Mon truc c’est plutôt la nuit… mais le jour, c’est pas mal non plus…
La seule place valable dans un bar, de jour, comme de nuit, c’est le comptoir, pas trop loin du barman qui peut vouloir parler, offrir une tournée, pas trop loin non plus des toilettes et de la sortie, car il faut tout envisager.
Les aventures dans les bars peuvent-être cruelles.
Mais surtout, la position au comptoir est hautement stratégique, puisqu’elle offre une vision optimale (si on n’a pas trop bu !) de la salle et de toutes les adorables jeunes femmes qui viennent s’y encanailler et ne demandent qu’à me connaître… (ça c’est en théorie, parce que la réalité est autrement compliquée) !
Toujours est-il qu’en début d’après-midi, alors que je tapotais des conneries sur le web, avachi dans mon fauteuil, une de ces petites beautés est passée dans mon champ de vision, alors que je n’avais encore pas dépassé ma dose d’alcoolémie autorisée… (quand je bois, je suis plus disert, comme tout le monde, et souvent je suis drôle, ce qui facilite les contacts.
Cela a tout de suite fait tilt entre nous.
Ben oui, elle m’a filé un rencart dès qu’elle a su qui j’étais…
Je ne serais pas là sinon, réfléchissez !
L’idée du rendez-vous était d’elle, moi j’étais comme d’habitude plutôt favorable à une bonne partie de jambes en l’air immédiate dans mon loft.
Habituellement, je ne transige pas : si la fille refuse, je bois un Mojito de plus.
Mais là, c’était différend, il y avait un petit quelque chose de plus.
Je m’étais juré pourtant, que jamais au grand jamais, je ne replongerais dans les délices (et les tourments) du grand amour.
Le souvenir d’Anamary est encore trop douloureux.
Mais bon, mon cœur refusait d’entendre la sonnerie d’alarme que mon cerveau diffusait à fond la caisse.
J’ai attaqué mon troisième Mojito, me disant que c’était décidé, lorsque je l’aurai bu, je m’arracherais.
Puis je suis allé au bar du coin ou je lui ai dit que je l’attendrais en fin d’après-midi…
Elle avait facile une heure de retard.
Je voyais bien les regards moqueurs que me jettait ce con de barman.
N’empêche, j’aurais dû choisir un autre lieu.
Un lapin, c’est déjà assez pénible en soi, alors raconté à toute la colline….
Je pensais devoir m’exiler un an ou deux, pas moins.
J’en étais à maudire les femmes, cette femme, les potes, les barman’s et l’humanité entière lorsqu’elle a fait son entrée.
J’avais bien vu, elle avait des cheveux bleus, y’avait pas photo.
D’ailleurs la gueule du barman qui allait avaler des moucherons s’il ne se reprenait pas rapidement, me réconciliait avec la terre entière.
– Excuse moi, je suis en retard !
Elle sentait bizarre…
Avait-elle aussi peu de poitrine en vrai que ce que je voyais ?
Ses jambes étaient-elles aussi longues que ses cuissardes me le laissaient supposer ?
Il fallait que je parle avant de ressembler à ce pauvre barman qui était maintenant pris de convulsions.
– On y va ? Me dit-elle…
– Où ? Ais-je répondu, pris de panique !
Quel con, j’avais eu des heures pour réfléchir, et j’étais sans idées, sans projets.
Ce qui n’est pas tout à fait exact, puisque la seule idée qui encombrait mon cerveau, jusqu’à en effacer toutes autres, se résumait à ces simples mots : qu’est-ce qu’elle est maigre, là, piting ! Et des cheveux bleus, là, piting ! !
Mais malgré ma connerie chronique je sentais bien qu’il serait déplacé d’aborder de front de tels sujet avec cette femme.
Patience, patience.
– Au restaurant ? Ais-je dit en souriant, me demandant quel restaurant je pourrais choisir qui me laisserait incognito…
– Tu es fou, non, j’ai trop envie de toi, je rêve de ton machin, là, depuis que la p’tit LO a écrit sur le web que tu étais un mec canon…!
J’aurais dû boire un peu plus pour ne pas voir ses cheveux bleus et sa maigreur… : un quatrième Mojito !
Mon cœur a fait une double pirouette et tous mes organes internes ont attaqué une gigue d’enfer.
Il allait me falloir des jours pour tout remettre en place.
Aucune femme ne m’avait fait un tel effet beauf…
J’ai pensé la laisser filer.
