance de celui qui veut d’autant plus réaffirmer son arrogance, que son amour propre est menacé… elle a senti qu’une capacité de résistance en lui était prête à céder et elle en profitera pour l’abattre, la défoncer, la raser de telle sorte qu’il ne puisse plus jamais relever cette barrière là. C’est son amour propre qu’elle peut lui enlever… elle s’est assise sur une chaise Louis XV et le regarde, agenouillé devant elle, attendant, l’attendant elle, attendant n’importe quoi de sa part pourvu qu’elle lui demande quelque chose, qu’elle lui fasse quelque chose… il n’est plus que cela, attente, et uniquement attente d’elle, de son moindre geste, frémissement, mot : Enlève ta chemise et met les mains derrière ton dos. Ne te pose pas de question, obéit.
Puis elle s’immobilise de nouveau avec cette disponibilité totale, qu’elle peut laisser suspendue le temps qu’elle souhaite, parce que les secondes qui s’écoulent ne l’émoussent pas mais l’aiguisent, la rende plus insupportable pour lui mais plus intense à la fois. Jusqu’à présent, elle jouait d’un registre entre caprice et humour, un humour servant de justificatif à son amour propre à lui, une forme de “tu m’humilies mais nous savons bien tous les deux que c’est pour rire“, une sauvegarde lui permettant d’éluder les questions trop difficiles que ce grand homme aurait dû autrement se poser sur le sens de ses obéissances.
Cet humour, aujourd’hui, elle veut le lui retirer comme si elle faisait s’écrouler un plancher de dessous ses pieds. Qu’il tombe : Je veux…
Son attention s’est élevée encore d’un cran et il scrute ses lèvres, le souffle suspendu, mais elle laisse les mots en suspens… et on attente aussi.
Chamrate a ouvert son sac et en sort une paire de gants, de cuir fin, qu’elle enfile calmement l’un après l’autre, sans le quitter des yeux, de telle sorte qu’il reste accroché à son regard comme un noyé : Je veux…
La simple répétition des mêmes mots provoque la répétitions des mêmes effets, il est tendu tout entier vers le mot qui ne vient pas, elle en est contente, elle ne le laisse pas voir, elle tient à ce qu’il reste à cette instant dans le vide, et puis elle le gifle. C’est sa main droite qui a volé, claquant sur sa pommette et le haut osseux de son visage, un peu plus haut qu’elle ne l’avait prévu. Sa tête a tourné de trente degré d’angle, sa bouche s’est ouverte comme sur une exclamation de surprise, muette cependant, et son œil est a demi fermé, un peu griffé par une couture du cuir. Bien : Je veux…
Il est revenu dans sa position d’attente, sans un mot de protestation, pour écouter ce qu’elle veut. Alors elle recommence, de la main gauche cette fois, elle vise un peu plus bas d’aplomb sur la joue et la main claque de façon sonore, cuir sur peau, envoyant la tête basculer de façon encore plus prononcée, vissée d’un quart de tour car pour compenser la moindre force relative de son bras gauche… Elle y a mis toute son énergie cette fois. Dans son regard, elle voit l’étourdissement et les étoiles qu’elle a fait naître dans son crâne. Il est moins assuré lorsqu’il ramène son regard sur elle, revient à la captivité de cet hypnotisme auquel il n’imagine pas de se soustraire : Je veux…
Elle rit cette fois sans risque d’atténuer la tension, car dès qu’elle a ouvert la bouche, il s’est rétracté dans la crainte d’un nouveau coup. Rétracté mais pas reculé, rétracté mais sans ramener ses mains de derrière son dos pour se protéger, rétracté mais docile. Elle peut rire à présent, pas de risque de diluer la pression dans l’humour, ce n’est pas un rire partagé, c’est lui qui la craint et elle qui se moque. Elle attend qu’il revienne à sa position normale pour frapper, de toutes ses forces encore, de la main droite, cette fois plus profond, pour que le coup éclate sur son tympan et c’est pour lui comme si toute son oreille explosait, l’impact continue de résonner longtemps après qu’elle ait frappé : Je veux que tu lèches mes bottes exactement comme tu l’as fait de mes chaussures dans le placard. Exactement.
