Le mystère Edouard Stern… #7
Compte-rendu, jour après jour des audiences du procès de Cécile Brossard…
Mercredi 10 juin 2009…
Le procès de Cécile Brossard, accusée du meurtre de son amant Edouard Stern, s’est ouvert sur la pointe des mots, mercredi 10 juin.
La présence, au banc des parties civiles, de deux très jeunes gens, Mathilde, 24 ans et Louis, 22 ans, la fille et l’un des fils d’Edouard Stern, a dressé pendant quelques heures comme un barrage au flot de passions, d’impudeur et de tragédie qui noircissent les 5.000 pages du dossier d’instruction soumis à la cour d’assises de Genève.
De ce qu’ils ont dit de leur père, ce matin, seule la présidente et les douze jurés ont été les témoins, la cour ayant accédé à la demande de huis clos déposée par leur avocat, Me Marc Bonnant.
L’audience publique a repris avec la déposition de leur mère, Béatrice. – Votre nom de famille, c’est David-Weill? ou Stern? a demandé la présidente.- Stern, a répondu d’une voix ferme l’épouse divorcée du banquier et fille de l’ancien président de la banque Lazard, Michel David-Weill.Elle a parlé de l’homme qu’elle a épousé et dont, malgré leur divorce, elle était restée très proche.
Des mots pudiques, si retenus qu’ils en paraissaient convenus.
Elle a dit le père aimant, qui “appelait chaque jours ses enfants”, d’où qu’il se trouve dans le monde, l’homme “droit, exigeant, soucieux de transmettre des valeurs” qui a partagé sa vie.
Elle a dit encore à quel point toute cette affaire était “difficile à vivre” pour ses enfants, qui “ont toujours idéalisé leur père”, qui “parlent chaque jour de lui”. “Nous avons appris par la presse comment Edouard était mort, ce qui a rajouté un choc et de la douleur. Les enfants m’ont posé des questions…je leur ai répondu dans la mesure de mes moyens…”– Pensez-vous qu’ils sont parvenus à se reconstruire?– Je l’espère, a-t-elle répondu.- Souhaitez-vous ajouter quelque chose, Madame? – Je veux juste dire que j’ai aimé Edouard et que je continue à l’aimer. A la voir ainsi, si droite, on devinait que rien de ce qui, pendant ces neuf jours de procès, allait être révélé, disséqué, raconté, commenté, ne serait susceptible d’ébranler ce sentiment là.
C’est alors que s’est élevée, pour la première fois, la voix de Cécile Brossard.
Jusque là, on n’avait perçu d’elle que quelques sanglots étouffés et les grands yeux cernés qu’elle levait de temps à autre sur ses avocats.
On s’était bien sûr frotté les yeux en voyant entrer dans la salle d’audience, cette femme pâle qui semblait soudain outrageusement insignifiante, avec son maigre chignon serré haut sur la nuque, son cou maigre dépassant d’une veste bleue sans forme.– Je suis la première à reconnaître qu’Edouard est un homme extraordinaire, exceptionnellement intelligent. Que des hommes comme lui se comptent sur les doigts d’une main dans le monde entier. Si je suis venue là, c’est pour dire la vérité, pas pour le salir. Je sais que c’est de ma faute, je sais que ce que j’ai fait est horrible. Je voudrais demander pardon à Madame Stern, mais je sais que lui demander pardon, c’est lui faire offense. J’ai le coeur plein de douleurs mais mes larmes ne pourront jamais atténuer les larmes des enfants d’Edouard…J’essaierai de dire la vérité, je ne veux pas l’accabler…C’est l’homme que j’ai aimé le plus au monde…La voix dure de Me Bonnant la coupe : Si c’était un homme merveilleux, il ne fallait pas l’abattre !…
Jeudi 11 juin 2009…
Si Emma Bovary avait tiré quatre balles sur Léon ou sur Rodolphe après s’être abandonnée dans la diligence ou dans les foins, si elle avait comparu devant la cour d’assises de Rouen, sans doute son Charles de mari aurait-il eu ces mêmes mots d’amour béats à en paraître niais, ce même débit de voix assourdie par la mélancolie, ces mêmes épaules courbées, ce même aveuglement à l’égard de celle qui l’avait trompé.
Le Charles Bovary suisse s’appelle Xavier Gillet.
Il n’est pas médecin de campagne, mais naturopathe à Gstaadt… et son Emma à lui s’appelle Cécile Brossard.
Il a été entendu comme témoin, mercredi 10 juin, devant la cour d’assises de Genève, qui juge Cécile Brossard pour le meurtre de son amant, Edouard Stern.
Quel titre donner à Xavier Gillet ?
Mari, il ne l’est pas tout à fait, son union ne tenant qu’à une cérémonie factice organisée lors d’un voyage à Las Vegas.
Amant, il ne l’était plus depuis deux ans déjà lorsque le drame est survenu.
Mais compagnon, père et par dessus tout généreux protecteur, il était tout cela à la fois pour Cécile Brossard.– Avec Cécile, nous avions 21 ans de différence. Je ne pouvais pas me permettre de la considérer comme un bien acquis, dit-il.C’est lui qui, convaincu du talent d’artiste de la jeune femme, l’encourage à se lancer dans la peinture et la sculpture et finance ses cours.
Lui, qui fait la cuisine lorsqu’elle invite à dîner chez eux Edouard Stern.