Elle s’est levée et s’est penchée pour m’embrasser, me laissant découvrir sa poitrine en oeufs sur le plat.
Elle a suivit mon regard et a tapoté ma joue en riant.
– Petit coquin !
Et elle est sortie pour m’attendre…
Petit coquin…!!!
On ne m’avait pas insulté pareillement depuis ma jeunesse la plus lointaine.
J’étais abasourdi, je voulais pleurer, crier…
Mais je restais là, vissé à mon siège incapable de réagir, paralysé.
– Piting, maigre, blanchâtre et des cheveux bleus…
Alors quand ce grand con de barman s’est penché vers moi avec son sourire niais, j’ai senti qu’il se foutait de ma gueule, le sang m’est venu au cerveau, je l’ai attrapé par les cheveux et lui ai éclaté la tête contre le rebord de la table.
Quelle idée de mettre des tables en marbre à bords coupant dans un bar !
Il gîsait maintenant à mes pieds se vidant tranquillement de son sang.
Je l’ai regardé avec intérêt.
Comment une grande endive comme lui pouvait-il perdre autant de sang ?
Autour de moi, ça criait et ça s’agitait.
Je suis sorti, la maigrelette m’a pris la main et nous sommes allés jusqu’à son chez-elle…
Un taudis, ravagé, dans une ruelle sordide…
Le jour tombait, j’étais piégé !
D’un coup, elle s’est déloquée, à poil mais épilée, elle était pire, blanche comme la mort…
Et toujours ses cheveux bleus…
Je ne suis définitivement pas fait pour vivre de telles aventures… j’ai alors décidé de fêter l’évènement en allant boire un Mojito au bar du coin…, la nuit et moi étions déjà bien entamés.
Après une soirée à me lécher partout, à me faire des choses inavouables, à me branler…, alors que je buvais des Mojitos pour oublier dans quel pétrin j’étais…, elle s’est endormie, n’en pouvant plus, exténuée…
Toutefois j’ai mis un point d’honneur à franchir le seuil de l’établissement sans tituber.
Non par peur du barman qui ne m’avait jamais refusé l’entrée, mais plutôt pour le cas hypothétique ou une autre jeune femme peu farouche serait séduite par mon physique avantageux.
– Re-salut, alors, t’as tiré ton coup mon salaud, et avec ça t’as pas vendu de bagnole aujourd’hui, les temps sont durs, non ? Tu veux un autre Mojito, comme d’hab’…?
Il a pris mon poing dans la gueule avant d’avoir pu respirer après sa phrase.
Pas question de me laisser insulter dans un lieu public, à cette heure là.
Surtout à cette heure là !
Il faudrait que je me penche un jour sur ce problème crucial : plus l’heure et la consommation d’alcool augmentent, plus le sens de l’honneur est à vif.
Honneur ou pas, j’ai pas fait de détail et le nez du barman a explosé comme un fruit s’écrasant sur le carrelage de la cuisine un jour de maladresse.
D’accord, c’était mon pote, d’accord, j’l’ai pas reconnu, hipsss !, mais on ne va pas m’accuser d’un mouvement d’humeur bien compréhensible, non ?
En tout cas, mon geste a déclenché une bagarre de légende.
Je vous dis cela mais moi je n’ai rien vu, on m’a raconté.
J’avais à peine posé ma main sur la gueule de ce con de barman, qu’un tabouret de bar métallique m’expédiait dans les nuages.
– T’es content de toi ?
C’est l’harmonieux organe du barman qui m’a sorti de mon inconscience.
J’étais assis dos au bar et couvert d’éclats de verre.
Une main m’a aidé à me relever, celle du barman.
Piting la gueule !
Il n’a jamais été très beau ce con, mais là c’était terrible : il était laid, mais avec plein de couleurs rigolotes.
Demain matin au guichet de la grande Poste, il aurait du mal à caser ses produits financiers aux clients désirant des timbres.
Je me suis redressé et ai constaté que le bar était vide et dévasté.
J’ai évité de regarder trop longtemps et me suis penché sur l’intéressant problème posé par la protubérance qui enflait à l’arrière de mon crâne.
La douleur me taraudait le cerveau.
Je savais que cette douleur insistante ne m’exonèrerait pas de celle qui vrillerait mon cerveau demain à mon réveil.
Il était d’ailleurs incroyable qu’un cerveau si important puisse abriter tant de douleur.
– T’es content de toi ?