Il hésite.. Une nouvelle gifle vole, que Chamrate tenait toute prête : J’ai dit léchées, exactement pareil, tout de suite !
Il est déjà en mouvement cette fois, penché sur ses pieds… elle a aperçu sa confusion alors qu’il plongeait pour devancer le risque du coup suivant, désireux de lécher ses pieds, incapable de savoir comment exécuter un ordre impossible mais toute résistance abandonnée. Il va essayer. Qu’importe si cela n’a pas de sens puisque c’est elle qui le dit. Cela à un sens puisqu’à cet instant c’est sa volonté à elle, il ne cherche plus d’autre vérité que celle qui naît de sa bouche, sous ses coups, sous ses pieds : Je veux… que tu te couches dans le lit…
Il y va, tel un chien obéissant à sa Maîtresse : Ecarte…
Il ouvre les bras, les jambes. Elle s’en empare, fixe des menottes à chaque membre et aux barreaux du lit. Il est là, en croix… Elle s’avance sur lui, lentement…, il bande comme un taureau ! Doucement elle manœuvre le zip du bas de sa combinaison. Son sexe émerge, grandiose : Bande plus fort !
Il est tétanisé, il attend qu’elle le touche, mais non… Il est là en croix, le sexe érigé, en attente d’un jouissance qui ne vient pas : Combien je vaut à tes yeux ? Combien es-tu prêt à me donner ? Un million d’euros ?
La situation lui semble absurde, il sent qu’il débande lentement : Si tu débandes, je te tue ! Il pense rêver, mais c’est un cauchemar lorsqu’il la voit pointer un revolver sur son front : Si tu débandes, je te tue !
Il se souvient d’une jeune femme blonde, fragile et magnétique, assise sur la même banquette que lui dans un bar fastueux. Elle s’appelait Cécile et son regard brillait d’une fièvre sourde, ses cheveux orpaillaient aux reflets des lampes qui trouaient la pénombre contrastée de la salle. Elle jouait l’artiste.
Dans l’alliage renouvelé de tempéraments aventureux et d’argent avide, la beauté, l’intelligence, le pouvoir et le sexe étaient mêlés. Il était à sa place, cette jeune femme aussi. Etait-ce elle ? Des hommes et des femmes s’étaient agglutinés sur les banquettes et fauteuils, le pressant contre elle, épaule contre épaule, peau contre peau. Il l’a senti frissonner à son contact et son bras s’est pris de chair de poule ! Elle lui ressemblait comme une jumelle, pas tant de traits que de matière, la même séduction armée comme un cri de détresse, pour pouvoir dire non, pour pouvoir dire oui, ne jamais être abandonnée.
Son regard a glissé vers elle, sur son profil qui n’obliquait pas vers lui, feignant de l’ignorer, alors qu’il ne voulait plus que se fondre en elle, la rejoindre, l’habiter. Il buvait tout ce qu’elle était comme une coulée d’un poison sacré, rituel, délicieusement sucré comme la certitude de sombrer : Si tu débandes, je te tue…
Je sais ce à quoi tu penses… Il y a des moments où je n’ai plus d’autre envie que de perdre : Je la connais bien, j’ai fait l’amour avec elle, entre femmes c’est autre chose, j’étais désespérément électrisée par son existence à mes côtés. Un homme m’avait amené dans son donjon, j’ai croisé les jambes plus haut, lui ai laissé poser sa main à la lisière de mon bas, je pensais qu’il le méritait bien pour le compenser d’avoir été en un instant ainsi annihilé par elle. J’ai eu l’impression de sombrer dans un trou noir, un tourbillon sans fluidité mais aussi brute qu’une coulée de béton, effaçant tout, tout sauf elle, à laquelle il suffisait de me tenir là au milieu de nous, à me toucher. Le reste n’existait plus. J’entendais sa voix, résonnant de chacun de ses mots, et pourtant je ne peux plus me souvenir aujourd’hui de ce dont elle parlait. Chaque mot traversant ses lèvres avait plus d’importance que toute chose imaginable au monde, sur l’instant, et pourtant rien de ce qu’elle disait n’importait. Eut-elle proféré une ânerie ou professé la royauté des souris, cela aurait eut la même importance infinie, m’aurait-elle demandé sans même me regarder de me rouler au sol à ses pieds, je l’aurais fait dans l’instant, mais elle parlait d’art, je n’ai rien retenu, le sujet