Lui encore, qui paie 200.000 francs suisses de travaux dans la maison qu’elle a acquise à Nanteuil, dans les environs de Paris et où elle reçoit son amant, qui règle les factures du spa où elle passe l’après-midi, qui acquitte ses notes de téléphone “astronomiques” lorsqu’elle converse pendant des heures avec le banquier à l’autre bout du monde et même, précise-t-il à la cour, lui qui “paie les sandwichs” , lorsque Cécile Brossard s’envole pour trois semaines de safari en Tanzanie dans l’avion d’Edouard Stern.
C’est lui, toujours, qui la console et la protège lorsqu’elle rentre, défaite, nerveuse, en larmes parfois, d’un séjour ou d’une nuit avec son amant, qui ferme les volets de leur appartement lorsque Edouard Stern tambourine pendant des heures à la porte de leur immeuble ou qui appelle la police lorsque, une nuit de rage, le banquier cogne à celle de leur appartement en l’insultant et en le traitant de “cocu”.
C’est lui, enfin, qui glisse 4.000 francs suisses dans le sac de sa bien aimée lorsque celle-ci, dans la nuit du 28 février 2004, s’envole vers l’Australie après avoir tiré quatre balles sur son amant… et qui tente, jusqu’au bout, de la protéger lors de sa déposition en garde à vue avant de craquer et d’avouer aux policiers qu’il a menti.
Et pourtant, face à la cour, il dit: Je n’ai compris que pendant l’enquête que Cécile était la maîtresse d’Edouard Stern.
Le procureur général Daniel Zappelli en perd son flegme.- Mais enfin, Monsieur, j’ai du mal à comprendre ! Vous avez pendant des années un homme qui appelle votre femme à toute heure du jour et de la nuit, qui part avec elle en safari, qui la harcèle au pied de chez vous, qui vous insulte et vous nous dîtes que vous ne vous doutiez de rien ?Et Xavier Gillet de répondre cette phrase étrange :– Cécile m’avait dit qu’elle n’avait pas de rapports avec Edouard Stern mais qu’elle était sa secrétaire sexuelle.– ?– Edouard Stern avait besoin de rencontrer beaucoup de jeunes femmes. Cécile était sa rabatteuse. Un silence accueille cette phrase.
A la barre, Gillet-Bovary s’effondre en larmes. – J’ai eu pour Cécile un amour très grand. J’ai…, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour la protéger de cet homme…et…, je n’ai pas réussi…Ils sont venus de Londres, Paris ou New York témoigner devant la cour.
Charles Heilbronn, vice-président de Chanel, Charles-Henri Filippi, ex directeur de la banque Stern et ex président de HSBC France, Kristen Van Riel, ex patron de Sotheby’s France, parrain de l’un des fils et désormais exécuteur testamentaire d’Edouard Stern, mais aussi Fabienne Servan-Schreiber, sa demi-soeur…, racontent l’ami exceptionnel, l’homme cultivé, charmeur, vif, indépendant d’esprit, fidèle, anticonformiste qu’était la victime.
Car dans cette affaire, a observé l’avocat de la famille Stern, Me Marc Bonnant, il y a eu un double meurtre.
Par balles, celles tirées le 28 février 2005 par Cécile Brossard sur son amant.
Et par mots, ceux répandus dans la presse après sa mort. – Je n’ai jamais vu pareil torrent de boue se déverser”, dit Me Bonnant, qui relève le douloureux paradoxe dans lequel se trouve la partie civile : contrainte de devoir témoigner de la moralité de la victime… Mais, comment dire ?
De tous ces hommages univoques, sincèrement exprimés par des amis soucieux autant de défendre la mémoire d’un homme que de témoigner leur affection à son ex épouse, Béatrice Stern ou à sa fille Mathilde – présentes par intermittence à l’audience – il ne reste au bout du compte pas grand chose.
Comme si, à vouloir trop bien faire, leurs mots lisses peinaient à émouvoir, dans cette enceinte, la cour d’assises, où rien n’est jamais tout noir ou tout blanc, tout bien ou tout mal, mais infiniment plus complexe.
Un lieu, justement, où un aréopage de banquiers ou de financiers peut défiler et parler de l’un des plus brillants d’entre eux, à moins d’un mètre du sac poubelle en plastique noir qui renferme la combinaison en latex dans laquelle il a été tué.
Vendredi 12 juin 2009…
Cécile Brossard était leur amie.
Après le meurtre d’Edouard Stern, elle l’est restée.
Lorsqu’elle est entrée dans le prétoire, vendredi 12 juin, devant la cour d’assises de Genève, Svetlana L., une longue tige aux cheveux blonds, a adressé un sourire et un petit signe de la main à l’accusée.
Dans un français parfait, la jeune femme russe a raconté leur rencontre chez le galeriste parisien Albert Benamou, celui-là même qui, lors d’un dîner en 2001, avait présenté Cécile Brossard à Edouard Stern.
Elles s’étaient liées et passaient souvent du temps ensemble à Paris, à se raconter leur vie.
– J’ai vu peu à peu l’état de Cécile se dégrader. Elle est devenue de plus en plus maigre, elle passait sa vie au téléphone avec Edouard. Elle l’aimait, elle l’aimait beaucoup trop. C’était devenu une relation ingérable. Dès qu’elle essayait de rompre, il revenait.Cécile Brossard avait insisté pour qu’elle rencontre Edouard Stern.
Rendez-vous avait été pris un soir dans son appartement.