Il insistait lourdement, je sentais des reproches à peine voilés dans le ton de sa question.
Finement j’ai contre-attaqué :
-T’es obligé d’avoir des tabourets en fer ?
– Fait pas le mariole avec moi espèce de vendeur de tutures-à-la-con, tu as vu l’état du bar ?
J’ai lèvé vivement les bras, déclenchant une gerbe de feu sous mon crâne.
– Doucement les mecs, j’ai rien cassé moi, adresse toi plutôt à ceux qui ont fait cela.
Le barman malgré son embonpoint fut sur moi a une vitesse étonnante.
– Tout est de ta faute, tu as vu ma gueule ?
Je ne pu réprimer un sourire et malgré sa colère j’ai vu ses yeux s’allumer lorsque je lui ai dit :
– Me parler comme tu l’as fait à une heure aussi tardive c’était du suicide…
Le barman s’est éloigné découragé, traînant sur ses épaules fatiguées toute la misère du Monde.
J’ai essayé de comprendre :
– Qui a foutu ce bordel à part moi ?
– Tous les clients s’y sont mis, qu’est-ce que tu crois…, ils n’attendaient que ça, un prétexte, une excuse, n’importe quoi pour se défouler et… pour certains, se venger de te voir parader avec tes bagnoles de milliardaires et d’écrire des conneries sur ton site…
– Qui ?
– La bande à Olzik, tu parles !
J’ai sifflé entre mes dents :
– Piting ! y’avait Phil, Ric et ses potes ?
– Ouais….
Et le barman, du bras, a désigné la salle :
– Ca suffisait non ?
Il m’a envoyé un regard lourd de sens.
Au stade où j’en étais, un peu plus un peu moins…, donc j’ai changé de bar…
La colère m’aveuglait lorsque je suis entré au bar Macumba.
Ils n’étaient que deux, Phil et Ric et la surprise les a paralysés.
Enfin je suppose que c’est la surprise, à moins que mes yeux n’aient trahi ma détermination et ma folie.
Toujours est-il que je me suis farci les deux cons sans peine et sans bruits.
Phil me regardait les yeux ronds et la bouche ouverte.
J’ai pris ses cheveux à pleines mains et lui ai écrasé la gueule sur le comptoir.
Il y a eut des craquements du coté de sa mâchoire et je l’ai fini à coup de bouteille.
J’ai foncé sur son cuir pour me dédomager de la Mercedes 600 qu’il m’avait piqué avec son complice, Ric.
Mais il s’est redressé alors que j’allais l’enjamber pour sortir.
Grave erreur : mon pied lui a défoncé la tête.
D’accord, je n’étais pas obligé de ramasser ce couteau qui traînait…
Ne sachant que faire, je suis sorti de ce bouge et j’ai érré…
Grââââve erreur.
Par le plus grand des hasards je suis repassé devant le taudis, et, elle était là, nue, toujours aussi maigre, les cheveux toujours bleus…
– Je t’attendais, viens, j’ai encore envie…
Piting de con j’étais…
– Oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui…
Je me suis retrouvé gisant, nu, dans un bazar indescriptible tandis qu’elle hurlait :
Patience, patience !
Patient je l’ai été en double-sens, et quand elle s’est à nouveau évanouie, j’ai de nouveau filé, comme un chien rendu fou…
J’ai de nouveau erré, sillonant quelques ruelles, me faisant apostropher par quelques péripapéticiennes venant débuter leur business…
Je me suis réfugié dans le bar du coin de ma rue…
La musique débitée par l’antique Juke-Box du bar résonnait jusqu’au plus profond de mon cerveau.
Avec la fumée qui me brûlait les yeux et l’alcool qui me retournait les tripes, j’étais au paradis.
Il était bientôt deux heures du mat et, calé solidement dans l’angle du bar, j’avais une vision à 180° sur la salle.
Le barman s’était glissé vers moi pour me chuchoter un truc à l’oreille, mais il obtint le même résultat qu’un muet parlant à un sourd et devant mon regard empli d’incompréhension, il a pointé le doigt sur mon verre vide avec un air interrogatif.
Ce geste est dans l’internationale des buveurs, le plus beau et le plus grand des gestes.
Il signifie tout simplement :
– Tu rebois la même chose ?
Sous entendu :
– Je te l’offre…
Ce qui était, il faut bien en convenir vu la conjoncture actuelle, une sacrée bonne idée, c’était Byzance !