n’avais aucune importance car seul comptait sa personne, ses lèvres qui se mouvaient autour de mots que j’aurais voulu recevoir dans ma bouche, coulant comme un fil de salive de sa langue à la mienne. J’avais l’impression de me noyer et pourtant je ne voulais rien d’autre que cette asphyxie. Le timbre dont elle usait résonnait en moi et me mobilisait toute entière à l’écoute de chacune de ses inflexions. Elle était peut-être accompagnée, je ne sais pas, Les autres ne comptaient plus, elle aurait pu avoir un banquier renommé ou un prince barbare à ses cotés, je ne les aurais pas plus vu. J’ignore même si elle s’était rendu compte des tremblements qui me prenaient, de mon bras contre le sien, de ma cuisse cherchant à épouser la sienne sous l’excuse de la pression humaine qui augmentait à mesure qu’avançait la soirée. Je n’arrivais plus à respirer quoique, ou peut-être parce que, je calquais ma respiration sur la sienne, ou plutôt sur la façon lente et délibérée qu’elle avait de tirer sur sa cigarette et d’expirer la fumée, en un long filet dont le nuage dérivait sur moi qui emplissait mes poumons alors jusqu’à leur limite extrême, pour avaler le brouillard qu’elle avait expectoré.
Et puis ? C’était la fin du monde. Son souffle comme le sien s’était raccourci mais son œil devenait plus brillant à mesure que le sien se vitrifiait. Elle s’avança, pesant un peu plus sur son corps jusqu’à sentir ses poumons céder sous la pression, le regardant avec un plein émoi physique pendant qu’il se tortillait.
Il le faisait sans lâcher du regard le bas de ses jambes, hypnotisé par les pieds qui l’encadraient : Maintenant, je suis cette Cécile qui nous a tous les deux hypnotisés ou en tous cas, je joue à l’être, avec une sincérité absolue. C’était elle que je mimais quand, de mon talon à l’angle vif, j’éraflais ta peau d’un tracé, barrant ta poitrine de gauche à droite et de la clavicule jusqu’au ventre, d’une croix. Je te bénis ou je te marque… ?
Il serra les dents, mais en gonflant le torse pour mieux s’offrir au marquage… tout son corps frémit quand elle posa la pointe du talon effilé sur son sexe pour jouer avec et le titiller, l’écraser, puis tourner en appuyant vicieusement, avec une excitation de toute ses fibres et le chant de tous ses nerfs, mais aussi une sensation très localisée… elle coulait d’excitation, tant la scène produisait d’effet sur elle… et pourtant, ce n’était pas l’image du corps d’homme offert qui l’émouvait que la sensation du sien… elle mouillait d’imaginer ses sensations se confondant avec les siennes… il avait l’impression de la sentir jouer elle-même avec sa vie, en écrasant son cou puis ses testicules comme on pourrait écraser la coquille d’une moule sur le carrelage, jusqu’à l’entendre craquer sous sa semelle… c’est d’elle qu’il cherchait à recevoir dans sa bouche les salives, quand elle lui crachait dessus… c’est d’elle, qu’il implorait la pitié quand elle frappait ses testicules de la pointe de ses bottes dont la morsure finalement était plus douloureuse que celle du cobra qui y avait été sacrifiée. C’est lui, qui parlait par sa voix pour lui interdire de se protéger et à laquelle, finalement, il obéissait quelle que soit la souffrance qui le défigurait. Elle le sentait possédée par ce jeu auquel elle ne mettait aucune limite : Si tu débandes, je te tue…
Par rapport à l’amplification si frustrante du désir à laquelle sa présence l’avait exposé, toute la soirée durant, c’était à présent une érection continue, un plaisir long et sans fin, à mesure que dans son corps sans volonté il la regardait… Elle, le déchirer de ses pieds… elle ne partit, soudainement, qu’après qu’encombrée de tissus gorgés de sang, ses orbites aient cessé leur résistance à la progression des talons et qu’elle se retrouve, seule, debout à côté d’un cadavre, contemplant le corps encore secoué de soubresauts, les orbites traversées par les talons enfoncés jusqu’à la garde… le sang dégorgeait sur le lit et le tapis… il faisait noir… le vertige l’emportait.