– On a commencé par un dîner, on a parlé de sa bibliothèque, car il y avait beaucoup d’écrivains russes, commence-t-elle. Au fur et à mesure, on s’est retrouvés dans sa chambre à coucher, tous les trois…- C’était prévu ?, demande la présidente, Alessandra Cambi Favre-Bulle, qui veut comprendre à qui elle a à faire.- Oui, répond la jeune femme.- Cécile Brossard vous l’avait demandé ?- Oui, elle voulait faire plaisir à Edouard.- Et… avez-vous été choquée de cette demande ?, poursuit avec flegme la présidente.- Non, pas du tout.”Elle reprend le fil de son récit.- Donc, on a commencé à s’embrasser et j’ai voulu arrêter.- Euh, vous avez fait un peu plus…, relève la présidente, en plongeant dans les procès-verbaux d’instruction.- Bien. Voulez-vous que je rentre dans les détails ?Elle entre…
Les deux femmes étaient déguisées en écolières ce soir-là, avec jupe et socquettes.
Edouard Stern s’était montré un peu trop direct avec Svetlana, qui s’était rebiffée, et la soirée avait tourné court.
Quelques mois plus tard, le trio s’était retrouvé, dans une chambre d’hôtel cette fois.
Ensemble, ils avaient eu une première relation sexuelle.
– Dès que ç’a été fini, Edouard est parti s’installer sur le balcon. Je me souviens qu’il lisait un magazine sur les 100 personnes les plus riches du monde. Il était très déçu de ne pas être dedans”, dit-elle.
Le banquier était revenu dans la chambre pour une deuxième séance de jeux sexuels à trois. Puis, il s’était rhabillé et était parti.
– Nous sommes restées seules dans la chambre, avec le dîner. Cécile était effondrée. Elle me disait : “Tu te rends compte, il ne m’a même pas prise dans ses bras”…Le témoin suivant est un septuagénaire genevois, Daniel F., qui connaît Cécile Brossard depuis longtemps.
Il était d’abord l’ami de Xavier Gillet, le naturopathe qui a tout quitté pour la jeune femme et qui s’est, peu à peu, résolu à devenir pour elle un père et un protecteur plutôt qu’un amant.
– Cécile était alors une fille gaie, rieuse, curieuse de tout, d’art, de poésie, de littérature. Je l’ai vue changer, se détruire peu à peu, avaler des tas de pilules roses”, dit-il.Il avait assisté à la naissance de son idylle avec Edouard Stern, qu’il connaissait pour des raisons professionnelles.
– Je l’ai vu être à la fois extrêmement tendre et extrêmement humiliant à son égard”, poursuit-il.
Il évoque les “conseils” que lui demandait régulièrement Cécile Brossard pour s’assurer de la justesse d’une tournure de phrase, lorsqu’elle écrivait à son amant.
– Elle voulait être sûre de ne pas se tromper, car il arrivait à Edouard de lui renvoyer ses mails en lui signalant les fautes qu’elle avait commises…La présidente en vient à la question du million de dollars que Cécile Brossard exige en “gage d’amour” d’Edouard Stern, assorti d’une promesse de mariage.
– Au début, d’ailleurs, ça devait être un million d’euros. Mais, comme, entre-temps, le dollar avait baissé, c’est devenu un million de dollars, se souvient-il.Un ami, Cécile Brossard en a encore un autre, un vrai, un solide.
Il s’appelle Michel Roussel et il est artisan à Nanteuil-le-Haudouin, le village de l’Oise où elle avait acquis une maison en ruine qu’elle faisait retaper.
Lui aussi évoque devant la cour une fille : “simple, gentille, normale si j’ose dire, qui faisait plein de travaux elle-même, qui gâchait le plâtre”.
Les douze jurés ne lâchent pas des yeux ce type solide qui leur raconte la passion dévastatrice dont il a été le témoin.
– Edouard Stern, c’était son homme. Elle était prête à tout, à tout, pour le garder. Mais enfin, est-ce qu’on peut aimer un homme qui vous fait tant de mal !”, s’exclame-t-il, comme pour lui-même : Il a essayé…
Michel Roussel s’interrompt, reprend : Je le dis avec beaucoup de compassion car je respecte l’homme. Enfin, voilà, il voulait que je sois son informateur sur Cécile. J’ai refusé. Il m’a dit : “Michel, je serai votre débiteur. Je serai généreux avec vous”…La voix de l’artisan s’assourdit dans le micro : Et puis, il m’a demandé : “Combien gagnez-vous par mois ?”…Il dit encore cette scène où le banquier se présente à la porte de la maison pendant qu’il fait des travaux. Cécile était au supermarché.
– Elle m’avait dit de ne jamais le laisser entrer. Il est arrivé, m’a demandé si elle était là, je lui ai dit que non. Il m’a poussé et il est entré. Lorsqu’elle est revenue et qu’elle l’a vu, elle est partie en courant dans la rue. Il l’a poursuivie. Une demi-heure plus tard, je les ai vus arriver ensemble, il lui tenait fort le bras, elle avait l’air paniqué. Cécile m’a dit de partir, que tout allait bien. Le soir, je suis revenu la voir. Je l’ai appelée et elle ne répondait pas. Je suis montée dans sa chambre, elle n’y était pas. Je l’ai appelée encore. Et je l’ai entendue hurler comme une bête. Elle était dans la cave, cachée sous une bâche, elle avait un oeil au beurre noir. Je lui disais : “Mais c’est pas possible, il faut pas rester comme ça, il va arriver un malheur !” J’ai eu l’impression que tous les deux étaient en train de perdre les pédales. Ils ont monté un monde à eux qu’ils n’ont pas pu dominer. Cécile, c’était une femme en perdition… !
On a baissé les rideaux de la salle d’audience et déployé un gigantesque écran sur l’un des murs.
La présidente a décidé de diffuser la vidéo de la reconstitution du crime, réalisée au domicile d’Edouard Stern après que Cécile Brossard a avoué avoir tiré sur son amant.