Je m’empressais d’agiter la tête de façon à lui montrer comment j’adhèrais à sa brillante initiative.
Il se mit à rire et me remplit mon verre sans me quitter des yeux.
Et il insista dans le regard.
Il était sympa le gros, mais enfin, même bourré, je ne lui avais jamais trouvé trop de charme, faudrait pas qu’il s’abusa pépère.
Surtout que ce soir, allez savoir pourquoi, tout semblait me réussir.
J’avais déjà décroché un rendez-vous avec une maigrelette aux cheveux bleus en première partie de soirée, et voilà que maintenant, il y avait une fausse blonde renversante, qui avait l’air de bien se faire chier avec son vieux et qui ne cessait de me lancer des œillades de biches.
Alors, le barman avec son regard…
Sans me vanter, j’étais malgré-tout au top de ma forme.
Je devais toutefois ralentir un peu les Mojitos si je voulais engager la conversation.
Et v’là qu’un type genre malfaisant s’est pointé à la table de ma petite princesse.
Je le connaissais, c’était le singe lubrique du web, un pervers.
Il se fait appeler Orang-outan, mais c’est Pierre Deydet.
Il traîne sans cesse sur les sites de rencontres du web à la recherche d’une aventure, puis sous prétexte de prendre l’air, il écume les bars et s’envoie de dizaines de verres de vin.
Mais il se la joue artiste-écrivain, à fond, et chaque nuit qui passe je vois ses chevilles enfler.
Entre nous c’est bonjour-bonsoir, chacun son territoire, surtout avec les p’tits meufs et quand il se met à se branler sur l’air des crocodiles, je me casse chaque fois vite fait bien fait.
De le voir ce soir embrasser à pleine bouche, la blonde et son vieux m’a laissé rêveur.
Je le savais hétéro maniaque, mais là il allait se taper un couple…
Jamais, depuis le début de notre cohabitation nous n’avions chassé la même proie et je n’étais pas prêt d’admettre la moindre faille à ce contrat moral entre nous.
Aussi, quand ce grand dépendeur d’andouille s’est levé pour aller pisser, je me suis empressé de le suivre dans les chiottes au grand dam du barman qui avait véritablement des vues sur moi.
Le singe lubrique occupait l’urinoir et, en me lavant les mains je pouvais l’observer dans le miroir.
– Qu’est ce que tu comptes faire avec cette blonde ?
Surpris, il a eu un geste brusque qui lui a fait tacher son pantalon.
– Merde ! Piting t’es con, tu m’as fait peur.
Il s’est reculé pour constater les dégâts et a éclaté de rire.
Il m’a regardé et m’a dit.
– Tu ne touches pas cette fille, surtout pas toi, elle est sacrée pour moi, je l’ai draguée sur le web et j’ai envie de faire des cochonneries. Si tu tentes de me casser mon coup je vais dire à Lorenza que tu sors dans les bars tous les soirs et que tu te saoule aux Mojitos…
J’avais l’impression de faire un mauvais rêve, il se croyait où ce singe pour me donner des ordres ?
– Salaud de délateur, piting de piting de singe lubrique, tu te fous de moi ? Je te proposes un marché, tu te tapes le vieux et moi la blonde…
Il souriait toujours en venant se laver les mains.
– Toujours aussi fin…
Je devais avoir plus bu que ce que j’imaginais puisque je n’ai pas vu partir son poing.
Il frappait comme il se masturbe habituellement devant son écran : comme un sourd.
J’ai été m’écraser comme une grosse buse en fonte contre le mur opposé.
Avant de glisser au sol et de m’évanouir, j’ai entendu Orang me jeter :
– C’est mon coup à moi, piting, j’ai envie de baiser !
C’est le barman qui m’a réveillé.
Piting, ça m’a fait un choc.
L’établissement était vide et j’étais mélancolique.
J’avais encore perdu un soutien parmi la digne confrérie des noctambules, pourtant je le connaissais depuis 7 longues années cet Orang-outan.
A ce rythme, mes nuits risquaient de devenir de plus en plus tristes.
J’ai quitté le bar…
J’étais à deux doigts d’éclater en sanglots lorsque j’ai remarqué l’enseigne allumée d’un nouvel établissement qui me semblait ma foi plutôt accueillant.
Le patron était gros et une petite brunette délurée m’a fait un sourire.
Je lui ai tourné dos en commandant un café.
J’avais ma dose pour ce soir.