Elle a pris tout ce qui était à elle, plus l’argent trouvé dans une de ses poches du cadavre… à l’aéroport, elle a pu faire échanger son billet et partir trois heures plus tard… c’est des jours plus tard, après avoir ignoré les appels et fait changer son numéro de téléphone, qu’elle a commencé à se demander si elle n’avait pas rêvé… rien n’a permis, depuis, de confirmer la folie de cette nuit… aucun mandat de recherche… aucun enquêteur qui ne l’ait poursuivi pour la confondre et la jeter en pâture aux prisons de France ou de Suisse… elle a changé d’adresse, changé de pseudonyme, changé la couleur de ses cheveux pendant un an… la fuite a duré, jusqu’à ce que le doute s’installe et a commencé à chercher… aucune référence à la mort d’un homme dans un château-hôtel à cette période dans la presse française ou Suisse, selon les archives auxquelles elle pouvait avoir accès par internet… personne n’était venu poser de question à ses amies de l’époque, sauf quelqu’un qui s’était fendu d’un appel téléphonique d’insulte, comme le font toujours les clients mécontents, coup de canif dans sa réputation professionnelle… mais elle n’en avait rien à f… les mauvais clients ne manquent jamais dans ce métier, seul les bons sont rares, comme ailleurs… il ne lui a pas fallu longtemps pour que son agenda soit de nouveau bien rempli… l’argent ne manquait pas…
Aucune enquête n’avait été ouverte par la police, elle était incapable de se souvenir d’un numéro de téléphone ou d’un nom… des photos, prises au téléobjectifs, qui lui furent ramenées, elle ne reconnu pas le visage imprimé dans sa mémoire… mais un an avait déjà passé, cela ne voulait rien dire, ni qu’il était mort, ni qu’il avait survécu défiguré, ni qu’elle avait rêvé… elle s’est demandé si un bad trip aurait pu provoquer une hallucination dont la mémoire l’aurait marqué de façon aussi forte… elle n’a jamais su.
Une fumée de travers, trop d’alcool ingurgité ce soir-là, l’aura imprévue d’une inconnue, la dérive d’un fantasme ou la possibilité d’une passion… elle a retrouvé, dans sa course effrénée de l’autre Cécile, meurtrière présumée d’Edouard Stern, de Suisse en Australie, aller puis retour, avant de revenir se jeter dans les bras de la police…, l’écho de ses incohérences, dans sa détresse et sa passion, mortelle…, les mêmes instants de panique détraquée qui avaient fait d’elle, des jours et des mois durant, une marionnette aux ressorts déréglés, une reine des poupées, cassée… et même si ce n’est pas la même femme, cette Cécile là, qui attend son jugement dans une prison ou une chambre d’hôpital, selon les jours…, est le miroir de ses propres dérapages. .. elle a envie de la voir, de la comprendre, de savoir ce qu’elle a vécu et de crier, d’une voix audible par tous mais qui ne s’adresserait qu’à elle, qu’elle la comprend…
Le mystère Edouard Stern… #1
Le mystère Edouard Stern… #2
Le mystère Edouard Stern… #3
Le mystère Edouard Stern… #4
Le mystère Edouard Stern… #5
Le mystère Edouard Stern… #6
Le mystère Edouard Stern… #7
Le mystère Edouard Stern… #8