On voit la jeune femme pénétrer dans la chambre à coucher, entourée d’une dizaine d’hommes, policiers, juge d’instruction, avocats des deux parties, procureur général.
Au sol, des taches de sang.
Cécile Brossard reste prostrée, en larmes dans un coin de la pièce.
On entend la voix du juge Michel-Alexandre Graber, qui lui demande d’abord de placer la chaise sur laquelle était assis Edouard Stern, face à son lit.
Un policier, de la taille de la victime – plus d’1,90m – fait alors son entrée dans la chambre, vêtu d’une sorte de combinaison chimique blanche – on lui a épargné le latex – le visage dissimulé sous une cagoule.
A Cécile Brossard, le juge dit alors de reproduire chacun des gestes qu’elle a faits ce soir là : nouer des cordelettes autour des poignets, du cou, des épaules et des chevilles de son amant.
On l’entend détailler chaque étape des jeux sexuels auxquels le couple s’est livré ce soir là, ponctué d’un sonore : Et alors là, ça a duré combien de temps ?.
On en arrive à la fameuse phrase que, selon Cécile Brossard, Edouard Stern a prononcée à cet instant là : Un million de dollars, c’est cher pour une pute.
En l’entendant, l’accusée s’effondre.
Le juge patiente un peu, tout le monde autour d’elle se tait.
Puis le juge lui demande de mimer la scène de crime, depuis son départ de la chambre jusqu’au dressing dans lequel elle va se saisir de l’arme, revient, se place face à son amant et tire.
Quatre balles.
On entend une voix:– Bon, alors, on recommence, car la vitesse ne correspond pas. Il faut que vous marchiez plus vite.A chacun de ses gestes, le flash du photographe de l’identité judiciaire crépite.
Elle répète la scène. Une fois, deux fois, trois fois.
Puis elle reste agenouillée par terre, tandis que derrière elle, les hommes de la police scientifique et les experts en balistique prennent des mesures.
Lundi 15 juin 2009…
Reprise de l’audience, ce lundi 15 juin.
La voix d’Edouard Stern résonne dans la salle.
A la demande des deux parties, la présidente diffuse des extraits des messages laissés par Edouard Stern sur les répondeurs téléphoniques de Cécile Brossard.
Elle les avait tous enregistrés.
Des dizaines d’heures de bande, qui ont été écoutées, retranscrites, pendant l’enquête.
Petits mots banals entre amants devenus éléments à charge ou à décharge.
On y entend l’amour, la colère, l’inquiétude, l’impatience, la violence mais aussi la tristesse, voire le désespoir d’Edouard Stern : Je suis complètement perdu…Je pense que tu es perdue aussi…Les extraits qui suivent ont été choisis par la partie civile.
17 février, 4h26 : Tu n’es vraiment pas très gentille. Je sais pas quoi te dire. J’ai attendu ton appel . J’espère que tu as passé une bonne soirée.17 février, 4H53 : Silence radio ?17 février, 6H15 : Il y a une chose que je mérite, c’est que tu me dises pourquoi tu me fais ça, pourquoi ?17 févier, 6H19 : Pourquoi tu me fais ça ? tu veux vraiment me détruire ? J’suis tellement triste…17 février, 8H39 : S’il te plaît, appelle-moi, j’ai absolument besoin d’entendre ta voix, ça me détruit tellement que tu m’appelles pas. 17 février, 10H59 : Allo ? [ferme], Allo, allo ? [tendu], Allo ? [agacé], Allo-allo ? [triste]17 février, 14h26 : Si tu es là, réponds s’il te plaît. 17 février, 20H03 : J’en ai marre d’entendre ce message…On entend encore la voix du banquier sur des dizaines de messages les 25, 26 et 27 février.
Il est tué le 28 février : Je suis pas parfait, loin de là, j’ai tous les défauts du monde…Tu as fait un choix, le choix de me voler mon argent…Je ne te hais pas, je t’ai beaucoup, beaucoup aimée…passe une bonne soirée…C’est moi, je prenais ma douche… Bonjour, vous, j’espère que vous avez fait un bon dodo…Et le 27 février, à 0H50 : Je serai toujours là pour toi et je te demande d’être toujours là pour moi. Les extraits qui suivent sont terribles pour Cécile Brossard.
Nous sommes les 4, 5 et 6 mars.
Elle est revenue d’Australie, elle multiplie les appels à ses amis qui s’inquiètent pour elle.
Elle commence à fabriquer la version qu’elle va livrer aux policiers.
Au début, sa voix est faible, elle pleure beaucoup.
Puis, au fil des heures, on la sent se raffermir : Je vais leur [les policiers] dire la vérité: que je suis allée voir Edouard et que je suis restée 30 mn et qu’il m’a ouvert le parking. Et tu crois que je peux parler du million ? De toute façon, l’histoire du million, ils vont la trouver, alors, il vaut mieux que je le dise.– Et d’après toi, qu’est ce qui s’est passé ? demande l’ami.- Ben, tu sais, il avait beaucoup, beaucoup d’ennemis…et maintenant [elle pleure] il est plus là et moi, j’ai plus le million…Il y avait au moins une vingtaine de personnes qui lui en voulaient. Des Russes.On l’entend encore, avec Fabienne Servan-Schreiber, la demi-soeur d’Edoaurd Stern : Je ne sais plus où j’en suis…[elle pleure] j’ai écouté tous les messages qu’Edouard m’avait laissé depuis quinze jours sur mon répondeur…c’est vraiment une histoire incroyable…A un autre ami : Moi, je suis persuadée que c’est une mise en scène [celle du meurtre]. La moitié de Paris savait qu’Edouard faisait des trucs bizarres. Il était très menacé. Nicolas Sarkozy lui avait proposé des gardes du corps. Alors, je comprends pas pourquoi ils [les policiers] s’acharnent sur moi. Tu verrais comment ils me parlent. Ils me parlent comme si j’étais le meurtrier…
Elle ajoute : Deux balles dans la tête, il paraît que pour faire ça, c’est vraiment balèze. C’est du travail de professionnel, il faut être au moins tireur d’élite…
Cécile Brossard est à la barre, c’est la première fois qu’elle s’explique sur leur relation et sur le crime :
– Dans cette affaire, depuis le début, on parle de sang, d’argent, de sexe. Mais cette histoire, c’est une histoire d’amour ! Moi, je voulais surtout porter son nom, c’était un rêve de petite fille !, s’écrie-t-elle.La présidente, puis l’avocat général reprennent tour à tour la chronologie de cette histoire, depuis leur rencontre en 2001 jusqu’au soir du 28 février 2005, où le banquier est tué de quatre balles.– Au début, c’était merveilleux. Et puis, très vite, Edouard a voulu contrôler ma vie. Savoir avec qui je dînais, qui je voyais. Puis il m’a mis beaucoup de pression pour que je lui ramène d’autres jeunes femmes. ça ne me gênait pas de le faire, quand j’aime un homme, je veux faire tout pour qu’il soit heureux. Mais c’était que ce soit tout le temps, tout le temps… Sa vie était remplie de cases, et moi j’étais sur la case sexualité… il me disait que j’étais trop médiocre pour lui… raconte-t-elle !
Elle rompt.
Il la couvre de messages amoureux, lui parle de mariage, elle lui revient.
Rompt à nouveau.
Revient encore.- Ma tête, c’était comme un Rubik’s cube pour lui. Je venais avec l’idée de lui dire qu’entre nous, c’était fini, que ce n’était pas possible. Et quand j’étais face à lui, c’était, comment dire, comme s’il me remettait la tête en place…Très vite, le débat se cristallise sur la question du fameux million de dollars, dans laquelle l’accusation et la partie civile voient le mobile du meurtre. – A quel moment cette question de votre “indépendance financière” s’est-elle posée?– On en a parlé souvent. Edouard voulait me verser une pension chaque mois, j’avais refusé. Je ne voulais pas dépendre de lui. Ce million, c’était un gage d’amour, il était lié à la promesse de mariage que m’avait faite Edouard.L’accusation, comme l’avocat de la famille Stern, Me Marc Bonnant, s’accrochent eux, à une autre promesse : celle que Cécile Brossard avait faite à son amant de lui rendre cet argent dès qu’elle l’aurait perçu… et qu’elle n’a pas respectée.
Cette défaillance aurait entraîné en retour la décision d’Edouard Stern d’opposer un séquestre sur le compte de sa maîtresse.– Vous pouvez me parler de ce million pendant des heures et des heures, je ne vous avouerais jamais que je l’ai aimé pour ce million, Edouard, je lui aurais donné ma vie…, s’écrie-t-elle.– Madame, sa vie, c’est vous qui l’avez prise ! réplique, cinglant, le procureur général.
La cour écoutera dans quelques jours les extraits choisis par la défense de Cécile Brossard…
Mardi 16 juin 2009…
Il se sait attendu, Maître Marc Bonnant et, comme tout grand pénaliste, il n’aime rien tant que ce moment où des centaines de regards s’accrochent à lui, se régalant d’avance de son talent.
Du talent, l’avocat de la famille Stern en a presque trop.
Et il ne résiste jamais à le montrer, ce qui est sa seule faute de goût.
De ses traits, de ses digressions, de sa manière unique de raconter des scènes de sexe à l’imparfait du subjonctif, il ne restera qu’un souvenir fugace.
Mais, de ses trois heures de plaidoirie, il convient surtout de retenir une démonstration implacable, dont l’enjeu était de saper consciencieusement la thèse du crime passionnel qui sera soutenue par la défense de Cécile Brossard.
Un mot de procédure d’abord.
La cour d’assises suisse diffère de la française en cela que la sanction est prononcée en deux temps.
A la suite du réquisitoire et des plaidoiries des deux parties, les jurés et eux seuls, se retirent pour délibérer sur la culpabilité et sur la qualification du crime reproché à l’accusé.
Ils rendent leur verdict et l’audience reprend avec un nouveau réquisitoire et une nouvelle plaidoirie de la défense, sur la durée de la peine.
La présidente, seule magistrate professionnelle, participe cette fois au délibéré. L’article 113 du code pénal suisse dispose que, pour être reconnu, le crime passionnel doit être commis sous le coup d’une “émotion violente” ou dans une situation où son auteur est dans un état de “profond désarroi”.
Il est puni de un à dix ans de réclusion, alors que le minimum encouru pour meurtre est de 5 ans et le maximum de 20 ans.
A Cécile Brossard, Maître Bonnant n’a reconnu ni l’une, l’émotion violente, ni l’autre, le profond désarroi.
Passion, sexualité, jalousie, argent, Maître Bonnant a repris un à un les termes de cette tragédie.La passion : Cette histoire, a dit Maître Bonnant, est celle d’une descente aux enfers. Edouard Stern comme Cécile Brossard sont des êtres de démesure, deux caractères blessés, outranciers. Ces deux là ont vécu une passion dévorante, incandescente. Mais si l’on vous plaide la passion, a-t-il lancé à l’adresse des jurés, je voudrais que vous reteniez que la passion se vit à deux. Et que le plus dépendant des deux, c’est lui ! C’est lui qui court derrière elle comme un adolescent immature ! La sexualité : La manière d’aimer de Cécile Brossard comporte cette donnée. Elle a le goût des destinations lointaines, des horizons indépassables. Sa sexualité est une forme d’offrande. Mais ce n’est pas cela la cause du meurtre. Cette sexualité hors norme, faut-il dire déviante ? ou généreuse ?…, c’est la volonté des deux, ce sont leurs destins partagés, leurs goûts communs. On ne doit donc pas vous plaider la sexualité. La jalousie : L’un et l’autre sont dans la possessivité. Les incidents qui les opposent trouvent toujours leur origine dans les ruptures qu’elle… et elle seule, décide. Alors oui, chez Edouard Stern, il y a la volonté de parler, d’expliquer, d’affronter. Alors oui, il appelle une fois, deux fois, cent fois. Elle, elle esquive. Mais ce qu’il fallait faire, Madame, c’était une plainte pour harcèlement téléphonique, pas un meurtre !Reste l’argent : Pour moi, le million est la cause de tout. Cécile Brossard est une grande amoureuse mais avec des préoccupations de boutiquière ! Elle ne veut pas lâcher son “mari” Xavier Gillet sans avoir obtenu des garanties d’Edouard Stern. Elle lui dit : ”des paroles d’amour, des paroles d’amour, je veux des actes d’amour !”. Il promet, tarde à tenir sa promesse, elle rompt. Il s’engage à verser le million, elle revient. Début janvier, le million n’est pas là, elle rompt à nouveau. Il est versé et, contrairement à son engagement écrit, elle ne le rend pas. Il se tourne vers l’accusée, tonne : Quand vous le demandez, Madame, c’est un acte d’amour ! Mais quand vous le possédez, c’est un bien !… Maïtre Bonnant reprend alors heure par heure les derniers moments de cette relation, pour insister sur : “l’incroyable duplicité de cette femme” qui, selon lui, “ne pense qu’au million mais va jouer SA carte”. Cécile Brossard n’a confiance que dans son cul, ce n’est pas moi mais son mari qui le dit. Avec cela, elle sait qu’elle peut avoir n’importe quel homme…
Le 28 au soir, lorsqu’elle rejoint le domicile de son amant, elle emporte le sac qui contient sa tenue de maîtresse – bottes lacées noires, collant fendu, fouet et divers instruments de plaisir. C’est son matériel de combat, ce sont ses armes. Un matériel d’amour et de soumission. Maïtre Bonnant décrit alors en détail la scène du crime : Edouard Stern était encordé, encagoulé, enserré, “plugé”, assis à califourchon sur une chaise en position de soumission, la seule qui permit qu’elle le butât !, s’exclame-t-il.
Il évoque la fameuse phrase que Cécile Brossard prête alors à son amant : “un million de dollars, c’est cher pour une pute!”.
Si cette phrase a bien été dite, ce dont nous n’avons aucune preuve, elle ne peut en aucun cas être présentée comme une phrase-gâchette ! Car enfin, le vocabulaire transgressif fait partie des jeux charnels. Il est moins courant de demander : “ma mie, auriez-vous l’obligeance de me faire une fellation”… que de murmurer “suce-moi” ! Dans ces circonstances là, elle en bottes et fouet, lui en combinaison latex, le vocabulaire est nécessairement outrageant: traiter l’autre de pute est – pardon de le dire – presque dans l’ordre des choses ! Ce crime, ce n’est pas un crime d’amour, c’est un meurtre de haine !, dit-il.
Aux jurés, il demande alors de condamner Cécile Brossard pour meurtre, afin de ne pas ajouter l’offense à la tragédie…
Mercredi 17 juin 2009…
On vient d’écouter le réquisitoire du procureur général, Daniel Zappelli qui a demandé au jury de retenir le meurtre.
Le meurtre, pas l’assassinat : bien qu’on n’en soit pas totalement éloigné.
Il a en tout cas exclu le meurtre passionnel.
Il parle des SMS de rupture que Cécile B. envoyait à son amant, un peu abrupts, du style game over, pour des raisons futiles, selon le magistrat.
Notamment parce qu’il se serait un jour mal comporté avec son chat : Franchement, j’aime beaucoup les animaux, mais est-ce une raison pour tuer Edouard Stern ?
Il qualifie Cécile B. de femme remarquablement intelligente, qui sait manipuler tous ces hommes de la bonne société, pourtant habitués aux mensonges…
Il explique que le meurtre aurait pu rester irrésolu si elle n’avait pas commis deux erreurs :
1- Fermer la porte à double tour et faire disparaître la clef de l’appartement ! La police savait qu’il y avait un jeu de 7 clefs et il en manquait justement une.
2- Dire à son mari qu’elle avait vu des traces de balles sur le corps d’Edouard Stern. Ce qui était impossible car la combinaison en latex se referme sur les blessures et les enquêteurs ont mis un certain temps avant de comprendre comment le banquier était mort.
Il conclut : S’il y a une passion dans tout ça, c’est la passion du million.
Rien à en dire, pas un bout de phrase à retenir tant il fut laborieux, pâle copie de la plaidoirie de la partie civile !
La parole est à la défense.
Ils sont deux.
MaîtrePascal Maurer est le premier à se lever.
Tout de suite, il prévient : Nous allons plaider contre notre cliente. Contre sa volonté, contre sa perception des choses qui voudrait que l’on ne touche pas à un cheveu d’Edouard Stern. Parce que cette perception est erronée. Et qu’il est de notre devoir de défenseurs de le dire.De ce que furent les quatre années de liaison entre Edouard Stern et Cécile Brossard, telles qu’elles ont été racontées par les témoins et par sa cliente, Maïtre Maurer ne se satisfait pas.
Parce que, dit-il, au nom de la volonté exprimée par l’accusée de ne pas salir la mémoire d’Edouard Stern, toutes les pages du dossier d’instruction n’ont pas été ouvertes, ou alors tout juste effleurées. A l’adresse des jurés, il lance : Dans votre délibéré, prenez le dossier, regardez les photos, lisez les textes, toutes choses que nous n’avons pas voulu évoquer oralement pour ne pas exposer Edouard Stern et accessoirement Cécile Brossard, au public et à la presse. Mais vous qui êtes juges, lisez ! Si l’on veut savoir comment blesser une femme, l’anéantir, il faut relire Edouard Stern !Des protestations d’amour de Cécile Brossard, des souvenirs merveilleux qu’elle avait évoqués, des pudeurs qu’elle s’était imposée, ses deux avocats font table rase : Contrairement aux autres, je revendique le droit de porter un jugement moral sur cette affaire. Le droit de dire que lorsque l’on est l’homme le plus cultivé, le plus doué, le plus intelligent, on n’asservit pas, on ne martyrise pas, on ne brise pas une femme, observe à son tour Maïtre Alec Reymond.Les jurés ne vont plus lâcher celui qui, d’une voix de plus en plus dure, les interpelle.- On vous dit qu’il l’a aimée ? Mais l’amour, est-ce demander de rabattre du gibier sexuel et de le consommer devant sa maîtresse ? L’amour, c’est rabaisser, anéantir ? C’est obliger sa maîtresse à venir s’asseoir clandestinement dans le même restaurant que celui dans lequel on dîne avec son ex-épouse ? C’est d’acheter des espions pour la surveiller ? De piller les codes secrets des téléphones ? C’est de lui dire, lorsqu’en traversant un ruisseau, elle tombe dans la boue : “ma pauvre fille, tu es retombée là d’où tu viens ?” … C’est ça l’amour ? C’est lui dire : “un million, c’est cher pour une pute ?”… C’est ça, l’amour ? Cette histoire, vous a-t-on dit, c’est du sexe et de l’amour. Oui, c’est vrai, il y a du sexe, mais que du sexe chez l’un et de l’amour, chez l’autre. Parce que les belles soirées, les concerts, les belles tenues, les visites au musée, c’est pour les autres. Cécile Brossard, elle, elle est bonne pour la chambre à coucher. Et sa tenue, c’est un fouet, des godemichets et du latex ! Maïtre Reymond poursuit : Vous avez entendu les gens du premier cercle d’Edouard Stern défiler à la barre pour vous dire à quel point il était remarquable. Car dans ce monde là, tout est toujours remarquable. Mais ce n’est pas l’être de lumière qui a asservi Cécile Brossard, c’est l’homme de l’ombre ! Dans une main, Me Reymond tient le livre de la psychiatre Marie-France Hirigoyen sur le harcèlement moral.
A la cour et aux jurés, il donne lecture de sa description fouillée du pervers narcissique.
De l’autre main, il parcourt les pages du dossier d’instruction et en extrait les déclarations des témoins sur Edouard Stern ou des épisodes de sa liaison avec Cécile Brossard.
Met les unes et les autres en regard.
– Le pervers narcissique est souvent brillant, d’une rare intelligence, lit-il… Il fait des promesses dont il sait qu’il ne les tiendra pas. Il peut chercher à détruire l’autre avec des mots. Il a une jouissance à utiliser l’autre comme une marionnette.
Il plonge cette fois dans les retranscriptions des messages laissés par le banquier sur le répondeur téléphonique de sa maîtresse.
Lit toujours et tonne :- Pauvre conne !, pièce 620-40– T’es qu’une merde !, pièce 620-48– T’aurais du être gardienne dans un camp de concentration !, pièce 620-49– Je vais pas te frapper, tu ne mérites même pas ça !, pièce 620-61Il choisit d’autres extraits, s’interrompt et lance : Peut-on admettre que l’on traite une femme comme ça ? L’avocat se tourne alors vers sa cliente :- Cécile, pardon de vous le dire, mais de vous, il n’en avait rien à foutre ! Voilà la vérité que vous auriez voulu que j’embellisse. Mais je n’en ai pas le droit. Parce que les jurés doivent savoir ce que vous avez vécu pour juger ce que vous avez fait !… L’audience est levée, une femme en miettes quitte le prétoire…
Après près de huit heures de délibéré, les douze jurés – sept hommes, cinq femmes – de la cour d’assises de Genève ont déclaré Cécile Brossard coupable du meurtre d’Edouard Stern.
Ils ne lui ont pas accordé la qualification de crime passionnel soutenue par sa défense.La présidente a lu les motivations de l’arrêt rendu par le jury que je vous retranscris sous réserve de la prise de notes à l’audience :
Après avoir souligné qu’il était établi que l’accusée s’est rendue coupable d’un meurtre intentionnel, elle a rappelé la jurisprudence en matière de crime passionnel, qui se caractérise par le fait que l’auteur était en proie à une émotion violente que les circonstances rendaient excusable, ou qu’il était au moment de l’acte dans un état de profond désarroi. En l’occurence, le jury admet que Cécile Brossard était dans un état de profond désarroi au moment des faits et que Edouard Stern, au fil de leur relation, s’est montré humiliant, cruel, harcelant, alternant serments d’amour et marques de mépris.
Le jury admet que [en entendant la phrase: “un million de dollars, c’est cher pour une pute”], Cécile Brossard a soudainement réalisé que leur histoire était terminée, qu’il ne l’épouserait jamais et le déni s’est soudainement effondré.
Mais, souligne le jury, Cécile Brossard est en partie responsable de l’état de désarroi car elle a participé à cette relation destructrice. Elle s’est réfugiée dans le déni.
Le jury ne doute pas de la sincérité de Cécile Brossard et du fait qu’elle n’était pas intéressée par la fortune d’Edouard Stern.
A propos du million de dollars, le jury relève que pour les deux, cette somme avait perdu sa valeur symbolique. Ne restait que la valeur matérielle. En ne restituant pas cet argent, Cécile Brossard a provoqué la réaction d’Edouard Stern.
Son comportement, estime le jury, n’est pas excusable, au sens où Cécile Brossard aurait pu partir, crier, s’effondrer au lieu de donner la mort.
Il retient aussi l’attitude qu’elle a eue dans les minutes, puis dans les jours qui ont suivi le meurtre, en soulignant qu’elle a alors fait preuve d’une détermination certaine. Ce comportement réfléchi, cynique et manipulateur ne correspond pas à celui d’une femme en profond désarroi. Le jury a en conséquence répondu par l’affirmative à la question du meurtre, écartant la question subsidiaire du crime passionnel.
Il lui a en revanche reconnu, comme l’expertise psychiatrique, une légère atténuation de responsabilité.
Elle encourt donc une peine entre 5 et 20 ans de prison.
Cécile Brossard est détenue depuis quatre ans.Le réquisitoire de l’avocat général et les plaidoiries de la défense auront lieu jeudi matin 18 juin, la sentence de la cour et des jurés sur la peine devrait être connue dans l’après-midi.
Jeudi 18 juin 2009…
Ils ont eu envie de les retenir encore un peu, ces jurés, avant de leur confier le sort de Cécile Brossard.
De la défendre, jusqu’au bout.
Jeudi matin, les avocats Pascal Maurer et Alec Reymond ont appelé les jurés à traduire le verdict de compréhension qu’ils ont prononcé la veille, en peine de compassion. Dans la vie de Cécile Brossard, il y a eu la main qui caresse et fait peur du père. Celle, immonde, de l’oncle qui viole. Celle de mère dépressive qui maintient la tête dans le four. Celle d’Edouard Stern qui a humilié et harcelé. Je vous demande d’être la main qui se tend, a dit Maître Reymond.Avant eux, le procureur général Daniel Zappelli avait demandé onze ans de réclusion contre leur cliente.
Des réquisitions considérées comme sévères par les familiers du palais de justice de Genève.
De cet avocat général, depuis le début de l’audience, il n’a que très peu été question ici.
Disons, pour faire court, que dans ce procès, il est davantage apparu comme un auxilliaire de la partie civile – laquelle se débrouillait fort bien toute seule – que comme un représentant du ministère public.
Parmi les reproches qu’il a faits ce jeudi matin à Cécile Brossard pour motiver sa sévérité, figure celui de ne pas avoir pensé à retirer la tenue en latex de sa victime après l’avoir tuée.
Elle aurait dû, pour l’avocat général, penser à sauvegarder la réputation de son amant banquier.
– En 36 ans de barreau, je n’ai jamais entendu ça ! On vient de reprocher à l’accusée le fait que sa victime était particulièrement connue et de ne pas avoir maquillé la scène de crime pour ne pas attirer la presse ! a ironisé Maître Maurer : Mais on ne punit pas une accusée à l’aune de la célébrité de sa victime ! L’histoire de ce meurtre, a-t-il poursuivi, c’est celle de deux mal aimés qui, chacun, s’était reconstruit à sa façon: lui, avec le pouvoir, elle, avec son corps. Ils se sont attirés comme deux aimants. Ils se sont laissé entraîner dans un tango infernal. Il est en est mort, elle est à peine vivante. La sentence de la cour est annoncée pour 13h30….
13H30, la présidente lit la motivation de la sentence rendue par la cour.– La faute de l’accusée est très lourde, celle-ci ayant contrevenu à l’interdiction fondamentale d’ôter la vie à quelqu’un… Le mobile du meurtre ne relève pas de la cupidité mais de la volonté de ne pas perdre Edouard Stern.Si elle juge le meurtre particulièrement lâche, la cour retient les regrets profonds exprimés par l’accusée et la situation de désarroi dans laquelle l’avait entraînée sa relation avec Edouard Stern.
Suit le résumé de tout ce qui, pendant six jours d’audience, a été débattu, disséqué, confronté.– Madame Brossard, levez-vous, ordonne la présidente. La cour vous condamne à la peine de 8 ans et six mois de réclusion. La cour ordonne la destruction de l’arme du crime, de la combinaison latex et la confiscation en vue de la destruction de toutes les autres pièces du dossier…Cécile Brossard quitte la salle, lève une dernière fois les yeux sur les jurés, et les remercie.Fin de l’histoire…Avec le calcul de remise de peine, Cécile Brossard peut espérer sortir de prison via une mise en liberté conditionnelle d’ici la fin de l’année 2010.
– Le million a été restitué à la famille d’Edouard Stern, il sera versé à une association caritative, a indiqué l’avocat de la partie civile.
Le mystère Edouard Stern… #1
Le mystère Edouard Stern… #2
Le mystère Edouard Stern… #3
Le mystère Edouard Stern… #4
Le mystère Edouard Stern… #5
Le mystère Edouard Stern… #6
Le mystère Edouard Stern… #7
Le mystère Edouard Stern… #8